23 juin 1989 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'histoire des droits de la femme, sur l'universalité des droits de l'homme et sur l'importance de l'action menée par ceux qui luttent pour ces droits, Paris le 23 juin 1989.
Monsieur le Président,
- mesdames et messieurs,
- L'hommage que vous rendez aujourd'hui aux femmes qui combattent pour les droits humains vient à son heure en cette année du Bicentenaire.
- Avant de rappeler quelques unes des étapes de ce combat, j'entends saluer celles à qui vous avez, symboliquement, dédié ces journées. Dans la diversité de leur culture comme de leurs actions, elles nous rappellent que, partout dans le monde, par l'humble action quotidienne ou par l'éclatante participation aux grands moments de l'histoire, des femmes n'ont cessé de faire avancer les droits qu'aujourd'hui nous entendons célébrer.
- Vos luttes pour la liberté, vos luttes contre les exclusions, toutes les exclusions, furent déjà celles des femmes de la Révolution. Avant même la prise de la Bastille, Condorcet avait rappelé qu'il faudrait reconnaître aux femmes le droit à l'éducation, le droit politique, l'accès aux emplois entre autres choses. Mais force fut de constater qu'il n'a pas vraiment été entendu y compris par ses contemporains et que les femmes, mères, militantes auront à parcourir un très long chemin avant de se voir reconnues dans leurs droits civils et politiques pour peu que cela soit accompli autant qu'il le faudrait.
- En janvier 1789, une femme anonyme exprimant ses doléances écrivait, je la cite : "Etant démontré, avec raison, qu'un noble ne peut représenter un roturier, ni celui-ci un noble, de même les femmes ne peuvent être représentées que par des femmes". C'est une vue dont j'ai entendu l'écho assez souvent, je dois le dire. Peut-être est-ce une vue un peu trop générale. Mais elle se comprend au coeur d'un combat ou justice n'a pas été rendue. Enfin, c'est une vaste ambition et une ambition toujours actuelle.
- En 1790, 91, 92, 93, les femmes qui réfléchissent, qui parlent, qui écrivent, qui publient, placent leur espérance dans la Révolution. Mais elles n'eurent droit ni à une instruction publique qui leur aurait permis l'accès à des emplois, ni au divorce, ni à bien d'autres choses. Elles eurent, en revanche, le droit de monter sur l'échafaud comme Olympe de Gouges sans même l'autorisation, la simple autorisation de porter la cocarde tricolore. Elle qui avait rédigé la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne mourut accusée d'avoir été une "conspiratrice... qui aurait voulu être un homme d'Etat" !
- "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit". Mais il faudra attendre 1937 pour lever l'incapacité civile de la femme mariée. "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit". Mais il faudra attendre 1945 pour que les femmes aient, en France, le droit de vote.\
Vous le savez mieux que quiconque ici. Il ne suffit pas de brandir l'étendard des droits de l'homme pour que soudain, comme par magie, les obstacles disparaissent ou bien les préventions ou les habitudes de pensée et laissent la place aux droits et aux libertés pour tout le monde.
- Si la France fête le Bicentenaire de la Révolution de 1789, c'est aussi pour rappeler que les idéaux qui ont, depuis, porté la République, ne sont pas encore atteints. Il y a loin, entre l'égalité des droits proclamée et une réalité qui laisse tant de place à l'exclusion. Réalité des exclus du travail, des exclus de la santé, de l'éducation, exclus par la pauvreté.. Pire encore, lorsque ces exclus sont victimes de la couleur de leur peau, de leur sexe ou de leurs opinions.
- Mais que dire de l'exclusion par la faim ? Que dire des droits et des libertés quand la seule question est celle de la survie ? Quel espoir de démocratie pour des peuples confrontés depuis des siècles et aujourd'hui tout autant, au bon vouloir des climats qui, d'une année sur l'autre, assèchent ou inondent leur terre ? Ou au bon vouloir des autres peuples ou des autres hommes qui s'apitoient mais ne font rien.
- Le premier des droits de l'homme est le droit de vivre. Pour faire progresser les droits de l'humanité, les pays riches ont moins à s'ériger en professeurs de vertu ou en donneurs de conseils qu'à contribuer efficacement au développement. Ils le peuvent, notamment, en stabilisant, dans la mesure de leur pouvoir, les cours des matières premières, témoignage d'une époque que l'on croyait déjà derrière nous, forme moderne d'un néo-colonialisme. Ils le peuvent en réalisant une coopération entre partenaires vraiment égaux. Chacun apportant ce qu'il est et ce qu'il a, et chacun a beaucoup.
