24 octobre 1989 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du déjeuner offert par M. Felipe Gonzalez, Président du Conseil espagnol, sur les relations franco-espagnoles et la construction européenne face à un rapprochement avec l'Europe de l'Est, Valladolid, le mardi 24 octobre 1989.
Cher Felipe,
- chers amis,
- Quel enfant de France cédant au prestige de l'histoire n'a pas rêvé aux noms de Castille ou de Leon. Cette histoire a été mêlée à la nôtre très souvent, elle a incarné l'aventure d'un peuple fier, difficile, isolé et elle a produit quelques-unes des plus grandes oeuvres universelles. Et, finalement, les Espagnes ont porté la marque de la Castille. Je n'entends pas m'immiscer dans les rivalités provinciales. Disant cela, je vois tout ce que je pourrais dire à propos de la Catalogne si j'étais à Barcelone ou en Andalousie. Mais c'est vrai que chacun des Etats, des royaumes, des provinces qui ont fait l'Espagne ont apporté quelque chose de plus non seulement à l'Espagne mais à l'Europe.
- Aujourd'hui les relations de l'Espagne et de la France sont bonnes, parmi les meilleures de l'histoire que nous avons vécue. Nous avons pourtant toutes les raisons qu'ont les voisins de privilégier leurs querelles. Je le rappelais ce matin, rien de pire que les conflits sur les lisières des propriétés et les murs mitoyens. Et pourtant nous avons, je crois, maintenant dominé ce complexe. Il ne reste vraiment rien, par exemple, de la déception française d'avoir vu Séville et Barcelone se substituer aux grandes villes françaises qui s'étaient proposées. Et après tout, puisque ce n'était pas la France, l'Espagne répondait bien aux voeux des Français. Quand nous aurons le TGV, ce sera encore plus facile !\
Je dirai la même chose - c'est pourquoi je vous l'épargnerai - que Felipe Gonzalez sur le développement de l'Europe de la Communauté. Nous nous trouvons placés devant les mêmes problèmes. Réussir l'intégration dans un même ensemble de 320 millions d'Européens, c'est déjà une tâche ardue et bientôt, quelque 140 à 150 millions d'autres commenceront de frapper à la porte, non pas forcément pour adhérer à la Communauté, mais pour prendre part à la vie commune de l'Europe. On se réjouit de voir les pays de l'Est s'ouvrir à l'ère de liberté et je m'en réjouis comme vous. Et pourtant c'est un équilibre qui se rompt sous nos yeux avec une grande puissance. L'Europe habituée à son partage, c'était simple. Donc, réjouissons-nous, mais cela va être très compliqué. Pour que naisse un nouvel équilibre, combien de temps, combien de convulsions, combien de contradictions seront nécessaires ? On dit toujours : "mais les pays de l'Est vont être entraînés par la séduction des méthodes et des façons de vivre de l'Ouest ou de la Communauté " Nous avons su résister à la concurrence d'un autre ordre, d'un autre système, parce que c'était l'affrontement direct. Faisons attention à ne pas être entraîné avec l'Est dans un mouvement d'où, finalement, seul triompherait le désordre, c'est-à-dire l'absence d'équilibre. Aujourd'hui, je ne vois qu'une réponse à cette question : l'Europe. Renforcer la Communauté, lui donner un contenu plus substantiel et surtout s'inspirer des valeurs qui entraîneront tous les Européens dans une forme nouvelle de coexistence.\
Il y a des années que je propose aux Français de s'éloigner de l'Europe de Yalta. Cela paraît désormais à portée de la main, mais comment s'appellera l'Europe de demain ? Il ne tient pas qu'à nous, mais il tient beaucoup à nous que cette Europe soit l'Europe communautaire. Elle portera à la fois le nom de Rome, de Luxembourg, de Madrid, de Paris et des autres villes, selon la nature des actes que nous saurons accomplir dans le temps qui vient. Je le répète, il n'y a pas d'autres réponses. Et pourtant contre cette évidence, comme contre toutes les évidences, beaucoup d'esprits se rebelleront. C'est dire que nous n'en avons pas fini avec une action de conviction à l'intérieur même de l'Europe des Douze. Il y a des pays qui ne consentent à aucun abandon de la plus modeste souveraineté, comme si depuis 30 à 35 ans, nous n'avons pas sans arrêt concédé à des autorités supranationales le soin de veiller à nos intérêts. A l'intérieur de chacun de nos pays, il est des hommes, des groupes d'hommes qui rêvent, des temps anciens, de l'identité farouchement défendue contre toute influence extérieure, ou qui se soumettent à l'avance à une sorte d'universalisme de mauvaise qualité et se contenteraient d'être pour un tiers européen, pour un autre tiers japonais et pour l'autre tiers américain. Comme il y a là quelques enzymes gloutons, le tiers européen finira devant la porte, prêt à être rejeté par un coup de balai.
