22 mars 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'amélioration du réseau ferroviaire pour le transport des voyageurs et des marchandises de la nécessité d'associer les cheminots au développement de la SNCF, Clermont-Ferrand, le 22 mars 1990.

Mesdames et messieurs,
- J'ai volontiers répondu à l'invitation du Président de la SNCF, pour venir célébrer avec les personnalités régionales et nationales qui sont ici et que j'ai grand plaisir à voir, l'achèvement d'un nouveau grand investissement du réseau ferroviaire français. J'ai quelques raisons d'en être heureux. Il m'arrive dans des circonstances semblables de rappeler que ma famille m'a permis de connaître depuis toujours les hommes du chemin de fer. Mon grand-père, mon père, tous mes oncles étaient des cheminots. J'aurais pu naître à la gare de Montluçon, si ma mère n'avait préféré rentrer chez ses parents pour l'arrivée de son cinquième enfant que j'étais, et mon frère suivant, Jacques est né à la gare d'Angoulême. C'est dire que l'histoire de ma famille a suivi l'évolution de la carrière d'un cheminot. On ne se sépare pas de ce type de souvenir et c'est peut-être pour cela que l'on me voit un peu trop souvent dans les gares.
- Vous avez eu raison de le rappeler, Jacques Fournier, à Clermont-Ferrand je me trouve de nouveau comme cela tout près des lignes de chemin de fer, comme je l'étais, il n'y a pas si longtemps, dans d'autres villes à vos côtés, parce que je suis avec passion la manière dont la France s'équipe : le chemin de fer, puis aussi l'avion, et puis aussi les canaux, et puis aussi les routes, et puis les autoroutes, et enfin tout ce qui permet aujourd'hui à la France de compter parmi les grands pays du monde, et dès que l'on parle moyens de communication parmi les tout premiers pays du monde. Au demeurant, nos fabrications dans les domaines que je viens de citer placent notre pays au premier rang.\
Vous savez aussi qu'un homme politique c'est un usager assez assidu des grandes lignes et même des petites car il faut bien aller un peu partout, de la capitale à sa circonscription et quand je pense au temps que j'ai passé sur la ligne Paris-Nevers, je ne peux pas être de ceux qui sous-estiment l'importance de la durée d'un trajet, de son confort, de la fréquence des liaisons ou de la ponctualité des trains. Bref, je suis un usager particulièrement compétent. Je me souviens de ces périodes où, parlementaire pendant trente-cinq ans du département de la Nièvre et ne laissant jamais passer une semaine, sans me rendre à ma mairie, je traversais de part en part la France, de Bordeaux à Saint-Germain des Fossés ou à Gannat pour remonter jusqu'à Nevers, ce qui à l'époque, permettez-moi de vous le dire, monsieur le Président, représentait des heures et des heures, surtout sur cette ligne transversale qui ne disposait pas d'un très grand confort. Je ne suis pas sûr, bien que j'aie cessé de faire la ligne depuis quelque temps, que cela ait tellement changé. Alors songeons à ceux qui continuent d'aller de gare en gare, d'y trouver à cinq heures du matin des petits lumignons bleus tandis que s'ouvre en baillant le Café de la Gare, tandis que les croissants du matin ne sont pas encore arrivés et qu'il reste ceux de la veille ou de l'avant-veille, c'est cela la mentalité de l'usager que j'ai avec une extrême constance pratiquée pendant la moitié de ma vie. Je suis un peu exempté aujourd'hui de ce genre d'épreuves mais je suis bien obligé de penser aux autres qui ne connaissent pas tous les facilités que je connais moi-même aujourd'hui. Alors, j'étais assez disposé à comprendre l'utilité d'un autre progrès sur cette fameuse ligne Paris Clermont-Ferrand en passant par Nevers et Moulins. Cette électrification est un événement important pour les régions traversées, c'est aussi un élément de désenclavement du Massif Central, ce n'est pas le seul, mais il n'est pas négligeable. Il y a déjà l'autoroute, mais l'autoroute fait un détour par Bourges et par Montluçon, et peut-être pas très loin de Gannat avant d'arriver à Clermont-Ferrand. Puisque la route passait par là, il fallait bien que le train passe par ici, et qu'il pût y passer dans des conditions agréables et faciles pour les habitants de ces régions ou pour ceux qui font le va-et-vient pour leur travail entre les capitales de région ou de département et la capitale de la France.
