9 mars 1990 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République, de M. Wojciech Jaruzelski, Président de la République de Pologne, et de M. Tadeusz Mazowiecki, Premier ministre de la République de Pologne, notamment sur la ligne Oder-Neisse et la présence de la Pologne à la conférence "deux plus quatre", Paris, le 9 mars 1990.
Mesdames et messieurs,
- Je commencerai cette rencontre avec vous par quelques mots d'accueil et de bienvenue au Président et au Premier ministre ainsi qu'à M. le ministre des affaires étrangères de Pologne. Ils nous ont fait l'honneur d'une visite dont l'importance, dans les circonstances présentes, n'est pas à souligner. Nous avons pu depuis midi et demi presque sans interruption poursuivre une conversation qui a abordé les sujets que vous imaginez. Il a été naturellement question de l'unification des deux Etats allemands, et de ses conséquences, qu'il convenait de prévoir : quelle procédure, quels délais, quelques points fermes qui eux sont assurés : l'intangibilité des frontières, particulièrement de la frontière Oder-Neisse. De quelle façon procéder pour harmoniser l'ensemble des procédures qui conduiront, ou qui devraient conduire, ou qui pourraient conduire à l'unité des deux Etats allemands : d'autre part, les garanties sur la frontière et quelques autres questions qui ne sont pas de moindre importance. Je suppose que quelques questions seront posées sur ce sujet, et je préciserai mes réponses à ce moment, de même que nos interlocuteurs et visiteurs polonais auront sans doute à le faire, plutôt que de vous infliger un discours liminaire qui, pour être complet, risquerait d'être long avant même d'engager notre conversation.
- Vous savez que j'avais eu l'occasion de rencontrer à deux reprises le Président Jaruzelski. Une fois ici même, à Paris au Palais de l'Elysée, une autre fois, lors d'une visite d'Etat récente que j'ai accomplie en Pologne. J'ai eu le plaisir de faire la connaissance directe, cette fois-ci, de M. le Premier ministre, M. Mazowiecki, et de M. le ministre des affaires étrangères. Le Premier ministre français, M. Michel Rocard, et M. Roland Dumas ont constamment pris part à nos conversations.
- A vous de poser les questions de votre choix, mais avant cela, je demanderai au Président, M. Jaruzelski, s'il souhaite vous adresser lui-même quelques mots.\
LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Avant tout, j'aimerais exprimer ma grande satisfaction du déroulement et des résultats de cette visite qui, pour nous, est extrêmement importante. Importante parce qu'elle a lieu à un moment particulièrement fort dans l'histoire de l'Europe, un véritable tournant dans son histoire, et importante aussi parce que la Pologne s'est engagée sur la voie de transformations économiques et politiques profondes et radicales qui, sur la composante d'un processus vaste dans cette partie de l'Europe, et qui forme une bonne base, apporte notre contribution au processus d'unification de notre continent à une Europe commune. Je pense que ce n'est pas le fait du hasard que si à un moment comme celui-ci la France et la Pologne sont à ses côtés, qu'elles sont proches l'une de l'autre. Une telle conviction, je la retire des entretiens que j'ai eus avec M. le Président, avec M. le Premier ministre, avec M. le ministre. Nous nous sommes bien compris, nous ressentons la communauté de nos intérêts, et ce qui est très précieux, c'est que cette amitié et les sentiments traditionnels que retrace l'histoire de nos peuples à travers les siècles, se voient confirmés aujourd'hui, et avant tout, offre une meilleure perspective. C'est la raison pour laquelle, je pense que notre visite est utile et fructueuse, et je suis convaincu qu'elle servira bien la cause de la France, de la Pologne et de la nouvelle Europe.
- Merci beaucoup encore une fois pour l'invitation d'effectuer cette visite et j'exprime ma franche satisfaction de son déroulement.
- QUESTION.- Monsieur le Premier ministre, dans l'interview au "Monde" vous avez dit que dans les situations difficiles lorsqu'il y a eu des problèmes avec l'Allemagne, la France et la Pologne étaient toujours aux côtés l'une de l'autre. Est-ce qu'aujourd'hui après les entretiens que vous avez eus, vous pouvez réitérer ces paroles-là ?
- M. MAZOWIECKI.- Je puis confirmer entièrement ces propos puisque nos entretiens ne font que confirmer entièrement cette appréciation et j'en suis très satisfait.
- QUESTION.- Est-ce que votre proposition de constitution d'un Conseil de coopération européenne a été abordée et quel était l'écho ?
- M. MAZOWIECKI.- En effet, nous en avons parlé, nous avons parlé de l'idée avancée le 31 décembre par M. le Président Mitterrand, idée qui aboutissait à une confédération européenne, d'ailleurs ma proposition a été lancée à la suite de celle-là estimant que c'est une voie qui conduisait au même but et notre proposition, d'après ce que j'ai compris du côté français a trouvé un bon écho et je pense un soutien.\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République, est-ce que la déclaration adoptée hier par le Bundestag sur la question des frontières vous semble entièrement satisfaisante et est-ce qu'elle permet de tirer un trait sur les ambiguités qui ont perduré pendant un certain temps sur cette affaire ?
- LE PRESIDENT.- Permettez-moi, afin de répondre comme il convient à une aussi importante question, de la situer dans son cadre. D'abord, je tiens à rappeler pour qui l'ignorerait que l'Allemagne fédérale est l'amie de la France. Nous sommes alliés et associés dans de vastes entreprises, en particulier la Communauté européenne. Nous avons donc toujours la volonté à la fois de respecter ses intérêts, plus encore de respecter les personnes, les Allemands qui sont nos partenaires après avoir été si longtemps nos adversaires £ nous aimerions même proposer en modèle la façon dont l'Allemagne fédérale et la France ont surmonté les contentieux historiques dramatiques qu'ils ont vécus jusqu'à bâtir une solide entente. Bien entendu, une telle déclaration liminaire que j'exprime du fond du coeur ne peut se passer d'une précision et d'une définition rigoureuse chaque fois que des intérêts de grande ampleur et particulièrement le problème de l'équilibre européen se trouve posé.
- Alors, je répondrai d'abord par une phrase toute simple. Elle sera celle-ci : la France considère la frontière Oder-Neisse, c'est-à-dire la frontière entre l'Allemagne, aujourd'hui l'Allemagne de l'Est et la Pologne comme intangible, et de ce fait toute déclaration qui ne dirait pas cela clairement serait insuffisante.
- La France appuie donc la demande polonaise afin que cette intangibilité de la frontière Oder-Neisse soit proclamée et consacrée par un acte juridique international, ce qui veut dire que notre position à nous Français va plus loin que celle qui ressort de la déclaration adoptée par le Bundestag. En tout état de cause, nous estimons que la Pologne doit être associée à ceux des travaux qui seront engagés autour de cette question. Travaux engagés par qui ? Puisque je souhaite un acte juridique international, je souhaite en même temps que cet acte juridique soit négocié le plus tôt possible et en tout cas avant la probable unification des deux Etats allemands. Dès lors il nous paraît normal que la Pologne soit associée, prenne part à l'ensemble de ces travaux qui porteront sur sa propre frontière, c'est la moindre des choses. Nous ferons valoir ces demandes polonaises auprès du groupe des Six. Le groupe des Six, c'est l'addition de quatre et de deux.
- J'ai été très satisfait par la décision prise par les autorités allemandes, par le parlement allemand, qui me paraît correspondre davantage à nos intérêts mutuels, comme à l'équilibre européen et au devenir de l'Europe tout entière. Mais je pense que cette déclaration doit encore préciser certains contours. En particulier, il est bien entendu, mais mieux vaut le dire, que cette frontière n'est pas n'importe laquelle, qu'elle est bien la frontière Oder-Neisse. Nous n'entendons pas en disant cela, effacer les drames de l'histoire. Nous savons bien à quel point sont douloureuses des blessures provoquées par les guerres. Mais c'est l'intérêt de l'Europe et de la paix.\
QUESTION.- Je voudrais m'adresser au Président Jaruzelski, monsieur le Président, si vous comparez votre visite actuelle en France avec votre séjour ici, à Paris, en décembre 1985. Quelles sont vos réflexions ? Je pense ici, aussi bien des réflexions politiques que des réflexions, disons philosophiques et personnelles.
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Je pense que vous n'attendez pas de moi, de traiter de philosophie lors d'une conférence de presse. J'aurai une approche plus pratique. La différence est comme entre l'année 1985 en Pologne et l'année 1990 dans notre pays, c'est toute une époque. Mais je tiens à souligner la grande importance de cette première visite et j'aimerais exprimer tous mes respects au Président Mitterrand qui a fait preuve d'une très grande perspicacité pour que cette rencontre ait lieu, pour connaître les raisons que je lui avais, à ce moment-là, présentées, et s'assurer des intentions et processus qui se sont dessinés en Pologne.
