19 octobre 1989 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'importance de la recherche scientifique et sur le CNRS, Paris le 19 octobre 1989.
Mesdames et messieurs,
- Comme l'a rappelé dans l'allocution préliminaire, monsieur le directeur général, il y a cinquante ans jour pour jour que le Centre National de la Recherche Scientifique a été créé.
- Dès l'origine, il s'est installé dans ces lieux. Vous avez rassemblé ici, aujourd'hui, pour cette célébration qui va se poursuivre par de nombreux événements, expositions, colloques, non seulement le personnel du CNRS mais aussi des savants du monde entier ainsi que les représentants de tous ceux qui font de la recherche en France. Ce cinquantenaire, c'est d'abord la fête du CNRS, c'est d'une façon plus générale, la fête de la recherche scientifique française. Par ma présence à cette cérémonie j'ai voulu souligner l'importance que j'attribue à la recherche et l'estime dans laquelle je tiens les chercheurs, ingénieurs, techniciens et agents administratifs de votre organisme.\
C'est un décret du 19 octobre 1939 qui a fondé le CNRS. Ce texte qui a vécu quelque temps dans une semi-clandestinité au début de la guerre avait été en réalité inspiré par Jean Perrin, physicien que vous connaissez tous, qui fut lui-même lauréat du Prix Nobel pour ses travaux sur la structure discontinue de la matière. Auteur enthousiaste d'ouvrages de popularisation de la science, fondateur du Palais de la Découverte, ministre de la recherche de 1936 à 1939, il a exprimé l'idéal de la science dans ces termes, je le cite : "la recherche scientifique est notre seule chance de créer des conditions d'existence vraiment nouvelles où la vie humaine sera pour tous de plus en plus libre et heureuse".
- Son enfant, le CNRS, doit beaucoup aux relations d'amitié qu'il sut entretenir avec ses camarades de l'Ecole normale supérieure, Léon Blum et Edouard Herriot. La République a besoin de savants mais leur action est favorisée quand les idéaux les plus exigeants de la démocratie sont à l'honneur. C'est ainsi que le rôle des hommes de science lors de la Révolution française a été crucial : récemment, une visite faite à la Villette m'a permis de considérer, d'apprendre et de constater qu'entre 1789 et 1799 un nombre considérable d'immenses savants et de grands chercheurs avaient illustré les avancées de l'esprit. Et je compte bien le faire remarquer à nouveau au mois de décembre, lors de la translation des cendres de Gaspar Monge au Panthéon.
- A l'époque du Front Populaire, Jean Perrin et quelques autres savants, les physiciens, ce sont vos anciens, il me plait de citer leurs noms, certains d'entre vous les ont connus : Jean Perrin, oui, déjà nommé, les physiciens Paul Langevin, Léon Brillouin, Aimé Cotton, le chimiste Georges Urbain et le physiologiste André Mayer, pour n'en citer que quelques-uns, ont ressenti le besoin de doter la recherche de moyens et d'un organisme qui permettrait à notre science de se développer. C'est au cours des années trente que fut créé le grand électro-aimant de Bellevue et décidée la construction de l'observatoire de Haute-Provence. Ces ensembles font encore partie intégrante du CNRS aujourd'hui.