- Je peux le dire, je tire peu de vanité, croyez-moi, des décisions qu'il m'arrive de prendre mais celle-là, j'y tiens. J'y tiens parce que cela a été le résultat d'un long combat - on ne peut pas dire que ma proposition d'électrification pour cette ligne ait reçu l'accueil le plus enthousiaste et de la SNCF et des autorités du moment - et même avec le gouvernement que je présidais, parce que c'est le centre de la France, parce qu'il y a les grandes voies de communication qui passent par la vallée du Rhône, d'une part, ou bien les grandes communications avec l'Espagne qui passent par l'Ouest de la France, parce que le Nord est mitoyen de pays étrangers, parce que, parce que... Eh bien ! oui, il fallait bien que cette région du centre pût être desservie avec des moyens modernes. Vous l'avez fait et je vous en remercie. Et puis venir à Clermont-Ferrand, de cette façon, c'est quand même une commodité nécessaire, c'est une ville très importante que celle-ci, quand on pense à sa capacité industrielle, à cette capitale mondiale du pneumatique, avec ses hommes qui savent se battre dans une compétition dure et qui la gagnent. Une ville, où il y a beaucoup de talents de toutes sortes, et ce, depuis des siècles £ une ville où l'on a su aborder les questions de logement, réussir la rénovation d'un centre ancien.\
Enfin, je n'aurai pas beaucoup de choses à ajouter aux indications fournies par le Président de la SNCF sur cette électrification, les gains de temps qu'elle procure, les coopérations qui lui ont permis d'aboutir mais je veux réaffirmer une conviction forte : je crois à l'essor du chemin de fer, dès lors qu'il sait s'adapter à l'évolution des besoins et de la concurrence £ je crois aux vertus de la volonté et de la ténacité pour réaliser les grandes infrastructures £ je crois à la capacité du secteur public pour mener de telles missions en alliant efficacité économique et progrès social.
- La place du rail, pour le transport des personnes, cela, c'est l'essentiel. La SNCF a su remettre l'accent sur la modernisation des services de la vie quotidienne : banlieue parisienne, transport locaux dans le cadre des conventionnements avec les régions, cela aussi, c'est important, car nombreux sont ceux qui doivent aller chercher un travail un peu plus loin sans nécessairement recourir à une automobile et sans y consacrer une trop grande part de leur temps disponible. Cela compte beaucoup pour que naisse la nouvelle civilisation de la ville dont nous avons tant besoin, pour nous sauver des risques, des dangers, quand ce ne sont pas des malheurs qui pèsent sur l'humanité. Et parmi ces éléments, il y a l'amélioration des grandes lignes, comme celle-ci, qui va faciliter la vie de ceux qui doivent, je l'ai dit, voyager professionnellement. Un horaire plus court, plus sûr, c'est parfois, dans un déplacement, le moyen d'économiser une nuit passée en dehors de chez soi.
- Voilà pourquoi ces lignes sont un atout pour les régions desservies, pour attirer des entreprises, pour développer le tourisme et, tout simplement, pour assurer le minimum de confort auquel nos concitoyens ont bien le droit d'aspirer. Alors pourquoi développer le chemin de fer, dans le transport des personnes ? Parce que c'est un moyen sûr et régulier, par tout temps, accessible à ceux qui ne peuvent ou ne veulent conduire, évident pour les distances moyennes, complément de l'avion pour les distances plus longues. Parce que la collectivité y trouve son compte en termes de sécurité, d'environnement et d'économie d'énergie.\
La SNCF s'est fixée aussi pour objectif de consolider son activité de transport marchandises, c'est un objectif minimal. Ne doit-on pas s'inquiéter de voir le frêt sur rail décliner ou se stabiliser alors que la croissance du transport de marchandises a été si forte dans ces dernières années ? Il faut arrêter cette régression. Il ne s'agit pas de condamner tel ou tel mode de transport mais de s'assurer que le rail trouve sa place dans la compétition et puisse valoriser ses avantages pour le client et la collectivité et s'intègre au système global de transport. Aussi l'effort engagé pour développer le transport combiné rail-route doit-il être et est déjà soutenu par l'Etat.
