13 mars 1990 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'histoire de Moulins Engilbert, sur la décentralisation et sur la modernisation du système éducatif français comme priorité de l'action du gouvernement, Moulins Engilbert, le 13 mars 1990.

Monsieur le maire,
- mesdames et messieurs,
- Je remercierai d'abord monsieur Lambert, maire et conseiller général qui a pris l'initiative de cette invitation. Pourquoi est-ce que je l'en remercie avant d'avoir remarqué la qualité de ses propos ? C'est que nous avons travaillé ensemble depuis déjà longtemps et que j'ai pu mesurer à travers les derniers mandats, ceux de Louis Lambert, ceux de Joseph Lambert, les progrès réalisés dans cette commune.
- D'une certaine manière, je descends de Château-Chinon et croyez moi, chers amis de Moulins Engilbert, je n'ignore rien de la compétition séculaire, plusieurs fois séculaire qui oppose la petite ville de la montagne et celle d'ici. Et c'est vrai que Moulins Engilbert a accompagné toute l'histoire de France. On retrouve votre commune à chaque tournant des siècles. Vous avez vraiment les pieds enracinés dans la construction de la France, enfin de la France et de la Bourgogne d'abord, puis de la France, c'est là que se sont jouées quelques-unes des destinées de notre pays. Il en reste quelques bâtiments nobles qui montrent la qualité de la construction et qui assurent de la pérénité d'un pays comme le nôtre.
- Et puis je pourrais vous dire j'ai toujours eu grand plaisir à venir à Moulins Engilbert que j'ai beaucoup fréquenté lorsque j'étais votre élu direct, je peux dire le député de la Nièvre et particulièrement de la circonscription qu'on appellera de Château Chinon - Moulins Engilbert si vous le voulez bien. Non, enfin, il ne faudrait pas oublier quelques autres, j'aurais des ennuis de ce côté-là, à partir de Clamecy et autres lieux, mais enfin tout de même, ces quelques seize kilomètres entre nos deux cités, cités rivales et amicales, étaient pour moi vraiment un résumé de la vie du Morvan du haut et du bas Morvan avec sa jonction vers le Bazois très typique de la réalité nivernaise.\
J'ai souvent lu un certain nombre de documents touchant à la vie de cette commune et les écrits qui ont été publiés au cours de la génération précédente sur l'histoire de Moulins, en particulier pendant la Révolution française £ j'ai même retrouvé récemment dans une librairie à Paris, un petit opuscule que j'ai aussitôt acheté, dans lequel un de vos anciens notaires célébrait les mérites de Napoléon III. Enfin, ce n'était pas très indiqué, mais en vérité, à travers la lecture savoureuse de ces poèmes, on avait un reflet des luttes de l'époque qui ne sont pas si éloignées souvent des luttes d'aujourd'hui, car les traditions françaises ont la vie dure. L'éveil des républicains.. Et à partir de là je me suis reporté sur les événements qui ont suivi après 1870 et sur la façon dont les républicains de Moulins Engilbert, les gens accrochés au développement populaire, la défense des droits de notre peuple se sont affirmés tout le long de la troisième république.
- Vous n'êtes pas partis de rien, on peut dire que tous les conflits qui ont occupé l'histoire des différents régimes qui se sont succédés en France à une petite échelle, on les retrouve ici, microcosmes passionnants. L'effort accompli par la population à l'incitation de ses élus est un effort très remarquable, un effort d'équipement que les plus anciens d'entre vous peuvent certainement mesurer, ils ont vu ce que c'était que le changement et que la modernisation des équipements pour permettre à votre commune et à votre canton de rester dans la compétition départementale et régionale. Je me souviens d'avoir pris part aux premières conversations qu'a bien voulu rappeler monsieur Lambert sur l'installation du marché au cadran, et le problème se posait : est-ce que c'était un pari dangereux ? Fallait-il le faire ou ne pas le faire ? J'ai l'impression que la réponse est donnée et qu'on a lieu d'être satisfait dans le monde rural de ce qui a été entrepris avec le marché au cadran de Moulins Engilbert.\
Mais nous sommes venus, les ministres et moi-même pour un Collège, pour bien marquer qu'au-delà de Moulins Engilbert, l'action de ce gouvernement et je dirai la mienne entend être marquée d'abord, marquée avant tout, par ce qu'il convient d'accomplir pour que l'éducation nationale soit en fait, en réalité, la priorité vécue par les Français. Pour cela il faut partir de loin car c'est un énorme effort. Un énorme effort avec l'afflux des générations nouvelles. Vous savez ce qui s'est produit à l'époque de Jules Ferry : accession de tous les enfants de l'école primaire, l'école communale à l'enseignement général, gratuit et l'enseignement obligatoire.
