29 septembre 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la solidarité entre les pays de la CEE et ceux de l'ACP pour l'aide au développement, château de Versailles, le 29 septembre 1989.

Messieurs les Présidents,
- Mesdames et messieurs,
- D'abord je vous remercie de votre accueil. Cela me fait plaisir d'être parmi vous. J'ai rencontré bon nombre des présents à cette séance, au cours des différents événements de ma vie politique. J'entretiens des relations d'amitié avec quelques-uns et je mesure l'importance de vos travaux.
- Vous venez de travailler et de bien travailler une fois de plus. C'est que votre assemblée a quelque chose d'original. C'est une instance de réflexion, de concertation, mais aussi un lieu de contact, de relations où s'ébauchent des confrontations mais aussi des amitiés et l'occasion de débattre sur le fond entre responsables qualifiés des Etats ici représentés.
- Je vous dirai de la même façon ma satisfaction de voir que c'est la France qui accueille cette XIXème assemblée paritaire des parlementaires de la Communauté européenne et des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique qui se sont habitués à vivre en commun depuis déjà quelques années et qui sentent bien qu'ils sont à l'origine d'un rassemblement planétaire dont nous devrons attendre beaucoup.
- Vous vous souvenez que par la Conférence de Yaoundé, signée il y a plus de 25 ans, il s'agissait d'affirmer que la construction de l'Europe - c'est à partir de l'Europe qu'il faut raisonner - s'accompagnerait d'une volonté constante d'aide et de coopération avec les partenaires que vous êtes.
- Depuis lors, le rassemblement que vous constituez n'a pas cessé de s'agrandir. Il réunit, en ce jour, la moitié des Etats de notre planète, partenaires égaux, tous ici représentés dans une communauté d'objectifs définis et mis en oeuvre entre le Nord et le Sud.
- Au cours des temps, et particulièrement au cours de vos travaux, des solutions originales ont été trouvées pour que cette coopération fonctionne comme il convient dans les deux sens. Faut-il citer - puisque cela était la base de beaucoup des réussites d'hier - la stabilisation des recettes d'exportation qui malgré des imperfections, que nous connaissons, demeure l'un des éléments fondamentaux de notre relation.
- Sans oublier une autre dimension, que je veux souligner, c'est celle de la coopération régionale entre Etats eux-mêmes, Afrique, Caraïbes, Pacifique, entre certains de ces Etats et leurs voisins, au sein d'organismes qui ont généralement trouvé leur raison d'être.\
L'accroissement du nombre des Etats concernés, celui des sommes engagées, la multiplication des mécanismes et des initiatives, voilà qui montre bien le succès déjà obtenu et qui permet d'expliquer la capacité d'attraction de la Convention de Lomé. C'est à mon sens ce que vient d'illustrer votre travail.
- La solidarité qui constitue la base de notre association, n'est-elle pas plus nécessaire encore à l'heure où de nombreux pays dits en développement traversent une crise d'une gravité sans précédent ? Le lourd fardeau de la dette qui stérilise leurs ressources lorsqu'ils pourraient les consacrer à leur croissance, tout cela s'évanouit au gré des fluctuations de monnaies extérieures ou des stratégies commerciales. En raison de l'effondrement des cours de certaines matières premières, la partie la plus démunie de l'humanité est conduite à verser désormais aux pays les plus riches plus de ressources qu'elle n'en reçoit. Tragique paradoxe !
- Mais il faut dire qu'au même moment la communauté internationale commence à prendre conscience des risques d'un développement incontrôlé ou plutôt d'un sous-développement qui revient. Cela porterait atteinte de façon irrémédiable à tout notre environnement. Le mot étant pris dans tous ses sens, politique, économique, physique.
