30 novembre 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors du dîner offert en l'honneur de M. Roh Tae-Woo, Président de la République de Corée du Sud et de son épouse, sur les relations franco-coréennes, la démocratisation dans les pays de l'Est et en Asie et les relations entre la CEE et le Pacifique, Paris, le 30 novembre 1989.

C'est un honneur pour moi, c'est un honneur pour nous qui vous recevons ce soir, que de vous accueillir, monsieur le Président et vous, madame, au Palais de l'Elysée ainsi que les personnalités qui vous accompagnent.
- J'ai tenu à ce que les relations anciennes et amicales entre votre pays et la France fussent couronnées par une visite d'Etat, la première qu'accomplit à Paris un Président de la République de Corée et je vous remercie d'avoir accepté cette invitation.
- Je suis heureux que votre séjour donne à mes compatriotes l'occasion de mieux connaître votre pays, un pays original, épris de beauté, nourri de culture dont l'histoire est grande.
- Dès le Moyen-Age, la grandeur de la civilisation coréenne passionnait les érudits qui la découvraient à travers les récits de voyages : du moine franciscain, Guillaume de Rubrouk, émissaire de Saint-Louis à Karakorum auprès de la cour du Grand Khan et ceux du marin hollandais Hamel relatés dans l'histoire moderne des Chinois et des peuples d'Asie de 1771 ou du Jésuite français Louis de Grammont. Voilà quelques sources parmi beaucoup d'autres qui ont enrichi les recherches des encyclopédistes du XVIIIème siècle.
- A partir du XIXème siècle, à travers les voyages autour du monde de Dumont d'Urville en 1834, mais surtout avec l'arrivée en Corée en 1836 des premiers pères de la société des Missions étrangères de Paris, je pense en particulier aux Pères Maubant et Chastan, la connaissance de votre pays s'est grandement développée. Ce n'est donc pas le fait du hasard si le premier grand spécialiste de la Corée en Occident, au XIXème, fut un diplomate français, Maurice Courant. Son oeuvre, particulièrement sa bibliographie coréenne en quatre volumes demeure encore aujourd'hui un monument d'érudition de référence internationale.\
Donc, culture très ancienne, mais ouverture sur le monde, car vous avez su réaliser à travers les temps la synthèse de la tradition la plus raffinée et de la modernité. Je pense que chacun en France, s'il s'intéresse à ces choses, a entendu parler de ce qu'il est convenu d'appeler le miracle coréen : en moins de 30 ans, votre pays a relevé le défi du développement et bâti une économie qui concurrence désormais, dans de nombreux domaines, les grandes puissances industrielles.
- Les conquêtes dont votre pays peut s'enorgueillir ne se situent pas seulement dans l'ordre économique et commercial. L'expansion est allée de pair avec les progrès de la démocratie. Car vous avez entrepris, monsieur le Président, de raffermir les libertés publiques et les droits de l'homme dans votre pays et vous vous montrez déterminé à poursuivre l'oeuvre commencée. Le combat pour la démocratie est souvent difficile, il n'est même jamais complètement achevé, on le sait bien. Mais c'est la seule voie possible désirable et je pense que l'histoire que nous vivons actuellement en Europe le démontre.\
Aujourd'hui comme jamais, depuis la deuxième guerre mondiale, la liberté est à l'ordre du jour en Europe. Des mots simples d'une force irrésistible sont prononcés par des millions de voix : liberté, élection, démocratie. Et vous êtes arrivé sur le continent européen, monsieur le Président, madame, en un moment où les peuples de ce que l'on appelle l'autre Europe, l'Europe de l'Est, ont pris la parole, eux qui s'étaient tus si longtemps.
- J'espère maintenant que là, s'établiront rapidement des institutions démocratiques dans ces pays qui répondront aux aspirations des citoyens et c'est alors que l'on pourra réellement parler de la défaite du totalitarisme.
- Nous avons, au cours de notre entretien cet après-midi, longuement parlé de tout cela car si ces événements nous passionnent nous autres Européens, ils vous concernent aussi, d'autant que vous avez souhaité, depuis que vous dirigez le pays, une politique d'ouverture vers l'Union soviétique et les pays d'Europe orientale.
