6 juillet 1989 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la Révolution française et la recherche historique, Paris, la Sorbonne, le 6 juillet 1989.
Mesdames et messieurs,
- Vous venez d'écouter le professeur Vovelle. Vos applaudissements ont souligné l'attention extrême avec laquelle vous l'avez entendu et j'y ai pris pleinement part.
- Monsieur le professeur, vous avez évoqué ce qui caractérise ce congrès mondial et en fait la richesse. Vous avez souligné la mobilisation scientifique internationale dont il est l'aboutissement ou plutôt un moment fort qui aura, j'en suis convaincu, des prolongements ultérieurs.
- Le temps est loin où l'on pouvait s'imaginer qu'il suffisait de réfléchir entre Français à cet événement complexe, fondateur d'une large part de notre histoire mais l'ayant aussi - de nombreuses communications en témoignent - liée étroitement à l'histoire du monde.
- Mesdames et messieurs, vous allez vous attacher - vous l'avez déjà fait - à éclairer les répercussions dans les imaginaires collectifs de ces années de Révolution.
- Qu'il me soit permis ici de rappeler en peu de temps combien nombreuses et pas seulement françaises furent les influences, qui en amont, nourrirent les convictions des Français de ce temps.\
Dès 1789, on savait bien que le débat d'idées ne se bornait pas aux limites de l'hexagone, ce n'est pas une révélation. Fille des Lumières, a-t-on dit, la Révolution française doit beaucoup à l'intense bouillonnement d'idées qui, dans l'Europe du XVIIIème siècle et à vrai dire depuis la Renaissance, a peu à peu formé une nouvelle façon de voir le monde et de concevoir le pouvoir de l'homme sur son destin. Nous savons aussi quelle force d'inspiration les hommes de 1789 puisèrent dans l'exemple des Insurgents américains.
- Sur le moment, vous le savez, en Europe et en Amérique, on commenta avec passion ce renversement tumultueux d'un ordre séculaire. D'Angleterre, Burke prit sa plume hostile, Thomas Paine lui répondit et, outre-Rhin, Fichte à son tour se mobilisa pour "rectifier les jugements du public sur la Révolution française" en affirmant le droit de l'humanité au changement.
- Chacun connait les réactions de Goethe au soir de Valmy et ces anecdotes qui sont peut-être légende mais disent le vrai sur un état d'esprit : Kant interrompant sa promenade quotidienne à Koenigsberg à l'annonce de la prise de la Bastille £ Hegel, tout jeune homme, plantant un arbre de la liberté dans la cour du collège de Tubingen en compagnie, dit-on, de ses amis les poètes Hölderlin et Schelling.
- Si ceux-là et bien d'autres encore réagirent si vivement à l'événement, c'est que la Révolution française était partie prenante d'une onde sensible dans l'Europe entière. En témoignèrent les révolutions genevoise, batave, brabançonne. La République de Mayence, le soulèvement irlandais. Et la Pologne.
- Bien des militants de ces tentatives défaites, trouvèrent asile en France. Ils y prirent à nos côtés part à la Révolution qui souvent les fit citoyens français. D'autres, comme Miranda, y forgèrent des convictions qu'ils mirent ensuite au service de la libération de l'Amérique latine. Tout cela, bien rapidement évoqué, l'a été par plus savant que moi et sera analysé en profondeur par vos travaux. Bref, dès le début, la Révolution ne fut pas l'affaire des seuls Français.
- Je puis dire sans risque de me tromper que ce mouvement, avec le temps, ne fait que se confirmer et s'étendre.
- Les acteurs du début de la Révolution, dès la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, avaient conscience de la portée universelle de leurs proclamations. Carnot, dans le langage de l'époque, y voyait l'honneur de la France, "ce grand magasin où les peuples qui veulent recouvrer leurs droits, viendront se pourvoir des moyens d'exterminer les tyrans".
- D'une certaine manière, ce pronostic s'est vérifié, y compris contre les prétentions dominatrices de l'Occident. Quel meilleur exemple en donner que ces déclarations de responsables du mouvement nationaliste algérien qui, à trois époques différentes, éprouvèrent le besoin pour conforter la légitimité de leur lutte d'évoquer les idéaux de 1789 ?
