31 janvier 1990 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le rôle des ambassadeurs en Afrique pour l'application de la politique française et communautaire, notamment en matière d'aide au développement et de trafic de drogue, Paris, le mercredi 31 janvier 1990.
Mesdames et messieurs,
- Je suis très heureux de vous recevoir ici ce soir à l'issue de vos travaux.
- Il est très important que les représentants de la France puissent non seulement nous rencontrer mais aussi se rencontrer et échanger leurs expériences, leurs informations, leurs projets. Vous avez donc pu discuter autant que possible à fond des questions placées à l'ordre du jour.
- Cette rencontre ne doit pas avoir qu'un seul aspect protocolaire, c'est aussi pour moi l'occasion de revoir ou de connaître celles et ceux qui sont ici, qui sont non seulement des représentants de la République mais qui sont aussi mes représentants personnels dans des affaires qui relèvent de la stratégie mondiale de la France, de nos relations extérieures mais aussi de l'image de la France et de son devenir dans des régions où nous avons une existence historique déjà ancienne et forte - particulièrement l'Afrique - dont on mesure aisément l'importance. Cela n'est pas nouveau. Encore faut-il s'adapter aux conditions nouvelles qui s'affermissent chaque jour, soit dans un Etat donné, soit dans les relations amicales ou conflictuelles entre les Etats.
- Parmi les liens les plus forts se trouve être l'emploi de notre langue. Notre langue commune, c'est la leur, c'est la nôtre enrichie par des apports mutuels. La langue française, après cette longue expérience vécue en commun avec d'autres cultures, ne sera plus exactement la même : elle sera enrichie et non pas appauvrie, elle continuera d'être la langue française. Sans ces pays dont on connait les difficultés parmi les plus rudes de la planète, la France n'aurait pas la place qu'elle occupe sur la scène internationale.\
Vous vivez chaque jour la crise qui sévit sur ce continent, des difficultés économiques qui paraissent souvent insurmontables, qui ne le sont pas, mais qui pèseront longtemps encore sur le développement de ces populations.
- Le monde alentour et particulièrement les nations les plus riches, les nations industriellement fortes parmi lesquelles se situe la France précisément, comprendront-ils à temps où se trouve leur intérêt et leur devoir ? Il est de la plus haute importance, pour nous Français en particulier mais aussi pour les populations qui vivent sur ce continent, de voir l'Afrique se marginaliser, être considérée comme une terre stérile pour n'offrir plus que des possibilités de recherche, d'exploitation du sol et du sous-sol par les autres en oubliant des millions de femmes et d'hommes qui vivent sur ce sol même.
- Faut-il insister sur les symptômes de cette crise économique assortie d'une démographie non maîtrisée, démographie globale et démographie comparée entre les villes, les capitales, les grands centres urbains et le reste du pays. Ils provoquent des déséquilibres parfois effarants sans oublier les effets, les aléas climatiques. Nous approchons là de la politique mondiale, de l'imprévisibilité des cours des matières premières, des richesses naturelles de ces pays que nous encourageons à organiser les années à venir autour de plans mûrement étudiés, auxquels vous prenez généralement une large part, et qui se trouvent annulés en l'espace d'une semaine par des variations commandées en raison d'intérêts qui s'affirment à Londres, à Chicago ou ailleurs. Bref, du domaine de la spéculation.
- Nous avons essayé, nous essayons toujours, nous continuerons d'essayer d'alerter l'opinion publique au travers des institutions internationales responsables : les Nations unies, la banque internationale et surtout le fonds monétaire international. Nous avons alerté les conférences du type "conférence des grands pays industriels" que nous présidions cette année, nous avons alerté le Conseil européen, le Conseil des ministre de l'Europe des Douze, toutes instances où il devrait être possible de dessiner une parade, une réponse à l'aggravation du dommage.\
De toutes sortes sont les réponses à apporter, mais il en est une à laquelle on ne pourra pas longtemps échapper même si chacun s'applique aujourd'hui à passer à côté, c'est la pauvreté, le non développement, le sous développement, le développement ralenti au cours de ces dernières années, l'endettement £ tout cela réuni, il appartient maintenant aux nations riches et prêteuses d'aborder carrément les mois à venir.