- Chercher à réduire ou annuler quand c'est possible la charge insupportable de la dette est un objectif désirable. Il n'est pas à la portée à chaque instant d'un pays particulier, mais il est à la mesure de l'ensemble des grandes nations nourries de démocratie et qui disposent aujourd'hui du moyen matériel économique et financier de pourvoir à cette grande misère.\
Quant à nous, nous ne devons en aucun cas faiblir sur les principes que nous énonçons, sur les principes que vous énoncez, vous, militantes et militants qui emplissez cette salle. Il en est un sur lequel il semble aujourd'hui nécessaire de revenir avec insistance : c'est celui de l'universalité des droits de l'homme.
- Il ne s'agit pas d'uniformiser des cultures. Chaque peuple à son histoire. Chacun doit s'imprégner de sa propre histoire, de sa propre culture pour construire dans l'avenir, pour perpétuer ses propres vertus sans, bien entendu, fermer portes et fenêtres devant les leçons des autres. Mais il s'agit de faire avancer, partout, en permanence, autant que faire se peut, les droits et libertés de l'individu, de chaque individu dans l'universalité des principes. Tout individu vivant en société, avec ses règles et ses contraintes, aspire à la liberté, aspire à l'égalité, à la sûreté. Je crois que l'on peut le répéter, universels ces droits sont sacrés et par là-même, inaliénables. Les cultures et les cultes ancestraux ne peuvent servir à justifier l'oppression. Ce sont souvent les femmes qui en sont les premières victimes. Parmi vous, beaucoup, sinon toutes, avez bravé tous les sarcasmes, tous les mépris pour faire valoir, enfin, dignité et justice, dignité et justice qui vous sont dûs. Combien d'entre vous ont souffert dans leur coeur ou dans leurs sentiments, quand elles n'ont pas souffert dans leur chair, dans leur corps, du beau combat qu'elles mènent, beau combat, vu de loin, beau combat vue de près, mais vécu parfois seules en face de ces bourreaux, perdues dans ce vaste monde sans savoir qu'il en est sous toutes les latitudes qui partagent la peine subie, l'angoisse, parfois le désespoir. Et bien il faut que grâce à des réunions comme celle-ci, ou plutôt grâce à votre action, sous ses formes diverses, il faut qu'il n'y ait plus à travers le monde, de régimes de force, de régimes totalitaires. Nous ne pouvons empêcher qu'il y ait ici ou là tyrannie et barbarie. Mais au moins, que chaque être qui souffre dans sa dignité, pour sa liberté, sachant qu'il souffre pour la nôtre, sache aussi qu'il est des gardiens vigilants, qu'il est des frères et des soeurs par toute la terre qui ne leur ont pas lâché la main, qui ne se contentent pas de penser aux victimes, de les assister, mais qui sont prêts à relever le défi, à prendre le relais, et autant que nous le pourrons, à guérir l'humanité de ses plaies.\
Il est normal que se réunissent celles qui ont plus que d'autres souffert, qui ont porté un poids plus lourd. Elles peuvent mieux communiquer leurs expériences, la leçon de leur vie. Il est bien, il est même très important que vous puissiez vous réunir, non seulement pour témoigner, le témoignage n'est pas indifférent, mais pour agir. Je reprends les propos de notre Président, parler c'est aussi une façon d'agir, à condition de ne pas s'en contenter. Cela veut dire que l'action reste quand même, après la réflexion, le glaive, (image guerrière sans doute), qui permettra de trancher dans le vif et partout d'interdire le maintien ou le retour des tyrannies contre lesquelles nous luttons. Je vous dis cela à partir de la fonction que j'exerce, je sais bien que l'action des milieux officiels comporte ses limites. Mais l'action de celles et de ceux qui se sont engagés dans ce combat, qui sont libres de leurs gestes et de leurs paroles contribue à faire que les collectivités nationales, que les institutions publiques se sentent de plus en plus autorisées et libres pour ne point accepter de compromis avec quiconque opprime les libertés, refuse l'égalité, pratique les exclusions. Pas de compromis avec les siècles et les siècles d'oppression et de barbarie, pas de compromis avec les avenirs de terreur. C'est une lutte de chaque jour, et il est bon que vous veniez dire ici, dans une salle de Paris, pour un moment rassemblés, avant que chacun reprenne sa tâche là où il est, il est bon que vous l'ayez dit, que vous l'ayez dit en commun, et que vous continuiez de le dire à travers votre vie militante.\
- mesdames et messieurs,
- L'hommage que vous rendez aujourd'hui aux femmes qui combattent pour les droits humains vient à son heure en cette année du Bicentenaire.
