6 avril 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'importance du maintien des entités administratives que constituent les départements, les cantons et les communes, Castelnaudary le 6 avril 1990.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Au cours de ce voyage qui m'a conduit d'abord dans le Gers à Mauvezin, voyage qui s'est poursuivi par un arrêt à Montolieu, je désirais visiter la célèbre coopérative agricole lauragaise. Venant dans votre ville à cette occasion, j'ai pensé qu'il était de mon devoir, devoir que je respecte toujours et partout où je vais, que de venir saluer les élus de la commune de Castelnaudary dans leur Hôtel de Ville et particulièrement vous, monsieur le maire. Cela fait partie non seulement de nos usages et de nos rites, mais aussi je le répète de nos devoirs afin de préserver dans notre pays, en France partout et au-delà des légitimes différences d'opinion, le dialogue autour de nos institutions et du respect dû à la République.
- Je vous remercie donc de votre accueil et d'avoir de votre côté facilité cet échange. Je suis venu avec plaisir, parfois, je me rends à titre privé dans l'Aude, depuis déjà de longues années. J'éprouve de l'affection pour ce département qui est beau et qui a du caractère. Je commence à en connaître certains lieux, certains détours, certains itinéraires accomplis avec mes amis, en tentant de percevoir ce qui ressort de cette terre et donc de ce peuple. Je compléterai mon éducation grâce à cette approche de Castelnaudary et je remercie non seulement les élus, mais aussi la foule de vos compatriotes venus saluer en la circonstance, le Président de la République.
- Je tiens à dire à tous mon plaisir de les avoir rencontrés et la satisfaction, au milieu d'une vie rude, dans des débats, des combats, des luttes qui sont le sort même de toutes démocraties, de trouver ces moments où dans la maison commune, la maison du peuple l'on peut parler de choses qui nous sont propres et qui relèvent de la gestion municipale.
- Je suis très sensible à ces divers cadeaux qui m'ont été offerts. Celui-ci pour les yeux et pour l'esprit, celui-là pour le goût de vivre. Mais le goût de vivre n'est jamais éloigné non plus de l'esprit, d'une certaine façon de considérer la vie et les choses. Le cassoulet j'aime ça. Ce ne sera pas répercuté par les télévisions, je l'espère, car on n'a pas besoin de connaître spécialement mes goûts, mais je suis un amateur. Quand j'aurais consommé le cassoulet de la capitale de ce produit, je pourrai dire, alors vraiment ce que j'en pense !
- Merci en tout cas d'avoir bien voulu me faire compagnon de cette confrérie du cassoulet de Castelnaudary, merci madame et merci à vous aussi les enfants d'avoir bien voulu contribuer à cette réception. De même pour la médaille qui marque cette citoyenneté d'honneur à laquelle je suis très sensible.\
Monsieur le maire, vous m'avez adressé quelques propos qui méritent réflexion. J'ai relevé au passage un certain nombre d'inquiétudes, même si elles étaient exprimées de façon fort courtoise.
- Le département d'abord. Je l'ai dit dans beaucoup d'endroits, je suis très départementaliste. Je crois que la Constituante, l'ensemble des assemblées de la Révolution française, la première, la plus grande, a agi sagement en créant les départements qui découpaient naturellement les provinces, mais qui ont permis à notre République pendant deux siècles de se gérer et de réaliser la première décentralisation de son histoire. D'autant plus que les lois qui ont initié la création des départements, ont été des lois très audacieuses avant qu'elles ne soient changées, au bout de trois ans. (Cela se passe souvent comme ça en France) avant que l'on ne revienne dans les dernières années à une notion authentique de décentralisation, afin de permettre aux citoyens de se gérer eux-mêmes autant qu'il est raisonnable de le faire.