- Enfin voilà bien des sujets ! ceux qui étaient à votre ordre du jour appellent, exigent une approche d'ensemble. C'est la raison pour laquelle j'ai accueilli avec faveur l'appel lancé par quatre chefs d'Etat et de gouvernement à Paris, en juillet dernier, pour le lancement d'un processus de consultation entre pays développés et pays en développement, en vue de discuter d'économie et d'environnement. Je me réjouis que cet appel ait été récemment repris au Sommet des Non-Alignés à Belgrade. Il est assez surprenant de penser que les responsables de ces pays ne se rencontrent pas. Sur toutes les tribunes internationales, on entend dire ce que nous répétons aujourd'hui. Le fossé qui s'élargit, la déperdition de la substance même des pays les plus pauvres, l'enrichissement continu des plus riches. Oui, mais, les responsables, chefs d'Etat, chefs de gouvernement de ces pays, hors des rencontres d'occasion à l'assemblée des Nations unies, lorsqu'ils s'y rendent, ne se rencontrent pas.\
A peine élu Président de la République française en 1981, j'ai été appelé - c'était la première manifestation à laquelle j'ai dû me rendre - à participer à la Conférence de Cancun. Il y avait là quelques pays qui discutaient gravement de quelques sujets qui n'ont obtenu ce jour-là aucune réponse et qui n'en ont pas davantage aujourd'hui. Depuis cette époque, 1981 - 1989, aucune rencontre organisée n'a eu lieu. C'est dire à quel point on se parle devant un miroir et l'écho renvoie les paroles là où il veut.
- C'est pourquoi il ne faut pas perdre de temps pour agir. Je dois le dire, la France s'efforce de rappeler à tous ses partenaires, partout dans le monde, quelques vérités essentielles. Les occasions sont nombreuses, car sur les autres sujets que celui dont nous parlons, c'est une perpétuelle conférence, Nord, Sud, Est, Ouest, telle ou telle spécialité, telle ou telle particularité, c'est sans arrêt. Je ne m'en plains pas, cela prouve qu'à la fois le monde se rétrécit et que les hommes apprennent à échanger sans cependant aborder véritablement au fond le problème principal du moment. S'il n'est pas résolu, ce sera un danger mortel d'abord pour les peuples qui souffrent du sous-développement mais aussi pour les autres. Comment pourrez-vous bâtir la paix et le progrès, l'équilibre et l'harmonie sur une situation économique complètement détériorée ?
- Un certain nombre de pays, cependant, se sont engagés dans la voie des actions nécessaires. La France n'est pas la seule, loin de là et la Communauté européenne agit elle-même avec beaucoup de volonté et une réelle cohérence lorsqu'il s'agit de ces problèmes. C'est donc déjà un noyau de pays disposés à mieux comprendre et à mieux aborder le problème qui vous est posé. Vous vous souvenez pour ce qui touche à la dette, après les mesures décidées à Toronto et confirmées dans le cadre du Club de Paris, j'ai annoncé lors du Sommet de la francophonie à Dakar l'intention de la France d'annuler la totalité des créances d'aide publique qu'elle détient sur 35 pays d'Afrique les plus pauvres et les plus endettés.
- La deuxième Conférence internationale sur les pays les moins avancés qui se tiendra à Paris dans un an permettra d'examiner plus au fond la situation de ces pays et de voir quelles spécificités doivent retenir notre attention.\
Dans ce soutien aux efforts des pays en développement, la Communauté européenne joue déjà un rôle très important et elle doit jouer un rôle qui deviendra essentiel. Et je fais tout à fait confiance aux pays partenaires de la Communauté qui ont engagé déjà pour eux-mêmes une entreprise hors du commun. La négociation pour la quatrième Convention de Lomé est engagée. Nous espérons voir aboutir tout ces travaux dans quelques semaines.