- Je pourrais multiplier les citations. La Révolution française servit à beaucoup de référence dans la lutte contre certains comportements de la France elle-même et il ne faut pas voir dans cette contradiction une condamnation mais au contraire une justification.\
J'ai été très impressionné par la masse des travaux que, sous toutes les latitudes, suscite votre inépuisable sujet. On m'a cité, outre le chiffre de 200 colloques dans toutes les régions en France, celui de 400 colloques organisés dans le monde à l'occasion de ce Bicentenaire.
- Et le vôtre, enfin, qui permet à toutes ces lectures de se confronter, à tous ces regards de se croiser et qui, d'une rencontre consacrée à l'histoire, fait aussi un geste historique.
- Certes, la recherche est de nos jours coutumière des réunions internationales et chacun, quelle que soit sa discipline, sait combien il est vital de frotter ses hypothèses, ses méthodes, ses résultats à ceux des chercheurs des autres pays et des autres disciplines.
- Mais vous me permettrez de voir dans cette assemblée davantage qu'un colloque : le signe d'une coopération scientifique mondiale, respectueuse de la pluralité des approches et d'autant plus nécessaire que son objet est, au fil du temps, devenu notre propriété commune.
- "Faire une recherche, faire des recherches - disait Péguy - mots voluptueux, tout pleins, tout gonflés de promesses ultérieures". Ainsi votre congrès, en même temps qu'il couronne un important travail préparatoire sera, je l'espère, aussi un encouragement à poursuivre. Soyez-en, mesdames et messieurs, remerciés.
- L'enjeu, pour vous comme pour moi, est d'importance : non seulement faire vivre la mémoire, parfois simplement retrouver la trace, de ce qui s'est pensé, inventé, rêvé, affirmé il y a 200 ans, non seulement en suivre la diffusion explicite ou souterraine, mais mieux comprendre ce qui nous lie.
- On n'en finit jamais avec la volonté de comprendre. Maurice Blanchot, l'un de nos écrivains et poètes, disait avec humour : "la réponse est le malheur de la question", ajoutant plus sérieusement, quoique ce fût déjà sérieux pour moi : "la question attend la réponse mais la réponse n'apaise pas la question". Sans doute, malgré votre science et vos travaux, en êtes-vous encore un peu là...
- C'est, me semble-t-il, particulièrement vrai en histoire où le présent inspire sans cesse de nouvelles questions, de nouvelles approches qui n'épuisent jamais cette matière sur laquelle vous travaillez et qui s'appelle le passé. Selon Fustel de Coulanges qu'il n'est pas mauvais d'évoquer, en ce jour, "l'histoire n'étudie pas seulement les faits matériels et les institutions £ son véritable objet d'étude est l'âme humaine".
- Passons sur l'interprétation de Fustel de Coulanges... mais il est difficile, en effet, de séparer ce qui se passe à l'intérieur de soi-même et qui communique avec un peuple tout entier, des faits et des événements qui en découlent.
- Cet imaginaire de la Révolution que vos travaux vont s'attacher à débusquer en balayant l'espace de la planète et le temps écoulé depuis deux siècles, en embrassant bien davantage que la seule histoire économique, sociale ou politique - importante et nécessaire, sans doute - voilà un angle fécond qui fait aussi l'originalité de vos assises.
- Telle est l'histoire vivante d'aujourd'hui, attentive aux peuples, aux anonymes, comme aux grandes figures emblématiques, curieuse des résistances comme des enthousiasmes, des cris d'espoir, des silences de peur et des gestes de violence. Sans oublier la fête, si présente, car comment pratiquer l'espoir sans se réjouir et être porté au-delà de soi-même, par une sorte de rêve joyeux, même si la réalité nous répond séchement ?\
Je sais, monsieur le professeur Vovelle, la qualité des travaux qu'avec constance vous développez et l'opiniâtreté avec laquelle vous avez arpenté le monde pour préparer ce congrès. Ce rôle que vous avez joué est loin d'être étranger à ma présence parmi vous ce matin, nous en avions parlé il y a quelques années. Je sais aussi qu'ici vont s'exprimer, c'est très bien comme cela, des sensibilités, des écoles historiques différentes et sans doute opposées sauf sur un point : vous avez dit que nous sommes des célébrants, oui, il n'y a là que des célébrants de l'événement qui nous rassemble.