- Après les vicissitudes de la seconde guerre mondiale, et tout le temps pendant lequel Frédéric Joliot-Curie, premier des directeurs généraux de cette époque, remplit le rôle que vous savez, le CNRS a connu quelques périodes fastes mais seulement quelques-unes avec parfois des dépressions : la première de ces périodes fastes se situe lors du gouvernement de Pierre Mendes-France en 1954, il s'est prolongé par le colloque de Caen de 1956 qui a dégagé un projet global de développement scientifique. C'est à cette époque que des scientifiques comme Louis Neel, Jean Dausset, Jacques Monod, commencent à s'affirmer. La seconde date des années 58 `1958`, sous l'impulsion du Général de Gaulle et je ne crois pas injuste de dire qu'il faut attendre ensuite les années 80 `1980` pour que la recherche scientifique retrouve la priorité qu'elle mérite, pour redevenir ce que j'ai appelé d'un terme un peu lyrique, qui a parfois fait sourire mais qui dit bien ce qu'il veut dire, la recherche, enfant chéri de la République.\
J'observerai d'abord que le CNRS est un organisme important par la taille. Il est aujourd'hui l'organisme de recherche le plus important en Europe par le nombre de ses chercheurs : on en a compté treize mille, de ses ingénieurs et techniciens, quelques quinze mille. Il rassemble l'ensemble des disciplines du savoir, allant des mathématiques jusqu'aux sciences humaines et l'ensemble de la société en passant bien sûr par les sciences expérimentales. Et les quatre exposés que nous avons entendus ont bien montré cette diversité et cette ampleur de la recherche. J'ai remarqué au passage à quel point les scientifiques qui se sont exprimés, généralement jeunes scientifiques, ce qui ne serait pas une qualité suffisante, avaient l'esprit clair et la parole aussi, ce qui n'est pas si négligeable non plus. Et je dois dire que ceux qui ne savent pas, dont je suis, apprennent toujours quelque chose dès lors qu'ils approchent ceux qui travaillent dans cette maison. Car le CNRS fournit des moyens qui sont matériels et qui sont intellectuels pour une recherche de qualité. On a réalisé et on gère de très grands équipements : accélérateurs de particules, microscopes électroniques, télescopes, bibliothèques de toute sorte. Et je sais, mesdames et messieurs, que vous ne relâchez pas votre effort : au cours de ce trimestre-ci, les radiotélescopes millimétriques du Plateau de Bure et votre grande bibliothèque scientifique de Nancy vont commencer à fonctionner.
- On peut dire que le CNRS et d'une façon générale l'ensemble de la recherche française valent bien l'estime que la France leur porte. J'ai été vraiment particulièrement heureux d'écouter parmi les quatre exposés que vous avez entendus, qui vous ont sans doute frappés par leur caractère concis et démonstratif, l'exposé du professeur Dominique Stehelin, directeur de recherche au CNRS, dont vous connaissez le rôle dans la découverte des oncogènes cellulaires, et j'ai plaisir à saluer ce savant comme j'ai eu plaisir à écouter les autres. Le CNRS a été associé, dans ce cas comme dans les autres, à tous les grands succès scientifiques remportés récemment par les Français, qu'ils soient ou qu'ils ne soient pas couronnés par des Prix Nobel : je citerai cependant les travaux sur le pompage optique d'Alfred Kastler, sur le magnétisme de Louis Neel, l'économie de Maurice Allais, les comptabilités tissulaires de Jean Dausset, sur l'influence de la géométrie des molécules, sur les réactions chimiques de Jean-Marie Lehn, et j'en passe.
- Combien ? Combien d'entre vous qui n'avez pas été mis à la portée du grand public par la consécration d'un prix et qui avez compté de façon déterminante dans les avancées de la science et de notre recherche française ?\
Une donnée qui ne m'est pas indifférente, à l'excellence scientifique, le CNRS a su ajouter un fonctionnement vraiment démocratique. Il est doté depuis son origine d'un "parlement" scientifique : le Comité national. Celui-ci est divisé en une quarantaine de commissions de spécialistes, constituées chacune de vingt-cinq acteurs de la recherche de tout grade, qui délibèrent sur les recrutements, les promotions ainsi que sur la politique scientifique qu'il convient de mener.
- Je n'aurai garde d'oublier votre esprit d'ouverture sur l'étranger, puisque je célèbre la science, la recherche française, encore faut-il savoir (comment pourrait-on raisonner autrement) que cette science ne peut se développer qu'en symbiose permanente avec ce que l'on fait à l'étranger, hors de nos frontières. Aujourd'hui, environ 700 chercheurs du CNRS ne sont pas des Français.