- Permettez-moi à cet égard de mentionner au moins trois points :
- 1 - Tout d'abord, pour les produits de base, il importe de renforcer et de simplifier le mécanisme de stabilisation, le STABEX, afin de remédier rapidement aux effets d'une crise soudaine et brutale. Il faut combattre les causes de situations les plus critiques dans chacun des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. La diversification des produits, l'aide à la reconstruction de filières d'activité - production, fabrication, stockage, commercialisation - la mise en commun des efforts entre pays voisins sont indispensables pour sortir de la dépendance à l'égard des fluctuations des marchés mondiaux.
- 2 - Deuxièmement, la Communauté, encore elle et je tiens à célébrer le travail qu'elle accomplit depuis plusieurs années déjà, s'est engagée à soutenir en priorité le travail de ses partenaires en matière de développement rural. Si l'aide alimentaire demeure souvent nécessaire et urgente même, le véritable remède se trouve dans le développement de l'agriculture elle-même, face à des situations nationales souvent très déséquilibrées. Une aide qui permettrait de procéder aux réformes requises, en association étroite avec les pays et les grands organismes multilatéraux, devient une méthode à mettre en oeuvre sans tarder.
- 3 - La Communauté et les pays d'Afrique - Caraïbes - Pacifique ne peuvent pas négliger leur environnement international. Les négociations commerciales multilatérales, celles qui ont lieu actuellement, doivent profiter aux pays en développement, mais ils accroîtront surtout la concurrence entre eux. Toutes les améliorations possibles devront être recherchées pour maintenir à ces pays un accès préférentiel à notre marché communautaire.\
Lorsque la 4ème Convention de Lomé arrivera à son tour à expiration, un événement important se sera produit, je vous prie de le noter. C'est l'achèvement du grand marché européen, prolongement de mouvements historiques engagés il y a plus de 30 ans. Mais, tout cela, ce sera fait.
- Bien entendu, vous suivez cette évolution avec grand intérêt et même vous vous en inquiétez. Je ne sais encore quel était le contenu de vos débats, mais je suis sûr que lorsque j'en prendrai connaissance, je verrai qu'ils ont retenu votre attention. Tel est ce grand marché dont nous avons été quelques-uns à prendre l'initiative, que nous avons fait aboutir en 1985, après la Conférence qui s'est tenue en Italie, et qui s'est achevée à Luxembourg lançant un pont sur l'avenir, 31 décembre 1992, obligeant chacun à un formidable effort de volonté et d'organisation pour être en mesure de supporter cet événement. Tous nos partenaires et nos amis, et ceux qui sont ici se sont interrogés : l'Europe ne va-t-elle pas se refermer égoïstement sur elle-même ? Elle s'est elle-même lancée dans une entreprise si lourde pour chacun de ceux qui la composent qu'elle risque de s'immobiliser sur ses propres préoccupations au risque de délaisser les autres.
- Eh bien moi, je tiens à vous le dire très solennellement, au contraire, certes le marché unique vise à rendre la Communauté européenne plus unie et plus forte, mais la coopération avec vos pays ne doit pas en souffir, car, et cela fait partie des plans de ceux qui ont conçu un développement, une Europe plus forte sera plus solidaire. On pourrait en douter, dire pourquoi ? Quelles sont les forces intérieures à cette Europe unie qui l'emporteront sur les autres ? Mais, c'est le mouvement naturel, c'est une obligation. Douze pays, 320 millions d'habitants, au moment où cela s'accomplira. Et l'Europe, avec ce que cela représente de puissances réelles et potentielles, pourrait-elle se désintéresser du reste du monde, n'a-t-elle pas aussi à trouver ses propres fondements, à élargir son audience, à retrouver ses amis naturels, ces compagnons de route que vous êtes tous, sur la route de l'histoire.
- On dit qu'il existe des empires dont la puissance est grande, mais dont la préoccupation n'est pas aussi sensible que celle de la Communauté européenne aux problèmes qui sont les vôtres.
