26 septembre 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, dans "Al Anba" du 26 septembre 1989, sur la dette des pays du tiers monde et la situation au Proche-Orient, Paris, mardi 26 septembre 1989.

QUESTION.- La relation entre la France et le Koweit est basée sur une amitié profonde et un soutien continu. Quel est votre avis à propos de l'avenir de cette relation ?
- Et quels sont les projets mutuels que vous avez l'intention d'accomplir d'un point de vue politique, économique, investissement, pétrolier, militaire et culturel ?
- LE PRESIDENT.- La relation entre nos deux pays s'est considérablement renforcée. La multiplication des contacts personnels - j'ai rencontré l'Emir à deux reprises au cours des trois dernières années - a créé des liens de confiance. Notre dialogue a permis de dégager des orientations communes, le souci de préserver notre indépendance, la lutte contre le sous-développement, pour ne citer que deux d'entre elles.
- Nous pouvons accroître notre coopération dans le domaine économique, notamment l'énergie, les travaux publics où nous travaillons déjà ensemble ou dans de nouveaux secteurs comme les transports ou les télécommunications. Nos relations financières sont également très étroites, le Koweit est déjà l'un des principaux investisseurs des Etats du Golfe dans notre pays.
- Je suis certain que la visite de l'Emir contribuera à conforter la vive relance de nos échanges observée depuis le début de cette année, après la période de relative stagnation des années précédentes.\
QUESTION.- L'Emir du Koweit a proposé une solution au problème des dettes mondiales aux Nations unies en l'an 1988, et aussi à la Conférence de Belgrade, son Excellence a suggéré quatre points pour exécuter cette proposition. Comment évaluez-vous cette solution, et que pense la France à propos d'abandonner ses dettes ou de les diminuer ou bien d'annuler ses intérêts ? Que pensez-vous de l'idée d'organiser une conférence entre les pays endettés et les pays riches surtout que cette suggestion a été proposée lors du Bicentenaire de la Révolution française ?
- LE PRESIDENT.- J'estime que les propositions faites par l'Emir dans ce domaine vont dans le bon sens et marquent la solidarité active de votre pays en faveur des pays en développement confrontés à un endettement trop lourd.
- Il faut réduire ce fardeau. Mais on doit distinguer la nature des dettes : sur la dette publique l'action des gouvernements peut être plus directement déterminante que sur la dette privée. Ainsi lors du Sommet de la Francophonie à Dakar, j'ai annoncé mon intention d'effacer la totalité des créances d'aide publique au développement, détenues par la France sur les 35 pays les plus pauvres et les plus endettés d'Afrique. Même lorsqu'il s'agit de dettes commerciales, les Etats et les organisations internationales peuvent créer un cadre favorisant la baisse des taux d'intérêt ou la réduction d'une partie de la valeur des dettes.
- C'est tout le sens de l'initiative approuvée à l'occasion du dernier Sommet des sept pays industrialisés, sur la base notamment des idées que j'avais émises, en septembre 1988 à la tribune des Nations unies, complétées par la suite par des propositions américaines.
- En ce qui concerne le projet de conférence entre pays du nord et pays du sud, qui ne serait pas d'ailleurs uniquement consacrée au problème de l'endettement, mais qui pourait par exemple toucher les questions d'environnement, vous savez que j'ai donné mon accord aux chefs d'Etat qui, à l'occasion du Bicentenaire de la Révolution le 14 juillet dernier, m'ont demandé de favoriser la mise en oeuvre d'une telle initiative.
- Je m'emploierai à faire progresser cette idée dans un très proche avenir.\
QUESTION.- La paix dans le Golfe est une nécessité vitale non seulement pour les pays concernés mais aussi pour le monde entier. Quelle serait votre initiative pour revivifier la négociation de paix entre l'Irak et l'Iran sachant que cette négociation a été ralentie ?
- Et quel est le rôle de la France dans cette affaire ? Quelle est la nature des relations actuelles entre les deux pays concernés ?
- Est-ce que la France est prête à contribuer à la reconstruction d'une station nucléaire irakienne qu'Israël a détruite ?