- C'est pour cela que j'ai successivement, à Toronto, puis à la tribune des Nations unies, invité les pays industriels et l'ensemble des nations du monde à considérer le problème de l'endettement comme une priorité. Nous sommes passés de la parole au geste puisqu'après avoir énuméré à Toronto trois réponses possibles afin de réduire l'endettement, nous avons indiqué notre préférence, nous l'avons mise aussitôt à exécution à la fois avec une consultation du Club de Paris mais aussi en prenant une décision unilatérale suivie par d'autres pays, comme la Belgique en particulier ou le Canada à Dakar, afin de bien marquer que, pour ce qui la concernait, la France entendait procéder à des remises de créances totales à l'égard des trente-cinq pays les plus pauvres parmi ceux auxquels nous avions prêté.
- Cela a été accueilli favorablement avec parfois une pointe d'inquiétude ou de jalousie dès lors que ces pays se trouvaient juste au-dessus du niveau qui avait été fixé. Nous avons même élargi nos dispositions financières en facilitant la tâche de pays comme Madagascar, comme le Gabon qui se trouvaient hors de nos définitions.
- Le Parlement a souscrit aux propositions que j'avais faites puisque j'avais indiqué à Dakar que je les adresserais au gouvernement qui lui-même saisirait le Parlement pour que, selon les normes de nos institutions, le Parlement fût en dernier ressort celui qui décidait. Cela a été accompli.\
Nous avons également abordé le problème des pays dits à revenu intermédiaire qui sont en mesure désormais de négocier avec les banques, les accords de rééchelonnement assortis d'un allègement substantiel de leurs créances. J'avais saisi les institutions financières. C'était le thème essentiel de nos propos tenus aux Nations unies. Je peux dire que nous avons à la fois eu des satisfactions et aussi connu quelques déceptions. La plus grave déception fut de constater que nous avions encore à convaincre nos partenaires.
- Vous connaissez les chiffres, du moins les pourcentages £ c'est la France qui fait nettement l'effort le plus important par rapport à son produit intérieur brut. Nous marchons, il faut le dire, au ralenti mais enfin nous avançons vers les 0,16 % de ce revenu intérieur brut demandé par les institutions internationales et promis par nous-mêmes, compte non tenu des sommes qui vont vers nos départements et territoires d'Outre mer. C'est-à-dire que notre effort est conséquent, il sera poursuivi. C'est un effort assez rude pour nous mais nous distançons de la sorte nos suivants immédiats qui sont le Canada et l'Allemagne et nous laissons très loin derrière nous les pays comme les Etats-Unis d'Amérique et le Japon qui proposent de vastes plans à chaque tournant mais qui ne déboursent jamais aussi peu. On s'émerveille à chacune de nos rencontres internationales de la générosité de pays notamment comme le Japon qui nous saisit - pour un peu il nous tirerait des larmes ! - devant la situation désastreuse des pays les plus pauvres. Si ces deux très puissants pays que sont les Etats-Unis d'Amérique et le Japon fournissaient un effort comparable au nôtre, le problème serait réglé.\