- Comme un écho de l'influence exercée par la Révolution française, la pluralité des regards scientifiques, le choc des problématiques, la contribution des différentes disciplines, tout cela stimule la recherche qui n'a que faire de vérités officielles et n'en éclaire que mieux le cheminement complexe de la Révolution, de ses influences.
- On en a, je crois, fini depuis longtemps avec le mythe de l'objectivité de l'historien, détaché des préoccupations de son temps. Ce que l'on dit de l'historien, on pourrait le dire du journaliste, de tous les moyens d'expression. Ce qui importe c'est la sincérité des convictions et la vérité objective trouve toujours son compte... au bout du compte, par le seul fait qu'on exprime ce que l'on pense et qu'on tente de traduire honnêtement les faits, mais l'on ne peut se détacher de sa propre approche. Donc l'historien détaché des préoccupations de son temps, faisant taire ses convictions devant le message des faits, c'est très bien.. Il en est qui parviennent sans doute à ce chef-d'oeuvre, restons raisonnables, cela n'est pas donné au plus grand nombre. Alors il est bon de réunir le plus grand nombre pour que les idées s'entrechoquent et que, finalement, se dégage une interprétation dominante qui inspirera ensuite nos successeurs.
- Vous avez cité vous-même, dans un de vos ouvrages, cet amusant débat entre deux historiens qui, d'accord sur le fait que les Sans-Culottes ne boudaient pas nécessairement la bouteille, y voyaient, l'un, le signe supplémentaire d'une fraternité virile et chaleureuse, l'autre, le symptôme annonciateur des plus violents dérèglements.
- Inversement, on ne saurait refaire l'histoire à partir des seules obsessions du présent, par une démarche téléologique aux vertus souvent plus polémiques que scientifiques, ne lire ce qui fut qu'à la lumière de ce qui est. Je pense que cette dernière question ne se pose pas uniquement aux savants que vous êtes mais, plus largement, aux citoyens soucieux de comprendre leur passé. Ni anathème ni liturgie approbative, c'est ce que vous pensez et c'est ce que vous dites. Eh bien ! je pense que c'est un bon mot d'ordre, non seulement pour ce congrès mais, au-delà, pour l'effort de remémoration collective à quoi la célébration du Bicentenaire nous convie tous.
- Parce qu'elle est en France la base et l'origine de notre République, parce qu'elle a nourri et continue de nourrir un peu partout une immense espérance - espérance que l'on trouvait encore, il y a peu de temps, à l'autre bout de la terre, sur la Place Tien An Men, ce qui prouve qu'elle n'a rien perdu de son actualité - la révolution est vivante et, de ce fait, suscite encore des passions. Il suffit de se reporter à la littérature qui paraît quotidiennement chez nous.. C'est très bien. Cela prouve que la Révolution vit toujours dans les coeurs et dans les esprits. Cela prouve aussi qu'on la redoute encore, ce dont j'aurais plutôt tendance à me réjouir.\
Chacun est libre de ses préférences mais nul ne peut s'affranchir, et vous moins que les autres encore, du devoir de rigueur.
- Notre époque, je l'ai dit, interroge, comme les précédentes, le souvenir de la Révolution £ il est là, palpitant, discuté. Chacun pense, lorsqu'il y est hostile, le frapper à mort et voilà qu'il revit. La Révolution française, vos travaux le montrent car vous en avez vraiment pisté tous les échos, est devenue, je le répète mais c'est bien le sujet, le patrimoine commun de l'humanité et la source d'inspiration de beaucoup d'expériences. Elle s'enrichit d'exigences nouvelles, de nouveaux fronts s'ouvrent à mesure que les sociétés évoluent, chaque génération a à refaire pour son compte le choix : la liberté, égalité et fraternité, sans oublier la souveraineté populaire.
- Raymond Aron notait que "l'homme qui par l'action se veut libre dans l'histoire, se veut aussi libre par le savoir". Eh bien ! il vous revient, c'est une grande tâche, de nous y aider. C'est ce que vous démontrez par cette réunion, c'est ce que vous avez déjà démontré par votre action de chaque jour. Je voulais moi aussi, à ma façon, en témoigner. Merci.\
- Vous venez d'écouter le professeur Vovelle. Vos applaudissements ont souligné l'attention extrême avec laquelle vous l'avez entendu et j'y ai pris pleinement part.
