12 juillet 1989 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au journal japonais "Asahi Shimbun", à Paris le 12 juillet 1989, notamment sur la construction européenne, les relations Est-Ouest et l'aide au pays en voie de développement.
QUESTION.- Pour la troisième fois depuis 1975, la France accueille le Sommet des sept pays les plus industrialisés. Alors que nous nous approchons de l'ère des années 90 `1990`, ce Sommet des sept pays de l'Ouest, va-t-il voir son rôle se redéfinir ?
- LE PRESIDENT.- Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de redéfinir le rôle de ces sommets. La formule actuelle me paraît satisfaisante car elle donne aux dirigeants de nos sept pays ainsi qu'à la Commission des Communautés européennes, l'occasion de se concerter utilement sur les grands dossiers économiques sans pour autant chercher à constituer une forme de directoire imposant ses décisions au reste du monde.
- En ce qui concerne le Sommet de l'Arche, je vois deux thèmes prioritaires : le développement et l'environnement.\
QUESTION.- Ces dernières années, les relations Est-Ouest ont été marquées par de grands changements. L'URSS ainsi que les autres pays de l'Est, semblent faire le pas vers une certaine démocratisation. Quels échanges concrets le continent européen attend-t-il des relations Est-Ouest, au point de vue éconmique et politique ? Quels efforts demandez-vous aux pays de l'Est ?
- LE PRESIDENT.- Les changements dont vous faites état dans les relations Est-Ouest offrent au continent européen l'occasion de dépasser un état de division engendré par la guerre et ses séquelles, que ne justifient ni son histoire, ni sa géographie, ni l'unité de sa civilisation. L'Europe du XXIème siècle reste à construire. Sur des bases nouvelles : plus de confiance, moins d'armements £ plus de libertés, moins de barrières £ plus de solidarité, moins de confrontation. L'entreprise est délicate. Il s'agit de remettre en mouvement ce qui était figé depuis plus d'un demi-siècle sans rompre les équilibres nécessaires. Mais, partout, à l'Ouest comme à l'Est, on aborde cette période avec un esprit de responsabilité qui me rend confiant dans l'avenir.
- D'ailleurs, les vieilles nations d'Europe ont prouvé que, le voulant, elles savaient surmonter leurs rivalités pour joindre leurs forces. La Communauté européenne en est l'illustration. Avec ses 320 millions d'habitants, son dynamisme commercial, son potentiel technologique, et, d'ici trois ans, la liberté pour les personnes et les marchandises d'y circuler sans entraves, elle constitue d'ores et déjà un pôle de stabilité et de prospérité.\
QUESTION.- L'URSS et les Etats-Unis ont beaucoup progressé dans leurs négociations sur les réductions d'armement, en particulier le nucléaire et les armes conventionnelles. Dans ce cadre, comment envisagez-vous la politique future de la France, concernant les armes nucléaires ?
- LE PRESIDENT.- Je voudrais que l'URSS et les Etats-Unis progressent plus vite encore et tiennent l'engagement pris à Reykjavik de réduire de 50 % leur arsenal nucléaire stratégique.
- Quant à la France, les choses sont simples. Elle dispose de son autonomie de décision. Elle est membre de l'Alliance atlantique (et fidèle aux engagements souscrits auprès de nos alliés) mais non de son commandement militaire intégré. Nous avons notre propre système de protection. Il est suffisant pour dissuader quiconque de s'en prendre à nos intérêts de sécurité. Notre force nucléaire comprend quelques centaines de charges. Celle des Etats-Unis et de l'URSS plus de 1000 chacune. Il n'y a pas de commune mesure entre notre armement nucléaire et celui des deux grandes puissances. Qu'elles montrent l'exemple ! Si je constate qu'un effort réel est fait par l'URSS et les Etats-Unis, que la disproportion entre leur arsenal et le nôtre est réduite de façon significative, j'en tiendrai compte.\
QUESTION.- La France semble être promise à un bel avenir de leader, dans le cadre de la construction du grand marché européen de 1992. Cependant, les Etats-Unis et le Japon perçoivent encore quelque peu cette initiative comme une mesure protectionniste et conservatrice, vis-à-vis de l'extérieur. Quelle devrait être la compréhension du grand marché européen, de la part des pays extérieurs à celui-ci ? Comment le Japon, en particulier, doit-il percevoir ce grand marché ?
- LE PRESIDENT.- La réalisation du Marché unique n'a pas pour but de se protéger vis-à-vis de l'extérieur mais faire de l'Europe un ensemble économique plus homogène notamment en abattant les frontières internes de la Communauté européenne. Les industriels américains ou japonais savaient bien ce qu'ils ont à gagner de la réalisation de ce grand marché.
