13 juin 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la nécessité d'une coopération internationale en matière de lutte contre la pollution atmosphérique et de protection de l'environnement, Paris, mardi 13 juin 1989.

Mesdames,
- Messieurs,
- Je vous remercie, monsieur le Professeur, et je vais à mon tour vous adresser quelques mots, en conclusion de vos travaux. Car, ainsi que cela m'a été rapporté, vous avez tenu, tous, à rappeler que notre planète, la terre, est un système unique, qui a permis à la vie de s'installer, et à l'homme de la peupler. Située à une heureuse distance du soleil, la terre offre aux êtres vivants, végétaux ou animaux, des conditions climatiques et chimiques propices. La présence de l'eau originelle, l'apparition et l'évolution des continents, la nature de l'atmosphère sont autant de facteurs utiles, que dis-je, nécessaires, au phénomène vivant. Bien sûr, les astronomes pressentent la possibilité d'autres mondes habités mais à des distances telles que l'on risque de n'en savoir rien.
- L'humanité ne dispose donc que de cette planète de plus en plus étroite pour subsister. Or, depuis l'avènement de l'ère industrielle surtout, on assiste, ou hélas on participe, au saccage de notre terre : pollutions de l'air, des sols, des rivières et des mers, pluies acides, disparition des forêts, désertification etc.. Il suffisait de vous écouter pour s'en rendre compte. Ce n'est pas la forêt ou la prairie, ou la rivière, qui est en danger, c'est la terre dans son ensemble.
- Certains d'entre vous, scientifiques de toutes disciplines, réunis à Paris pendant ces deux jours, avez été les premiers à avertir les populations et à sensibiliser les responsables politiques à ces problèmes. Qu'ils en soient remerciés. Vous avez dit au cours de ce colloque, les risques que nous font courir la diminution de l'ozone stratosphérique et l'accroissement de la teneur en gaz à effet de serre, il suffisait de vous entendre à l'instant, comme le dioxyde de carbone, ainsi que les vapeurs nocives telles que le dioxyde de soufre ou les oxydes d'azote. C'est en suivant vos recommandations que j'ai signé au nom de la France, l'appel de la Haye qui demande à tous les pays de s'unir dans des initiatives supranationales pour la création d'une autorité supranationale, afin de contribuer en commun à la protection de l'atmosphère. D'autres pays, nous étions 24, appartenant à différents continents, et dont les situations économiques sont diverses, ont rejoint cet appel. Une douzaine pour l'instant. J'espère que tout sera fait dans ce domaine pour conjurer ce grave danger.\
Ainsi que vous le proposez, la première étape va consister à établir - ou devrait consister à établir - un observatoire mondial de la planète. Système qui comprendrait à la fois des satellites capables d'observer depuis l'espace, l'atmosphère, les océans, les sols, ainsi que les stations d'observation terrestre. L'ensemble des données ainsi collectées sera accessible à la communauté scientifique, et traité par des moyens de calcul puissants.
- Inutile de vous dire à quel point je souscris à cette proposition, et dans la mesure ou je le pourrai, ainsi que le gouvernement français, dans quelle mesure la France y prendra part.
- L'un des mérites de votre colloque, est que vous avez évoqué non seulement les problèmes actuels de l'atmosphère, mais aussi le futur de votre planète. L'équilibre, les équilibres, de nos océans, la protection des rivières, des fleuves, des lacs, l'exploration et l'exploitation de la croûte terrestre, l'évolution des écosystèmes et des espèces vivantes. J'en passe évidemment. Le champ est vaste. Mais je constate avec grand plaisir que vous avez ainsi rassemblé des spécialistes scientifiques qui n'ont pas l'habitude de se rencontrer : biologistes et physiciens spatiaux, océanographes, économistes, écologistes, spécialistes de l'atmosphère.. Nul ne peut être exclu d'une étude qui exige la somme des connaissances humaines.
- C'est ce type de rencontre et de confrontation qui confèrent à vos recommandations tout leur poids.
- Le résultat de vos travaux est évidemment très riche. Mais à part la création de ce vaste observatoire mondial de collecte de données que je viens de mentionner, après vous, je retiens la nécessité de favoriser et d'accroître les programmes de recherche pluridisciplinaires et internationaux. Les thèmes de recherche liés à la protection de notre planète dans son ensemble doivent être favorisés par l'octroi de moyens humains et financiers appropriés, c'est pour cela que je vous disais à quel point je comptais intéresser les France à la poursuite de votre oeuvre.
- Il conviendra également d'intégrer les données économiques et démographiques, d'intéresser les industriels, par exemple. Une procédure inspirée du programme européen, le programme Eureka dont nous avons pris l'initiative, devrait permettre d'avancer dans ce sens. Pour me limiter à un seul exemple, la bonne gestion des déchets apparaît comme une priorité. Je souhaite que les gouvernements encouragent les projets technologiques supprimant ou réduisant les nuisances, les pollutions et les dégradations de toutes sortes dont souffre actuellement la terre.