- Evidemment, le déroulement de ces processus est allé bien plus vite et bien plus loin, il était plus radical. Mais l'intention fondamentale de la démocratisation des relations dans notre pays a su être maintenue. Je pense qu'il est extrêmement important que les hommes politiques aient l'occasion de se connaître, ensuite de se comprendre, et ce qui s'ensuit, de trouver un terrain de coopération et, je pense à l'avenir aussi, d'amitié.
- Cela a eu aussi une énorme importance pour les processus qui ont suivi dans notre pays. J'essaierai de vous l'expliquer d'une façon imagée. Lorsque quelqu'un se sent comme enfermé dans une forteresse, comme assiégé, alors tel était le cas dans les années 80, nous, en tant que pouvoir à l'époque, on se sentait, on avait cette impression-là, si en plus la situation à l'intérieur du pays était pleine de contradictions et de conflits, eh bien il y a une moindre proportion, qui est tout à fait naturelle à une libéralisation de la politique, à la démocratisation, à aller au devant de certaines attentes et processus naturels.
- Si, par contre, ce sentiment de se trouver dans une forteresse assiégée cesse de fonctionner, d'opérer, si les nouveaux contacts s'ouvrent, et ma visite à Paris en est justement un exemple, d'autres visites également, celle de l'ancien vice-président des Etats-Unis, M. Bush en Pologne, à ce moment-là, on voit apparaître des conditions tout à fait naturelles pour la détente, pour la mise en marche, des processus démocratiques pour les réformes.
- Evidemment, je simplifie les choses, mais il est incontestable que ce cas confirme une fois de plus combien est important de mettre en rapport, de trouver un dénominateur commun dans ce monde d'aujourd'hui qui est tellement compliqué.
- Il s'agit de trouver une vision commune pour les questions de la plus haute importance, pour créer cette nouvelle pensée et créer une nouvelle éthique dans les relations entre Etats, d'éliminer une image de l'ennemi, comprendre notre destin comme une vue en face des défits et des dangers que nous apporte la civilisation, que nous apportent les différents processus en Europe et dans le monde. Dans ce sens-là, la visite est très importante et en même temps, on peut dire que dans une certaine mesure, c'était une étape naturelle à cette période qui se termine aujourd'hui et qui en même temps, ouvre une nouvelle étape plus élevée de la coopération entre nos deux pays, entre nos deux Etats.\
QUESTION.- J'ai une question à poser à M. le Président Jaruzelski : quelle est votre préférence, en ce qui concerne le statut militaire de la future Allemagne unifiée ? dans quelle alliance ? Avec quelle force militaire, sur son territoire ? Est-ce qu'il y a sur ce point, consensus entre la Présidence de la République polonaise et le gouvernement de M. Mazowiecki ? Et où en sont vos conversations à ce sujet avec Moscou ?
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Fort heureusement même si je le dis avec grand regret, la Pologne n'est pas une grande puissance et en conséquence, ce n'est pas la Pologne qui en définitive décidera de la forme que prendra cette Europe concernée par votre question. Pour ce qui est des solutions stratégiques futures, cela ne veut nullement dire que la Pologne peut se permettre de rester indifférente à cela, parce que, c'est quand même un pays qui compte 40 millions d'habitants, a un important potentiel militaire également, et nous comprenons fort bien que la voix de la Pologne devrait compter et comptera en la matière. En même temps, comme M. le Président François Mitterrand l'a dit, les pourparlers et les négociations entre les quatre puissances et avec les représentants des deux Etats allemands sont encore devant nous et incontestablement les problèmes que vous avez mentionnés seront traités, seront abordés, incontestablement, les processus, l'évolution en Europe centrale et orientale et ceux qui en Allemagne créent une nouvelle situation politique, stratégique et militaire. Il s'agit de faire en sorte que cette situation entre dans un nouveau cadre, dans une nouvelle constellation qui assurerait un sentiment de sécurité à tous les Etats £ il y a les formes d'organisation des liens entre les groupements et les alliances qui répondraient à cette exigence-là. En même temps, j'estime et j'ai exprimé cette opinion lors de la rencontre avec M. le Président, que ce serait une bonne chose pour la sécurité de l'Europe, si ce processus d'unification de l'Allemagne se voyait synchronisé, harmonisé avec le processus d'unification de l'Europe et avec le processus qui lui permettrait d'assurer à tous les pays un sentiment de sécurité. Autrement dit, que ce soit accompagné de décisions qui ramèneraient à un certain seuil les forces militaires, non seulement en ce qui concerne les forces des alliances, mais aussi des différents pays. Aussi, il faut que ce soient des solutions qui aillent dans le sens d'une orientation qui miserait sur la défense, sur un caractère défensif des armées, ce qui permettra de renforcer la confiance en enrichissant les mesures qui servent ce dessein-là. Donc, en résumant, la forme de l'organisation devrait dépendre de cet objectif principal.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez fait allusion à l'étroite coopération entre la France et l'Allemagne. Est-ce que je pourrais savoir si vous avez déjà fait part au Chancelier Kohl de votre appréciation de la déclaration adoptée hier par le Bundestag ?
- LE PRESIDENT.- J'ai eu le Chancelier Kohl lundi dernier au téléphone, c'est-à-dire avant cette déclaration. Il me l'avait laissé pressentir. Je n'en connaissais pas à l'avance le texte exact, et nous avons pris un rendez-vous téléphonique pour cette fin de semaine, ou le début de l'autre, c'est-à-dire demain ou lundi. Cela fait déjà plusieurs mois que nous avons abordé cette conversation et je lui ai constamment dit, amicalement, que je pensais indispensable, comme un préalable, que fût dit clairement que l'intangibilité des frontières était aussi un principe allemand.
- QUESTION.- Monsieur le Président de la République, de quelle manière comptez-vous faire partager votre position, votre point de vue sur cette frontière par les autorités allemandes, par le Chancelier Kohl ? Ne craignez-vous pas que cette affaire ne crée un problème entre Paris et Bonn ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne vois pas pourquoi. Je pense que c'est aussi son opinion. Il suffit simplement de le dire.
- QUESTION.- Monsieur le Président de la République, après la décision d'Ottawa de faire cette conférence quatre plus deux, le Premier ministre Mazowiecki a demandé que la Pologne y soit associée. Les Soviétiques, le ministre Chevarnadze a tout de suite dit "oui". Si j'ai bien compris, la France dit "oui" également, mais concrètement comment cela va-t-il se passer. Ce sera cinq plus deux ou ce sera quatre plus deux avec une table à côté pour la question des frontières ?
- LE PRESIDENT.- Là, votre imagination est trop féconde ou beaucoup trop courte. On choisira. Ce qui est vrai c'est qu'il appartient aux Polonais et aux Allemands de débattre d'un règlement de la question des frontières. Ils sont directement intéressés. Il appartient aussi, en tous cas aux "quatre" de donner leur opinion à ce sujet, on pourrait même dire d'une certaine façon apporter leur garantie à cet acte international. Sans doute appartiendra-t-il aux Six de lancer les initiatives, de préciser les orientations. Pourquoi "les six" et pas "les cinq" ? C'est parce qu'il y a deux Etats. Il s'agit précisément de faire que ce débat sur la frontière soit tranché, je ne dis pas "validé", "promulgué", mais tranché avant l'unité, l'unification. Tant qu'il n'y a pas unification cela fait six, le jour où il y aura unification cela fera cinq mais on passera à un autre stade. Voilà la réponse que je peux vous faire.\
QUESTION.- Je voudrais poser une question au Président polonais, M. Jaruzelski. Monsieur le Président vous réclamez la reconnaissance définitive de la ligne Oder-Neisse par l'Allemagne. Pouvez-vous garantir en contre-partie une vie meilleure, c'est-à-dire respecter l'identité culturelle de la minorité allemande vivant sur votre sol polonais qui autrefois était sol allemand ?
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Avant tout, je vois que dans votre question, selon votre appréciation, la minorité allemande en Pologne ne possède pas la plénitude de ses droits civiques et que, d'une façon ou d'une autre, elle est discriminée or je ne puis partager pareille opinion et le dernier accord conclu entre le Président et le Premier ministre Mazowiecki et le Chancelier Kohl présente encore une fois notre position qui est la même à l'égard de toutes les minorités nationales. Vous avez commencé votre question par la question de la frontière, je dois tout de suite vous dire que ce n'est pas une bonne chose de lier les deux. Le problème sur la question de la frontière n'est pas une question uniquement polonaise, nous ne faisons pas de marchandage pour savoir ce qui appartient aux Polonais et ce qui ne leur appartient pas. C'est un fait historique. Je ne veux pas développer davantage pour vous dire comment cela s'est fait mais c'est en même temps une question de vie ou de mort pour notre Etat, c'est le tiers du territoire polonais, le tiers de la population alors imaginez-vous, il y a ici des représentants de divers pays, de divers peuples, imaginez-vous que quelqu'un veuille remettre en question le tiers de leur substance nationale, qu'il ose discuter même de cette question. Mais je ne voudrais pas ramener ceci uniquement à un cadre polonais-allemand parce que je suis confiant que cette question trouvera la solution qu'il faut. C'est un problème européen, cela concerne la paix. C'est un des fondements concernant la stabilité en Europe. On ne saurait parler de l'unification de l'Europe en laissant ouverte la question de cette frontière, ou si cette frontière polono-allemande devrait continuer à être remise en question. On ne peut parler d'unification de l'Europe si deux des plus grands Etats dans cette partie de l'Europe - le peuple allemand comptant 80 millions d'habitants et le peuple polonais qui compte 40 millions - ne sont pas réconciliés. Or, il ne peut y avoir réconciliation que sur la base de la compréhension totale des trois et d'une confiance mutuelle.