- Je reconnais qu'il n'est plus possible de parler d'un quart russe. Il n'empêche que l'Union soviétique continuera de jouer un grand rôle dans notre histoire. Nous avons à assurer nos défense, nous ne devons pas vivre dans l'illusion, mais nous devons plus que jamais rester ouverts à la re-création de fortes amitiés avec les peuples de l'Est et, notamment, avec le peuple russe. Nous Français, nous avons surmonté la rivalité historique qui nous séparait des Allemands. Pourquoi, est-ce que nous, Européens de la Communauté nous ne dominerions pas le réflexe qui nous pousse à la suspicion permanente à l'égard de l'autre monde européen ?\
Enfin, il est important pour nous Français d'avoir constaté, à Valladolid comme lors des rencontres précédentes, que l'Espagne et la France marchent du même pas et dans la même direction. Je m'en réjouis £ il nous faut cependant y veiller : toute entreprise est toujours fragile et menacée.
- En attendant, levons nos verres à l'amitié franco-espagnole, hispano-française et à la santé de ceux qui nous reçoivent : gouvernement national, gouvernement régional, municipalité, enfin vous tous chers amis espagnols.\
- chers amis,
- Quel enfant de France cédant au prestige de l'histoire n'a pas rêvé aux noms de Castille ou de Leon. Cette histoire a été mêlée à la nôtre très souvent, elle a incarné l'aventure d'un peuple fier, difficile, isolé et elle a produit quelques-unes des plus grandes oeuvres universelles. Et, finalement, les Espagnes ont porté la marque de la Castille. Je n'entends pas m'immiscer dans les rivalités provinciales. Disant cela, je vois tout ce que je pourrais dire à propos de la Catalogne si j'étais à Barcelone ou en Andalousie. Mais c'est vrai que chacun des Etats, des royaumes, des provinces qui ont fait l'Espagne ont apporté quelque chose de plus non seulement à l'Espagne mais à l'Europe.