- Au lendemain de la guerre de 1939, l'afflux considérable des enfants vers l'enseignement secondaire, les collèges, les lycées et plus récemment, la projection de toutes ces jeunesses vers l'université, l'enseignement supérieur. Cela représente pour ceux qui ont la responsabilité du gouvernement, pour l'administration de l'éducation nationale, pour tous les responsables nationaux et locaux de l'éducation nationale, jusque ceux qui remplissent des fonctions importantes : de principal, d'administrateur, de gérant. Pour les professeurs, cela a représenté une mutation, un effort, un dévouement, une compétence qu'il faut chaque fois souligner, il faut leur rendre justice. On critique souvent, on aime bien critiquer. Et c'est une bonne chose que l'on puisse critiquer dans un pays démocratique. Mais, cela comporte une contrepartie. C'est aussi l'éloge, lorsqu'il est justifié, lorsque l'on peut constater qu'au bout du compte, les principaux progrès enregistrés dans un pays comme la France, et ils sont grands, sont dus essentiellement et au point de départ à l'éducation nationale.
- Donc, je réitère ici que tel est bien l'objectif majeur de mon action et celle du gouvernement £ réussir la mutation de l'éducation nationale, en restant fidèle, bien entendu, au meilleur de nos traditions, mais en abordant les temps nouveaux, ceux que vous vivez chaque jour, que vous voyez bien avec leur transformation en profondeur, les aborder dès l'enfance pour qu'il n'y ait pas.. Il suffisait de parcourir les salles tout à l'heure pour s'apercevoir avec quelle facilité un certain nombre d'enfants maniaient ces machines qui font entrer directement dans le monde de la technologie moderne, alors que pour les générations précédentes cela paraît encore un peu mystérieux. Toutes les formes d'enseignement s'en trouvent de ce fait transformées, modifiées. Et cela exige de la part des enseignants un effort égal d'adaptation dont je dois vraiment rendre compte pour, en même temps, dire la reconnaissance qui leur est dûe.\
Un collège, vous savez ce que c'est. Mais le collège de Moulins Engilbert, comme les autres, a changé de statut. Il y a maintenant une sorte de grand dialogue qui s'est instauré en France entre l'Etat, représenté par le gouvernement, et ce que l'on appelle les collectivités locales, régions, départements, communes. Une nouvelle répartition des charges a été faite grâce à une loi très importante qui est la loi de décentralisation, la loi la plus importante sur les institutions françaises adoptée depuis le Premier Empire. On a voulu restituer à chacun, là où il vit, là où il travaille, une part de responsabilité aux individus autant qu'il est possible, mais aussi aux collectivités par leurs élus et leurs représentants. Alors, là, il y a une répartition qui veut que les investissements, que le fonctionnement relève du département. Je dois remercier le Conseil général de la Nièvre d'avoir véritablement rempli son devoir. Vous avez eu raison, cher ami, d'avoir rappelé ce compliment, j'en prends un peu ma part. Nous avions commencé de le faire avant que la loi ne nous y invite, ne nous y engage, ne nous y oblige, comme elle le fait maintenant. Mais cela a été vu en grand désormais et sous l'autorité de nos amis, le Docteur Berier, et aujourd'hui, monsieur Bardin, le Conseil général de la Nièvre s'est rendu tout à fait digne de sa mission et remplit ses obligations au regard de l'université avec beaucoup de ténacité. Ce n'est pas si facile, parce que les dépenses et les charges du public dans un département sont lourdes aussi. Il faut, bien entendu, pouvoir y répondre, c'est-à-dire s'adresser au contribuable. Mais enfin, on voit le résultat.
