20 décembre 1989 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République accordée à la télévision est-allemande le 20 décembre 1989, notamment sur les relations entre la France et la RDA, la position française face au problème de la réunification de l'Allemagne et le désarmement.
QUESTION.- Monsieur le Président votre voyage en RDA se déroule à un moment décisif de l'évolution de mon pays. Qu'attendez-vous de votre visite ?
- LE PRESIDENT.- J'attends d'abord de pouvoir parler avec les dirigeants d'une situation, en effet, assez extraordinaire, c'est-à-dire en pleine mutation. Et ce sera pour moi très enrichissant de connaître l'opinion de ceux qui se trouvent aujourd'hui aux postes de commande. J'attends aussi une relation aussi directe que possible avec le peuple allemand de RDA.
- Je rencontrerai certains représentants du monde littéraire, artistique, historique, philosophique, de l'ensemble de ces données, je tirerai un enrichissement personnel dans ma connaissance du problème que vous vivez et que nous tous en Europe vivons avec vous. Puis il y aura des décisions politiques, économiques à prendre. Je serai porteur d'un certain nombre d'informations émanant de la Communauté économique européenne. C'est-à-dire que moi aussi j'ai des choses à dire à mes hôtes allemands.
- J'attends donc de ce voyage un rapprochement entre deux pays qui se connaissent assez mal et qui ont besoin de se rapprocher.\
QUESTION.- Au cours des derniers sommets de l'OTAN et de la CEE à Bruxelles, à Strasbourg et à Paris, vous avez souligné l'importance du respect de l'intégrité des frontières en Europe. Pourquoi insistez-vous toujours sur ce point ?
- LE PRESIDENT.- J'insiste sur ce point et sur quelques autres. Ce n'est pas moi qui insiste sur ce point. Toutes les réunions internationales auxquelles j'ai pris part ont dit la même chose. A Strasbourg, les douze ont voté unanimement, une résolution qui comporte l'ensemble des données, le rappel des principes d'Helsinki et donc de l'inviolabilité des frontières. Cela paraît utile, alors que beaucoup de questions se posent. Le problème allemand - les relations entre les deux Etats allemands - presente des caractères très particuliers, et on peut en effet imaginer toute une série de réponses à la question posée. Pour l'ensemble de l'Europe actuelle, il ne serait pas bon, il serait même très dangereux de remettre en cause les frontières telles qu'elles existent. Ce serait un désordre général. Je pense que deux voies ouvertes pour les Allemands sont la voie démocratique, on y va, il y aura des élections dans un avenir assez proche, notamment en RDA, et la voie pacifique : il faut que le mouvement qui vient d'Allemagne se trouve conforté par la confiance des autres. Voilà pourquoi j'en parle si souvent.
- QUESTION.- Comment envisagez-vous les rôles des deux Etats allemands dans une maison commune européenne ?
- LE PRESIDENT.- Moi, j'ai bien quelques idées, mais il importe d'abord que les deux Etats allemands en aient et autant que possible qu'ils s'accordent sur ce qu'il convient de faire.
- Voilà pourquoi la démarche démocratique est indispensable. Les dirigeants élus par le peuple seront en mesure de savoir ce qu'il convient de faire pour ce peuple. Ils en auront pratiquement reçu le mandat. J'ai bien lu tous les textes qui me parviennent, qui émanent de nombreuses personnalités allemandes de l'Est ou de l'Ouest, des propositions de M. Modrow, aux propositions du Chancelier Kohl, ou bien du Président von Weizsäcker ou encore du SPD. Il appartient d'abord aux Allemands de se déterminer. Quant à moi je suis à la tête d'un pays ami de l'Allemagne. Amitié conquise sur les souvenirs d'une histoire récente. Avec l'Allemagne fédérale nous avons pu, en raison de la proximité de nos systèmes, bâtir une amitié solide. Je ne demande qu'à construire des fondements du même ordre avec la République démocratique allemande. Et donc, si je peux contribuer, si la France peut contribuer à une évolution harmonieuse pour tous, elle le fera, mais je n'ai pas à me substituer en cet instant à l'expression populaire et à la décision des responsables, des élus, prochainement élus, de l'ensemble de l'Allemagne.\
QUESTION.- Monsieur le Président, après Malte, Bruxelles et Budapest, où voyez-vous des domaines d'intérêt commun entre la France et la RDA pour la poursuite du désarmement ?