- Mais, je l'ai dit, pour créer et entretenir de grandes infrastructures, il faut une volonté politique et il faut beaucoup de ténacité. La France est connue pour sa capacité à mener à bien dans des délais raisonnables de grands investissements publics, notamment, je le disais il y a un moment, dans le domaine des transports, de l'énergie et des télécommunications. Notre pays a su, malgré certaines périodes de faiblesse, maintenir un réseau ferroviaire dense alors que d'autres l'ont laissé s'effondrer au hasard de la concurrence agressive d'autres types de transport ou bien de l'évolution conjoncturelle des prix de l'énergie. Nous devons persévérer, je m'adresse ici à des femmes et des hommes qui savent de quoi on parle, ceux qui veulent bien prendre part à cette cérémonie. Persévérer c'est aussi résister aux modes de la déréglementation, de la contestation des grands projets, dans le culte de la réduction des dépenses (bien entendu il faut les réduire quand il le faut, mais cela ne doit pas être systématique, lorsqu'il est nécessaire que la dépense publique vienne contribuer au progrès de la France). Tout cela se traduit en investissements à long terme. La France doit construire des réseaux cohérents, allant de l'interconnexion de grandes liaisons européennes, notamment pour les trains à grande vitesse, à la desserte équilibrée de l'ensemble du territoire. Aussi continuerons-nous de prendre des initiatives en ce sens auprès de nos partenaires européens et ouvrirons-nous nos développements vers l'Est. Le contrat de plan récemment conclu entre l'Etat et la SNCF prévoit des investissements en croissance tant pour le TGV que pour les réseaux classiques ou pour les dessertes de banlieues : plus 100 milliards de francs en cinq ans. Vous voyez que nous ne relâchons pas l'effort, comme le montre l'exemple même que nous célébrons aujourd'hui, celui de l'électrification, car après celles-ci, viendront, vous l'avez dit, celles de Rennes-Quimper, de Paris-Caen-Cherbourg, de Poitiers-La Rochelle et j'en passe.
- Mais cet outil-là n'est rien sans l'entreprise qui le conçoit et qui l'exploite. Une très grande entreprise comme la SNCF peut être un exemple d'un secteur public qui se modernise.
- Il fallait d'abord clarifier les relations financières avec l'Etat. La SNCF n'est pas une entreprise assistée. Elle reçoit, comme dans les autres pays les entreprises de chemins de fer, des concours calculés sur des bases précises pour financer une part de ses infrastructures, pour compenser les charges d'un régime de retraite spécifique ou pour couvrir les tarifs sociaux.
- Reste le poids d'un très lourd endettement accumulé au travers des années. Eh bien, cela a été transféré, comme vous le savez, à un compte spécial de l'entreprise dont l'Etat couvre ou couvrira l'essentiel des charges.\
Voilà pourquoi je peux dire que l'Etat fait son devoir pour donner les moyens à nos chemins de fer de développer leur activité, en équilibrant les comptes. Bref, nous, Etat, nous vous avons permis de vous comporter comme une véritable entreprise. A vous maintenant la suite et donc la responsabilité. Mais vous avez la chance de disposer d'un personnel très compétent et très dévoué. Un secteur public, fort, bien géré, au service du public, c'est une démarche que nous voulons généraliser, comme le montrent aussi les projets sur l'avenir des postes et télécommunications qui viennent d'être examinés par le Conseil des ministres.