- Seulement, la décentralisation, dont j'aurai l'occasion de parler dans les prochaines semaines, particulièrement lorsque je me rendrai de nouveau dans la Nièvre, d'ici quinze jours et aussi dans l'autre Moulins, le Moulins Allier où je serai reçu par les deux Conseils généraux pour bien marquer le deuxième centenaire-anniversaire de la création des départements. On retracera l'évolution et on verra de quelle manière aujourd'hui ces départements disposent de grands pouvoirs qui sont des pouvoirs décentralisés.
- C'est un effet de la décentralisation que de pouvoir aujourd'hui non pas inaugurer, mais enfin disons visiter un collège récent dû à l'initiative des élus départementaux. Car la décentralisation entraîne une notion liée qui s'appelle le dialogue. Après tout si le département s'occupe de l'investissement initial et du fonctionnement, c'est l'Etat qui continue de gérer la fonction enseignante : ce sont les professeurs, et il faut bien savoir comment les répartir, quel nombre, quelles obligations ? Il n'est pas possible de bâtir un collège sans savoir ce qu'y feront les enseignants ou combien il y en aura, de quelle manière ils devront se répartir ? S'il n'y a pas un dialogue confiant entre l'Etat et le département, cela ne marchera pas. La décentralisation, c'est l'apprentissage du dialogue et de la responsabilité. La responsabilité partagée qui ne fonctionne heureusement qu'au prix d'un vrai dialogue.
- Voilà ce qu'il faut développer pour parvenir à l'Est démocratique souhaitable, toujours à rénover, toujours à transformer, toujours à perfectionner.\
On voit de quelle manière dans un certain nombre de pays de l'est de l'Europe, l'aspiration à la démocratie vient soudain de procéder à leur plus importante révolution de ces derniers siècles. Le peuple lui-même, a pris en main ses affaires, y a imposé des transformations radicales de structure, de caractère révolutionnaire. C'est une aspiration à la démocratie. Et partout on constatera que cette aspiration à la démocratie se marquera d'abord dans l'instruction, l'éducation, et donc par le système éducatif. J'ai noté sur ce papier, j'en ai retiré strictement ces quelques lignes : l'ensemble des opérations auxquelles il a fallu procéder, simplement au cours de ces deux dernières années, on pourrait même dire au cours de la dernière année. D'abord, la loi d'orientation adoptée au mois de juillet dernier, 1989, voyez, c'est récent, qui fait que l'élève doit être considéré comme au coeur de l'école, ce qui est tout à fait naturel, mais enfin, non seulement il fallait le dire, mais il fallait le faire, ce n'est pas toujours le cas. Là aussi, décentralisation nécessaire. On vient de me présenter tout à l'heure, vingt-quatre très sérieux élus qui sont les élus des élèves, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, et ma foi, j'avais le sentiment qu'ils prenaient leurs responsabilités tout à fait au sérieux, ce qui est excellent. Je citerai la création des instituts universitaires de formation des maîtres. On ne peut pas penser former les enfants sans former les maîtres à leur métier et à leurs responsabilités. La réforme des procédures d'orientation, la relance des zones d'éducation prioritaires, le début d'une généralisation des langues vivantes dans les cours moyens, d'ailleurs j'ai pénétré dans plusieurs classes où l'on enseignait l'allemand, ici, l'anglais, là, sans oublier le français, enfin là, c'est une remarque au passage.\
Le projet de réforme de l'école primaire qui parait bien accueilli, en tout cas qui me paraît très heureux, la mise en place très récente d'un conseil national des programmes. C'est très important que de réfléchir à l'équilibre des disciplines, au rythme de vie des enfants. Je me suis permis d'intervenir sur ce sujet car j'ai souvent constaté à quel point les enfants étaient surchargés de travail, et combien il était difficile de mener une vie de famille en raison de la disparité des emplois du temps et des rythmes de vie entre les parents et les enfants. Et je me souviens de m'être beaucoup occupé du transport scolaire et d'avoir également remarqué à quel point on obligeait les enfants de la campagne à se lever à des heures difficiles pour eux en raison de la difficulté de ces transports, ce