- LE PRESIDENT.- Nous y avons tous le plus grand intérêt. Pour l'instant nous sommes dans une phase qui, sur le plan nucléaire, concerne essentiellement les deux plus grandes puissances que sont les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique qui disposent de quelques 12000 à 13000 charges nucléaires chacune. Les autres armements nucléaires n'ont pas de commune mesure - je pense aux Anglais, je pense aux Français - s'ils ont l'un et l'autre atteint ce que l'on appelle le seuil de suffisance, c'est-à-dire assez d'armes pour ne pas avoir besoin d'en avoir davantage et pour interdire le recours à la guerre. Il faut donc d'abord que les deux plus grandes puissances parviennent à un accord sur la réduction des différentes formes d'armement nucléaire. Ils l'ont fait pour les armes à moyenne portée. Ils ont entrepris de le faire pour leurs armes stratégiques. J'attends la suite, quand ils auront fait un effort suffisant, je verrai comment la France pourra contribuer elle aussi à un désarmement général.
- Ce qui a été fait sur le plan chimique est très bien, cela a été décidé lors de la conférence de Paris au début de cette année, on a besoin de continuer, de confirmer. Nous encourageons très vivement les différents détenteurs d'armes chimiques à s'en défaire et ne pas s'armer dans ce domaine. De même pour ce qui concerne l'armement conventionnel, je pense que l'on a pris un bon tournant à Vienne. Je pense que tout ce qui se passe actuellement montre qu'il y a besoin d'accélérer le processus. De ce point de vue, je suis tout à fait d'accord avec M. Gorbatchev pour tenir une réunion de la CSCE qui précéderait la conférence d'Helsinki II qui avait été initialement prévue.
- Donc, on a tout intérêt, vous et nous, votre situation est différente de la nôtre, c'est certain, adaptons nos réponses aux questions qui sont posées et qui sont de nature différente.\
QUESTION.- Le Conseil européen, sous votre présidence, s'est récemment prononcé à Strasbourg pour la conclusion d'un accord commercial et de coopération entre la RDA et la CEE, l'année prochaine. Que pensez-vous personnellement de ce sujet ?
- LE PRESIDENT.- Mais c'est une très bonne chose. Cela s'est décidé sous ma présidence et cela a été négocié sous la présidence du ministre des affaires étrangères français, M. Roland Dumas. Je puis vous annoncer que cette décision a été votée et adoptée hier par le Conseil des ministres de la Communauté européenne. Cette décision comporte mandat donné pour engager la négociation qui devrait se terminer dans les six mois qui viennent. Donc c'est une bonne nouvelle et si vous me demandez mon avis personnel, je trouve que c'est très bien et il faudrait en faire davantage.
- Permettez-moi de vous dire encore un mot. Je ne voudrais pas manquer cette occasion de rendez-vous avec le peuple allemand de RDA pour lui dire l'intérêt que je porte au voyage qui commence cet après-midi et qui, pendant un peu plus de deux jours, me permettra d'écouter et d'essayer de mieux comprendre les besoins de ce peuple. En attendant, je voudrais qu'il reçoive un message d'amitié et de confiance.\
- LE PRESIDENT.- J'attends d'abord de pouvoir parler avec les dirigeants d'une situation, en effet, assez extraordinaire, c'est-à-dire en pleine mutation. Et ce sera pour moi très enrichissant de connaître l'opinion de ceux qui se trouvent aujourd'hui aux postes de commande. J'attends aussi une relation aussi directe que possible avec le peuple allemand de RDA.
- Je rencontrerai certains représentants du monde littéraire, artistique, historique, philosophique, de l'ensemble de ces données, je tirerai un enrichissement personnel dans ma connaissance du problème que vous vivez et que nous tous en Europe vivons avec vous. Puis il y aura des décisions politiques, économiques à prendre. Je serai porteur d'un certain nombre d'informations émanant de la Communauté économique européenne. C'est-à-dire que moi aussi j'ai des choses à dire à mes hôtes allemands.
- J'attends donc de ce voyage un rapprochement entre deux pays qui se connaissent assez mal et qui ont besoin de se rapprocher.\
QUESTION.- Au cours des derniers sommets de l'OTAN et de la CEE à Bruxelles, à Strasbourg et à Paris, vous avez souligné l'importance du respect de l'intégrité des frontières en Europe. Pourquoi insistez-vous toujours sur ce point ?
- LE PRESIDENT.- J'insiste sur ce point et sur quelques autres. Ce n'est pas moi qui insiste sur ce point. Toutes les réunions internationales auxquelles j'ai pris part ont dit la même chose. A Strasbourg, les douze ont voté unanimement, une résolution qui comporte l'ensemble des données, le rappel des principes d'Helsinki et donc de l'inviolabilité des frontières. Cela paraît utile, alors que beaucoup de questions se posent. Le problème allemand - les relations entre les deux Etats allemands - presente des caractères très particuliers, et on peut en effet imaginer toute une série de réponses à la question posée. Pour l'ensemble de l'Europe actuelle, il ne serait pas bon, il serait même très dangereux de remettre en cause les frontières telles qu'elles existent. Ce serait un désordre général. Je pense que deux voies ouvertes pour les Allemands sont la voie démocratique, on y va, il y aura des élections dans un avenir assez proche, notamment en RDA, et la voie pacifique : il faut que le mouvement qui vient d'Allemagne se trouve conforté par la confiance des autres. Voilà pourquoi j'en parle si souvent.