- Avant de rappeler quelques unes des étapes de ce combat, j'entends saluer celles à qui vous avez, symboliquement, dédié ces journées. Dans la diversité de leur culture comme de leurs actions, elles nous rappellent que, partout dans le monde, par l'humble action quotidienne ou par l'éclatante participation aux grands moments de l'histoire, des femmes n'ont cessé de faire avancer les droits qu'aujourd'hui nous entendons célébrer.
- Vos luttes pour la liberté, vos luttes contre les exclusions, toutes les exclusions, furent déjà celles des femmes de la Révolution. Avant même la prise de la Bastille, Condorcet avait rappelé qu'il faudrait reconnaître aux femmes le droit à l'éducation, le droit politique, l'accès aux emplois entre autres choses. Mais force fut de constater qu'il n'a pas vraiment été entendu y compris par ses contemporains et que les femmes, mères, militantes auront à parcourir un très long chemin avant de se voir reconnues dans leurs droits civils et politiques pour peu que cela soit accompli autant qu'il le faudrait.
- En janvier 1789, une femme anonyme exprimant ses doléances écrivait, je la cite : "Etant démontré, avec raison, qu'un noble ne peut représenter un roturier, ni celui-ci un noble, de même les femmes ne peuvent être représentées que par des femmes". C'est une vue dont j'ai entendu l'écho assez souvent, je dois le dire. Peut-être est-ce une vue un peu trop générale. Mais elle se comprend au coeur d'un combat ou justice n'a pas été rendue. Enfin, c'est une vaste ambition et une ambition toujours actuelle.
- En 1790, 91, 92, 93, les femmes qui réfléchissent, qui parlent, qui écrivent, qui publient, placent leur espérance dans la Révolution. Mais elles n'eurent droit ni à une instruction publique qui leur aurait permis l'accès à des emplois, ni au divorce, ni à bien d'autres choses. Elles eurent, en revanche, le droit de monter sur l'échafaud comme Olympe de Gouges sans même l'autorisation, la simple autorisation de porter la cocarde tricolore. Elle qui avait rédigé la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne mourut accusée d'avoir été une "conspiratrice... qui aurait voulu être un homme d'Etat" !
- "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit". Mais il faudra attendre 1937 pour lever l'incapacité civile de la femme mariée. "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit". Mais il faudra attendre 1945 pour que les femmes aient, en France, le droit de vote.\
Vous le savez mieux que quiconque ici. Il ne suffit pas de brandir l'étendard des droits de l'homme pour que soudain, comme par magie, les obstacles disparaissent ou bien les préventions ou les habitudes de pensée et laissent la place aux droits et aux libertés pour tout le monde.
- Si la France fête le Bicentenaire de la Révolution de 1789, c'est aussi pour rappeler que les idéaux qui ont, depuis, porté la République, ne sont pas encore atteints. Il y a loin, entre l'égalité des droits proclamée et une réalité qui laisse tant de place à l'exclusion. Réalité des exclus du travail, des exclus de la santé, de l'éducation, exclus par la pauvreté.. Pire encore, lorsque ces exclus sont victimes de la couleur de leur peau, de leur sexe ou de leurs opinions.
- Mais que dire de l'exclusion par la faim ? Que dire des droits et des libertés quand la seule question est celle de la survie ? Quel espoir de démocratie pour des peuples confrontés depuis des siècles et aujourd'hui tout autant, au bon vouloir des climats qui, d'une année sur l'autre, assèchent ou inondent leur terre ? Ou au bon vouloir des autres peuples ou des autres hommes qui s'apitoient mais ne font rien.
- Le premier des droits de l'homme est le droit de vivre. Pour faire progresser les droits de l'humanité, les pays riches ont moins à s'ériger en professeurs de vertu ou en donneurs de conseils qu'à contribuer efficacement au développement. Ils le peuvent, notamment, en stabilisant, dans la mesure de leur pouvoir, les cours des matières premières, témoignage d'une époque que l'on croyait déjà derrière nous, forme moderne d'un néo-colonialisme. Ils le peuvent en réalisant une coopération entre partenaires vraiment égaux. Chacun apportant ce qu'il est et ce qu'il a, et chacun a beaucoup.
