6 avril 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la restauration du patrimoine architectural de Mauvezin, le tourisme social et la qualité de la vie dans les petites villes, Mauvezin, le vendredi 6 avril 1990.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Vraiment, je suis très sensible à votre accueil ce matin à Mauvezin. Nous en avions, comme vous l'avez dit à l'instant, formé le projet il y a de longues années. J'avais appris à connaître votre petite ville, ses rues, ses monuments, ses habitations, toujours belles et cependant vieillies et menacées. Et Yvon Montane me disait déjà les espoirs qu'il formait, ses ambitions et ses difficultés. Tout cela se situe à des années qui nous ramènent loin dans le passé, quasiment un quart de siècle. Puis, les jours ont passé, les responsabilités sont venues, celles que lui-même a continué de remplir en les accroissant, celles que je dois à votre confiance. Et, j'ai vu, de loin , depuis 1969, grandir non seulement les espérances de Mauvezin, mais aussi sa réalité, se transformer, s'améliorer. Ce qui comporte un certain nombre d'enseignements dont nous parlerons dans un moment.
- Une équipe municipale active, croyant dans son pays, une population disposée à choisir le progrès tout en préservant le caractère et l'identité de Mauvezin : restez ce que vous êtes tout en vous adaptant aux exigences du temps présent. Rendez-vous a été pris, il est enfin tenu. Cela ne s'est pas fait tout de suite, comme vous le voyez, puisque cela fait bientôt 9 ans, qu'Yvon Montane me rappelait de temps à autre avec beaucoup de discrétion, mais aussi d'insistance, qu'il fallait bien venir un jour à Mauvezin. Cela me plaisait, j'avais envie de retrouver ces chemins et de vous retrouver. Disons simplement que mon emploi du temps est un peu chargé et qu'il fallait trouver le moment où je disposerais d'une journée qui me permettrait d'aller ici et là, et notamment dans votre ville.
- C'est pour moi vraiment une joie que de rencontrer, parfois même de reconnaître les maires du canton, les conseillers municipaux de la ville, les élus et représentants du département. Pourquoi ? Parce que ma propre vie a été jalonnée de ce type de rencontres et qu'il s'est créé entre vous et moi, je peux le dire, à travers ces années un lien particulier qui se retrouve chaque fois que l'on fait appel au suffrage populaire.
- Et ce que je vois aujourd'hui, vient confirmer ce que j'en pensais ou plutôt ce que j'en espérais. C'est un exemple vraiment à remarquer, à signaler à l'ensemble des Français. Ce n'est pas le seul, mais c'est un exemple remarquable, d'une petite ville qui n'a pas de grands moyens, qui dispose d'un riche capital historique, de belles constructions comme on savait les faire dans les temps anciens, mais qui se dégradaient avec le temps et aussi parfois l'appauvrissement, et puis aussi, la perte de population : appauvrissement matériel, appauvrissement humain. Il fallait repartir du bon pied, c'est ce que vous avez décidé tous ensemble, encore fallait-il une impulsion et cette impulsion a été donnée - je puis dire l'estime que je lui porte - par Yvon Montane que je connais depuis 1964. L'estime que je lui porte doit être pratiquement répandue sur beaucoup d'autres élus de sa sorte, acharnés au travail, ambitieux pour la collectivité qu'ils représentent, imaginatifs et sachant parfaitement gérer. Voilà l'exemple qui nous est donné à Mauvezin.\
Il était normal, bien entendu de se préoccuper des activités traditionnelles. L'agriculture tout autour de la Lomagne, cette région, le commerce, l'artisanat si typique de cette partie du Gers. Mais la manière dont a été utilisée la chance de Mauvezin pour le tourisme, c'est-à-dire pour l'accueil et la rencontre, pour faire que non seulement les habitants de cette ville se sentent mieux chez eux, heureux de retrouver leur cité et que leurs enfants aient envie à leur tour d'assurer la suite des temps comme les parents ou les grands-parents avec cet attrait que représente la restauration de ces immeubles et du bâti et qui incite et qui invite des touristes venus de loin, touristes qui de plus en plus me disait-on s'attardent, restent parmi vous, au point de s'installer non pas simplement pour la saison des beaux jours, mais même parfois à longueur d'année. Toute une population heureuse d'être ici ! Je dis heureuse d'être ici, car j'imagine que sinon elle ne reviendrait pas et puis, comment ne serait-elle pas attirée ? J'ai été vraiment frappé par la