20 août 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur la présidence de la CEE, les relations franco-espagnoles, l'aide au Liban et à la Pologne, Madrid le 20 août 1989.

LE PRESIDENT.- Le Président du conseil des ministres vient d'expliquer très clairement et brièvement le contenu dans ses grandes lignes de notre entretien.
- Je voudrais simplement ajouter quelques mots pour insister sur la signification de cette rencontre. En effet, j'ai recueilli la présidence de la Communauté des mains de M. Felipe Gonzalez. Nous sommes maintenant dans la deuxième partie du mois d'août, c'est-à-dire que le temps passe vite. J'ai donc décidé d'entreprendre une série de contacts avec des responsables des onze autres Etats qui composent la Communauté.
- J'ai rendez-vous le 1er septembre avec madame Thatcher en Angleterre et je recevrai le Chancelier Kohl le 7 septembre en France.
- J'ai voulu que ces diverses rencontres fussent précédées par un entretien initial avec M. Felipe Gonzalez pour la simple raison, qui dépasse de loin la politesse ou les usages diplomatiques, que je savais pouvoir trouver, auprès de lui, l'information complète sur le déroulement des affaires européennes au cours du premier semestre, connaître ses suggestions sur ce qu'il convient de faire maintenant et associer l'Espagne, au premier chef, à l'action communautaire qui va suivre jusqu'à la fin de cette année.
- Voilà la raison principale de cet entretien. Nous avons pu débrouiller et mettre au clair les grandes lignes de l'action qu'il convient de mener maintenant au sein de l'Europe des Douze.
- Sur quels thèmes ? Cela vient d'être dit, je ne vais pas répéter. Bien entendu, si vous avez des questions à poser sur ces sujets, je m'efforcerai d'y répondre.\
Nous avons traité des sujets qui nous prennent à la gorge sur le plan extérieur, l'affaire du Liban, les évolutions dans le monde de l'Est comme la Pologne, d'une certaine manière la Hongrie, l'évolution de l'Union soviétique. Nous avons parlé de l'Amérique latine et des quelques pays qui se trouvent aujourd'hui en question, d'Amérique centrale, du problème du Nicaragua et de celui qui se dresse maintenant au Panama ainsi que des problèmes de la dette - avec ces premiers éléments de solution apportés pour le Mexique et ceux qui sont discutés pour les Philippines...
- Je crois que la sagesse maintenant, c'est de vous confier le soin de continuer cette conversation.
- J'ai trouvé en Espagne, comme depuis déjà longtemps, un accueil fraternel, une harmonie entre nos deux pays comme il en a rarement existé.
- Deux gros dossiers nous ont occupé dans le passé £ l'entrée de l'Espagne dans le Marché commun et le problème du terrorisme. L'Espagne ne s'est pas contentée d'entrer dans la Communauté. Elle s'y est confortablement installée. Elle prend des initiatives. Elle occupe de hautes positions, bref elle est très active et je m'en réjouis, c'est une bonne chose.
- Quant à la lutte contre le terrorisme, elle se passe comme cela doit être, c'est-à-dire en confiance, en associant nos efforts contre un mal reconnu comme tel par nos gouvernements, dans le cadre de nos sociétés et de notre civilisation.
- Je voudrais aussi vous parler d'un renforcement de notre système de travail. Bientôt je pense que nous aurons ce que l'on appelle avec un peu d'ambition un Sommet entre l'Espagne et la France. La France pratique déjà ce type de rencontre depuis longtemps avec l'Allemagne, puis avec l'Angleterre et avec l'Italie. Il y a quelques années, j'avais fait la suggestion au Président du conseil des ministres, d'établir la même règle entre l'Espagne et la France. Cela fonctionne bien. Nous allons avoir un rendez-vous, bientôt, qui aura lieu en Espagne.
- Nous pouvons encore resserrer ce système en ayant des instruments permanents de dialogue, comme cela existe entre l'Allemagne et la France. Il faut prévoir, devancer les questions qui se posent, ne pas laisser se nouer les problèmes. Je crois que nous avons intérêt encore à améliorer le fonctionnement de nos relations par la désignation d'hommes responsables dont ce serait la fonction.
- Voilà l'essentiel, je vous remercie de vous être déplacés par ce beau temps et dans ce bel endroit. Nous sommes très flattés que vous nous ayez donné la préférence à Saint-Jacques de Compostelle. Puisque nous sommes là vous et nous et bien que la conversation s'engage !\
QUESTION.- Qu'en est-il de la lutte anti-terroriste ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à juger la méthode observée par le gouvernement espagnol pour affronter ce difficile problème du terrorisme. J'ai eu simplement à lui apporter mon concours dès lors que le terrorisme pouvait trouver des prolongements ou des refuges en France. C'est ce que nous faisons mais l'initiative appartient au gouvernement espagnol dans la mesure où il s'agit d'une affaire nationale. Nous remplissons notre devoir de voisin et plus que de voisin sur un problème de ce type qui n'est pas acceptable. Nous nous efforçons d'agir de notre mieux pour le bien de l'Espagne dans le respect des principes et des droits qui nous paraissent évidents. Voilà ce que nous avons à dire sur ce sujet.