- Le département de l'Aude a ses frontières, elles ont en effet comme beaucoup d'autres quelque chose d'arbitraire. Elles n'ont pas voulu justement épouser les anciens contours des provinces et de ce fait, elles ont parfois séparé des pays qui regrettent encore leur unité perdue. Quoique, quand vous vous retrouvez au sein de la région, vous vous retrouvez au sein de la France et vous n'êtes pas complètement séparés de vos frères ou de vos cousins germains. Mais c'est vrai que le découpage de la France en morceaux apparaissait à certains contemporains, particulièrement les Anglais, comme un acte de barbarie, et moi je crois que cet acte-là a été salutaire. Et à une époque où l'on discute de tout, le département doit-il être maintenu ? Doit-il se fondre dans les régions ? Les communes doivent-elles être préservées dans leur authenticité ? Leur identité ? J'ai quelques réponses précises à faire.\
Le département doit continuer d'être ce qu'il est. On peut naturellement imaginer un certain nombre de transformations intérieures. On en a déjà réalisé beaucoup dans la relation entre le département et l'Etat. Mais, il ne faut pas que de plus grandes entités intercalaires comme la région organisent la confusion des départements. Les Français ont appris à vivre ensemble depuis deux siècles dans ce type de circonscription, à l'échelle humaine comme on dit et il serait dommage pour la République de revenir sur ce point.\
Vous avez exprimé quelques inquiétudes pour les communes. Vous savez, monsieur le maire, j'ai été moi aussi maire longtemps avant vous. Et j'ai été l'élu de mon petit coin dans le centre de la France depuis 1946, cela fait donc quarante quatre ans, et j'ai vécu trente-cinq ans la vie d'un élu local. Maire, conseiller municipal, conseiller général et même pendant quelques temps Président du conseil général d'un petit département de province. J'ai donc eu tout le loisir de vivre sur place les grandes réformes annoncées. Cela ne m'a pas donné un goût conservateur de préserver en l'état exactement tout ce qui existe. Mais, celui de respecter un certain nombre d'entités, d'entités locales que vous avez appelées de pays, notion à laquelle je tiens comme vous et qu'il faut éviter de faire disparaître sans quoi les habitants de ces petites localités, de ces petites communes et mêmes de ces pays seront abandonnés à eux-mêmes et l'on accroîtrait malheureusement la désertification française. Voilà pourquoi je serai très vigilant pour que l'on puisse résister à un certain nombre de plans établis dans des bureaux éloignés, très souvent des réalités géographiques et des réalités humaines.
- Par exemple, moi je tiens aux cantons. Je ne dis pas que tous les cantons sont dessinés admirablement. Il y a des retouches ici et là qui peuvent être utiles, mais il ne faut pas en faire un système. Le canton est également une unité qui permet de rassembler des petites villes, des villages, des hameaux, souvent sur une grande distance lorsqu'il s'agit de pays montagneux ou d'un certain relief. Tous ces habitants, comme je viens de vous le dire à l'instant seraient complètement détachés de toute organisation de notre société s'ils n'avaient sur place leurs élus, c'est-à-dire leurs défenseurs. Donc, il ne s'agit pas de faire disparaître le canton. Il s'agit simplement d'organiser une représentation plus juste des départements. Il faut allier ces deux notions, même si elles paraissent a priori contraires. Il faut respecter les cantons et il faut que la représentation soit plus équitable, car il ne serait pas normal non plus que les départements, les conseils généraux qui disposent aujourd'hui de crédits importants puissent être dominés par une majorité politique de petits cantons qui décideraient à la place de grande densité de population. Eh bien, un peu de bon sens dans tout cela et examinons de quelle façon on peut allier ce qui apparaîtra au début comme des contraires. Respectons vraiment le canton parce que cela assure la pérennité de la représentation rurale, la vitalité de nos petits pays, j'y tiens essentiellement. Cependant soyons justes, il ne serait pas normal qu'il y ait une trop grande différence entre la représentation départementale et la représentation nationale.\
Quant aux communes, moi je me suis toujours opposé aux fusions arbitraires. Il y a eu plusieurs tentatives depuis un quart de siècle et même davantage. Mais, personnellement, je ne crois pas que ce soit simple. J'ai constaté comme tout le monde qu'il existe des petites communes, j'en avais une dans ma circonscription qui avait vingt-six habitants. Il est évident que ces vingt-six habitants ne pouvaient pas faire grand chose. Et cependant, ils représentaient déjà plusieurs hameaux. Il y avait, là la mairie, là l'église, là le cimetière, ici l'état civil. Il y avait ces familles qui se connaissaient à travers les siècles. Il ne faut pas faire disparaître tout cela et bien entendu il faut un type d'organisation syndicale, associative. On peut imaginer toutes les formes possibles et imaginables. J'ai moi-même présidé alors que j'étais conseiller général, des syndicats d'adduction d'eau qui réunissaient vingt-deux communes, des syndicats d'électricité qui en réunissaient une quinzaine, chacun sait que l'on s'organise très bien lorsqu'il s'agit de travailler sur le terrain et que l'on peut parfaitement associer des communes voisines pour leur gestion commune sans qu'elles voient leur personnalité, leur identité disparaître. C'est en tout cas, monsieur le maire, à cela que je m'appliquerai.