- Nous, nous sommes prêts à le faire, nous avons une expérience historique douloureuse qui nous donne non seulement un titre politique mais aussi un titre moral pour attendre une reconnaissance, un règlement de ce problème sans ambiguité quelconque et sans esquive et je vous assure que la Pologne qui vit des moments difficiles mais aussi de grands moments avec des changements et transformations importantes, des réformes importantes, ceux qui se sentent polonais et que ceux qui se sentent Allemands ou qui se sentent appartenir à d'autres nations recevront toujours le même traitement et seront des citoyens à part entière de notre patrie commune.\
QUESTION.- J'ai deux questions à poser pour le Président Jaruzelski. Premièrement, je veux savoir si vous êtes déjà satisfait avec la solution qu'a décrite M. le Président Mitterrand en relation à la place de la Pologne dans le groupe quatre plus deux ou deux plus quatre. Je veux savoir si vous êtes satisfait avec le type d'association qui a été décrit ? Et la seconde question si vous pouvez préciser exactement ce que vous attendez que l'Allemagne dise de plus en relation aux frontières ?
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Je vois que l'on m'a gâté par le nombre de questions que vous me posez. Je suis prêt à vous répondre mais je proposerai que ce soit le Premier ministre de la République de Pologne, M. Tadeusz Mazowiecki qui peut répondre à cette question puisque c'est lui qui a présenté le mieux les attentes de la Pologne en rapport avec votre question.
- M. MAZOWIECKI.- Notre position est la suivante. Nous estimons que la question de la frontière qui conditionne le bon voisinage et la réconciliation entre les peuples allemand et polonais devrait être absolument purifiée de toute ambiguité avant l'entrée dans cette nouvelle phase de l'histoire de l'Allemagne et des relations polono-allemandes et de l'histoire de l'Europe qui sera nouvelle après l'unification. Nous estimons qu'après les élections en RDA, mais avant l'unification, devrait être paraphé un traité ayant rang et valeur d'un traité de paix qui serait donc conclu entre les deux gouvernements allemand et polonais avec une participation des quatre puissances et qui approuverait définitivement la frontière occidentale de la Pologne et la frontière orientale de la future Allemagne unifiée et que cet Etat allemand - futur Etat allemand unifié - que le gouvernement de cet Etat-là et son Parlement devraient par la suite ratifier ce traité. Nous pensons que dans ceci la Pologne devrait être présente, la formule de la consultation ne nous satisfait pas. Il ne s'agit pas pour nous d'être consultés mais il s'agit de prendre part au règlement de cette question puisqu'elle concerne directement la population polonaise qui est extrêmement sensibilisée à cette question craignant toute forme de décision pour nous, sans nous, craignant que se reproduise la formule de Yalta. C'est là raison pour laquelle nous pensons que vu que cette société a apporté tant de preuves de combat pour la liberté et les droits de l'homme, un combat qui a profité également aux Allemands avec ce processus d'unification qui se fait, nous respectons les droits allemands à l'unification. Eh bien, cette position, ces attentes de la population polonaise qui souhaite participer au règlement de cette question, ce droit-là qui leur appartient devrait être respecté. Et puis nous estimons que nous avons aussi un droit historique en tant que première victime de l'agression allemande, l'agression nazie en tant que alliés des Allemands. Pour clôre cette étape-là, la Pologne doit être présente directement et pas seulement par procuration. Nous attendons une pleine, une entière compréhension de la part de toutes les puissances, des quatre puissances. Nous nous réjouissons de l'excellente compréhension de la part de la France et nous attendons aussi une compréhension de la part des deux Etats et gouvernements allemands puisque notre souhait, ce que nous désirons n'est pas dirigé contre quiconque mais ce n'est que demander nos droits historiques.\
LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Puisque vous m'avez posé cette question, je partage pleinement la réponse du Premier ministre. J'ajouterai peut-être seulement un accent personnel qui a d'ailleurs trait aux propos de M. le ministre Mazowiecki et il concerne la participation des Polonais, de notre peuple, à la deuxième guerre mondiale, à la libération d'autres peuples, la libération du peuple allemand lui-même parce que le peuple allemand était l'instrument d'Hitler, mais aussi la victime d'Hitler. Nous sommes fiers, et je le dis avec une satisfaction personnelle en tant que soldat, en tant qu'officier ayant participé à cette guerre, (j'étais sur les ruines de Berlin en 45 `1945`) que les soldats Polonais à l'ouest et à l'est, aient participé à l'anéantissement de l'hitlérisme, donc aussi à la libération de ce peuple allemand, qui, grâce à son esprit travailleur, a atteint l'essor qui est le sien aujourd'hui, et nous remercions aussi le peuple français qui aussi a contribué à cela et qui aussi a subi de grands sacrifices.
- C'est la raison pour laquelle nous nous comprenons aussi bien, et c'est la raison pour laquelle nous avons un sens de responsabilité pour le sort de l'Europe, et aussi pour le sort du peuple allemand qui seulement dans une Europe sûre, une Europe qui va dans le sens de l'unité, pourra développer ses talents.\
QUESTION.- Une question au Président Jaruzelski et une autre à M. Mazowiecki. Monsieur le Président, voilà six mois que vous avez engagé la cohabitation polonaise, quel bilan vous en tirez ? Vous avez laissé entendre dans une interview parue ce matin que vous vous interrogiez sur la durée de votre propre mandat.
- Et à M. Mazowiecki, à quel point estimez-vous que se trouve aujourd'hui la réforme économique que vous avez engagée en ce début d'année ?
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Je ne voudrais pas me prononcer à ce sujet en la présence du Premier ministre Mazowiecki parce que cela donnerait l'impression que je lui avouerai des compliments mais je dois souligner, et c'est la vérité, que souvent j'ai eu l'occasion d'exprimer publiquement d'ailleurs, que j'appréciais hautement cette coopération, que c'est une cohabitation constructive et fructueuse, empreinte de compréhension mutuelle et d'un sens de responsabilité pour les affaires de la Pologne.
- Ce ne serait peut-être pas juste si je ne disais pas que nous sommes venus l'un vers l'autre de loin en nous raccrochant suivant des voies différentes. J'ai beaucoup d'estime pour M. Mazowiecki qui a su surmonter différents traumatismes. Grâce à cela, nous pouvons en commun participer et résoudre les questions importantes pour la Pologne.
- En ce qui concerne ma fonction de Président, - on me pose souvent cette question - avec sous-entendu que c'est une fonction très confortable, un fauteuil confortable, qui est profitable et que j'essaie de garder pratiquement de force. C'est un peu comme si je remplissais les mêmes fonctions que l'Empereur Bokassa. Mais ce n'est pas vrai parce que le fauteuil est très dur, les responsabilités sont très lourdes. J'essaie de remplir cette fonction le mieux que je peux.\
`suite de la réponse du Président Jaruzelski sur la cohabitation avec le gouvernement de M. Mazowiecki` Le propos de la question concernant l'état de la réforme économique et des transformations de l'économie polonaise, il y a deux éléments : il y a un élément de stabilisation de l'économie qui lui permettrait de sortir de l'inflation, et un élément de restructuration. Nous avions préparé ces réformes, dès que notre gouvernement a été mis en place, mais la mise en oeuvre de ces réformes était au début de cette année, donc, il y a à peine deux mois et demi. L'inflation a été stoppée, la monnaie est devenue convertible sur le plan du marché intérieur, et puis nous avons une attitude différente vis-à-vis du travail. Cela c'est très important, on l'a noté récemment parce que la période précédente avait fait que notre économie a perdu son efficacité. Donc, on observe déjà ces premiers signes. En même temps, nous allons mettre largement en application la restructuration de cette économie dans le sens d'une privatisation, dans le sens d'une adaptation de cette économie à ce qui existe dans les pays occidentaux où il y a une économie de marché très opérante, sans oublier aussi les objectifs sociaux de l'économie.