Nous avons quand même obtenu certaines satisfactions sur les thèmes abordés au cours des rencontres entre la France et les pays d'Afrique : on a obtenu la mise en place d'un observatoire du Sahel, du Sahara, une contribution importante à la lutte contre la sécheresse, contre les avancées du désert, contre les dangers acridiens. On a même abordé des problèmes qui ne sont pas sans rapport avec les difficultés de ce qu'on appelle le tiers monde, avec la pauvreté dans le monde : problèmes qui touchent à la drogue, c'est-à-dire à la culture, au trafic. Le producteur pauvre, s'il est Colombien - c'est le plus connu aujourd'hui mais ce n'est pas le pire - est incité à cesser la production néfaste pour la santé humaine, mais en même temps, un accord international revient sur des dispositions prises pour contribuer au développement de la culture du café et cette seule décision - prise bien entendu sans l'accord de la France - réduit considérablement les moyens de lutte contre la drogue. On retire à ce pays beaucoup plus qu'on ne lui donne en contribuant aux moyens de cette lutte. C'est dire que tout cela est illogique, ce n'est pas cohérent, il est grand temps qu'une stratégie mondiale de lutte contre la drogue soit mise au net, c'est en tout cas ce à quoi nous nous efforçons.\
Il faut dire que le seul point de satisfaction qui est le nôtre, qui n'est pas négligeable car il a une valeur d'entrainement, ce sont les dispositions très positives de la Communauté des Douze qui dans beaucoup de cas assure le relais et même démultiplie les efforts de la France. On a pu constater, avec véritablement le souci de rendre justice à nos partenaires, qu'après quelques craintes, les accords de Lomé IV ont pu aboutir à quelques 12 milliards d'Ecus alors que le point de départ du côté des plus réticents ne dépassait pas 9 milliards et que la plupart des participants à ces délibérations n'avaient pas osé espérer qu'on dépasserait 10,5, 11. C'est dire que ces pays-là n'y auront pas été pour rien. Ils ont perçu soudain l'ampleur de la tâche de devoir moral et politique qui leur incombait.
- Naturellement, tous ces pays et le nôtre sont sollicités de toutes parts et, je le répète pour vous, aussi lourde que soit notre charge financière, nous n'entendons pas substituer les aides et les concours à l'Europe de l'Est - et pourtant là aussi nous agirons - aux efforts accomplis jusqu'ici en Afrique, dans l'ensemble des pays francophones et dans les pays non francophones qui ont une relation particulière avec la France. Donc, nous ne diminuerons pas cette aide. Encore faut-il lutter et obtenir de nos financiers, qui ont le souci de nos équilibres, que la France à elle seule doit sur tous les fronts apporter un concours tandis que nos propres concitoyens dans bien des domaines en sont encore à demander ce qui ne serait qu'une simple justice pour eux : l'amélioration de leur sort, de leur condition et de leur salaire.
- Les conséquences politiques des événements qui se produisent à l'Est n'ont pas lieu d'être discutées ici mais pour vous, mesdames et messieurs, en tant que citoyens mais aussi en tant que responsables pour une part du devenir de la France c'est une matière à mûre réflexion.\
Les conflits à l'intérieur même du domaine des Etats africains restent préoccupants. Je n'insisterai pas, le feu couve sous la cendre : très vif reste le conflit, le débat, le "différend" comme on l'appellait, entre le Sénégal et la Mauritanie £ la Corne de l'Afrique va de conflit en crispation, les populations en souffrent de plus en plus. Enfin en Afrique australe, on peut saluer l'accession prochaine de la Namibie à l'indépendance mais il y a des troubles en Angola, en Mozambique et si en Afrique du Sud les progrès sont sensibles il faut bien se dire qu'aucune solution ne sera véritablement atteinte tant que durera l'apartheid.\
Vous êtes donc, mesdames et messieurs, les postes avancés de la France dans le monde et sur un point de ce monde sensible, frappé de saisons en saisons, d'années en années et de plus en plus par la rigueur de la politique des hommes, par les rigueurs de la nature et par la rigueur de systèmes politiques ou économiques qui n'ont pas toujours su s'adapter aux obligations du moment.