- Chercher à réduire ou annuler quand c'est possible la charge insupportable de la dette est un objectif désirable. Il n'est pas à la portée à chaque instant d'un pays particulier, mais il est à la mesure de l'ensemble des grandes nations nourries de démocratie et qui disposent aujourd'hui du moyen matériel économique et financier de pourvoir à cette grande misère.\
Quant à nous, nous ne devons en aucun cas faiblir sur les principes que nous énonçons, sur les principes que vous énoncez, vous, militantes et militants qui emplissez cette salle. Il en est un sur lequel il semble aujourd'hui nécessaire de revenir avec insistance : c'est celui de l'universalité des droits de l'homme.
- Il ne s'agit pas d'uniformiser des cultures. Chaque peuple à son histoire. Chacun doit s'imprégner de sa propre histoire, de sa propre culture pour construire dans l'avenir, pour perpétuer ses propres vertus sans, bien entendu, fermer portes et fenêtres devant les leçons des autres. Mais il s'agit de faire avancer, partout, en permanence, autant que faire se peut, les droits et libertés de l'individu, de chaque individu dans l'universalité des principes. Tout individu vivant en société, avec ses règles et ses contraintes, aspire à la liberté, aspire à l'égalité, à la sûreté. Je crois que l'on peut le répéter, universels ces droits sont sacrés et par là-même, inaliénables. Les cultures et les cultes ancestraux ne peuvent servir à justifier l'oppression. Ce sont souvent les femmes qui en sont les premières victimes. Parmi vous, beaucoup, sinon toutes, avez bravé tous les sarcasmes, tous les mépris pour faire valoir, enfin, dignité et justice, dignité et justice qui vous sont dûs. Combien d'entre vous ont souffert dans leur coeur ou dans leurs sentiments, quand elles n'ont pas souffert dans leur chair, dans leur corps, du beau combat qu'elles mènent, beau combat, vu de loin, beau combat vue de près, mais vécu parfois seules en face de ces bourreaux, perdues dans ce vaste monde sans savoir qu'il en est sous toutes les latitudes qui partagent la peine subie, l'angoisse, parfois le désespoir. Et bien il faut que grâce à des réunions comme celle-ci, ou plutôt grâce à votre action, sous ses formes diverses, il faut qu'il n'y ait plus à travers le monde, de régimes de force, de régimes totalitaires. Nous ne pouvons empêcher qu'il y ait ici ou là tyrannie et barbarie. Mais au moins, que chaque être qui souffre dans sa dignité, pour sa liberté, sachant qu'il souffre pour la nôtre, sache aussi qu'il est des gardiens vigilants, qu'il est des frères et des soeurs par toute la terre qui ne leur ont pas lâché la main, qui ne se contentent pas de penser aux victimes, de les assister, mais qui sont prêts à relever le défi, à prendre le relais, et autant que nous le pourrons, à guérir l'humanité de ses plaies.\
Il est normal que se réunissent celles qui ont plus que d'autres souffert, qui ont porté un poids plus lourd. Elles peuvent mieux communiquer leurs expériences, la leçon de leur vie. Il est bien, il est même très important que vous puissiez vous réunir, non seulement pour témoigner, le témoignage n'est pas indifférent, mais pour agir. Je reprends les propos de notre Président, parler c'est aussi une façon d'agir, à condition de ne pas s'en contenter. Cela veut dire que l'action reste quand même, après la réflexion, le glaive, (image guerrière sans doute), qui permettra de trancher dans le vif et partout d'interdire le maintien ou le retour des tyrannies contre lesquelles nous luttons. Je vous dis cela à partir de la fonction que j'exerce, je sais bien que l'action des milieux officiels comporte ses limites. Mais l'action de celles et de ceux qui se sont engagés dans ce combat, qui sont libres de leurs gestes et de leurs paroles contribue à faire que les collectivités nationales, que les institutions publiques se sentent de plus en plus autorisées et libres pour ne point accepter de compromis avec quiconque opprime les libertés, refuse l'égalité, pratique les exclusions. Pas de compromis avec les siècles et les siècles d'oppression et de barbarie, pas de compromis avec les avenirs de terreur. C'est une lutte de chaque jour, et il est bon que vous veniez dire ici, dans une salle de Paris, pour un moment rassemblés, avant que chacun reprenne sa tâche là où il est, il est bon que vous l'ayez dit, que vous l'ayez dit en commun, et que vous continuiez de le dire à travers votre vie militante.\