- Une grande entreprise comme la SNCF doit être obsédée par l'amélioration de son service : accueil, qualité des équipements - je vois ici une gare irréprochable - innovation dans les prestations, car il n'est pas d'innovation que technique. Elle doit aussi porter l'effort sur la sécurité, elle doit rechercher la productivité, l'efficacité. Elle doit rester à la pointe de la technologie, elle doit offrir des débouchés aux entreprises industrielles qui renforceront de la sorte leur position mondiale. Voilà pourquoi je veux saluer les entreprises qui ont permis de réaliser cette électrification, celle du génie civil, celle des équipements électriques, de la signalisation ou bien des transmissions.\
Mais je veux insister sur ce dernier point, une grande entreprise publique est aussi celle qui sait associer son personnel à ses propres progrès. Cela peut paraître naturel pour la SNCF tant est grand l'attachement des cheminots à leur métier. Et pourtant, il y a eu parfois découragement et même révolte, découragement face aux conditions de vie, à la lourdeur de l'organisation.
- Nous avons connu des heures difficiles dans les années passées. Eh bien, on m'avait reproché de tendre la main aux cheminots qui réclamaient une vie décente, j'en suis fier. Car j'estimais insoutenable la situation dans laquelle ils se trouvaient dans cette grande entreprise qu'est la vôtre, insoutenable pour ceux qui voyageaient la nuit et qui ne savaient où se poser pour dormir sinon dans des conditions déplorables. Je sais que cela vous préoccupe et que les états-majors de la SNCF ont compris qu'il convenait de combler un inadmissible retard. Alors le dernier contrat de plan est ambitieux dans ce domaine, puisqu'il prévoit un effort concerté sur la formation, la discussion sur les méthodes d'intéressement, une gestion prévisionnelle des emplois, une meilleure décentralisation de la décision. Et puis des discussions sont engagées sur les qualifications et c'est nécessaire là aussi. Lorsque j'ai demandé au gouvernement de réexaminer la grille des fonctionnaires, d'envisager la suppression de la plus basse des catégorie dite "D", et surtout d'offrir à chaque travailleur de l'administration, à chaque travailleur des entreprises publiques, des perspectives d'avenir pour qu'ils ne soient pas liés dès le point de départ par la condition sociale des parents, par les difficultés qu'on a eu à accéder aux avantages de l'université ou des grandes écoles. Alors parce qu'on n'a pas de diplôme à 25 ans, on serait déjà condamné à connaître à 55 ans les mêmes conditions de travail quand ce ne sont pas parfois les mêmes conditions de salaire ! Tout cela n'est pas acceptable dans une démocratie consciente et qui se veut une démocratie de progrès. A quoi il faut ajouter justement la possibilité de changer de voie, de passer soit d'un métier à l'autre, soit d'un secteur à l'autre, d'une entreprise à l'autre en acquérant la qualification nécessaire qui doit être offerte à quiconque, quel que soit son rang dans l'entreprise.
- Voilà, je crois, des perspectives importantes. De toute manière, je dois dire à la SNCF que nous avons le droit d'être fiers de la manière dont elle remplit l'ensemble de sa mission sur la totalité du territoire.
- Voilà, mesdames et messieurs, je partage la fierté du personnel de la SNCF, face aux nouvelles réalisations de ce type. Si chacun en profite un peu dans sa vie quotidienne, si les régions en tirent de nouveaux avantages économiques, c'est que nous aurons bien travaillé. Et ce sont les autres, tous les autres qui en tireront profit, un progrès ici, un progrès là, la modernisation, l'entrée en force de la France dans la compétition internationale, la création d'emplois, près de 400000 cette année. Enfin, un coup d'arrêt donné au chômage, enfin, avec le crédit formation, la possibilité de former aux emplois modernes des jeunes qui ont été injustement, cruellement, écartés de toute chance dans leur vie.
- Voilà ce que nous avons entrepris parmi bien d'autres choses. Et je vous remercie, mesdames et messieurs, d'avoir bien voulu organiser cette réception dans cette gare de Clermont-Ferrand, à la fois pour célébrer l'électrification d'une ligne qui nous est chère, mais aussi pour marquer notre volonté d'aller plus loin dans la voie du progrès.\