qualité architecturale, la qualité du travail, de chaque détail £ ceux qui, architectes, maîtres d'oeuvre, travailleurs de toutes sortes ont pris part à cette restauration de Mauvezin, à cette adaptation de Mauvezin à ses obligations du siècle qui vient. Tous ceux-là méritent vraiment d'être remerciés et d'être félicités. C'est du beau travail. Et je suis sûr que cela n'aurait pas été possible sans la cohésion et sans l'élan de la population qui se trouve ici. On ne peut rien faire tout seul. Il faut disposer de la confiance. Au début, ce n'est pas facile parce que l'on s'étonne, ça change et tout ce qui change surprend et parfois mécontente. Jusqu'au jour, si le choix est bon, si le changement est utile, tout changement ne l'est pas, mais si ce changement est utile, comme je le constate alors on se prend à l'ouvrage. On est heureux de s'y être attelé, on est content du résultat et on a envie de faire plus et on a envie de faire mieux, c'est ce qui est en train de se produire ici. Bien entendu le mérite doit être partagé entre les différentes collectivités qui ont été les instigatrices de ce renouveau. Une petite ville comme Mauvezin ne peut rien faire toute seule. Mais, rien se se ferait si l'élan ne partait pas d'ici et était ensuite prolongé comme je le disais tout à l'heure, par une gestion, une administration sérieuse, appliquée, volontaire.\
C'est cet aspect du tourisme qui m'a paru particulièrement intéressant. D'ailleurs, je suis accompagné ici du ministre du tourisme, M. Stirn et je suppose qu'il a dû noter beaucoup de choses, car, qu'est-ce qui destinait Mauvezin à devenir un centre aussi important et exemplaire pour le tourisme et particulièrement le tourisme social ? Rien a priori, sinon que c'est un joli coin, mais qui peu à peu s'enfonçait dans l'usure du temps. Qu'est-ce qui désigne aujourd'hui Mauvezin ? Eh bien l'effort de la population, l'effort de ses élus, la modernité de cette population qui a su trouver en elle-même et Dieu sait si ses racines sont profondes dans l'histoire, qui a su retrouver l'énergie qui lui permet maintenant de créer ou de recréer la ville, la commune, la collectivité accueillante pour les années qui viennent.
- Ce tourisme social avec ces VVF, Villages, Vacances Familles, j'ai été heureux de saluer M. Edmond Maire qui en assure la responsabilité nationale et que j'ai connu pendant de longues années assumant déjà des responsabilités de grande ampleur, et j'ai été frappé du fait qu'un homme comme lui, l'un des syndicalistes les plus éminents de ce siècle, désirait se consacrer au tourisme, au tourisme familial, tourisme social en contribuant d'une façon fort importante à développer à travers toute la France ce type d'organismes, d'institutions qui permet à des foyers de toutes sortes mais en particulier à beaucoup de foyers modestes d'aborder des lieux de vacances, beaux, agréables, où l'on se trouve bien, où l'on a envie de revenir et tout ceci dans des conditions raisonnables par rapport au budget dont on dispose.
- Je suis sûr qu'à partir de ce que je viens de voir des dizaines et des dizaines de touristes qui n'auront plus la qualité de touristes, deviendront des résidents, qui se considéreront presque comme du pays. Alors, vous verrez des gens avec peut-être une intonation, un accent tout à fait différent du vôtre. Vous serez étonné de leur dire, mais d'où êtes-vous ? de Mauvezin. Tiens, vous êtes de Mauvezin ! Comment ? Et on saura que c'est par le cheminement de ce tourisme social que peu à peu est revenue la vie, que s'est élargie la communauté et que c'est assuré l'avenir.\
Voilà les exemples qui me viennent à l'esprit au moment de vous parler. Cette sorte d'éclatement intérieur d'une petite ville qui reste en même temps une petite ville ayant son caractère, qui a accru sa propre identité, qui est plus Mauvezin qu'elle n'était auparavant, alors qu'en vérité, ce sont des populations venues de l'extérieur sans oublier sans doute les familles originaires d'ici, enchantées d'avoir l'occasion de revenir, de retrouver leurs racines, tandis que leurs enfants découvrent qu'après tout le plaisir de vivre en vacances, ce n'est pas forcément d'aller, je ne vais pas citer de lieux, mais d'aller sur les endroits plus réputés où le tourisme est devenu très cher, très dispendieux et où les distractions se sont quelquefois corrompues. Là au moins, on saura que l'on trouve la vraie province française, l'air, la terre et que se créeront des amitiés qui marqueront toute une vie.