- Vous avez la valeur de représentation de la France et en raison des accords qui existent valeur de conseils. Vous avez un rôle d'information - sur lequel vous devez être très vigilants - pour les ministres responsables dans le domaine où vous êtes. Vous devez informer directement M. le ministre des affaires étrangères mais aussi M. le ministre de la coopération et de façon un peu moins directe les ministres multiples que je ne puis citer mais je pense au ministre de l'économie et des finances, je pense au ministre de la défense etc... ils ont besoin d'être exactement informés à commencer bien entendu par le Premier ministre.
- Je me tiens moi-même à la disposition de tous pour être en mesure de décider ce qu'il convient de décider avec les moyens dont nous disposons - et quelquefois même au-delà des moyens dont nous disposons - de telle sorte qu'il nous faut étaler nos prévisions sur plusieurs années devant des millions de gens qui en sont à une semaine près. Cette tâche est vaste, elle est difficile, elle est exaltante. Il nous faut préparer la prochaine rencontre de juin. C'est vous qui la préparerez. Je sais que l'on peut compter sur vous, ce n'est pas par hasard si vous occupez ces fonctions c'est parce qu'il doit exister plusieurs facteurs réunis, celui de la confiance et celui de la compétence. Encore faut-il savoir que ce monde bouge et change de face, non pas de jour en jour mais de semestre en semestre, tandis que les réalités permanentes, séculaires et même millénaires continuent d'inspirer une culture, continuent de modeler le caractère et la sensibilité des hommes. Et vous devez, vous, réaliser la synthèse entre le renouvellement permanent des problèmes qui se posent et la permanence profonde des réalités de l'Afrique.
- La France dans tout cela est un élément tout à fait particulier, original £ nous sommes là au travers de la période coloniale et quel paradoxe ! Parce que la France a eu une certaine sensibilité, une certaine approche de ces problèmes, elle continue d'apparaître comme le pays vers lequel on se tourne pour franchir l'étape suivante !
- C'est pour cela qu'il nous faut compter sur votre travail. Vous venez d'en apporter le témoignage. Je vous en remercie. J'espère qu'il me sera donné à d'autres reprises de poursuivre ce dialogue. Je fais confiance aux ministres, comme à vous mêmes pour qu'en fin de compte, la France en tire le bénéfice que mérite son histoire.\
- Je suis très heureux de vous recevoir ici ce soir à l'issue de vos travaux.
- Il est très important que les représentants de la France puissent non seulement nous rencontrer mais aussi se rencontrer et échanger leurs expériences, leurs informations, leurs projets. Vous avez donc pu discuter autant que possible à fond des questions placées à l'ordre du jour.
- Cette rencontre ne doit pas avoir qu'un seul aspect protocolaire, c'est aussi pour moi l'occasion de revoir ou de connaître celles et ceux qui sont ici, qui sont non seulement des représentants de la République mais qui sont aussi mes représentants personnels dans des affaires qui relèvent de la stratégie mondiale de la France, de nos relations extérieures mais aussi de l'image de la France et de son devenir dans des régions où nous avons une existence historique déjà ancienne et forte - particulièrement l'Afrique - dont on mesure aisément l'importance. Cela n'est pas nouveau. Encore faut-il s'adapter aux conditions nouvelles qui s'affermissent chaque jour, soit dans un Etat donné, soit dans les relations amicales ou conflictuelles entre les Etats.
- Parmi les liens les plus forts se trouve être l'emploi de notre langue. Notre langue commune, c'est la leur, c'est la nôtre enrichie par des apports mutuels. La langue française, après cette longue expérience vécue en commun avec d'autres cultures, ne sera plus exactement la même : elle sera enrichie et non pas appauvrie, elle continuera d'être la langue française. Sans ces pays dont on connait les difficultés parmi les plus rudes de la planète, la France n'aurait pas la place qu'elle occupe sur la scène internationale.\
Vous vivez chaque jour la crise qui sévit sur ce continent, des difficultés économiques qui paraissent souvent insurmontables, qui ne le sont pas, mais qui pèseront longtemps encore sur le développement de ces populations.