- Votre visite à Budapest la semaine dernière, premier voyage d'un chef d'Etat coréen dans un pays de l'Est, en a été une démonstration importante.\
Mais il existe aussi une autre raison plus intime et plus douloureuse qui fait que les changements en cours sont vivement ressentis chez vous : vous portez vous aussi dans votre chair, celle de votre pays, la trace durable du deuxième conflit mondial et de la guerre froide. J'espère qu'un jour, le plus tôt possible, la péninsule coréenne bénéficiera d'un relâchement des tensions, semblable à celui que nous connaissons en Europe, même si c'est par des voies différentes.
- Nous savons les efforts que vous menez pour instaurer le dialogue et établir un climat de confiance, croyez bien qu'ils sont suivis avec la plus grande attention.
- Pour continuer à parler de l'Asie, je rappellerai que dans une autre partie du continent, la péninsule indochinoise que tant de liens unissent à la France, c'est aussi la voie de la réconciliation et du dialogue que mon pays s'efforce de promouvoir. Nous avons pris acte avec satisfaction du retrait des troupes vietnamiennes du Cambodge mais regretté aussi que cela n'ait pu s'accompagner d'un accord qui garantisse le retour à la paix civile et au libre choix par le peuple cambodgien. Chacun sait qu'il n'existe pas à ce terrible conflit, de solution imposée par les armes. Seul un règlement politique global peut rendre au Cambodge sa souveraineté, au peuple cambodgien son identité et sa dignité en le protégeant de toutes les menaces, en particulier celle d'un retour d'une sinistre période conduite par des fractions insensibles à tout ce qui s'appelle la douleur humaine ou le respect des autres.
- La conférence qui s'est tenue cet été à Paris a permis de définir les contours d'un règlement complet, comportant les contrôles et les garanties nécessaires pour prévenir de tels dangers et pour assurer au peuple kmer, l'exercice d'une liberté véritable. Eh bien, ce cadre reste disponible. La France se tient en contact étroit avec les pays concernés afin de lui redonner vie dès que les esprits y seront préparés. Nous souhaitons, nous espérons que la raison finira par l'emporter et que le processus amorcé reprendra sans tarder car il est nécessaire d'aboutir à un compromis acceptable par tous et qui aille dans le sens de la liberté et de l'indépendance. Alors, commencerait à s'apaiser l'un des derniers foyers de tension dans un continent, le vôtre, qui ne demande qu'à démontrer, dans la paix, ses immenses capacités de développement.\
La récente réunion de Canberra a souligné le rôle que joue votre pays dans l'ensemble économique du Pacifique en formation. La concertation qui s'instaure ne peut être que bénéfique à tous dès lors qu'elle s'inscrit dans le respect des règles du Gatt, de la conférence commerciale mondiale et elle vise à l'ouverture des échanges internationaux, à la réduction des inégalités et à une esquisse de solution du problème de la dette du tiers monde.
- La Communauté économique européenne aura vocation - elle l'a déjà - à devenir le partenaire de ce nouvel ensemble. Vos visites successives à Bonn, à Londres pour terminer à Paris, désignent bien votre objectif et ce que vous attendez de l'Europe. Quant à vous, nous y sommes prêts, tant pour le dialogue politique - et je veux souligner à cette occasion à quel point je me réjouis de l'instauration d'un contact institutionnalisé entre la Présidence française et la Corée - que sur le terrain des rapports économiques.
- Permettez-moi, monsieur le Président, madame, quelques mots sur cette construction communautaire que nous vivons nous, Européens, vue parfois comme une sorte de repli frileux sur une prospérité destinée à douze convives, parfois même comme une machine de guerre commerciale. En vérité, la réalité est tout autre, les Douze le disent et le prouvent : le renforcement de l'édifice communautaire, qui sera au centre des travaux du Conseil européen qui se tiendra à Strasbourg dans quelques jours, me paraît être la meilleure contribution que les Douze puissent apporter à la paix, à la sécurité, à la stabilité.\
Nous avons, vous et nous, tout à gagner à une plus grande ouverture l'un vers l'autre. J'ajouterai l'excellence de nos relations culturelles, ce n'est pas rien, c'est même capital, l'alliance française, centre culturel français, Séoul etc...
- Je citerai, pour terminer, ce proverbe coréen : "En dix ans, change la montagne et change la rivière". Il y a dix ans nous commencions à nous mieux connaître. Votre visite consacrera l'unité d'une coopération majeure qui je l'espère s'affirmera avec les années.
- Alors, je lève mon verre, monsieur le Président, madame, à votre santé, à celle de votre peuple, à celle de ceux qui vous sont chers ainsi qu'à vous mesdames et messieurs, qui avez accompagné le couple présidentiel.\