- Aujourd'hui les relations de l'Espagne et de la France sont bonnes, parmi les meilleures de l'histoire que nous avons vécue. Nous avons pourtant toutes les raisons qu'ont les voisins de privilégier leurs querelles. Je le rappelais ce matin, rien de pire que les conflits sur les lisières des propriétés et les murs mitoyens. Et pourtant nous avons, je crois, maintenant dominé ce complexe. Il ne reste vraiment rien, par exemple, de la déception française d'avoir vu Séville et Barcelone se substituer aux grandes villes françaises qui s'étaient proposées. Et après tout, puisque ce n'était pas la France, l'Espagne répondait bien aux voeux des Français. Quand nous aurons le TGV, ce sera encore plus facile !\
Je dirai la même chose - c'est pourquoi je vous l'épargnerai - que Felipe Gonzalez sur le développement de l'Europe de la Communauté. Nous nous trouvons placés devant les mêmes problèmes. Réussir l'intégration dans un même ensemble de 320 millions d'Européens, c'est déjà une tâche ardue et bientôt, quelque 140 à 150 millions d'autres commenceront de frapper à la porte, non pas forcément pour adhérer à la Communauté, mais pour prendre part à la vie commune de l'Europe. On se réjouit de voir les pays de l'Est s'ouvrir à l'ère de liberté et je m'en réjouis comme vous. Et pourtant c'est un équilibre qui se rompt sous nos yeux avec une grande puissance. L'Europe habituée à son partage, c'était simple. Donc, réjouissons-nous, mais cela va être très compliqué. Pour que naisse un nouvel équilibre, combien de temps, combien de convulsions, combien de contradictions seront nécessaires ? On dit toujours : "mais les pays de l'Est vont être entraînés par la séduction des méthodes et des façons de vivre de l'Ouest ou de la Communauté " Nous avons su résister à la concurrence d'un autre ordre, d'un autre système, parce que c'était l'affrontement direct. Faisons attention à ne pas être entraîné avec l'Est dans un mouvement d'où, finalement, seul triompherait le désordre, c'est-à-dire l'absence d'équilibre. Aujourd'hui, je ne vois qu'une réponse à cette question : l'Europe. Renforcer la Communauté, lui donner un contenu plus substantiel et surtout s'inspirer des valeurs qui entraîneront tous les Européens dans une forme nouvelle de coexistence.\
Il y a des années que je propose aux Français de s'éloigner de l'Europe de Yalta. Cela paraît désormais à portée de la main, mais comment s'appellera l'Europe de demain ? Il ne tient pas qu'à nous, mais il tient beaucoup à nous que cette Europe soit l'Europe communautaire. Elle portera à la fois le nom de Rome, de Luxembourg, de Madrid, de Paris et des autres villes, selon la nature des actes que nous saurons accomplir dans le temps qui vient. Je le répète, il n'y a pas d'autres réponses. Et pourtant contre cette évidence, comme contre toutes les évidences, beaucoup d'esprits se rebelleront. C'est dire que nous n'en avons pas fini avec une action de conviction à l'intérieur même de l'Europe des Douze. Il y a des pays qui ne consentent à aucun abandon de la plus modeste souveraineté, comme si depuis 30 à 35 ans, nous n'avons pas sans arrêt concédé à des autorités supranationales le soin de veiller à nos intérêts. A l'intérieur de chacun de nos pays, il est des hommes, des groupes d'hommes qui rêvent, des temps anciens, de l'identité farouchement défendue contre toute influence extérieure, ou qui se soumettent à l'avance à une sorte d'universalisme de mauvaise qualité et se contenteraient d'être pour un tiers européen, pour un autre tiers japonais et pour l'autre tiers américain. Comme il y a là quelques enzymes gloutons, le tiers européen finira devant la porte, prêt à être rejeté par un coup de balai.
- Je reconnais qu'il n'est plus possible de parler d'un quart russe. Il n'empêche que l'Union soviétique continuera de jouer un grand rôle dans notre histoire. Nous avons à assurer nos défense, nous ne devons pas vivre dans l'illusion, mais nous devons plus que jamais rester ouverts à la re-création de fortes amitiés avec les peuples de l'Est et, notamment, avec le peuple russe. Nous Français, nous avons surmonté la rivalité historique qui nous séparait des Allemands. Pourquoi, est-ce que nous, Européens de la Communauté nous ne dominerions pas le réflexe qui nous pousse à la suspicion permanente à l'égard de l'autre monde européen ?\
Enfin, il est important pour nous Français d'avoir constaté, à Valladolid comme lors des rencontres précédentes, que l'Espagne et la France marchent du même pas et dans la même direction. Je m'en réjouis £ il nous faut cependant y veiller : toute entreprise est toujours fragile et menacée.
- En attendant, levons nos verres à l'amitié franco-espagnole, hispano-française et à la santé de ceux qui nous reçoivent : gouvernement national, gouvernement régional, municipalité, enfin vous tous chers amis espagnols.\