- Bref, je dirai que le CNRS constitue un espace de liberté dans lequel le chercheur et le technicien peuvent se livrer à leurs activités avec passion. Ce n'est pas un hasard si le nombre de candidats à l'intégration du CNRS est si élevé, posant souvent des problèmes si complexes. C'est aussi dans les laboratoires que se préparent de nombreuses thèses et que s'accomplit une grande partie de l'effort de formation par et pour la recherche.\
Pour autant, le CNRS ne se contente pas de remplir ses missions de recherche fondamentale. En janvier 1982, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la recherche et de la technologie, organisa, vous vous en souvenez, le grand colloque national qui a contribué à ouvrir le monde de la recherche à l'ensemble des préoccupations de la Nation. Et je crois que les chercheurs prirent alors mieux la mesure de l'importance de leur rôle par la diffusion de leurs connaissances auprès du plus grand nombre. Précisément, je tiens à saluer l'initiative du ministre d'aujourd'hui, Hubert Curien qui organise à la fin de l'année les Etats généraux de la culture scientifique, technique et industrielle. Tout cela s'inspire du même esprit, celui que j'ai moi-même voulu et parfois imposé dans les fonctions qui sont les miennes, mandaté par le peuple français pour développer l'ensemble de ces facultés, mais aussi pour choisir ces évidentes priorités toujours difficiles à faire admettre par les autres et qui cependant permettent à un pays comme le nôtre, à tout pays responsable de conduire la vie nationale et de préparer son destin. J'ai dit et répété que la recherche était - dans l'ensemble des formations et de l'éducation nationale - une absolue priorité. C'est pourquoi des moyens accrus, qui doivent l'être encore, ont été mis en place afin de vous permettre, vous et vos successeurs, de disposer du moyen de gagner la noble compétition, c'est la plus noble sur l'étendue de la planète. Il m'est arrivé de le dire souvent, l'important n'est pas de trouver, c'est un paradoxe, l'essentiel est qu'on cherche. Quand on cherche on trouve, même s'il arrive qu'on trouve sans chercher, mais je cherche pour l'instant, mais je ne connais pas encore beaucoup de cas !
- Votre ouverture sur la société se marque aussi par une bonne implantation dans les régions et par les initiatives très utiles prises, en particulier par vous-même, monsieur le directeur général, pour accroître et améliorer les rapports du CNRS avec l'industrie, ainsi qu'en témoignent de nombreux contrats. Est-il nécessaire de rappeler que l'Agence Nationale de la Valorisation de la Recherche - connue sous le nom d'ANVAR - est l'émanation de l'ancien bureau des brevets d'invention du CNRS ?\
Nous en serons facilement d'accord. La pratique scientifique n'est pas seulement source de progrès. J'ai cité Jean Perrin, je continue. Cette pratique conditionne le bien-être et la survie sans doute de l'espèce humaine. L'homme a besoin pour subsister - chacun s'en rend compte aujourd'hui - de protéger son environnement. Il est lui-même partie intégrante de la nature. Il est la nature. La recherche scientifique a donc pour objet de poursuivre ses efforts dans ce domaine-là pour répondre à une exigence fondamentale. Nombreux sont les chercheurs qui prennent leur part à l'ensemble de ces travaux et plus particulièrement me disait-on dans la création de l'Observatoire mondial de l'Environnement ainsi que dans la future Agence européenne dont le principe vient d'être décidé.
- Mais les scientifiques doivent en même temps améliorer leurs moyens de lutte contre les maux, catastrophes, souffrances de toute sorte dont l'humanité est frappée. On vient de le voir avec le tremblement de terre qui vient de survenir en Californie. Mais il ne se passe pas de semaine ou de mois ou nous n'apprenions cette rude leçon que l'homme peut et doit se rendre maître de la nature par sa connaissance de la matière, mais qu'il est encore si loin du compte, qu'il faut ajouter à la science et à la connaissance le dévouement, la disponibilité, l'ouverture d'esprit pour que tous les membres d'une communauté nationale et internationale s'engagent dans le même effort. Mais cela ne sera fait que si vous donnez l'élan et tracez des perspectives.\
Je sais bien que pour mener à bien ces missions, la recherche a besoin de considération sans doute mais aussi de moyens. C'est pourquoi les budgets et particulièrement les derniers budgets de la recherche ont connu une meilleure progression. Je le répète, beaucoup reste à faire, je le sais très bien et je m'en informe chaque fois qu'il m'est donné d'en débattre - ce qui arrive assez souvent - avec monsieur Hubert Curien. Nous devons tenir notre rang, si possible l'améliorer, dans la compétitition internationale. Il faut passer aussi rapidement que possible, c'est-à-dire vite, des 2,3 % à 3 % de la part du Produit National Brut consacrée à la recherche et au développement. Cela doit être un effort continu qui ne peut s'accomplir en une fois, on l'imagine très aisément, qui nécessite une pensée aussi continue, aussi constante, une volonté sans défaillance sur quelques années, disons sur une dizaine d'années.