- Donc on est en passe de mettre en application ces réformes inédites qui sont entreprises avec une très très forte inflation. Nous avons déjà surmonté de très grosses difficultés mais de très grosses difficultés sont à venir. En tout cas ce qui est important, c'est l'attitude de la population polonaise qui voit dans ces réformes une chance pour elle-même et qui subit patiemment et avec une très grande compréhension cette période difficile. En tant que gouvernement, nous sommes très reconnaissants à notre population pour cela et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que ces transformations réussissent. A cet égard l'aide étrangère est très importante et en perspective aussi, le problème d'une réduction de notre très fort endettement qui constitue un noeud coulant que l'on a autour de notre cou. On voudrait régler ce problème. Certaines décisions ont été prises au mois de février au sein de Club de Paris, ce sont des solutions immédiates alors que l'on a besoin encore de solutions à plus long terme. Nous en avions parlé un petit peu dans nos conversations d'aujourd'hui, quoique les problèmes internationaux, les problèmes étrangers étaient dominants. Mais nos conversations d'aujourd'hui ne sont pas la seule occasion pour nous d'en parler et nous allons certainement aller dans le sens d'une intensification de la coopération économique entre la Pologne et la France. Et là, j'aimerais remercier d'ores et déjà pour l'aide qui nous a été apportée, notamment en ce qui concerne la formation des cadres et nous allons intensifier davantage ces rapports, ces relations, cette coopération polono-française, nous y tenons beaucoup.\
LE PRESIDENT.- Je voudrais apporter quelques précisions supplémentaires. Nous ne nous en sommes pas tenus, comme vient de le rappeler M. le Premier ministre Mazowiecki, aux problèmes de frontières et de garanties qui étaient le point fort de nos entretiens. Nous avons décidé des rencontres régulières, en particulier à l'échelon des ministres des affaires étrangères, pour élaborer une concertation continue, des formes multiples de coopération dans tous les domaines, notamment technologiques, économiques. Nous avons décidé de contribuer de notre mieux à la mise en place des nécessaires travaux préparatoires dans le plus bref délai possible en vue de créer ce que le Premier ministre Mazowiecki a appelé le conseil de coopération européenne, et de déboucher sur ce que j'ai appelé la Confédération européenne, pour essayer de trouver un mode d'existence en commun des pays de l'Europe dès lors qu'ils auront accédé à un système représentatif franchement démocratique.
- Deuxièmement, je voudrais rappeler que tous ces débats n'ont un sens que par rapport à quelques pétitions de principe. La France a dès le point de départ exprimé sa position : le problème de l'unité des deux Etats allemands relève de l'autodétermination des citoyens de ces deux Etats. Et nous avons trop de respect pour les Allemands pour exprimer quelques conditions que ce soient à cette libre détermination. D'autant plus que l'histoire a fait de nous depuis déjà bientôt un demi siècle, non plus des adversaires, mais des amis. Mais, nous l'avons dit en même temps, cette détermination ne peut s'exercer que dans le cadre des frontières actuelles des deux Etats. Donc, le cadre a été tout de suite fixé. Il ne doit pas prêter à confusion, ce qui suppose la reconnaissance de la frontière germano-polonaise, ce que l'on appelle la ligne Oder-Neisse. Il n'y a donc pas de surprise de part et d'autre. Les raisons qui ont conduit des dirigeants allemands à suivre leur chemin pour aborder cette question qui leur est difficile, relèvent de leur compétence et de leur autorité. Mais la position de la France a été exprimée par M. Roland Dumas, récemment à Berlin. Et c'est précisément parce que nous avons parlé dans la clarté que l'amitié franco-allemande doit en sortir renforcée. C'est un langage indispensable entre pays qui se respectent, car toutes les conséquences qui découlent de la probable unification relèvent de la compétence de tous les pays de l'Europe et d'abord, bien entendu, des pays voisins. Or la Pologne et la France sont des pays voisins qui ont été mêlés à la cruelle histoire de ce siècle.
- Voilà pourquoi nous pensons à ces conséquences qui s'appellent sécurité, donc frontière, alliances, étendue de leur champs d'action, de leur ligne avancée. Et puis pour nous Français, au problème de la Communauté européenne des Douze, selon les procédures qui seront adoptées par les Allemands pour l'unité des deux Etats et le rythme des délais que cela prendra. Voilà toutes les précisions que je tiens à vous apporter. Tout cela tourne autour du problème majeur de l'équilibre européen. Ce pourquoi j'ai préfiguré un projet de Confédération européenne sur lequel je me suis déjà exprimé plusieurs fois.\
QUESTION.- Monsieur le Président, M. Mazowiecki a dit dans une interview que la Pologne craint le plus l'unification allemande. Vous comprenez cette inquiétude ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien, sans savoir ce que vous me diriez, je crois vous avoir répondu. J'avais répondu, le 3 novembre dernier à Bonn, à l'issue d'un sommet franco-allemand, avant la chute du mur de Berlin. J'avais répondu que je ne redoutais pas, que je ne craignais pas l'unification allemande dès lors qu'elle s'accomplirait d'une façon démocratique et pacifique. Je n'ai vraiment rien à ajouter aujourd'hui à cela. Je fais confiance au peuple allemand.\
QUESTION.- Ma question s'adresse à M. le Président de la République française. Monsieur le Président, selon vos déclarations récentes, il semble évident que vous considérez positif aussi bien pour les deux pays, donc l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest, l'unification des deux pays et compte tenu de vos intérêts en Afrique, seriez-vous d'accord, par exemple si des pays africains se mettent en confédération, même si ce sont des pays francophones et anglophones ?
- LE PRESIDENT.- Si les pays africains créaient entre eux une confédération ?
- QUESTION.- C'est cela. Seriez-vous d'accord ?
- LE PRESIDENT.- Mais d'abord, ils ne me demanderont pas mon avis. Bien entendu, nombreux sont les pays africains avec lesquels nous avons des liens très forts, des liens de fraternité. Alors peut-être quand même qu'ils m'en parleraient. Mais je leur dirai aussitôt : "vous feriez bien". Ce qui consisterait d'ailleurs à faire ce qu'ils font déjà, puisqu'il existe une organisation de l'unité africaine. S'ils renforcent les structures de cette organisation, ce sera très bien.\
QUESTION.- Ma question s'adresse au Président Jaruzelski. Je voudrais savoir si, sous réserve du règlement de la question Oder-Neisse et des garanties que vous attendez de ce côté-là, si l'unification des deux Etats allemands est du point de vue polonais une bonne chose en tout état de cause ?
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Il y a deux problèmes distincts et qui sont liés évidemment entre eux. Ils sont différents dans la mesure où la frontière sur l'Oder-Neisse est considérée par nous comme une frontière intangible, indépendamment de la forme étatique dans laquelle sera circonscrit le peuple allemand. Par contre, je pense que tout peuple a le droit à l'autodétermination, à l'unification et le peuple allemand possède un tel droit. Et comme j'ai eu l'occasion de le dire dans une de mes réponses, si c'est une unification qui répond aux règles de sécurité pour tous les voisins, pour tous les Etats européens, si cela va de pair avec la construction d'une maison commune européenne, cela peut être un processus constructif, positif, qui renforcera l'unité européenne.
- A cela j'ajouterai, seulement parce que ce ne serait pas une bonne chose si vous lisiez dans nos propos un sentiment de polono-centrisme. Parce qu'évidemment, on va combattre, on va défendre les intérêts nationaux, mais on est parfaitement responsable du sort de l'Europe et de tous les pays sur lesquels pèsent le plus grand poids. Nous avions parlé de l'Union soviétique et des Etats-Unis. L'Union soviétique, qui est le garant de notre frontière sur l'Oder-Neisse, notre alliée et notre principal partenaire commercial et économique est en même temps un pays qui a un titre politique et moral vu les énormes pertes subies pendant la deuxième guerre mondiale avec vingt-six millions de victimes et une très importante contribution à la victoire sur le nazisme. Elle a donc le droit de prendre position sur cette question. La position que l'Union soviétique a prise sur la question de la frontière nous satisfait pleinement et nous nous réjouissons aujourd'hui que ce soit la France, avec M. le Président Mitterrand, qui ait apporté une pareille réponse et j'espère aussi que les autres partenaires, les autres puissances se joindront à cela. Si j'ai bien compris, c'est la fin de cette conférence.\
QUESTION.- Pouvez-vous nous préciser votre conception de l'association de la Pologne aux discussions des Six : sera-t-elle dedans ou dehors ?