- LE PRESIDENT.- La paix dans le Golfe n'est pas encore réalité, mais elle est un objectif, un but vers lequel l'Irak et l'Iran, après une guerre longue et meurtrière ont accepté d'aller. Le cessez-le-feu d'août 1988 a été accueilli par la France avec soulagement et espoir. Par le Koweit aussi, je crois. L'arrêt des combats dure donc depuis un an. Cette durée est encourageante, comme l'est aussi le fait que les deux Etats anciennement belligérants aient engagé leurs pays dans un effort de reconstruction.
- Mais on ne saurait en rester là. La paix sera assurée lorsque l'on sera parvenu à un règlement effectif du conflit, lorsque les frontières seront acceptées. C'est à quoi s'emploie le secrétaire général des Nations unies dont nous soutenons les efforts.\
QUESTION.- La France a montré des intentions sincères envers l'affaire palestinienne cherchant à obtenir un compromis d'une paix politique du conflit arabe-israélien. Et vous l'avez surtout montré lors de votre accueil du Président Yasser Arafat.
- Mais, ne voyez-vous pas, monsieur le président, que l'entêtement et le refus israélien compliquent vos efforts et les efforts internationaux pour réaliser la paix au Moyen-Orient ? Et quelle serait votre opinion sur le rôle français et européen dans la prochaine étape pour résoudre ce problème vital ? Et surtout que l'organisation de la libération palestinienne a offert de son côté toutes sortes d'initiatives pour la paix ?
- Que ressentez-vous envers l'intifada palestinienne dans les territoires occupés et envers l'oppression israélienne qui cause chaque jour des dizaines de martyrs et de blessés. Surtout que nous savons que la France est le pays de la liberté qui a célébré récemment le Bicentenaire de sa révolution ?
- LE PRESIDENT.- Les décisions du Conseil National Palestinien et les déclarations de M. Arafat ont marqué une étape importante en rendant envisageable une négociation prenant en considération les droits de chaque partie. Cela dit, la méfiance subsiste et ne se dissipe pas rapidement. Il faudra du temps. Mais l'urgence est réelle et la situation dans les territoires occupés ne fait que la renforcer.
- Plusieurs approches sont actuellement envisagées : une Conférence internationale, le plan israélien d'élections dans les territoires occupés, le plan égyptien en 10 points. Les méthodes peuvent varier, mais ce qui est essentiel, c'est que l'on avance vers l'ouverture d'un dialogue véritable.\
QUESTION.- La tragédie libanaise dure depuis près de quinze ans. Que pensez-vous de la guerre libanaise et quelles sont vos suggestions à propos de l'entente entre différentes factions libanaises ?
- Est-ce que la France va presser Israël de retirer ses forces du Liban, surtout que c'est une condition pour les autres forces étrangères qui devraient quitter tous les territoires libanais ?
- LE PRESIDENT.- Le Liban est pour la France, chacun le sait, un pays ami, un pays proche par le coeur, l'esprit, l'histoire. La France est l'amie du Liban, de tous les Libanais, quelle que soit leur confession.
- Comment se résigner à la poursuite des combats, avec leur violence quotidienne ou à la disparition d'un Liban indépendant et uni ? Nous nous sommes efforcés, pendant l'été, de relancer une action diplomatique d'envergure, de convaincre tous ceux qui ont un rôle à jouer dans le Proche-Orient de travailler pour la paix. Le Conseil de Sécurité s'est prononcé. Le Comité tripartite de la Ligue arabe, qui a succédé au Comité des six présidé par Cheikh Sabah, a accepté de reprendre ses travaux et vient de demander, dans son communiqué du 16 septembre, qu'il soit mis fin aux combats, que les blocus soient levés et toute introduction ou livraison d'armes arrêtée.
- La France n'a pas cessé, avec ses partenaires de la Communauté, d'appeler à la mise en oeuvre d'un cessez-le-feu effectif et à l'ouverture d'un processus de réconciliation nationale. Nous espérons très vivement qu'aboutira la mission de paix menée par le Comité tripartite, et que pourra reprendre le dialogue entre les Libanais.\