- Mais depuis qu'il m'a été donné de recevoir le mandat que j'exerce, parmi les leçons d'une cérémonie comme celle-ci, me trouvant devant les chercheurs, les ingénieurs, le personnel du CNRS, je veux voir comme une sorte de grand et puissant effort collectif qui doit connaître comme toute société humaine ses propres difficultés, mais qui plus que dans d'autres groupes sociaux et professionnels a une valeur entraînante. Comment chacune et chacun d'entre vous ne se sentirait-il pas porté par sa mission, plus proche des autres par le fait que les autres aussi ont le même désir, la même volonté, l'amour de la connaissance ? Cela créé donc une société particulière qui me paraît être comme le sel de la terre, le sel d'une Nation. C'est là que se trouveront dessinés les traits du siècle qui vient. Encore faut-il que ce dessin-là soit tracé avec la conscience qu'exige tout approfondissement de la science.
- La recherche exige la liberté du choix : le choix des sujets et le choix des méthodes. Elle exige l'égalité, car le disciple peut aussi avoir raison et pas seulement le maître. Liberté, égalité, vous avez compris le troisième terme : la fraternité. La fraternité des équipes de recherche est un facteur indispensable de la réussite collective.
- Mesdames et messieurs, la collectivité nationale vous est reconnaissante de ce que vous lui apportez et je vous le demande, quel que soit votre âge, de communiquer à notre patrie vos vertus essentielles : jeunesse de l'esprit, passion, enthousiasme, amour du savoir.\
- Comme l'a rappelé dans l'allocution préliminaire, monsieur le directeur général, il y a cinquante ans jour pour jour que le Centre National de la Recherche Scientifique a été créé.
- Dès l'origine, il s'est installé dans ces lieux. Vous avez rassemblé ici, aujourd'hui, pour cette célébration qui va se poursuivre par de nombreux événements, expositions, colloques, non seulement le personnel du CNRS mais aussi des savants du monde entier ainsi que les représentants de tous ceux qui font de la recherche en France. Ce cinquantenaire, c'est d'abord la fête du CNRS, c'est d'une façon plus générale, la fête de la recherche scientifique française. Par ma présence à cette cérémonie j'ai voulu souligner l'importance que j'attribue à la recherche et l'estime dans laquelle je tiens les chercheurs, ingénieurs, techniciens et agents administratifs de votre organisme.\
C'est un décret du 19 octobre 1939 qui a fondé le CNRS. Ce texte qui a vécu quelque temps dans une semi-clandestinité au début de la guerre avait été en réalité inspiré par Jean Perrin, physicien que vous connaissez tous, qui fut lui-même lauréat du Prix Nobel pour ses travaux sur la structure discontinue de la matière. Auteur enthousiaste d'ouvrages de popularisation de la science, fondateur du Palais de la Découverte, ministre de la recherche de 1936 à 1939, il a exprimé l'idéal de la science dans ces termes, je le cite : "la recherche scientifique est notre seule chance de créer des conditions d'existence vraiment nouvelles où la vie humaine sera pour tous de plus en plus libre et heureuse".
- Son enfant, le CNRS, doit beaucoup aux relations d'amitié qu'il sut entretenir avec ses camarades de l'Ecole normale supérieure, Léon Blum et Edouard Herriot. La République a besoin de savants mais leur action est favorisée quand les idéaux les plus exigeants de la démocratie sont à l'honneur. C'est ainsi que le rôle des hommes de science lors de la Révolution française a été crucial : récemment, une visite faite à la Villette m'a permis de considérer, d'apprendre et de constater qu'entre 1789 et 1799 un nombre considérable d'immenses savants et de grands chercheurs avaient illustré les avancées de l'esprit. Et je compte bien le faire remarquer à nouveau au mois de décembre, lors de la translation des cendres de Gaspar Monge au Panthéon.