- LE PRESIDENT.- Non, la Pologne n'est pas membre des Six, c'est clair. Mais pour ce qui touche aux affaires polonaises et éminemment les frontières de la Pologne, cela l'intéresse. Il est évident que la Pologne doit être associée aux décisions qui seront prises c'est-à-dire à l'acte juridique international qui devrait, si les choses se passent logiquement, commencer par des échanges de vues entre les deux Etats allemands et la Pologne. Mais je crois savoir qu'il y a des réunions, des consultations des Six qui se déroulent dès cette semaine. Et je pense que ce sujet sera au centre de leurs conversations.\
- Je commencerai cette rencontre avec vous par quelques mots d'accueil et de bienvenue au Président et au Premier ministre ainsi qu'à M. le ministre des affaires étrangères de Pologne. Ils nous ont fait l'honneur d'une visite dont l'importance, dans les circonstances présentes, n'est pas à souligner. Nous avons pu depuis midi et demi presque sans interruption poursuivre une conversation qui a abordé les sujets que vous imaginez. Il a été naturellement question de l'unification des deux Etats allemands, et de ses conséquences, qu'il convenait de prévoir : quelle procédure, quels délais, quelques points fermes qui eux sont assurés : l'intangibilité des frontières, particulièrement de la frontière Oder-Neisse. De quelle façon procéder pour harmoniser l'ensemble des procédures qui conduiront, ou qui devraient conduire, ou qui pourraient conduire à l'unité des deux Etats allemands : d'autre part, les garanties sur la frontière et quelques autres questions qui ne sont pas de moindre importance. Je suppose que quelques questions seront posées sur ce sujet, et je préciserai mes réponses à ce moment, de même que nos interlocuteurs et visiteurs polonais auront sans doute à le faire, plutôt que de vous infliger un discours liminaire qui, pour être complet, risquerait d'être long avant même d'engager notre conversation.
- Vous savez que j'avais eu l'occasion de rencontrer à deux reprises le Président Jaruzelski. Une fois ici même, à Paris au Palais de l'Elysée, une autre fois, lors d'une visite d'Etat récente que j'ai accomplie en Pologne. J'ai eu le plaisir de faire la connaissance directe, cette fois-ci, de M. le Premier ministre, M. Mazowiecki, et de M. le ministre des affaires étrangères. Le Premier ministre français, M. Michel Rocard, et M. Roland Dumas ont constamment pris part à nos conversations.
- A vous de poser les questions de votre choix, mais avant cela, je demanderai au Président, M. Jaruzelski, s'il souhaite vous adresser lui-même quelques mots.\
LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Avant tout, j'aimerais exprimer ma grande satisfaction du déroulement et des résultats de cette visite qui, pour nous, est extrêmement importante. Importante parce qu'elle a lieu à un moment particulièrement fort dans l'histoire de l'Europe, un véritable tournant dans son histoire, et importante aussi parce que la Pologne s'est engagée sur la voie de transformations économiques et politiques profondes et radicales qui, sur la composante d'un processus vaste dans cette partie de l'Europe, et qui forme une bonne base, apporte notre contribution au processus d'unification de notre continent à une Europe commune. Je pense que ce n'est pas le fait du hasard que si à un moment comme celui-ci la France et la Pologne sont à ses côtés, qu'elles sont proches l'une de l'autre. Une telle conviction, je la retire des entretiens que j'ai eus avec M. le Président, avec M. le Premier ministre, avec M. le ministre. Nous nous sommes bien compris, nous ressentons la communauté de nos intérêts, et ce qui est très précieux, c'est que cette amitié et les sentiments traditionnels que retrace l'histoire de nos peuples à travers les siècles, se voient confirmés aujourd'hui, et avant tout, offre une meilleure perspective. C'est la raison pour laquelle, je pense que notre visite est utile et fructueuse, et je suis convaincu qu'elle servira bien la cause de la France, de la Pologne et de la nouvelle Europe.
- Merci beaucoup encore une fois pour l'invitation d'effectuer cette visite et j'exprime ma franche satisfaction de son déroulement.
- QUESTION.- Monsieur le Premier ministre, dans l'interview au "Monde" vous avez dit que dans les situations difficiles lorsqu'il y a eu des problèmes avec l'Allemagne, la France et la Pologne étaient toujours aux côtés l'une de l'autre. Est-ce qu'aujourd'hui après les entretiens que vous avez eus, vous pouvez réitérer ces paroles-là ?
- M. MAZOWIECKI.- Je puis confirmer entièrement ces propos puisque nos entretiens ne font que confirmer entièrement cette appréciation et j'en suis très satisfait.
- QUESTION.- Est-ce que votre proposition de constitution d'un Conseil de coopération européenne a été abordée et quel était l'écho ?
- M. MAZOWIECKI.- En effet, nous en avons parlé, nous avons parlé de l'idée avancée le 31 décembre par M. le Président Mitterrand, idée qui aboutissait à une confédération européenne, d'ailleurs ma proposition a été lancée à la suite de celle-là estimant que c'est une voie qui conduisait au même but et notre proposition, d'après ce que j'ai compris du côté français a trouvé un bon écho et je pense un soutien.\
QUESTION.- Monsieur le Président de la République, est-ce que la déclaration adoptée hier par le Bundestag sur la question des frontières vous semble entièrement satisfaisante et est-ce qu'elle permet de tirer un trait sur les ambiguités qui ont perduré pendant un certain temps sur cette affaire ?
- LE PRESIDENT.- Permettez-moi, afin de répondre comme il convient à une aussi importante question, de la situer dans son cadre. D'abord, je tiens à rappeler pour qui l'ignorerait que l'Allemagne fédérale est l'amie de la France. Nous sommes alliés et associés dans de vastes entreprises, en particulier la Communauté européenne. Nous avons donc toujours la volonté à la fois de respecter ses intérêts, plus encore de respecter les personnes, les Allemands qui sont nos partenaires après avoir été si longtemps nos adversaires £ nous aimerions même proposer en modèle la façon dont l'Allemagne fédérale et la France ont surmonté les contentieux historiques dramatiques qu'ils ont vécus jusqu'à bâtir une solide entente. Bien entendu, une telle déclaration liminaire que j'exprime du fond du coeur ne peut se passer d'une précision et d'une définition rigoureuse chaque fois que des intérêts de grande ampleur et particulièrement le problème de l'équilibre européen se trouve posé.
- Alors, je répondrai d'abord par une phrase toute simple. Elle sera celle-ci : la France considère la frontière Oder-Neisse, c'est-à-dire la frontière entre l'Allemagne, aujourd'hui l'Allemagne de l'Est et la Pologne comme intangible, et de ce fait toute déclaration qui ne dirait pas cela clairement serait insuffisante.
- La France appuie donc la demande polonaise afin que cette intangibilité de la frontière Oder-Neisse soit proclamée et consacrée par un acte juridique international, ce qui veut dire que notre position à nous Français va plus loin que celle qui ressort de la déclaration adoptée par le Bundestag. En tout état de cause, nous estimons que la Pologne doit être associée à ceux des travaux qui seront engagés autour de cette question. Travaux engagés par qui ? Puisque je souhaite un acte juridique international, je souhaite en même temps que cet acte juridique soit négocié le plus tôt possible et en tout cas avant la probable unification des deux Etats allemands. Dès lors il nous paraît normal que la Pologne soit associée, prenne part à l'ensemble de ces travaux qui porteront sur sa propre frontière, c'est la moindre des choses. Nous ferons valoir ces demandes polonaises auprès du groupe des Six. Le groupe des Six, c'est l'addition de quatre et de deux.
- J'ai été très satisfait par la décision prise par les autorités allemandes, par le parlement allemand, qui me paraît correspondre davantage à nos intérêts mutuels, comme à l'équilibre européen et au devenir de l'Europe tout entière. Mais je pense que cette déclaration doit encore préciser certains contours. En particulier, il est bien entendu, mais mieux vaut le dire, que cette frontière n'est pas n'importe laquelle, qu'elle est bien la frontière Oder-Neisse. Nous n'entendons pas en disant cela, effacer les drames de l'histoire. Nous savons bien à quel point sont douloureuses des blessures provoquées par les guerres. Mais c'est l'intérêt de l'Europe et de la paix.\
QUESTION.- Je voudrais m'adresser au Président Jaruzelski, monsieur le Président, si vous comparez votre visite actuelle en France avec votre séjour ici, à Paris, en décembre 1985. Quelles sont vos réflexions ? Je pense ici, aussi bien des réflexions politiques que des réflexions, disons philosophiques et personnelles.
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Je pense que vous n'attendez pas de moi, de traiter de philosophie lors d'une conférence de presse. J'aurai une approche plus pratique. La différence est comme entre l'année 1985 en Pologne et l'année 1990 dans notre pays, c'est toute une époque. Mais je tiens à souligner la grande importance de cette première visite et j'aimerais exprimer tous mes respects au Président Mitterrand qui a fait preuve d'une très grande perspicacité pour que cette rencontre ait lieu, pour connaître les raisons que je lui avais, à ce moment-là, présentées, et s'assurer des intentions et processus qui se sont dessinés en Pologne.