- Voici un sujet précis, le continent antarctique, comme vous, je suis préoccupé par sa sauvegarde. Aussi ai-je demandé au Commandant Cousteau de m'établir un rapport sur ce sujet, rapport que je viens de recevoir. Sa proposition de faire du continent antarctique une réserve naturelle internationale me séduit. Je vais demander au gouvernement français d'étudier cette proposition et de voir si en relation avec des pays qui partagent nos préoccupations, il sera possible de mettre en oeuvre cette idée, sans tarder. En tout cas je compte bien lancer ce train d'ici l'automne.\
Je me permettrai maintenant d'émettre quelques réflexions sur la relation entre l'énergie et l'environnement. Pour contrecarrer les effets de pollution liés aux productions énergétiques, aucun moyen ne doit être négligé : économie d'énergie, - nous avons pu constater en France à quel point ces économies avaient été utiles, et continuent de l'être - amélioration des rendements énergétiques, ce qui est complémentaire. Passage à d'autres technologies, moins polluantes. Limitation, oui limitation de vitesse sur les routes, construction de moteurs sobres, de moteurs propres, cela se fait, encore faut-il hâter l'allure. Et pourquoi pas, cela en surprendra beaucoup, recours au nucléaire, dès lors que les conditions de sécurité seraient assurées, on aperçoit que l'économie d'énergie et les effets de l'énergie sont considérablement modifiés dans le bon sens. Il est sûr que des technologies nouvelles comportent leurs dangers. Ici même on dirait que ces dangers peuvent être immenses, mais l'intelligence de l'homme, et sa maîtrise de la matière doivent permettre de passer d'une technique à l'autre en cherchant celle qui aboutit aux résultats que l'on recherche.
- La France a réduit ses émissions en gaz carbonique de plus d'un quart entre 1980 et aujourd'hui. Elle émet dans l'atmosphère moins de deux tonnes de ce gaz par an et par habitant alors que ses voisins en libèrent plus de trois. On constate des diminutions encore plus fortes d'autres gaz nocifs, comme les oxydes de soufre et d'azote. De ce point de vue, mon pays, je dois le dire, est l'un des pays développés qui contribuent le moins à la pollution de l'atmosphère. Je ne dis pas cela pour flatter ma propre patrie, dont je connais les pratiques et les défauts, ainsi que celles de ses habitants.
- Je ne propose donc pas de modèle mais au moins sur le point qui nous occupe, je constate qu'un effort accompli commence à produire des résultats. Et comme vous êtes là, représentants de très nombreuses nations, comme vous êtes, comment dirai-je les pionniers de ces nouvelles sciences pluridisciplinaires, vous vous ferez bien entendu les avocats de cette grande cause, comme vous l'avez fait ici même à Paris.
- Je le répète, je ne veux pas glorifier spécialement nos résultats. Je veux simplement que se produise un effet d'entraînement autour des pays de pointe, ici largement représentés.\
Ces techniques très diversifiées et qu'on a dit complémentaires, sont malheureusement réservées aujourd'hui aux pays industrialisés, c'est-à-dire aux pays les plus riches, et qui sont en même temps les principaux responsables des pollutions de tous ordres. C'est pourquoi vos travaux traitent également de l'économie et de la politique et doivent conduire à une collaboration plus étroite entre pays riches et moins favorisés. Il n'y aura pas de bonne réponse sans une collaboration étroite entre les pays favorisés et ceux qui ne le sont pas. Et cela passe par beaucoup d'autres obligations qui incombent essentiellement aux pays les plus riches. Que je rappelle inlassablement sur toutes les tribunes internationales afin de remédier à la cause première, et qui veut que les flux financiers et économiques entre le sud et le nord continuent d'être plus importants qu'entre le nord et le sud, en dépit des multiples aides apportées par le nord au sud, ce qui veut dire que nous vivons encore dans un statut de relations internationales qui suppose domination et soumission. Il faut sortir au plus tôt de cet état. Et je crois qu'un grand appel doit être lancé dans le monde entier afin que, partout on se rende compte que le fossé qui sépare aujourd'hui les pays riches des pays pauvres est l'une des causes majeures des difficultés qui assaillent la planète et le genre humain qui vit sur cette planète.
- J'ai l'intention, dans un bref délai, d'en saisir la communauté internationale. Me rappelant à cet égard, une phrase de notre philosophe français, Michel Serres : "Oubliez, disait-il, oubliez donc le mot environnement. Je suppose que nous autres, hommes, siégeons au centre d'un système de choses gravitant autour de nous, nombrils de l'univers, maîtres et possesseurs de la nature. Cela rappelle une ère révolue où le modèle géocentrique reflétait notre narcissisme. Nous sommes devenus si peu maîtres du monde qu'à force de le mépriser, il nous méprise à son tour".
- Mais que cela ne nous empêche pas d'agir : c'est pourquoi dans quelques semaines, la France devant assumer la présidence de la Communauté européenne, en même temps que la présidence du groupe des sept grands pays industriels que j'accueillerai à Paris les 14 et 15 juillet prochains. C'est pourquoi j'utiliserai vos recommandations et me ferai votre interprète pour que se développe à l'échelle mondiale une collaboration scientifique accrue sur ces thèmes.
- Le développement du tiers monde et l'environnement feront partie de l'ordre du jour de ces débats, je les ai inscrits en priorité.
- Enfin la tâche est vaste, vous le savez, elle requiert le concours de tous les scientifiques, c'est ce que vous faites, et dont je vous suis reconnaissant. L'ensemble des agents socio-économiques doivent être mobilisés, et bien entendu les responsables politiques. Je crois votre rencontre très utile. Elle apporte beaucoup. Elle ne restera pas sans lendemain. J'espère qu'un autre, que d'autres pays prendront le relais et vous réuniront dans un proche avenir. L'effort de recherche et d'innovation exige d'être continu, poursuivi, encouragé de façon constante.
- Je pense pour conclure que nos initiatives et nos efforts, et surtout les vôtres ne font que commencer. Vous avez jeté l'alarme, vous en appelez à la conscience mondiale. Vous mobilisez les savants et les techniques. Voilà pourquoi je tiens à vous dire, au nom de mon pays, à quel point nous vous sommes reconnaissants pour votre travail. Je vous souhaite à tous de poursuivre votre tâche avec détermination. Il convient de mener plus loin ce que vous venez d'entreprendre pour un objectif simple : que vive notre terre !\