- A l'époque du Front Populaire, Jean Perrin et quelques autres savants, les physiciens, ce sont vos anciens, il me plait de citer leurs noms, certains d'entre vous les ont connus : Jean Perrin, oui, déjà nommé, les physiciens Paul Langevin, Léon Brillouin, Aimé Cotton, le chimiste Georges Urbain et le physiologiste André Mayer, pour n'en citer que quelques-uns, ont ressenti le besoin de doter la recherche de moyens et d'un organisme qui permettrait à notre science de se développer. C'est au cours des années trente que fut créé le grand électro-aimant de Bellevue et décidée la construction de l'observatoire de Haute-Provence. Ces ensembles font encore partie intégrante du CNRS aujourd'hui.
- Après les vicissitudes de la seconde guerre mondiale, et tout le temps pendant lequel Frédéric Joliot-Curie, premier des directeurs généraux de cette époque, remplit le rôle que vous savez, le CNRS a connu quelques périodes fastes mais seulement quelques-unes avec parfois des dépressions : la première de ces périodes fastes se situe lors du gouvernement de Pierre Mendes-France en 1954, il s'est prolongé par le colloque de Caen de 1956 qui a dégagé un projet global de développement scientifique. C'est à cette époque que des scientifiques comme Louis Neel, Jean Dausset, Jacques Monod, commencent à s'affirmer. La seconde date des années 58 `1958`, sous l'impulsion du Général de Gaulle et je ne crois pas injuste de dire qu'il faut attendre ensuite les années 80 `1980` pour que la recherche scientifique retrouve la priorité qu'elle mérite, pour redevenir ce que j'ai appelé d'un terme un peu lyrique, qui a parfois fait sourire mais qui dit bien ce qu'il veut dire, la recherche, enfant chéri de la République.\
J'observerai d'abord que le CNRS est un organisme important par la taille. Il est aujourd'hui l'organisme de recherche le plus important en Europe par le nombre de ses chercheurs : on en a compté treize mille, de ses ingénieurs et techniciens, quelques quinze mille. Il rassemble l'ensemble des disciplines du savoir, allant des mathématiques jusqu'aux sciences humaines et l'ensemble de la société en passant bien sûr par les sciences expérimentales. Et les quatre exposés que nous avons entendus ont bien montré cette diversité et cette ampleur de la recherche. J'ai remarqué au passage à quel point les scientifiques qui se sont exprimés, généralement jeunes scientifiques, ce qui ne serait pas une qualité suffisante, avaient l'esprit clair et la parole aussi, ce qui n'est pas si négligeable non plus. Et je dois dire que ceux qui ne savent pas, dont je suis, apprennent toujours quelque chose dès lors qu'ils approchent ceux qui travaillent dans cette maison. Car le CNRS fournit des moyens qui sont matériels et qui sont intellectuels pour une recherche de qualité. On a réalisé et on gère de très grands équipements : accélérateurs de particules, microscopes électroniques, télescopes, bibliothèques de toute sorte. Et je sais, mesdames et messieurs, que vous ne relâchez pas votre effort : au cours de ce trimestre-ci, les radiotélescopes millimétriques du Plateau de Bure et votre grande bibliothèque scientifique de Nancy vont commencer à fonctionner.