- Evidemment, le déroulement de ces processus est allé bien plus vite et bien plus loin, il était plus radical. Mais l'intention fondamentale de la démocratisation des relations dans notre pays a su être maintenue. Je pense qu'il est extrêmement important que les hommes politiques aient l'occasion de se connaître, ensuite de se comprendre, et ce qui s'ensuit, de trouver un terrain de coopération et, je pense à l'avenir aussi, d'amitié.
- Cela a eu aussi une énorme importance pour les processus qui ont suivi dans notre pays. J'essaierai de vous l'expliquer d'une façon imagée. Lorsque quelqu'un se sent comme enfermé dans une forteresse, comme assiégé, alors tel était le cas dans les années 80, nous, en tant que pouvoir à l'époque, on se sentait, on avait cette impression-là, si en plus la situation à l'intérieur du pays était pleine de contradictions et de conflits, eh bien il y a une moindre proportion, qui est tout à fait naturelle à une libéralisation de la politique, à la démocratisation, à aller au devant de certaines attentes et processus naturels.
- Si, par contre, ce sentiment de se trouver dans une forteresse assiégée cesse de fonctionner, d'opérer, si les nouveaux contacts s'ouvrent, et ma visite à Paris en est justement un exemple, d'autres visites également, celle de l'ancien vice-président des Etats-Unis, M. Bush en Pologne, à ce moment-là, on voit apparaître des conditions tout à fait naturelles pour la détente, pour la mise en marche, des processus démocratiques pour les réformes.
- Evidemment, je simplifie les choses, mais il est incontestable que ce cas confirme une fois de plus combien est important de mettre en rapport, de trouver un dénominateur commun dans ce monde d'aujourd'hui qui est tellement compliqué.
- Il s'agit de trouver une vision commune pour les questions de la plus haute importance, pour créer cette nouvelle pensée et créer une nouvelle éthique dans les relations entre Etats, d'éliminer une image de l'ennemi, comprendre notre destin comme une vue en face des défits et des dangers que nous apporte la civilisation, que nous apportent les différents processus en Europe et dans le monde. Dans ce sens-là, la visite est très importante et en même temps, on peut dire que dans une certaine mesure, c'était une étape naturelle à cette période qui se termine aujourd'hui et qui en même temps, ouvre une nouvelle étape plus élevée de la coopération entre nos deux pays, entre nos deux Etats.\
QUESTION.- J'ai une question à poser à M. le Président Jaruzelski : quelle est votre préférence, en ce qui concerne le statut militaire de la future Allemagne unifiée ? dans quelle alliance ? Avec quelle force militaire, sur son territoire ? Est-ce qu'il y a sur ce point, consensus entre la Présidence de la République polonaise et le gouvernement de M. Mazowiecki ? Et où en sont vos conversations à ce sujet avec Moscou ?
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Fort heureusement même si je le dis avec grand regret, la Pologne n'est pas une grande puissance et en conséquence, ce n'est pas la Pologne qui en définitive décidera de la forme que prendra cette Europe concernée par votre question. Pour ce qui est des solutions stratégiques futures, cela ne veut nullement dire que la Pologne peut se permettre de rester indifférente à cela, parce que, c'est quand même un pays qui compte 40 millions d'habitants, a un important potentiel militaire également, et nous comprenons fort bien que la voix de la Pologne devrait compter et comptera en la matière. En même temps, comme M. le Président François Mitterrand l'a dit, les pourparlers et les négociations entre les quatre puissances et avec les représentants des deux Etats allemands sont encore devant nous et incontestablement les problèmes que vous avez mentionnés seront traités, seront abordés, incontestablement, les processus, l'évolution en Europe centrale et orientale et ceux qui en Allemagne créent une nouvelle situation politique, stratégique et militaire. Il s'agit de faire en sorte que cette situation entre dans un nouveau cadre, dans une nouvelle constellation qui assurerait un sentiment de sécurité à tous les Etats £ il y a les formes d'organisation des liens entre les groupements et les alliances qui répondraient à cette exigence-là. En même temps, j'estime et j'ai exprimé cette opinion lors de la rencontre avec M. le Président, que ce serait une bonne chose pour la sécurité de l'Europe, si ce processus d'unification de l'Allemagne se voyait synchronisé, harmonisé avec le processus d'unification de l'Europe et avec le processus qui lui permettrait d'assurer à tous les pays un sentiment de sécurité. Autrement dit, que ce soit accompagné de décisions qui ramèneraient à un certain seuil les forces militaires, non seulement en ce qui concerne les forces des alliances, mais aussi des différents pays. Aussi, il faut que ce soient des solutions qui aillent dans le sens d'une orientation qui miserait sur la défense, sur un caractère défensif des armées, ce qui permettra de renforcer la confiance en enrichissant les mesures qui servent ce dessein-là. Donc, en résumant, la forme de l'organisation devrait dépendre de cet objectif principal.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez fait allusion à l'étroite coopération entre la France et l'Allemagne. Est-ce que je pourrais savoir si vous avez déjà fait part au Chancelier Kohl de votre appréciation de la déclaration adoptée hier par le Bundestag ?
- LE PRESIDENT.- J'ai eu le Chancelier Kohl lundi dernier au téléphone, c'est-à-dire avant cette déclaration. Il me l'avait laissé pressentir. Je n'en connaissais pas à l'avance le texte exact, et nous avons pris un rendez-vous téléphonique pour cette fin de semaine, ou le début de l'autre, c'est-à-dire demain ou lundi. Cela fait déjà plusieurs mois que nous avons abordé cette conversation et je lui ai constamment dit, amicalement, que je pensais indispensable, comme un préalable, que fût dit clairement que l'intangibilité des frontières était aussi un principe allemand.
- QUESTION.- Monsieur le Président de la République, de quelle manière comptez-vous faire partager votre position, votre point de vue sur cette frontière par les autorités allemandes, par le Chancelier Kohl ? Ne craignez-vous pas que cette affaire ne crée un problème entre Paris et Bonn ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne vois pas pourquoi. Je pense que c'est aussi son opinion. Il suffit simplement de le dire.
- QUESTION.- Monsieur le Président de la République, après la décision d'Ottawa de faire cette conférence quatre plus deux, le Premier ministre Mazowiecki a demandé que la Pologne y soit associée. Les Soviétiques, le ministre Chevarnadze a tout de suite dit "oui". Si j'ai bien compris, la France dit "oui" également, mais concrètement comment cela va-t-il se passer. Ce sera cinq plus deux ou ce sera quatre plus deux avec une table à côté pour la question des frontières ?
- LE PRESIDENT.- Là, votre imagination est trop féconde ou beaucoup trop courte. On choisira. Ce qui est vrai c'est qu'il appartient aux Polonais et aux Allemands de débattre d'un règlement de la question des frontières. Ils sont directement intéressés. Il appartient aussi, en tous cas aux "quatre" de donner leur opinion à ce sujet, on pourrait même dire d'une certaine façon apporter leur garantie à cet acte international. Sans doute appartiendra-t-il aux Six de lancer les initiatives, de préciser les orientations. Pourquoi "les six" et pas "les cinq" ? C'est parce qu'il y a deux Etats. Il s'agit précisément de faire que ce débat sur la frontière soit tranché, je ne dis pas "validé", "promulgué", mais tranché avant l'unité, l'unification. Tant qu'il n'y a pas unification cela fait six, le jour où il y aura unification cela fera cinq mais on passera à un autre stade. Voilà la réponse que je peux vous faire.\
QUESTION.- Je voudrais poser une question au Président polonais, M. Jaruzelski. Monsieur le Président vous réclamez la reconnaissance définitive de la ligne Oder-Neisse par l'Allemagne. Pouvez-vous garantir en contre-partie une vie meilleure, c'est-à-dire respecter l'identité culturelle de la minorité allemande vivant sur votre sol polonais qui autrefois était sol allemand ?
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Avant tout, je vois que dans votre question, selon votre appréciation, la minorité allemande en Pologne ne possède pas la plénitude de ses droits civiques et que, d'une façon ou d'une autre, elle est discriminée or je ne puis partager pareille opinion et le dernier accord conclu entre le Président et le Premier ministre Mazowiecki et le Chancelier Kohl présente encore une fois notre position qui est la même à l'égard de toutes les minorités nationales. Vous avez commencé votre question par la question de la frontière, je dois tout de suite vous dire que ce n'est pas une bonne chose de lier les deux. Le problème sur la question de la frontière n'est pas une question uniquement polonaise, nous ne faisons pas de marchandage pour savoir ce qui appartient aux Polonais et ce qui ne leur appartient pas. C'est un fait historique. Je ne veux pas développer davantage pour vous dire comment cela s'est fait mais c'est en même temps une question de vie ou de mort pour notre Etat, c'est le tiers du territoire polonais, le tiers de la population alors imaginez-vous, il y a ici des représentants de divers pays, de divers peuples, imaginez-vous que quelqu'un veuille remettre en question le tiers de leur substance nationale, qu'il ose discuter même de cette question. Mais je ne voudrais pas ramener ceci uniquement à un cadre polonais-allemand parce que je suis confiant que cette question trouvera la solution qu'il faut. C'est un problème européen, cela concerne la paix. C'est un des fondements concernant la stabilité en Europe. On ne saurait parler de l'unification de l'Europe en laissant ouverte la question de cette frontière, ou si cette frontière polono-allemande devrait continuer à être remise en question. On ne peut parler d'unification de l'Europe si deux des plus grands Etats dans cette partie de l'Europe - le peuple allemand comptant 80 millions d'habitants et le peuple polonais qui compte 40 millions - ne sont pas réconciliés. Or, il ne peut y avoir réconciliation que sur la base de la compréhension totale des trois et d'une confiance mutuelle.