- Nous, on le sait bien, nous provinciaux qui avons vécu nos enfances dans des circonstances comparables à celles-ci. Cela ne s'arrête jamais de toute la vie, cela marque le souvenir, la mémoire, on a besoin de ce type de communautés, on ne peut plus s'en séparer, dans lesquelles les gens se connaissent par leurs prénoms et quelquefois par leurs dates d'anniversaire, toutes choses qui se perdent dans l'immense solitude des foules et des villes modernes.
- Il faudrait d'ailleurs considérer que le devenir de ces plus grandes villes, si on veut les adapter aux besoins de l'humanité, devra s'inspirer d'exemples de ce type pour arriver à identifier les quartiers, les rues, que les places redeviennent des lieux de rassemblement, de réunions, de distractions, d'amusements, de conversations, bref, restaurer dans un siècle où tout semble se confondre, l'identité personnelle avec l'identité de la communauté dans laquelle on se trouve.
- Puis, je suis très heureux de voir se justifier au travers de ces exemples le sens communal. Ce sont quand même les communes de France qui sont les cellules de base. Je suis toujours très inquiet lorsque j'entends des projets qui généralement aboutiraient à désertifier cette province. Il faut chercher tous les moyens qui permettront de préserver jusqu'aux bourgs, aux bourgs lointains, aux hameaux parfois dispersés (quand c'est possible bien entendu, il ne faut pas tomber dans l'absurde), une possibilité de leur assurer leur survie, s'il est nécessaire d'associer, d'organiser, de syndiquer les différentes collectivités pour qu'elles disposent des moyens de vivre, des moyens de leur administration. Il faut en même temps préserver ce que j'appellerais l'âme d'un petit pays qui n'est pas remplaçable. J'ai été le représentant pendant 35 ans de la même région, pendant 32 ans du même conseil général du même canton, et dans tout ce temps, j'ai vu de quelle façon des hameaux perdus gardaient tout leur sens et leurs forces dès lors que demeurait ce que vous appelez le maillage qui a beaucoup disparu depuis maintenant la fin de la dernière guerre mondiale et que nous pouvons reconstituer non pas par des moyens artificiels en diffusant une administration excessive, mais en assurant comme vous le faites ici des foyers de discussions, de rencontres, de renouveau.\
Voilà, mesdames et messieurs et chers amis, les quelques propos qui me viennent à l'esprit au moment où je reçois comme ça de plein fouet, débarquant de Paris, cet accueil qui est le vôtre, à la fois chaleureux et discret, d'une population que je crois bien connaître et dont je me plaignais un peu de ne pas retrouver depuis trop longtemps l'hospitalité, faute pour moi d'être mobile et d'être présent partout où il le faudrait. Et puis, c'est très bon de venir comme ça, de rencontrer les uns, les autres, d'entendre les approbations et les protestations. On sent beaucoup mieux la manière dont les choses se passent. Remarquez que je le savais déjà, en général. Je suis généralement attendu à chaque tournant. Personne et je m'en réjouis, personne ne m'oublie et de ce fait, si je manquais de mémoire, on la rafraichirait chaque jour. Mais c'est bien comme ça. Si le Président de la République n'était pas en relation directe avec les Françaises et les Français, qu'est-ce qui se passerait ? Alors de mon mieux, avec les moyens dont je dispose, je m'efforce de préserver ce lien et vous en êtes là les témoins et les acteurs et je vous en remercie.
- Donc bonne chance à Mauvezin, bonne chance à ses élus, bonne chance au maire de Mauvezin, Yvon Montane dont j'ai dit à quel point j'étais heureux de le retrouver dans ces circonstances. Bonne chance à vous toutes et à vous tous. Vous avez pris vraiment votre destin en mains, vous l'avez bien fait, il y a là un exemple d'esthétique réussi, je l'ai dit pour commencer dans le respect de vos traditions et de vos formes. Voilà un exemple dont il faudra se souvenir, qu'il faudra répandre davantage, je pense que c'est la leçon à tirer de cette visite trop brève dont je garderai croyez-moi un souvenir très cher.\