- On peut dire que le CNRS et d'une façon générale l'ensemble de la recherche française valent bien l'estime que la France leur porte. J'ai été vraiment particulièrement heureux d'écouter parmi les quatre exposés que vous avez entendus, qui vous ont sans doute frappés par leur caractère concis et démonstratif, l'exposé du professeur Dominique Stehelin, directeur de recherche au CNRS, dont vous connaissez le rôle dans la découverte des oncogènes cellulaires, et j'ai plaisir à saluer ce savant comme j'ai eu plaisir à écouter les autres. Le CNRS a été associé, dans ce cas comme dans les autres, à tous les grands succès scientifiques remportés récemment par les Français, qu'ils soient ou qu'ils ne soient pas couronnés par des Prix Nobel : je citerai cependant les travaux sur le pompage optique d'Alfred Kastler, sur le magnétisme de Louis Neel, l'économie de Maurice Allais, les comptabilités tissulaires de Jean Dausset, sur l'influence de la géométrie des molécules, sur les réactions chimiques de Jean-Marie Lehn, et j'en passe.
- Combien ? Combien d'entre vous qui n'avez pas été mis à la portée du grand public par la consécration d'un prix et qui avez compté de façon déterminante dans les avancées de la science et de notre recherche française ?\
Une donnée qui ne m'est pas indifférente, à l'excellence scientifique, le CNRS a su ajouter un fonctionnement vraiment démocratique. Il est doté depuis son origine d'un "parlement" scientifique : le Comité national. Celui-ci est divisé en une quarantaine de commissions de spécialistes, constituées chacune de vingt-cinq acteurs de la recherche de tout grade, qui délibèrent sur les recrutements, les promotions ainsi que sur la politique scientifique qu'il convient de mener.
- Je n'aurai garde d'oublier votre esprit d'ouverture sur l'étranger, puisque je célèbre la science, la recherche française, encore faut-il savoir (comment pourrait-on raisonner autrement) que cette science ne peut se développer qu'en symbiose permanente avec ce que l'on fait à l'étranger, hors de nos frontières. Aujourd'hui, environ 700 chercheurs du CNRS ne sont pas des Français.
- Bref, je dirai que le CNRS constitue un espace de liberté dans lequel le chercheur et le technicien peuvent se livrer à leurs activités avec passion. Ce n'est pas un hasard si le nombre de candidats à l'intégration du CNRS est si élevé, posant souvent des problèmes si complexes. C'est aussi dans les laboratoires que se préparent de nombreuses thèses et que s'accomplit une grande partie de l'effort de formation par et pour la recherche.\
Pour autant, le CNRS ne se contente pas de remplir ses missions de recherche fondamentale. En janvier 1982, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la recherche et de la technologie, organisa, vous vous en souvenez, le grand colloque national qui a contribué à ouvrir le monde de la recherche à l'ensemble des préoccupations de la Nation. Et je crois que les chercheurs prirent alors mieux la mesure de l'importance de leur rôle par la diffusion de leurs connaissances auprès du plus grand nombre. Précisément, je tiens à saluer l'initiative du ministre d'aujourd'hui, Hubert Curien qui organise à la fin de l'année les Etats généraux de la culture scientifique, technique et industrielle. Tout cela s'inspire du même esprit, celui que j'ai moi-même voulu et parfois imposé dans les fonctions qui sont les miennes, mandaté par le peuple français pour développer l'ensemble de ces facultés, mais aussi pour choisir ces évidentes priorités toujours difficiles à faire admettre par les autres et qui cependant permettent à un pays comme le nôtre, à tout pays responsable de conduire la vie nationale et de préparer son destin. J'ai dit et répété que la recherche était - dans l'ensemble des formations et de l'éducation nationale - une absolue priorité. C'est pourquoi des moyens accrus, qui doivent l'être encore, ont été mis en place afin de vous permettre, vous et vos successeurs, de disposer du moyen de gagner la noble compétition, c'est la plus noble sur l'étendue de la planète. Il m'est arrivé de le dire souvent, l'important n'est pas de trouver, c'est un paradoxe, l'essentiel est qu'on cherche. Quand on cherche on trouve, même s'il arrive qu'on trouve sans chercher, mais je cherche pour l'instant, mais je ne connais pas encore beaucoup de cas !