- Le monde alentour et particulièrement les nations les plus riches, les nations industriellement fortes parmi lesquelles se situe la France précisément, comprendront-ils à temps où se trouve leur intérêt et leur devoir ? Il est de la plus haute importance, pour nous Français en particulier mais aussi pour les populations qui vivent sur ce continent, de voir l'Afrique se marginaliser, être considérée comme une terre stérile pour n'offrir plus que des possibilités de recherche, d'exploitation du sol et du sous-sol par les autres en oubliant des millions de femmes et d'hommes qui vivent sur ce sol même.
- Faut-il insister sur les symptômes de cette crise économique assortie d'une démographie non maîtrisée, démographie globale et démographie comparée entre les villes, les capitales, les grands centres urbains et le reste du pays. Ils provoquent des déséquilibres parfois effarants sans oublier les effets, les aléas climatiques. Nous approchons là de la politique mondiale, de l'imprévisibilité des cours des matières premières, des richesses naturelles de ces pays que nous encourageons à organiser les années à venir autour de plans mûrement étudiés, auxquels vous prenez généralement une large part, et qui se trouvent annulés en l'espace d'une semaine par des variations commandées en raison d'intérêts qui s'affirment à Londres, à Chicago ou ailleurs. Bref, du domaine de la spéculation.
- Nous avons essayé, nous essayons toujours, nous continuerons d'essayer d'alerter l'opinion publique au travers des institutions internationales responsables : les Nations unies, la banque internationale et surtout le fonds monétaire international. Nous avons alerté les conférences du type "conférence des grands pays industriels" que nous présidions cette année, nous avons alerté le Conseil européen, le Conseil des ministre de l'Europe des Douze, toutes instances où il devrait être possible de dessiner une parade, une réponse à l'aggravation du dommage.\
De toutes sortes sont les réponses à apporter, mais il en est une à laquelle on ne pourra pas longtemps échapper même si chacun s'applique aujourd'hui à passer à côté, c'est la pauvreté, le non développement, le sous développement, le développement ralenti au cours de ces dernières années, l'endettement £ tout cela réuni, il appartient maintenant aux nations riches et prêteuses d'aborder carrément les mois à venir.
- C'est pour cela que j'ai successivement, à Toronto, puis à la tribune des Nations unies, invité les pays industriels et l'ensemble des nations du monde à considérer le problème de l'endettement comme une priorité. Nous sommes passés de la parole au geste puisqu'après avoir énuméré à Toronto trois réponses possibles afin de réduire l'endettement, nous avons indiqué notre préférence, nous l'avons mise aussitôt à exécution à la fois avec une consultation du Club de Paris mais aussi en prenant une décision unilatérale suivie par d'autres pays, comme la Belgique en particulier ou le Canada à Dakar, afin de bien marquer que, pour ce qui la concernait, la France entendait procéder à des remises de créances totales à l'égard des trente-cinq pays les plus pauvres parmi ceux auxquels nous avions prêté.
- Cela a été accueilli favorablement avec parfois une pointe d'inquiétude ou de jalousie dès lors que ces pays se trouvaient juste au-dessus du niveau qui avait été fixé. Nous avons même élargi nos dispositions financières en facilitant la tâche de pays comme Madagascar, comme le Gabon qui se trouvaient hors de nos définitions.
- Le Parlement a souscrit aux propositions que j'avais faites puisque j'avais indiqué à Dakar que je les adresserais au gouvernement qui lui-même saisirait le Parlement pour que, selon les normes de nos institutions, le Parlement fût en dernier ressort celui qui décidait. Cela a été accompli.\
Nous avons également abordé le problème des pays dits à revenu intermédiaire qui sont en mesure désormais de négocier avec les banques, les accords de rééchelonnement assortis d'un allègement substantiel de leurs créances. J'avais saisi les institutions financières. C'était le thème essentiel de nos propos tenus aux Nations unies. Je peux dire que nous avons à la fois eu des satisfactions et aussi connu quelques déceptions. La plus grave déception fut de constater que nous avions encore à convaincre nos partenaires.