- Nous, nous sommes prêts à le faire, nous avons une expérience historique douloureuse qui nous donne non seulement un titre politique mais aussi un titre moral pour attendre une reconnaissance, un règlement de ce problème sans ambiguité quelconque et sans esquive et je vous assure que la Pologne qui vit des moments difficiles mais aussi de grands moments avec des changements et transformations importantes, des réformes importantes, ceux qui se sentent polonais et que ceux qui se sentent Allemands ou qui se sentent appartenir à d'autres nations recevront toujours le même traitement et seront des citoyens à part entière de notre patrie commune.\
QUESTION.- J'ai deux questions à poser pour le Président Jaruzelski. Premièrement, je veux savoir si vous êtes déjà satisfait avec la solution qu'a décrite M. le Président Mitterrand en relation à la place de la Pologne dans le groupe quatre plus deux ou deux plus quatre. Je veux savoir si vous êtes satisfait avec le type d'association qui a été décrit ? Et la seconde question si vous pouvez préciser exactement ce que vous attendez que l'Allemagne dise de plus en relation aux frontières ?
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Je vois que l'on m'a gâté par le nombre de questions que vous me posez. Je suis prêt à vous répondre mais je proposerai que ce soit le Premier ministre de la République de Pologne, M. Tadeusz Mazowiecki qui peut répondre à cette question puisque c'est lui qui a présenté le mieux les attentes de la Pologne en rapport avec votre question.
- M. MAZOWIECKI.- Notre position est la suivante. Nous estimons que la question de la frontière qui conditionne le bon voisinage et la réconciliation entre les peuples allemand et polonais devrait être absolument purifiée de toute ambiguité avant l'entrée dans cette nouvelle phase de l'histoire de l'Allemagne et des relations polono-allemandes et de l'histoire de l'Europe qui sera nouvelle après l'unification. Nous estimons qu'après les élections en RDA, mais avant l'unification, devrait être paraphé un traité ayant rang et valeur d'un traité de paix qui serait donc conclu entre les deux gouvernements allemand et polonais avec une participation des quatre puissances et qui approuverait définitivement la frontière occidentale de la Pologne et la frontière orientale de la future Allemagne unifiée et que cet Etat allemand - futur Etat allemand unifié - que le gouvernement de cet Etat-là et son Parlement devraient par la suite ratifier ce traité. Nous pensons que dans ceci la Pologne devrait être présente, la formule de la consultation ne nous satisfait pas. Il ne s'agit pas pour nous d'être consultés mais il s'agit de prendre part au règlement de cette question puisqu'elle concerne directement la population polonaise qui est extrêmement sensibilisée à cette question craignant toute forme de décision pour nous, sans nous, craignant que se reproduise la formule de Yalta. C'est là raison pour laquelle nous pensons que vu que cette société a apporté tant de preuves de combat pour la liberté et les droits de l'homme, un combat qui a profité également aux Allemands avec ce processus d'unification qui se fait, nous respectons les droits allemands à l'unification. Eh bien, cette position, ces attentes de la population polonaise qui souhaite participer au règlement de cette question, ce droit-là qui leur appartient devrait être respecté. Et puis nous estimons que nous avons aussi un droit historique en tant que première victime de l'agression allemande, l'agression nazie en tant que alliés des Allemands. Pour clôre cette étape-là, la Pologne doit être présente directement et pas seulement par procuration. Nous attendons une pleine, une entière compréhension de la part de toutes les puissances, des quatre puissances. Nous nous réjouissons de l'excellente compréhension de la part de la France et nous attendons aussi une compréhension de la part des deux Etats et gouvernements allemands puisque notre souhait, ce que nous désirons n'est pas dirigé contre quiconque mais ce n'est que demander nos droits historiques.\
LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Puisque vous m'avez posé cette question, je partage pleinement la réponse du Premier ministre. J'ajouterai peut-être seulement un accent personnel qui a d'ailleurs trait aux propos de M. le ministre Mazowiecki et il concerne la participation des Polonais, de notre peuple, à la deuxième guerre mondiale, à la libération d'autres peuples, la libération du peuple allemand lui-même parce que le peuple allemand était l'instrument d'Hitler, mais aussi la victime d'Hitler. Nous sommes fiers, et je le dis avec une satisfaction personnelle en tant que soldat, en tant qu'officier ayant participé à cette guerre, (j'étais sur les ruines de Berlin en 45 `1945`) que les soldats Polonais à l'ouest et à l'est, aient participé à l'anéantissement de l'hitlérisme, donc aussi à la libération de ce peuple allemand, qui, grâce à son esprit travailleur, a atteint l'essor qui est le sien aujourd'hui, et nous remercions aussi le peuple français qui aussi a contribué à cela et qui aussi a subi de grands sacrifices.
- C'est la raison pour laquelle nous nous comprenons aussi bien, et c'est la raison pour laquelle nous avons un sens de responsabilité pour le sort de l'Europe, et aussi pour le sort du peuple allemand qui seulement dans une Europe sûre, une Europe qui va dans le sens de l'unité, pourra développer ses talents.\
QUESTION.- Une question au Président Jaruzelski et une autre à M. Mazowiecki. Monsieur le Président, voilà six mois que vous avez engagé la cohabitation polonaise, quel bilan vous en tirez ? Vous avez laissé entendre dans une interview parue ce matin que vous vous interrogiez sur la durée de votre propre mandat.
- Et à M. Mazowiecki, à quel point estimez-vous que se trouve aujourd'hui la réforme économique que vous avez engagée en ce début d'année ?
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Je ne voudrais pas me prononcer à ce sujet en la présence du Premier ministre Mazowiecki parce que cela donnerait l'impression que je lui avouerai des compliments mais je dois souligner, et c'est la vérité, que souvent j'ai eu l'occasion d'exprimer publiquement d'ailleurs, que j'appréciais hautement cette coopération, que c'est une cohabitation constructive et fructueuse, empreinte de compréhension mutuelle et d'un sens de responsabilité pour les affaires de la Pologne.
- Ce ne serait peut-être pas juste si je ne disais pas que nous sommes venus l'un vers l'autre de loin en nous raccrochant suivant des voies différentes. J'ai beaucoup d'estime pour M. Mazowiecki qui a su surmonter différents traumatismes. Grâce à cela, nous pouvons en commun participer et résoudre les questions importantes pour la Pologne.
- En ce qui concerne ma fonction de Président, - on me pose souvent cette question - avec sous-entendu que c'est une fonction très confortable, un fauteuil confortable, qui est profitable et que j'essaie de garder pratiquement de force. C'est un peu comme si je remplissais les mêmes fonctions que l'Empereur Bokassa. Mais ce n'est pas vrai parce que le fauteuil est très dur, les responsabilités sont très lourdes. J'essaie de remplir cette fonction le mieux que je peux.\
`suite de la réponse du Président Jaruzelski sur la cohabitation avec le gouvernement de M. Mazowiecki` Le propos de la question concernant l'état de la réforme économique et des transformations de l'économie polonaise, il y a deux éléments : il y a un élément de stabilisation de l'économie qui lui permettrait de sortir de l'inflation, et un élément de restructuration. Nous avions préparé ces réformes, dès que notre gouvernement a été mis en place, mais la mise en oeuvre de ces réformes était au début de cette année, donc, il y a à peine deux mois et demi. L'inflation a été stoppée, la monnaie est devenue convertible sur le plan du marché intérieur, et puis nous avons une attitude différente vis-à-vis du travail. Cela c'est très important, on l'a noté récemment parce que la période précédente avait fait que notre économie a perdu son efficacité. Donc, on observe déjà ces premiers signes. En même temps, nous allons mettre largement en application la restructuration de cette économie dans le sens d'une privatisation, dans le sens d'une adaptation de cette économie à ce qui existe dans les pays occidentaux où il y a une économie de marché très opérante, sans oublier aussi les objectifs sociaux de l'économie.