- Votre ouverture sur la société se marque aussi par une bonne implantation dans les régions et par les initiatives très utiles prises, en particulier par vous-même, monsieur le directeur général, pour accroître et améliorer les rapports du CNRS avec l'industrie, ainsi qu'en témoignent de nombreux contrats. Est-il nécessaire de rappeler que l'Agence Nationale de la Valorisation de la Recherche - connue sous le nom d'ANVAR - est l'émanation de l'ancien bureau des brevets d'invention du CNRS ?\
Nous en serons facilement d'accord. La pratique scientifique n'est pas seulement source de progrès. J'ai cité Jean Perrin, je continue. Cette pratique conditionne le bien-être et la survie sans doute de l'espèce humaine. L'homme a besoin pour subsister - chacun s'en rend compte aujourd'hui - de protéger son environnement. Il est lui-même partie intégrante de la nature. Il est la nature. La recherche scientifique a donc pour objet de poursuivre ses efforts dans ce domaine-là pour répondre à une exigence fondamentale. Nombreux sont les chercheurs qui prennent leur part à l'ensemble de ces travaux et plus particulièrement me disait-on dans la création de l'Observatoire mondial de l'Environnement ainsi que dans la future Agence européenne dont le principe vient d'être décidé.
- Mais les scientifiques doivent en même temps améliorer leurs moyens de lutte contre les maux, catastrophes, souffrances de toute sorte dont l'humanité est frappée. On vient de le voir avec le tremblement de terre qui vient de survenir en Californie. Mais il ne se passe pas de semaine ou de mois ou nous n'apprenions cette rude leçon que l'homme peut et doit se rendre maître de la nature par sa connaissance de la matière, mais qu'il est encore si loin du compte, qu'il faut ajouter à la science et à la connaissance le dévouement, la disponibilité, l'ouverture d'esprit pour que tous les membres d'une communauté nationale et internationale s'engagent dans le même effort. Mais cela ne sera fait que si vous donnez l'élan et tracez des perspectives.\
Je sais bien que pour mener à bien ces missions, la recherche a besoin de considération sans doute mais aussi de moyens. C'est pourquoi les budgets et particulièrement les derniers budgets de la recherche ont connu une meilleure progression. Je le répète, beaucoup reste à faire, je le sais très bien et je m'en informe chaque fois qu'il m'est donné d'en débattre - ce qui arrive assez souvent - avec monsieur Hubert Curien. Nous devons tenir notre rang, si possible l'améliorer, dans la compétitition internationale. Il faut passer aussi rapidement que possible, c'est-à-dire vite, des 2,3 % à 3 % de la part du Produit National Brut consacrée à la recherche et au développement. Cela doit être un effort continu qui ne peut s'accomplir en une fois, on l'imagine très aisément, qui nécessite une pensée aussi continue, aussi constante, une volonté sans défaillance sur quelques années, disons sur une dizaine d'années.
- Mais depuis qu'il m'a été donné de recevoir le mandat que j'exerce, parmi les leçons d'une cérémonie comme celle-ci, me trouvant devant les chercheurs, les ingénieurs, le personnel du CNRS, je veux voir comme une sorte de grand et puissant effort collectif qui doit connaître comme toute société humaine ses propres difficultés, mais qui plus que dans d'autres groupes sociaux et professionnels a une valeur entraînante. Comment chacune et chacun d'entre vous ne se sentirait-il pas porté par sa mission, plus proche des autres par le fait que les autres aussi ont le même désir, la même volonté, l'amour de la connaissance ? Cela créé donc une société particulière qui me paraît être comme le sel de la terre, le sel d'une Nation. C'est là que se trouveront dessinés les traits du siècle qui vient. Encore faut-il que ce dessin-là soit tracé avec la conscience qu'exige tout approfondissement de la science.
- La recherche exige la liberté du choix : le choix des sujets et le choix des méthodes. Elle exige l'égalité, car le disciple peut aussi avoir raison et pas seulement le maître. Liberté, égalité, vous avez compris le troisième terme : la fraternité. La fraternité des équipes de recherche est un facteur indispensable de la réussite collective.
- Mesdames et messieurs, la collectivité nationale vous est reconnaissante de ce que vous lui apportez et je vous le demande, quel que soit votre âge, de communiquer à notre patrie vos vertus essentielles : jeunesse de l'esprit, passion, enthousiasme, amour du savoir.\