- Vous m'en avez donné l'occasion, je viens de vous le dire, et puis il y a les problèmes de Castelnaudary. Castelnaudary dont me parlait déjà il y a bien des années votre ancien maire, M. Mistler, que j'ai bien connu dont il a été au cours de ces dernières années, lorsqu'il était à l'Académie française, secrétaire perpétuel, et j'estimais beaucoup la qualité de son esprit et je connaissais bien son oeuvre et il parlait beaucoup de ces deux pôles d'attraction et qui étaient Sorreze et Castelnaudary, et il me décrivait cette ville que je visite aujourd'hui. Donc, j'ai déjà eu des approches différentes de Castelnaudary.\
Alors, vous me parlez de la caserne Lapasset, vous trouvez que c'est trop cher. En somme, ce que vous appelez le prix républicain, c'est le prix qui vous arrange ! Il doit bien y avoir entre le prix "monarchique" du ministère de la défense - on va dire le prix militaire - et le prix "municipal", un arrangement possible qui serait l'arrangement "républicain". Je l'espère aussi. Je ne sais pas si je dois vous souhaiter la reconstitution d'une sous-préfecture à Castelnaudary, parce que le premier geste de cette sous-préfecture, ce serait de s'installer à votre place dans ces lieux !
- QUESTION.- Il faudrait alors négocier le prix de vente.
- LE PRESIDENT.- Vous avez pris la sous-préfecture ?
- QUESTION.- Oui, mais on l'a payée au département !
- LE PRESIDENT.- Les bons comptes font les bons amis. Mais ne vous inquiétez pas, ce n'est pas pour demain. Vous me demandez de revenir sur les réformes de Poincaré ?
- QUESTION.- Et du ministre de l'intérieur M. Sarraut, c'est lui qui nous a fait ce coup. C'est lui, sur le journal officiel qui a signé.
- LE PRESIDENT.- J'avais un grand père paternel qui était employé au canal de Berry, lequel canal de Berry a été supprimé d'un trait de plume il y a quelques années. Je me suis associé à la déploration publique devant le fait que ce canal cessait d'être reconnu par l'Etat. Et visitant le petit musée qui marque l'histoire du canal de Berry, je me suis aperçu avec stupeur qu'au bas de la reproduction du décret qui supprimait l'existence du canal, il y avait ma signature. Car cela s'était fait à une époque où j'étais ministre de l'intérieur et j'assumais donc la responsabilité collective. Alors, je pense que M. Sarraut a dû vivre un épisode de cette sorte. Il faut toujours voir de très près ce que l'on signe. Et je vous prie de croire comme Président de la République, je n'ai pas de cachet, je n'ai pas de griffe, je signe tout moi-même et je lis tout. De telle sorte que cela ne m'arrivera plus ce genre de chose.
- Pour ce qui concerne Castelnaudary, je m'en suis inquiété. Si on crée un arrondissement, il n'y aurait guère plus de 30000 habitants, c'est nettement au-dessous de la moyenne utile. Vous ne voulez pas vous confondre avec Limoux ? Je ne pense pas que vous seriez d'accord. Et puis votre population elle n'a pas envie d'être projetée vers Limoux, elle n'a pas envie d'être coupée de Carcassonne. Oui, on aborde le problème comme cela, tranquillement, ce n'est pas facile à résoudre. On essaiera d'avoir votre caserne, et je ne vous promets pas votre sous-préfecture.
- Monsieur le maire, mesdames et messieurs, je vous remercie de votre accueil. Je vous prie de transmettre à la population, celle des travailleurs de Castelnaudary, les femmes, les hommes qui prennent part à la vie commune, comme à toute l'histoire de Castelnaudary que je retrouverai à travers ces ouvrages. Je vous prie vraiment de croire que pour le chef de l'Etat, c'est très important que de rencontrer sur place, sur le terrain, les élus du peuple. On se comprend mieux, on voit mieux au travers des regards, des attitudes et des façons de faire si le dialogue existe entre nous. Je souhaite que cela soit. Je vous en remercie, Vive Castelnaudary, Vive la République, Vive la France !\