- C'est pourquoi, je récuse totalement le procès qui a pu être parfois fait d'une prétendue "Europe forteresse". L'Europe est déjà l'ensemble économique le plus ouvert sur l'extérieur, les chiffres le montrent. Elle souhaite établir avec tous ses partenaires, sur la base de négociations et non par des décisions unilatérales, des mesures commerciales équilibrées, afin que les entreprises européennes bénéficient ailleurs d'un traitement équivalent à celui qui est accordé aux entreprises des pays-tiers en Europe.\
QUESTION.- Les Etats-Unis et le Japon ont connu beaucoup de frictions quant à leurs échanges commerciaux. Comment cela est-il perçu en Europe ?
- LE PRESIDENT.- Il y a actuellement un cycle de négociations commerciales multilatérales. Même si des problèmes particuliers se posent entre tel ou tel pays, nous estimons qu'il faut résister aux tentations de prendre des mesures unilatérales ou bilatérales pour régler les problèmes commerciaux en cours puisque l'ambition est d'aboutir à un accord entre l'ensemble des partenaires concernés.\
QUESTION.- La dette des pays en voie de développement est un grave problème. Des mesures vont être prises pour enrayer ce fléau. Comment seront-elles appliquées, pour être efficaces et réalistes ? Comment les pays de l'Ouest doivent-ils harmoniser la conduite de l'Etat et du secteur privé, pour résoudre ce problème ?
- LE PRESIDENT.- Il faut en effet distinguer le problème de la dette publique et de la dette privée. En ce qui concerne la dette publique, le dernier Sommet des pays industrialisés avait, sur l'initiative de la France, adopté les mécanismes de réduction de cette dette pour les pays les plus pauvres. Plusieurs options étaient offertes, la France choisissant pour sa part l'annulation du tiers des échéances de la dette entrant dans le cadre des accords de rééchelonnement. Cette mesure a déjà reçu une application concrète pour une quinzaine de pays dans le cadre du "Club de Paris".
- Par ailleurs, certains pays ont décidé d'aller plus loin. J'ai annoncé à Dakar, sous réserve d'une approbation du Parlement français, que la France annulerait la totalité de ses créances d'aide publique au développement à l'égard de 35 pays d'Afrique, parmi les plus pauvres et les plus endettés de la planète.
- Pour la dette privée, c'est-à-dire pour les crédits qui ne sont pas garantis par des Etats, une stratégie a été mise au point par les sept, dans le cadre de la préparation du Sommet de l'Arche, sur la base d'initiatives française, japonaise puis américaine.
- Cette stratégie vise à créer un cadre favorable à la réduction de la dette bancaire des pays dits à "revenu intermédiaire" à travers la mise à disposition de fonds par les institutions financières internationales.
- Sur la dette bancaire, bien evidemment, les Etats n'ont pas la même faculté de décision que sur la dette publique. Il appartient désormais aux banques, auxquelles est offert ce cadre favorable, de consentir les efforts nécessaires à la conclusion d'un accord avec les pays débiteurs qui mènent une politique courageuse de redressement économique.\
- LE PRESIDENT.- Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de redéfinir le rôle de ces sommets. La formule actuelle me paraît satisfaisante car elle donne aux dirigeants de nos sept pays ainsi qu'à la Commission des Communautés européennes, l'occasion de se concerter utilement sur les grands dossiers économiques sans pour autant chercher à constituer une forme de directoire imposant ses décisions au reste du monde.
- En ce qui concerne le Sommet de l'Arche, je vois deux thèmes prioritaires : le développement et l'environnement.\
QUESTION.- Ces dernières années, les relations Est-Ouest ont été marquées par de grands changements. L'URSS ainsi que les autres pays de l'Est, semblent faire le pas vers une certaine démocratisation. Quels échanges concrets le continent européen attend-t-il des relations Est-Ouest, au point de vue éconmique et politique ? Quels efforts demandez-vous aux pays de l'Est ?
- LE PRESIDENT.- Les changements dont vous faites état dans les relations Est-Ouest offrent au continent européen l'occasion de dépasser un état de division engendré par la guerre et ses séquelles, que ne justifient ni son histoire, ni sa géographie, ni l'unité de sa civilisation. L'Europe du XXIème siècle reste à construire. Sur des bases nouvelles : plus de confiance, moins d'armements £ plus de libertés, moins de barrières £ plus de solidarité, moins de confrontation. L'entreprise est délicate. Il s'agit de remettre en mouvement ce qui était figé depuis plus d'un demi-siècle sans rompre les équilibres nécessaires. Mais, partout, à l'Ouest comme à l'Est, on aborde cette période avec un esprit de responsabilité qui me rend confiant dans l'avenir.
- D'ailleurs, les vieilles nations d'Europe ont prouvé que, le voulant, elles savaient surmonter leurs rivalités pour joindre leurs forces. La Communauté européenne en est l'illustration. Avec ses 320 millions d'habitants, son dynamisme commercial, son potentiel technologique, et, d'ici trois ans, la liberté pour les personnes et les marchandises d'y circuler sans entraves, elle constitue d'ores et déjà un pôle de stabilité et de prospérité.\
QUESTION.- L'URSS et les Etats-Unis ont beaucoup progressé dans leurs négociations sur les réductions d'armement, en particulier le nucléaire et les armes conventionnelles. Dans ce cadre, comment envisagez-vous la politique future de la France, concernant les armes nucléaires ?