- Donc on est en passe de mettre en application ces réformes inédites qui sont entreprises avec une très très forte inflation. Nous avons déjà surmonté de très grosses difficultés mais de très grosses difficultés sont à venir. En tout cas ce qui est important, c'est l'attitude de la population polonaise qui voit dans ces réformes une chance pour elle-même et qui subit patiemment et avec une très grande compréhension cette période difficile. En tant que gouvernement, nous sommes très reconnaissants à notre population pour cela et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que ces transformations réussissent. A cet égard l'aide étrangère est très importante et en perspective aussi, le problème d'une réduction de notre très fort endettement qui constitue un noeud coulant que l'on a autour de notre cou. On voudrait régler ce problème. Certaines décisions ont été prises au mois de février au sein de Club de Paris, ce sont des solutions immédiates alors que l'on a besoin encore de solutions à plus long terme. Nous en avions parlé un petit peu dans nos conversations d'aujourd'hui, quoique les problèmes internationaux, les problèmes étrangers étaient dominants. Mais nos conversations d'aujourd'hui ne sont pas la seule occasion pour nous d'en parler et nous allons certainement aller dans le sens d'une intensification de la coopération économique entre la Pologne et la France. Et là, j'aimerais remercier d'ores et déjà pour l'aide qui nous a été apportée, notamment en ce qui concerne la formation des cadres et nous allons intensifier davantage ces rapports, ces relations, cette coopération polono-française, nous y tenons beaucoup.\
LE PRESIDENT.- Je voudrais apporter quelques précisions supplémentaires. Nous ne nous en sommes pas tenus, comme vient de le rappeler M. le Premier ministre Mazowiecki, aux problèmes de frontières et de garanties qui étaient le point fort de nos entretiens. Nous avons décidé des rencontres régulières, en particulier à l'échelon des ministres des affaires étrangères, pour élaborer une concertation continue, des formes multiples de coopération dans tous les domaines, notamment technologiques, économiques. Nous avons décidé de contribuer de notre mieux à la mise en place des nécessaires travaux préparatoires dans le plus bref délai possible en vue de créer ce que le Premier ministre Mazowiecki a appelé le conseil de coopération européenne, et de déboucher sur ce que j'ai appelé la Confédération européenne, pour essayer de trouver un mode d'existence en commun des pays de l'Europe dès lors qu'ils auront accédé à un système représentatif franchement démocratique.
- Deuxièmement, je voudrais rappeler que tous ces débats n'ont un sens que par rapport à quelques pétitions de principe. La France a dès le point de départ exprimé sa position : le problème de l'unité des deux Etats allemands relève de l'autodétermination des citoyens de ces deux Etats. Et nous avons trop de respect pour les Allemands pour exprimer quelques conditions que ce soient à cette libre détermination. D'autant plus que l'histoire a fait de nous depuis déjà bientôt un demi siècle, non plus des adversaires, mais des amis. Mais, nous l'avons dit en même temps, cette détermination ne peut s'exercer que dans le cadre des frontières actuelles des deux Etats. Donc, le cadre a été tout de suite fixé. Il ne doit pas prêter à confusion, ce qui suppose la reconnaissance de la frontière germano-polonaise, ce que l'on appelle la ligne Oder-Neisse. Il n'y a donc pas de surprise de part et d'autre. Les raisons qui ont conduit des dirigeants allemands à suivre leur chemin pour aborder cette question qui leur est difficile, relèvent de leur compétence et de leur autorité. Mais la position de la France a été exprimée par M. Roland Dumas, récemment à Berlin. Et c'est précisément parce que nous avons parlé dans la clarté que l'amitié franco-allemande doit en sortir renforcée. C'est un langage indispensable entre pays qui se respectent, car toutes les conséquences qui découlent de la probable unification relèvent de la compétence de tous les pays de l'Europe et d'abord, bien entendu, des pays voisins. Or la Pologne et la France sont des pays voisins qui ont été mêlés à la cruelle histoire de ce siècle.
- Voilà pourquoi nous pensons à ces conséquences qui s'appellent sécurité, donc frontière, alliances, étendue de leur champs d'action, de leur ligne avancée. Et puis pour nous Français, au problème de la Communauté européenne des Douze, selon les procédures qui seront adoptées par les Allemands pour l'unité des deux Etats et le rythme des délais que cela prendra. Voilà toutes les précisions que je tiens à vous apporter. Tout cela tourne autour du problème majeur de l'équilibre européen. Ce pourquoi j'ai préfiguré un projet de Confédération européenne sur lequel je me suis déjà exprimé plusieurs fois.\
QUESTION.- Monsieur le Président, M. Mazowiecki a dit dans une interview que la Pologne craint le plus l'unification allemande. Vous comprenez cette inquiétude ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien, sans savoir ce que vous me diriez, je crois vous avoir répondu. J'avais répondu, le 3 novembre dernier à Bonn, à l'issue d'un sommet franco-allemand, avant la chute du mur de Berlin. J'avais répondu que je ne redoutais pas, que je ne craignais pas l'unification allemande dès lors qu'elle s'accomplirait d'une façon démocratique et pacifique. Je n'ai vraiment rien à ajouter aujourd'hui à cela. Je fais confiance au peuple allemand.\
QUESTION.- Ma question s'adresse à M. le Président de la République française. Monsieur le Président, selon vos déclarations récentes, il semble évident que vous considérez positif aussi bien pour les deux pays, donc l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest, l'unification des deux pays et compte tenu de vos intérêts en Afrique, seriez-vous d'accord, par exemple si des pays africains se mettent en confédération, même si ce sont des pays francophones et anglophones ?
- LE PRESIDENT.- Si les pays africains créaient entre eux une confédération ?
- QUESTION.- C'est cela. Seriez-vous d'accord ?
- LE PRESIDENT.- Mais d'abord, ils ne me demanderont pas mon avis. Bien entendu, nombreux sont les pays africains avec lesquels nous avons des liens très forts, des liens de fraternité. Alors peut-être quand même qu'ils m'en parleraient. Mais je leur dirai aussitôt : "vous feriez bien". Ce qui consisterait d'ailleurs à faire ce qu'ils font déjà, puisqu'il existe une organisation de l'unité africaine. S'ils renforcent les structures de cette organisation, ce sera très bien.\
QUESTION.- Ma question s'adresse au Président Jaruzelski. Je voudrais savoir si, sous réserve du règlement de la question Oder-Neisse et des garanties que vous attendez de ce côté-là, si l'unification des deux Etats allemands est du point de vue polonais une bonne chose en tout état de cause ?
- LE PRESIDENT JARUZELSKI.- Il y a deux problèmes distincts et qui sont liés évidemment entre eux. Ils sont différents dans la mesure où la frontière sur l'Oder-Neisse est considérée par nous comme une frontière intangible, indépendamment de la forme étatique dans laquelle sera circonscrit le peuple allemand. Par contre, je pense que tout peuple a le droit à l'autodétermination, à l'unification et le peuple allemand possède un tel droit. Et comme j'ai eu l'occasion de le dire dans une de mes réponses, si c'est une unification qui répond aux règles de sécurité pour tous les voisins, pour tous les Etats européens, si cela va de pair avec la construction d'une maison commune européenne, cela peut être un processus constructif, positif, qui renforcera l'unité européenne.
- A cela j'ajouterai, seulement parce que ce ne serait pas une bonne chose si vous lisiez dans nos propos un sentiment de polono-centrisme. Parce qu'évidemment, on va combattre, on va défendre les intérêts nationaux, mais on est parfaitement responsable du sort de l'Europe et de tous les pays sur lesquels pèsent le plus grand poids. Nous avions parlé de l'Union soviétique et des Etats-Unis. L'Union soviétique, qui est le garant de notre frontière sur l'Oder-Neisse, notre alliée et notre principal partenaire commercial et économique est en même temps un pays qui a un titre politique et moral vu les énormes pertes subies pendant la deuxième guerre mondiale avec vingt-six millions de victimes et une très importante contribution à la victoire sur le nazisme. Elle a donc le droit de prendre position sur cette question. La position que l'Union soviétique a prise sur la question de la frontière nous satisfait pleinement et nous nous réjouissons aujourd'hui que ce soit la France, avec M. le Président Mitterrand, qui ait apporté une pareille réponse et j'espère aussi que les autres partenaires, les autres puissances se joindront à cela. Si j'ai bien compris, c'est la fin de cette conférence.\
QUESTION.- Pouvez-vous nous préciser votre conception de l'association de la Pologne aux discussions des Six : sera-t-elle dedans ou dehors ?
- LE PRESIDENT.- Non, la Pologne n'est pas membre des Six, c'est clair. Mais pour ce qui touche aux affaires polonaises et éminemment les frontières de la Pologne, cela l'intéresse. Il est évident que la Pologne doit être associée aux décisions qui seront prises c'est-à-dire à l'acte juridique international qui devrait, si les choses se passent logiquement, commencer par des échanges de vues entre les deux Etats allemands et la Pologne. Mais je crois savoir qu'il y a des réunions, des consultations des Six qui se déroulent dès cette semaine. Et je pense que ce sujet sera au centre de leurs conversations.\