- QUESTION.- Comment envisagez-vous les rôles des deux Etats allemands dans une maison commune européenne ?
- LE PRESIDENT.- Moi, j'ai bien quelques idées, mais il importe d'abord que les deux Etats allemands en aient et autant que possible qu'ils s'accordent sur ce qu'il convient de faire.
- Voilà pourquoi la démarche démocratique est indispensable. Les dirigeants élus par le peuple seront en mesure de savoir ce qu'il convient de faire pour ce peuple. Ils en auront pratiquement reçu le mandat. J'ai bien lu tous les textes qui me parviennent, qui émanent de nombreuses personnalités allemandes de l'Est ou de l'Ouest, des propositions de M. Modrow, aux propositions du Chancelier Kohl, ou bien du Président von Weizsäcker ou encore du SPD. Il appartient d'abord aux Allemands de se déterminer. Quant à moi je suis à la tête d'un pays ami de l'Allemagne. Amitié conquise sur les souvenirs d'une histoire récente. Avec l'Allemagne fédérale nous avons pu, en raison de la proximité de nos systèmes, bâtir une amitié solide. Je ne demande qu'à construire des fondements du même ordre avec la République démocratique allemande. Et donc, si je peux contribuer, si la France peut contribuer à une évolution harmonieuse pour tous, elle le fera, mais je n'ai pas à me substituer en cet instant à l'expression populaire et à la décision des responsables, des élus, prochainement élus, de l'ensemble de l'Allemagne.\
QUESTION.- Monsieur le Président, après Malte, Bruxelles et Budapest, où voyez-vous des domaines d'intérêt commun entre la France et la RDA pour la poursuite du désarmement ?
- LE PRESIDENT.- Nous y avons tous le plus grand intérêt. Pour l'instant nous sommes dans une phase qui, sur le plan nucléaire, concerne essentiellement les deux plus grandes puissances que sont les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique qui disposent de quelques 12000 à 13000 charges nucléaires chacune. Les autres armements nucléaires n'ont pas de commune mesure - je pense aux Anglais, je pense aux Français - s'ils ont l'un et l'autre atteint ce que l'on appelle le seuil de suffisance, c'est-à-dire assez d'armes pour ne pas avoir besoin d'en avoir davantage et pour interdire le recours à la guerre. Il faut donc d'abord que les deux plus grandes puissances parviennent à un accord sur la réduction des différentes formes d'armement nucléaire. Ils l'ont fait pour les armes à moyenne portée. Ils ont entrepris de le faire pour leurs armes stratégiques. J'attends la suite, quand ils auront fait un effort suffisant, je verrai comment la France pourra contribuer elle aussi à un désarmement général.
- Ce qui a été fait sur le plan chimique est très bien, cela a été décidé lors de la conférence de Paris au début de cette année, on a besoin de continuer, de confirmer. Nous encourageons très vivement les différents détenteurs d'armes chimiques à s'en défaire et ne pas s'armer dans ce domaine. De même pour ce qui concerne l'armement conventionnel, je pense que l'on a pris un bon tournant à Vienne. Je pense que tout ce qui se passe actuellement montre qu'il y a besoin d'accélérer le processus. De ce point de vue, je suis tout à fait d'accord avec M. Gorbatchev pour tenir une réunion de la CSCE qui précéderait la conférence d'Helsinki II qui avait été initialement prévue.
- Donc, on a tout intérêt, vous et nous, votre situation est différente de la nôtre, c'est certain, adaptons nos réponses aux questions qui sont posées et qui sont de nature différente.\
QUESTION.- Le Conseil européen, sous votre présidence, s'est récemment prononcé à Strasbourg pour la conclusion d'un accord commercial et de coopération entre la RDA et la CEE, l'année prochaine. Que pensez-vous personnellement de ce sujet ?
- LE PRESIDENT.- Mais c'est une très bonne chose. Cela s'est décidé sous ma présidence et cela a été négocié sous la présidence du ministre des affaires étrangères français, M. Roland Dumas. Je puis vous annoncer que cette décision a été votée et adoptée hier par le Conseil des ministres de la Communauté européenne. Cette décision comporte mandat donné pour engager la négociation qui devrait se terminer dans les six mois qui viennent. Donc c'est une bonne nouvelle et si vous me demandez mon avis personnel, je trouve que c'est très bien et il faudrait en faire davantage.
- Permettez-moi de vous dire encore un mot. Je ne voudrais pas manquer cette occasion de rendez-vous avec le peuple allemand de RDA pour lui dire l'intérêt que je porte au voyage qui commence cet après-midi et qui, pendant un peu plus de deux jours, me permettra d'écouter et d'essayer de mieux comprendre les besoins de ce peuple. En attendant, je voudrais qu'il reçoive un message d'amitié et de confiance.\