- Enfin, je vais en terminer, je viens là comme un point d'orgue, vous avez dit tout ce qu'il fallait dire déjà. Peut-être même les avez-vous répétés. Dans ce cas-là, je ne fais qu'ajouter ... enfin, c'est plus qu'une question de courtoisie. Je tenais à venir devant vous, à vous rencontrer et même pour peu de temps, à vous faire un signe, pour que vous sachiez que la France est là. Et comme je peux m'exprimer en même temps par le hasard du calendrier, en qualité de Président du Conseil européen, oui, j'ai pensé qu'il était indispensable de pouvoir établir ce lien entre nous, après que vous ayez terminé vos travaux.\
Je vais vous citer une phrase extraite de l'actuelle Convention de Lomé : "La coopération vise à appuyer un développement des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique centré sur l'homme et enraciné dans la culture de chaque peuple". C'est une bonne définition. Il faut que nous soyons ensemble. Il faut que chacun reste soi-même. C'est dans cette harmonie que l'on trouvera les heureuses réponses que l'avenir attend de nous. Alors dans nos choix, donnons son plein sens à un tel objectif. Nombreuses ont été, cette année, les occasions de rappeler, je m'en réjouis, à quel point cette notion centrée sur l'homme, cette notion des droits de l'homme déjà ancienne, demeurait un combat permanent. On s'en rend compte à chaque instant. Impossible d'énumérer. Votre esprit peut à tout moment trouver des références. Des images tragiques flottent devant nos yeux et l'on a dû s'émouvoir aujourd'hui même de l'exécution en Afrique du Sud d'une personne, à propos de laquelle les plus hautes instances internationales, comme nous-mêmes en France, ont demandé clémence, grâce, compréhension, et l'exécution est venue, là, implacable. Les droits de l'homme, on a souvent l'impression qu'il s'agit d'une redite un peu lassante, mais il suffit de tourner les regards autour de soi pour s'apercevoir que cette lutte pour les droits de l'homme puise sa source dans le fait quotidien du malheur, de la souffrance, de la ségrégation, du racisme et de combien d'autres raisons que l'humanité depuis toujours a eu de se méfier d'elle-même.
- Alors, mesdames et messieurs, unissons nos efforts. Mettons fin autant qu'il nous est possible, et nous pourrons de plus en plus, si nous le voulons, mettre fin à ces situations, véritables négations des droits de l'homme, dont l'apartheid nous fournit un exemple parmi d'autres. Soyons attentifs à toutes les atteintes à la dignité de l'homme où qu'elles se produisent. Et c'est bien le rôle des parlementaires, me semble-t-il ! C'est bien le rôle fondamental. A tout moment, nos assemblées désignent des missions d'enquêtes des délégations, une mission vous a conduit au printemps dernier du côté des réfugiés et des personnes déplacées en Afrique australe, mais à tout moment, veillez, soyez présents, rendez compte, alertez !
- En tout cas, votre présence ici, en ce jour, la réunion de cette assemblée paritaire, je n'aime pas beaucoup les initiales ACP - CEE, personne n'y comprend rien. Vous, vous savez, mais les autres ! Entre tous ces pays d'Europe, d'Afrique, et des Caraïbes, du Pacifique, attentifs au moindre malheur qui les frappe, il y a la solidarité qui s'est manifestée après l'ouragan des Caraïbes qui a frappé particulièrement, je parle pour mon pays, la Guadeloupe et la Désirade. Toute cette traînée de malheurs doit susciter un mouvement d'une force égale, supérieure pour en corriger les effets, et lorsque c'est possible, pour en prévenir les ravages.
- Cette association et ces objectifs dépassent de beaucoup le simple aspect économique. Elle dépasse aussi les Etats. Elle intéresse nos peuples et tous les peuples. Ceux qui sont membres de cette association et ceux qui n'en sont pas. Bref, mesdames et messieurs, vous êtes le porteur de flambeaux d'une humanité qui avance péniblement sur un très long chemin. La distance que vous aurez parcourue figurera parmi les grands gestes, les grands actes de cette fin de siècle. Il faut maintenant continuer.\