- QUESTION.- Comment s'organisent les réunions bilatérales ?
- LE PRESIDENT.- Madame, vous m'obligez à me répéter. Je veux dire simplement que nous avons déjà des relations constantes. Nous nous rencontrons beaucoup dans les structures de l'Europe, très souvent et cela n'est pas spécifique à l'Espagne et à la France. Aussi, avons-nous créé ces rencontres au sommet franco-espagnoles qui ont lieu chaque année d'une façon constante. Ce sont les représentants de l'exécutif de ces deux pays qui débattent de tous les problèmes mais il existe également des relations très nombreuses entre les principaux ministres responsables : affaires étrangères, intérieur, précisément à cause du terrorisme. D'ailleurs, la dernière rencontre de ce type entre les deux ministres de l'intérieur est très récente. Pour la préparation de ces travaux à l'image de ce qui existe en Espagne, j'ai évoqué, avec M. Felipe Gonzalez, à mon initiative, l'hypothèse d'avoir des coordinateurs, une personne par pays qui serait en mesure de suivre quotidiennement les problèmes en cours et de les relancer.\
QUESTION.- M. Mitterrand, quelle initiative communautaire vous espérez à propos du Liban ? D'autre part, Michel Rocard parle de l'éventualité d'imposer le silence localisé et temporaire des canons au Liban £ pourriez-vous nous dire jusqu'où on pourrait aller dans cette voie ?
- LE PRESIDENT.- Pour le Liban, il est question depuis déjà longtemps et surtout depuis que le 14 mars, il y a eu une recrudescence des affrontements à Beyrouth, d'une action diplomatique d'envergure qui permettrait à l'ensemble des nations de prendre conscience de la gravité du problème qui se déroule dans cette ville et dans ce pays, de rappeler à chacun qu'il s'agit d'un pays souverain et indépendant, qui doit rester uni et que cette souveraineté, cette indépendance et cette union sont menacées, cela en déni du droit international et du droit des Nations.
- Encore faut-il que cet énoncé de principe rencontre une pratique. Nous avons donc relancé tout récemment ce qui avait été fait, il n'y a pas si longtemps, en interpellant la plupart des pays du monde qui, ont un rôle à jouer dans le Proche-Orient ou qui s'intéressent aux problèmes du Liban.
- Cela a abouti, vous le savez, à un vote unanime du Conseil de sécurité, mais un certain nombre d'autorités reconnues dans le monde entier ont apporté leur voix pour que chacun comprenne que le Liban doit être sauvegardé, qu'il appartient aux Libanais de mettre en place un équilibre judicieux des institutions libanaises. Il faut qu'on puisse revenir d'abord à un cessez-le-feu respecté et à la paix, ensuite en finir avec les ambitions concurrentes des pays voisins, les intentions et les dominations. Voilà ce qui motive notre geste car il serait intolérable de voir une communauté, quelle qu'elle soit, en l'occurence minoritaire, mais appartenant à l'histoire même du Liban, démembrée, morcelée, humiliée ou physiquement détruite.
- Cette campagne diplomatique a déjà obtenu des résultats importants : on a vu plusieurs grands pays disposant d'autorité réelle, l'Union soviétique, différents pays d'Europe sans oublier les Etats-Unis d'Amérique, souhaiter la reprise de la médiation des trois autorités arabes qui s'étaient chargées de régler ce problème ou, tout au moins de faire des suggestions pour permettre de le régler. Nous en sommes là. Il faut intensifier cette pression diplomatique et l'accord de l'Espagne dans ce sens me paraît très important.\
`Suite sur le Liban`
- Quant à la citation que vous faites de M. Michel Rocard, ce qui est vrai, c'est que la mission de nos navires est une mission de sauvegarde. Il y a au Liban des milliers et des milliers de Français qui, s'il n'y a pas de cessez-le-feu, et si le cessez-le-feu n'est pas respecté - ce qui arrive le plus souvent - peuvent se trouver en danger de mort. Il faut un certain temps pour aller de France au Liban. Nous avons pris nos précautions, nous avons à la fois lancé une campagne diplomatique et d'autre part envoyé les moyens de secours et de sauvegarde qui permettraient de ne pas perdre les six, sept jours, qui seraient nécessaires entre les ports français de la Méditerranée et les ports du Liban. C'est l'essentiel, il n'y a pas d'autre signification. Naturellement, j'exclus cette idée. Qui pourrait songer à s'en prendre à cette mission humanitaire, à cette mission d'assistance à l'égard de nos compatriotes ou personnes qui estimeraient devoir trouver secours auprès de la France.