- Monsieur le professeur, vous avez évoqué ce qui caractérise ce congrès mondial et en fait la richesse. Vous avez souligné la mobilisation scientifique internationale dont il est l'aboutissement ou plutôt un moment fort qui aura, j'en suis convaincu, des prolongements ultérieurs.
- Le temps est loin où l'on pouvait s'imaginer qu'il suffisait de réfléchir entre Français à cet événement complexe, fondateur d'une large part de notre histoire mais l'ayant aussi - de nombreuses communications en témoignent - liée étroitement à l'histoire du monde.
- Mesdames et messieurs, vous allez vous attacher - vous l'avez déjà fait - à éclairer les répercussions dans les imaginaires collectifs de ces années de Révolution.
- Qu'il me soit permis ici de rappeler en peu de temps combien nombreuses et pas seulement françaises furent les influences, qui en amont, nourrirent les convictions des Français de ce temps.\
Dès 1789, on savait bien que le débat d'idées ne se bornait pas aux limites de l'hexagone, ce n'est pas une révélation. Fille des Lumières, a-t-on dit, la Révolution française doit beaucoup à l'intense bouillonnement d'idées qui, dans l'Europe du XVIIIème siècle et à vrai dire depuis la Renaissance, a peu à peu formé une nouvelle façon de voir le monde et de concevoir le pouvoir de l'homme sur son destin. Nous savons aussi quelle force d'inspiration les hommes de 1789 puisèrent dans l'exemple des Insurgents américains.
- Sur le moment, vous le savez, en Europe et en Amérique, on commenta avec passion ce renversement tumultueux d'un ordre séculaire. D'Angleterre, Burke prit sa plume hostile, Thomas Paine lui répondit et, outre-Rhin, Fichte à son tour se mobilisa pour "rectifier les jugements du public sur la Révolution française" en affirmant le droit de l'humanité au changement.
- Chacun connait les réactions de Goethe au soir de Valmy et ces anecdotes qui sont peut-être légende mais disent le vrai sur un état d'esprit : Kant interrompant sa promenade quotidienne à Koenigsberg à l'annonce de la prise de la Bastille £ Hegel, tout jeune homme, plantant un arbre de la liberté dans la cour du collège de Tubingen en compagnie, dit-on, de ses amis les poètes Hölderlin et Schelling.
- Si ceux-là et bien d'autres encore réagirent si vivement à l'événement, c'est que la Révolution française était partie prenante d'une onde sensible dans l'Europe entière. En témoignèrent les révolutions genevoise, batave, brabançonne. La République de Mayence, le soulèvement irlandais. Et la Pologne.
- Bien des militants de ces tentatives défaites, trouvèrent asile en France. Ils y prirent à nos côtés part à la Révolution qui souvent les fit citoyens français. D'autres, comme Miranda, y forgèrent des convictions qu'ils mirent ensuite au service de la libération de l'Amérique latine. Tout cela, bien rapidement évoqué, l'a été par plus savant que moi et sera analysé en profondeur par vos travaux. Bref, dès le début, la Révolution ne fut pas l'affaire des seuls Français.
- Je puis dire sans risque de me tromper que ce mouvement, avec le temps, ne fait que se confirmer et s'étendre.
- Les acteurs du début de la Révolution, dès la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, avaient conscience de la portée universelle de leurs proclamations. Carnot, dans le langage de l'époque, y voyait l'honneur de la France, "ce grand magasin où les peuples qui veulent recouvrer leurs droits, viendront se pourvoir des moyens d'exterminer les tyrans".
- D'une certaine manière, ce pronostic s'est vérifié, y compris contre les prétentions dominatrices de l'Occident. Quel meilleur exemple en donner que ces déclarations de responsables du mouvement nationaliste algérien qui, à trois époques différentes, éprouvèrent le besoin pour conforter la légitimité de leur lutte d'évoquer les idéaux de 1789 ?