- Vous connaissez les chiffres, du moins les pourcentages £ c'est la France qui fait nettement l'effort le plus important par rapport à son produit intérieur brut. Nous marchons, il faut le dire, au ralenti mais enfin nous avançons vers les 0,16 % de ce revenu intérieur brut demandé par les institutions internationales et promis par nous-mêmes, compte non tenu des sommes qui vont vers nos départements et territoires d'Outre mer. C'est-à-dire que notre effort est conséquent, il sera poursuivi. C'est un effort assez rude pour nous mais nous distançons de la sorte nos suivants immédiats qui sont le Canada et l'Allemagne et nous laissons très loin derrière nous les pays comme les Etats-Unis d'Amérique et le Japon qui proposent de vastes plans à chaque tournant mais qui ne déboursent jamais aussi peu. On s'émerveille à chacune de nos rencontres internationales de la générosité de pays notamment comme le Japon qui nous saisit - pour un peu il nous tirerait des larmes ! - devant la situation désastreuse des pays les plus pauvres. Si ces deux très puissants pays que sont les Etats-Unis d'Amérique et le Japon fournissaient un effort comparable au nôtre, le problème serait réglé.\
Nous avons quand même obtenu certaines satisfactions sur les thèmes abordés au cours des rencontres entre la France et les pays d'Afrique : on a obtenu la mise en place d'un observatoire du Sahel, du Sahara, une contribution importante à la lutte contre la sécheresse, contre les avancées du désert, contre les dangers acridiens. On a même abordé des problèmes qui ne sont pas sans rapport avec les difficultés de ce qu'on appelle le tiers monde, avec la pauvreté dans le monde : problèmes qui touchent à la drogue, c'est-à-dire à la culture, au trafic. Le producteur pauvre, s'il est Colombien - c'est le plus connu aujourd'hui mais ce n'est pas le pire - est incité à cesser la production néfaste pour la santé humaine, mais en même temps, un accord international revient sur des dispositions prises pour contribuer au développement de la culture du café et cette seule décision - prise bien entendu sans l'accord de la France - réduit considérablement les moyens de lutte contre la drogue. On retire à ce pays beaucoup plus qu'on ne lui donne en contribuant aux moyens de cette lutte. C'est dire que tout cela est illogique, ce n'est pas cohérent, il est grand temps qu'une stratégie mondiale de lutte contre la drogue soit mise au net, c'est en tout cas ce à quoi nous nous efforçons.\
Il faut dire que le seul point de satisfaction qui est le nôtre, qui n'est pas négligeable car il a une valeur d'entrainement, ce sont les dispositions très positives de la Communauté des Douze qui dans beaucoup de cas assure le relais et même démultiplie les efforts de la France. On a pu constater, avec véritablement le souci de rendre justice à nos partenaires, qu'après quelques craintes, les accords de Lomé IV ont pu aboutir à quelques 12 milliards d'Ecus alors que le point de départ du côté des plus réticents ne dépassait pas 9 milliards et que la plupart des participants à ces délibérations n'avaient pas osé espérer qu'on dépasserait 10,5, 11. C'est dire que ces pays-là n'y auront pas été pour rien. Ils ont perçu soudain l'ampleur de la tâche de devoir moral et politique qui leur incombait.
- Naturellement, tous ces pays et le nôtre sont sollicités de toutes parts et, je le répète pour vous, aussi lourde que soit notre charge financière, nous n'entendons pas substituer les aides et les concours à l'Europe de l'Est - et pourtant là aussi nous agirons - aux efforts accomplis jusqu'ici en Afrique, dans l'ensemble des pays francophones et dans les pays non francophones qui ont une relation particulière avec la France. Donc, nous ne diminuerons pas cette aide. Encore faut-il lutter et obtenir de nos financiers, qui ont le souci de nos équilibres, que la France à elle seule doit sur tous les fronts apporter un concours tandis que nos propres concitoyens dans bien des domaines en sont encore à demander ce qui ne serait qu'une simple justice pour eux : l'amélioration de leur sort, de leur condition et de leur salaire.
