18 mars 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à l'agence de presse tchécoslovaque, le 18 mars 1990, notamment sur les relations d'amitié franco-tchécoslovaques, le retour à la démocratie de la Tchécoslovaquie et sa place dans la nouvelle Europe.

QUESTION.- Au cours de votre visite officielle à Prague en décembre 1988, vous avez rencontré M. Vaclav Havel et d'autres représentants des mouvements d'opposition. On sait que quelques mois plus tard vous avez engagé votre haute autorité pour sa libération. Maintenant, il arrive chez vous comme le représentant suprême du pays. Est-ce que vous avez prévu cette évolution ?
- LE PRESIDENT.- Qui aurait pu prévoir avec précision la force et la soudaineté du vent de liberté qui a soufflé sur l'Europe au deuxième semestre de 1989 ? Le voyage que j'avais effectué à Prague, en décembre 1988, m'avait convaincu que la Tchécoslovaquie, pays de tradition démocratique, ne tarderait pas à se mettre en mouvement, que les opposants regroupés autour de la Charte 77 entretenaient l'espoir né au moment du printemps de Prague. Il était clair que le régime souffrait de sclérose et ne pourrait étouffer longtemps l'aspiration à la liberté, dès lors que M. Gorbatchev en Union soviétique, que de nouveaux dirigeants dans les pays voisins donnaient le signal des changements. Ce qui est très surprenant en revanche, c'est la facilité apparente avec laquelle quelques semaines de "révolution de velours" ont mis un terme à 41 ans de pouvoir absolu et 21 ans de "normalisation". Il est réconfortant que ce retour à la démocratie se déroule sans violence. Cela est dû, pour beaucoup, à la lucidité et au courage de ceux qui, comme Vaclav Havel, ont témoigné, au pire moment, pour la démocratie.\
QUESTION.- Comment jugez-vous le fait que le chef de l'Etat tchécoslovaque n'est pas un homme politique professionnel mais un écrivain, philosophe et dramaturge ?
- LE PRESIDENT.- Il y a quatre ans environ, Vaclav Havel écrivait ceci : "Pour divers que soient ses intérêts... il y a une chose qu'un véritable écrivain ne peut jamais éviter : c'est l'histoire. Sa situation sociale, son époque, c'est-à-dire aussi la politique". Plus que bien des hommes politiques de métier, Vaclav Havel a réfléchi, écrit sur le sens de la parole publique et de l'action politique, sur la suprématie de la morale. Son engagement personnel au service de son pays est ancien £ il prend maintenant une forme nouvelle, selon la volonté du peuple tchécoslovaque qui s'est reconnu en lui.\
QUESTION.- De plus en plus, les dirigeants tchécoslovaques parlent des traditions riches de l'amitié entre la France et la Tchécoslovaquie. Beaucoup d'entre eux pensent que notre pays, au cours de son retour en Europe, pourrait avoir le soutien de la France. Est-ce qu'il y aurait un intérêt de la part de la France ?
- LE PRESIDENT.- Il y a en effet une longue tradition d'amitié dans les relations franco-tchécoslovaques. C'est à Paris que fut formé, en 1916 par Tomas Mazaryk et Edouard Benès, le Conseil national tchèque et le gouvernement français encouragea au lendemain de la première guerre mondiale la création du jeune Etat. D'amitié déçue aussi, car il est difficile de passer sous silence le sort qui fut fait à votre pays en 1938 'accords de Münich'. Le moment me paraît venu de redonner vigueur à nos relations bilatérales. Cela commence à être le cas dans le domaine politique et la visite d'Etat du Président Havel, que j'avais rencontré à Prague en 1988, marquera une étape importante dans cette voie. Cela va de soi dans le domaine culturel, tant les affinités sont profondes et tant est grande la demande. Mais nous devons porter davantage l'accent sur le développement de nos échanges économiques qui sont encore modestes. La Tchécoslovaquie dispose une réalité industrielle et de spécialistes de grande valeur. Nous encouragerons donc nos entreprises à être plus présentes dans votre pays pour y susciter des opérations de partenariat, pour y renforçer leur implantation, autant que vous le souhaiterez.\
QUESTION.- Comment prévoyez-vous la coopération franco-tchécoslovaque dans la perspective du marché unique, de l'unification de l'Allemagne et d'autres changements ? Quelle place pourrait occuper un pays comme le nôtre dans la confédération européenne que vous avez proposée ?
- LE PRESIDENT.- L'Europe des Douze offre aux pays du reste du continent un bon exemple de dynamisme économique et d'attachement aux valeurs démocratiques. Il est naturel qu'elle exerce une attraction sur les Nations qui redécouvrent la démocratie et s'efforçent de réorganiser leur économie. Mais tous les Etats ne pourront ou ne voudront souscrire d'emblée aux disciplines astreignantes de l'intégration des économies. Il conviendra de tenir compte des courants d'échanges et des règles existantes, des différences de productivité et de niveaux de vie.
- Nous sommes, bien sûr, favorables à ce que la Tchécoslovaquie renforce ses liens avec la Communauté européenne, renégocie un accord de commerce et de coopération comme viennent d'ailleurs de le faire vos voisins hongrois et polonais.
- Mais, de façon plus générale, il est souhaitable que les pays d'Europe centrale et orientale puissent se retrouver et nous retrouver au sein d'une structure permanente, je l'ai appelée la Confédération européenne. Cette institution permettrait d'établir un dialogue permanent entre ses membres égaux en droit et en dignité sur des thèmes à définir : j'ai mentionné la sécurité et les échanges, mais il n'y a là rien de limitatif. On peut penser aussi à des programmes communs tels que Eurêka technologique et audiovisuel, la formation des étudiants (Erasmus), une agence européenne de l'environnement, des réseaux européens de transports et de télécommunications, les échanges de jeunes.\