- Je pourrais multiplier les citations. La Révolution française servit à beaucoup de référence dans la lutte contre certains comportements de la France elle-même et il ne faut pas voir dans cette contradiction une condamnation mais au contraire une justification.\
J'ai été très impressionné par la masse des travaux que, sous toutes les latitudes, suscite votre inépuisable sujet. On m'a cité, outre le chiffre de 200 colloques dans toutes les régions en France, celui de 400 colloques organisés dans le monde à l'occasion de ce Bicentenaire.
- Et le vôtre, enfin, qui permet à toutes ces lectures de se confronter, à tous ces regards de se croiser et qui, d'une rencontre consacrée à l'histoire, fait aussi un geste historique.
- Certes, la recherche est de nos jours coutumière des réunions internationales et chacun, quelle que soit sa discipline, sait combien il est vital de frotter ses hypothèses, ses méthodes, ses résultats à ceux des chercheurs des autres pays et des autres disciplines.
- Mais vous me permettrez de voir dans cette assemblée davantage qu'un colloque : le signe d'une coopération scientifique mondiale, respectueuse de la pluralité des approches et d'autant plus nécessaire que son objet est, au fil du temps, devenu notre propriété commune.
- "Faire une recherche, faire des recherches - disait Péguy - mots voluptueux, tout pleins, tout gonflés de promesses ultérieures". Ainsi votre congrès, en même temps qu'il couronne un important travail préparatoire sera, je l'espère, aussi un encouragement à poursuivre. Soyez-en, mesdames et messieurs, remerciés.
- L'enjeu, pour vous comme pour moi, est d'importance : non seulement faire vivre la mémoire, parfois simplement retrouver la trace, de ce qui s'est pensé, inventé, rêvé, affirmé il y a 200 ans, non seulement en suivre la diffusion explicite ou souterraine, mais mieux comprendre ce qui nous lie.
- On n'en finit jamais avec la volonté de comprendre. Maurice Blanchot, l'un de nos écrivains et poètes, disait avec humour : "la réponse est le malheur de la question", ajoutant plus sérieusement, quoique ce fût déjà sérieux pour moi : "la question attend la réponse mais la réponse n'apaise pas la question". Sans doute, malgré votre science et vos travaux, en êtes-vous encore un peu là...
- C'est, me semble-t-il, particulièrement vrai en histoire où le présent inspire sans cesse de nouvelles questions, de nouvelles approches qui n'épuisent jamais cette matière sur laquelle vous travaillez et qui s'appelle le passé. Selon Fustel de Coulanges qu'il n'est pas mauvais d'évoquer, en ce jour, "l'histoire n'étudie pas seulement les faits matériels et les institutions £ son véritable objet d'étude est l'âme humaine".
- Passons sur l'interprétation de Fustel de Coulanges... mais il est difficile, en effet, de séparer ce qui se passe à l'intérieur de soi-même et qui communique avec un peuple tout entier, des faits et des événements qui en découlent.
- Cet imaginaire de la Révolution que vos travaux vont s'attacher à débusquer en balayant l'espace de la planète et le temps écoulé depuis deux siècles, en embrassant bien davantage que la seule histoire économique, sociale ou politique - importante et nécessaire, sans doute - voilà un angle fécond qui fait aussi l'originalité de vos assises.
- Telle est l'histoire vivante d'aujourd'hui, attentive aux peuples, aux anonymes, comme aux grandes figures emblématiques, curieuse des résistances comme des enthousiasmes, des cris d'espoir, des silences de peur et des gestes de violence. Sans oublier la fête, si présente, car comment pratiquer l'espoir sans se réjouir et être porté au-delà de soi-même, par une sorte de rêve joyeux, même si la réalité nous répond séchement ?\
Je sais, monsieur le professeur Vovelle, la qualité des travaux qu'avec constance vous développez et l'opiniâtreté avec laquelle vous avez arpenté le monde pour préparer ce congrès. Ce rôle que vous avez joué est loin d'être étranger à ma présence parmi vous ce matin, nous en avions parlé il y a quelques années. Je sais aussi qu'ici vont s'exprimer, c'est très bien comme cela, des sensibilités, des écoles historiques différentes et sans doute opposées sauf sur un point : vous avez dit que nous sommes des célébrants, oui, il n'y a là que des célébrants de l'événement qui nous rassemble.