- Les conséquences politiques des événements qui se produisent à l'Est n'ont pas lieu d'être discutées ici mais pour vous, mesdames et messieurs, en tant que citoyens mais aussi en tant que responsables pour une part du devenir de la France c'est une matière à mûre réflexion.\
Les conflits à l'intérieur même du domaine des Etats africains restent préoccupants. Je n'insisterai pas, le feu couve sous la cendre : très vif reste le conflit, le débat, le "différend" comme on l'appellait, entre le Sénégal et la Mauritanie £ la Corne de l'Afrique va de conflit en crispation, les populations en souffrent de plus en plus. Enfin en Afrique australe, on peut saluer l'accession prochaine de la Namibie à l'indépendance mais il y a des troubles en Angola, en Mozambique et si en Afrique du Sud les progrès sont sensibles il faut bien se dire qu'aucune solution ne sera véritablement atteinte tant que durera l'apartheid.\
Vous êtes donc, mesdames et messieurs, les postes avancés de la France dans le monde et sur un point de ce monde sensible, frappé de saisons en saisons, d'années en années et de plus en plus par la rigueur de la politique des hommes, par les rigueurs de la nature et par la rigueur de systèmes politiques ou économiques qui n'ont pas toujours su s'adapter aux obligations du moment.
- Vous avez la valeur de représentation de la France et en raison des accords qui existent valeur de conseils. Vous avez un rôle d'information - sur lequel vous devez être très vigilants - pour les ministres responsables dans le domaine où vous êtes. Vous devez informer directement M. le ministre des affaires étrangères mais aussi M. le ministre de la coopération et de façon un peu moins directe les ministres multiples que je ne puis citer mais je pense au ministre de l'économie et des finances, je pense au ministre de la défense etc... ils ont besoin d'être exactement informés à commencer bien entendu par le Premier ministre.
- Je me tiens moi-même à la disposition de tous pour être en mesure de décider ce qu'il convient de décider avec les moyens dont nous disposons - et quelquefois même au-delà des moyens dont nous disposons - de telle sorte qu'il nous faut étaler nos prévisions sur plusieurs années devant des millions de gens qui en sont à une semaine près. Cette tâche est vaste, elle est difficile, elle est exaltante. Il nous faut préparer la prochaine rencontre de juin. C'est vous qui la préparerez. Je sais que l'on peut compter sur vous, ce n'est pas par hasard si vous occupez ces fonctions c'est parce qu'il doit exister plusieurs facteurs réunis, celui de la confiance et celui de la compétence. Encore faut-il savoir que ce monde bouge et change de face, non pas de jour en jour mais de semestre en semestre, tandis que les réalités permanentes, séculaires et même millénaires continuent d'inspirer une culture, continuent de modeler le caractère et la sensibilité des hommes. Et vous devez, vous, réaliser la synthèse entre le renouvellement permanent des problèmes qui se posent et la permanence profonde des réalités de l'Afrique.
- La France dans tout cela est un élément tout à fait particulier, original £ nous sommes là au travers de la période coloniale et quel paradoxe ! Parce que la France a eu une certaine sensibilité, une certaine approche de ces problèmes, elle continue d'apparaître comme le pays vers lequel on se tourne pour franchir l'étape suivante !
- C'est pour cela qu'il nous faut compter sur votre travail. Vous venez d'en apporter le témoignage. Je vous en remercie. J'espère qu'il me sera donné à d'autres reprises de poursuivre ce dialogue. Je fais confiance aux ministres, comme à vous mêmes pour qu'en fin de compte, la France en tire le bénéfice que mérite son histoire.\