- LE PRESIDENT.- Je voudrais que l'URSS et les Etats-Unis progressent plus vite encore et tiennent l'engagement pris à Reykjavik de réduire de 50 % leur arsenal nucléaire stratégique.
- Quant à la France, les choses sont simples. Elle dispose de son autonomie de décision. Elle est membre de l'Alliance atlantique (et fidèle aux engagements souscrits auprès de nos alliés) mais non de son commandement militaire intégré. Nous avons notre propre système de protection. Il est suffisant pour dissuader quiconque de s'en prendre à nos intérêts de sécurité. Notre force nucléaire comprend quelques centaines de charges. Celle des Etats-Unis et de l'URSS plus de 1000 chacune. Il n'y a pas de commune mesure entre notre armement nucléaire et celui des deux grandes puissances. Qu'elles montrent l'exemple ! Si je constate qu'un effort réel est fait par l'URSS et les Etats-Unis, que la disproportion entre leur arsenal et le nôtre est réduite de façon significative, j'en tiendrai compte.\
QUESTION.- La France semble être promise à un bel avenir de leader, dans le cadre de la construction du grand marché européen de 1992. Cependant, les Etats-Unis et le Japon perçoivent encore quelque peu cette initiative comme une mesure protectionniste et conservatrice, vis-à-vis de l'extérieur. Quelle devrait être la compréhension du grand marché européen, de la part des pays extérieurs à celui-ci ? Comment le Japon, en particulier, doit-il percevoir ce grand marché ?
- LE PRESIDENT.- La réalisation du Marché unique n'a pas pour but de se protéger vis-à-vis de l'extérieur mais faire de l'Europe un ensemble économique plus homogène notamment en abattant les frontières internes de la Communauté européenne. Les industriels américains ou japonais savaient bien ce qu'ils ont à gagner de la réalisation de ce grand marché.
- C'est pourquoi, je récuse totalement le procès qui a pu être parfois fait d'une prétendue "Europe forteresse". L'Europe est déjà l'ensemble économique le plus ouvert sur l'extérieur, les chiffres le montrent. Elle souhaite établir avec tous ses partenaires, sur la base de négociations et non par des décisions unilatérales, des mesures commerciales équilibrées, afin que les entreprises européennes bénéficient ailleurs d'un traitement équivalent à celui qui est accordé aux entreprises des pays-tiers en Europe.\
QUESTION.- Les Etats-Unis et le Japon ont connu beaucoup de frictions quant à leurs échanges commerciaux. Comment cela est-il perçu en Europe ?
- LE PRESIDENT.- Il y a actuellement un cycle de négociations commerciales multilatérales. Même si des problèmes particuliers se posent entre tel ou tel pays, nous estimons qu'il faut résister aux tentations de prendre des mesures unilatérales ou bilatérales pour régler les problèmes commerciaux en cours puisque l'ambition est d'aboutir à un accord entre l'ensemble des partenaires concernés.\
QUESTION.- La dette des pays en voie de développement est un grave problème. Des mesures vont être prises pour enrayer ce fléau. Comment seront-elles appliquées, pour être efficaces et réalistes ? Comment les pays de l'Ouest doivent-ils harmoniser la conduite de l'Etat et du secteur privé, pour résoudre ce problème ?
- LE PRESIDENT.- Il faut en effet distinguer le problème de la dette publique et de la dette privée. En ce qui concerne la dette publique, le dernier Sommet des pays industrialisés avait, sur l'initiative de la France, adopté les mécanismes de réduction de cette dette pour les pays les plus pauvres. Plusieurs options étaient offertes, la France choisissant pour sa part l'annulation du tiers des échéances de la dette entrant dans le cadre des accords de rééchelonnement. Cette mesure a déjà reçu une application concrète pour une quinzaine de pays dans le cadre du "Club de Paris".
- Par ailleurs, certains pays ont décidé d'aller plus loin. J'ai annoncé à Dakar, sous réserve d'une approbation du Parlement français, que la France annulerait la totalité de ses créances d'aide publique au développement à l'égard de 35 pays d'Afrique, parmi les plus pauvres et les plus endettés de la planète.
- Pour la dette privée, c'est-à-dire pour les crédits qui ne sont pas garantis par des Etats, une stratégie a été mise au point par les sept, dans le cadre de la préparation du Sommet de l'Arche, sur la base d'initiatives française, japonaise puis américaine.
- Cette stratégie vise à créer un cadre favorable à la réduction de la dette bancaire des pays dits à "revenu intermédiaire" à travers la mise à disposition de fonds par les institutions financières internationales.
- Sur la dette bancaire, bien evidemment, les Etats n'ont pas la même faculté de décision que sur la dette publique. Il appartient désormais aux banques, auxquelles est offert ce cadre favorable, de consentir les efforts nécessaires à la conclusion d'un accord avec les pays débiteurs qui mènent une politique courageuse de redressement économique.\