- Comme un écho de l'influence exercée par la Révolution française, la pluralité des regards scientifiques, le choc des problématiques, la contribution des différentes disciplines, tout cela stimule la recherche qui n'a que faire de vérités officielles et n'en éclaire que mieux le cheminement complexe de la Révolution, de ses influences.
- On en a, je crois, fini depuis longtemps avec le mythe de l'objectivité de l'historien, détaché des préoccupations de son temps. Ce que l'on dit de l'historien, on pourrait le dire du journaliste, de tous les moyens d'expression. Ce qui importe c'est la sincérité des convictions et la vérité objective trouve toujours son compte... au bout du compte, par le seul fait qu'on exprime ce que l'on pense et qu'on tente de traduire honnêtement les faits, mais l'on ne peut se détacher de sa propre approche. Donc l'historien détaché des préoccupations de son temps, faisant taire ses convictions devant le message des faits, c'est très bien.. Il en est qui parviennent sans doute à ce chef-d'oeuvre, restons raisonnables, cela n'est pas donné au plus grand nombre. Alors il est bon de réunir le plus grand nombre pour que les idées s'entrechoquent et que, finalement, se dégage une interprétation dominante qui inspirera ensuite nos successeurs.
- Vous avez cité vous-même, dans un de vos ouvrages, cet amusant débat entre deux historiens qui, d'accord sur le fait que les Sans-Culottes ne boudaient pas nécessairement la bouteille, y voyaient, l'un, le signe supplémentaire d'une fraternité virile et chaleureuse, l'autre, le symptôme annonciateur des plus violents dérèglements.
- Inversement, on ne saurait refaire l'histoire à partir des seules obsessions du présent, par une démarche téléologique aux vertus souvent plus polémiques que scientifiques, ne lire ce qui fut qu'à la lumière de ce qui est. Je pense que cette dernière question ne se pose pas uniquement aux savants que vous êtes mais, plus largement, aux citoyens soucieux de comprendre leur passé. Ni anathème ni liturgie approbative, c'est ce que vous pensez et c'est ce que vous dites. Eh bien ! je pense que c'est un bon mot d'ordre, non seulement pour ce congrès mais, au-delà, pour l'effort de remémoration collective à quoi la célébration du Bicentenaire nous convie tous.
- Parce qu'elle est en France la base et l'origine de notre République, parce qu'elle a nourri et continue de nourrir un peu partout une immense espérance - espérance que l'on trouvait encore, il y a peu de temps, à l'autre bout de la terre, sur la Place Tien An Men, ce qui prouve qu'elle n'a rien perdu de son actualité - la révolution est vivante et, de ce fait, suscite encore des passions. Il suffit de se reporter à la littérature qui paraît quotidiennement chez nous.. C'est très bien. Cela prouve que la Révolution vit toujours dans les coeurs et dans les esprits. Cela prouve aussi qu'on la redoute encore, ce dont j'aurais plutôt tendance à me réjouir.\
Chacun est libre de ses préférences mais nul ne peut s'affranchir, et vous moins que les autres encore, du devoir de rigueur.
- Notre époque, je l'ai dit, interroge, comme les précédentes, le souvenir de la Révolution £ il est là, palpitant, discuté. Chacun pense, lorsqu'il y est hostile, le frapper à mort et voilà qu'il revit. La Révolution française, vos travaux le montrent car vous en avez vraiment pisté tous les échos, est devenue, je le répète mais c'est bien le sujet, le patrimoine commun de l'humanité et la source d'inspiration de beaucoup d'expériences. Elle s'enrichit d'exigences nouvelles, de nouveaux fronts s'ouvrent à mesure que les sociétés évoluent, chaque génération a à refaire pour son compte le choix : la liberté, égalité et fraternité, sans oublier la souveraineté populaire.
- Raymond Aron notait que "l'homme qui par l'action se veut libre dans l'histoire, se veut aussi libre par le savoir". Eh bien ! il vous revient, c'est une grande tâche, de nous y aider. C'est ce que vous démontrez par cette réunion, c'est ce que vous avez déjà démontré par votre action de chaque jour. Je voulais moi aussi, à ma façon, en témoigner. Merci.\