qui veut dire obliger les mères de famille à commencer leur journée à cinq heures et demi ou six heures le matin, pour la finir on ne sait à quelle heure... quand les enfants seront couchés, quand le mari sera rentré, on ne saurait trop souligner à quel point ce qui est accompli pour l'école peut être heureux pour les familles. Il y a un dossier dont je m'entretenais avec M. le ministre d'Etat chargé de l'éducation nationale, ici présent, M. Jospin, nous en parlions tout à l'heure dans le train qui nous amenait à Nevers où je me préoccupais de la scolarisation en milieu rural. Il y a, en effet, constamment des transferts de population £ ces transferts vont surtout de la campagne vers la ville, le budget de l'éducation nationale ne permet pas tout et n'importe quoi, si l'on doit avoir des enseignants en plus grand nombre ici, on ne peut pas toujours les avoir en nombre égal ailleurs, à partir d'un certain manque d'élèves, il est difficile de maintenir une école, et cependant, une école qui s'en va, c'est une commune qui meurt, et pris dans cette contradiction, on essaie d'y apporter compréhension, bonne volonté, souci du bien public, et en l'occurence, puisque je parle du milieu rural, maintenir les structures de vie qui permettront à la vie rurale d'être intéressante, active, et que les enfants de ce milieu rural ne soient pas désavantagés dans la vie par rapport aux enfants des villes.\
Bref, cet effort que j'entendais souligner, il est bien marqué par ce qui a été accompli à Moulins Engilbert. J'irai tout à l'heure à Luzy où je verrai également la modernisation d'établissements scolaires, à Cercy-la-Tour où il s'agira de locaux de caractère plus strictement culturel, mais enfin dans cette région du sud du Morvan, la chute vers le Bazois, ou vers le Val d'Aron, c'est tout un mouvement de progrès, un mouvement créateur, porté vers l'éveil de l'esprit, vers l'affirmation et la création des structures de l'esprit afin de faire des petits Français, des filles et des garçons capables de se lancer comme on aurait du le faire depuis bien longtemps, quand je dis depuis bien longtemps, depuis un demi siècle, dans la compétition internationale, et quand nous avons pris des retards, il faut les rattraper, et je compte sur vous, mesdames et messieurs, pour contribuer à cet effort.
- Voilà, j'en ai fini, je voudrais surtout remercier monsieur le maire de Moulins Engilbert, puisqu'il est là, à ce titre, il est conseiller général, et les conseillers municipaux, ainsi que les dirigeants d'associations, ainsi que les artisans, entrepreneurs qui ont pris part à ce travail, je voudrais les remercier. Vous avez eu raison de rappeler, en rentrant ici, que j'ai inauguré à vos côtés, mon cher Lambert, cette salle polyvalente. Même cela qui peut paraître modeste, c'était déjà difficile, discuté et contesté, et cependant, il vous fallait bien un lieu où les habitants, et surtout la jeunesse, de cette commune pussent se réunir, se rencontrer, se distraire, c'est aussi l'agrément de la vie. Est-ce qu'il n'y aura plus que la télévision ? qu'on regarde et qu'on écoute tout seul, ou dans un petit cercle familial, est-ce que cela va être désormais le seul endroit où on apprendra quelque chose ? Est-ce qu'il n'y aura plus de lieux où l'on se rencontrera ? Il est premier devoir des élus que de faciliter ces lieux de dialogue et d'échanges, sans quoi notre société sera un e société dispersée, il n'y aura plus que des individus qui ne se reconnaîtront pas de l'un à l'autre.
- Je vous remercie, mesdames et messieurs, après avoir dit l'estime dans laquelle je tiens Joseph Lambert et tous ceux qui ont contribué à l'organisation de cette journée, j'ajouterai juste un mot, vous, mesdames et messieurs, habitants de cette commune et de ce canton, je vais vous faire une confidence : cela m'est très agréable de vous retrouver. Je reconnais beaucoup de visages que j'ai connus naguère, enfin, cela va bientôt faire dix ans, le temps passe, beaucoup disparaissent, des visages nouveaux apparaissent, les enfants grandissent, mais je ne me sens quand même pas étranger. Quand je reviens dans la Nièvre, permettez que je vous le dise, je me retrouve chez moi, c'est donc pour moi une bonne journée comme je l'espère pour vous aussi.\