- Qui pourrait songer à s'en prendre militairement à des bâtiments, des navires dont la mission n'a pas de signification militaire. Voilà ce que je puis vous répondre sur ce point et nous continuerons d'exercer sur ce plan notre influence et de mettre à la disposition de tous les Libanais les moyens dont nous disposons pour alléger leurs souffrances.
- QUESTION.- A qui peut être destinée cette aide ?
- LE PRESIDENT.- Nous sommes les amis de tous les Libanais et il y a des morts, des blessés, il y a des destructions, des ravages dans tout le Liban et particulièrement dans les deux côtés de Beyrouth Est et Ouest. Cette assistance française est destinée à toutes les confessions et à toutes les communautés et non pas à celle-ci plutôt qu'à celle-là. Bien entendu, celles qui sont les plus menacées en auront sans doute le plus besoin.
- QUESTION.- Quelles sont les initiatives communautaires a propos du Liban ?
- LE PRESIDENT.- J'ai déjà répondu à cette question tout à l'heure. Je comprends que cela vous intéresse mais M. Felipe Gonzalez vient de vous dire que dès demain se réunissent les directeurs des affaires politiques des douze pour traiter du problème du Liban.\
QUESTION.- Avez-vous rencontré tous vos homologues ? Quelles sont les perspectives pour la conférence inter-gouvernementale ?
- LE PRESIDENT.- Comme je l'ai fait en 1984, où il m'était donne déjà de présider pendant six mois la Communauté, j'ai l'intention de me rendre dans chacun des pays-membres de la Communauté, onze autres pays en dehors de la France. Aujourd'hui, c'est l'Espagne, je commence par l'Espagne, c'était bien normal. Dans les jours qui viennent, je continuerai avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne fédérale et dans les semaines qui suivront, je rencontrerai tous les autres. C'est d'ailleurs devenu, je crois, traditionnel. Je l'avais déjà fait en 1984, il y avait des problèmes difficiles à résoudre, il y en a encore aujourd'hui.
- Quant à la conférence inter-gouvernementale sur l'Union économique et monétaire il a été prévu au cours du Conseil européen qui s'est tenu à Madrid, sous la présidence de M. Felipe Gonzalez, que des travaux préparatoires auraient lieu et que c'est à partir du 1er juillet 1990 que nous serons en mesure de connaître les résultats de ces travaux et le cas échéant de réunir la conférence inter-gouvernementale dans les mois qui suivront. Je ne peux pas vous en fixer la date exacte, cela dépendra de l'état des travaux. Nous sommes un certain nombre à vouloir faire que ces travaux soient précis et aussi rapides que possible. Donc, j'ai bon espoir que cette conférence inter-gouvernementale se réunira dans le délai que je viens d'indiquer.
- Quelles sont les initiatives dans ce domaine ? Elles ont déjà été prises, c'est déjà fixé. Je dois simplement veiller à ce que les travaux préparatoires soient mis au point et à ce que l'ordre du jour de la conférence inter-gouvernementale soit prêt de façon à ne pas être surpris lorsque le jour arrivera.
- QUESTION.- Comment l'Espagne évolue-t-elle ?
- LE PRESIDENT.- L'Espagne a connu un grand développement, une forte expansion. Elle est présente sur tous les marchés, preuve que cela va plutôt bien et que sa difficulté est précisément d'arriver à discipliner sa propre expansion. C'est un problème difficile mais, comme on vient de le dire, il vaut mieux avoir ces quelques problèmes que les autres.\
QUESTION.- Que peut faire la Communauté pour la Pologne ?
- LE PRESIDENT.- Je considère comme un devoir pour la Communauté de contribuer autant que possible selon ses moyens mais d'une façon importante au redressement économique d'un pays comme la Pologne. La France a déjà pris des décisions assez conséquentes : un rééchelonnement de ses créances jusqu'à sept milliards et demi de francs, des lignes de crédits nouvelles à moyen et à court terme de 500 et 150 millions. Je crois que c'est une aide qui n'a pratiquement pas été dépassée jusqu'alors et j'aimerais qu'une saine émulation s'empare de tous les pays en mesure de le faire. Tout doit être accompli pour contribuer au développement démocratique de ce pays : la démocratie dans ces pays sera soutenue sinon par un retour à la prospérité au moins par le rétablissement du minimum vital pour les populations avant que le régime de croisière ne soit mis en place. Voilà donc tout ce qui doit être fait et je m'en ferai l'avocat auprès de la Communauté.\