1 juin 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le développement de Saint-Jean-de-Maurienne et de sa région, notamment dans le cadre de la préparation des Jeux Olympiques de 1992, Saint-Jean-de-Maurienne le 1er juin 1989.

Monsieur le maire,
- J'ai été très sensible à votre raccourci historique qui m'a permis de mieux connaître le passé de Saint-Jean-de-Maurienne et d'avoir appris que m'était réservé par là un bel endroit que je ne connais pas, mais qui mérite certainement d'être vu. Cela m'a réconforté. Enfin, cela remonte à François 1er, c'est un peu ancien, c'est ce qui en fait le charme. Je vois que si vous avez vos beautés, héritées du passé, celles que vous avez citées vous-même, vous venez d'y ajouter, avec ce quartier Saint-Antoine et diverses autres constructions, votre part en cherchant à respecter l'esthétique nécessaire, la commodité de la cité, et, je l'espère, l'agrément de ses habitants.
- Je suis très fier, moi aussi, d'avoir pu dévoiler cette plaque qui signale à l'attention publique que Saint-Jean-de-Maurienne et son quartier Saint-Antoine, ses administrateurs, ses architectes, enfin tous ceux qui ont mis la main à la pâte ont été capables à la fois d'être placés premiers dans une compétition difficile et de marquer pour longtemps, très longtemps, l'apport de notre siècle après celui d'un long passé.
- Voilà, l'histoire se fait tous les jours. Il est agréable de constater qu'elle se fait bien de temps en temps. C'est bien le cas. Ce palmarès, cette palme d'or, montre ou démontre que vit ici une population active, que ceux qui ont été choisis pour diriger Saint-Jean-de-Maurienne ont l'esprit porté vers l'avenir en cherchant à administrer correctement le présent.
- J'ai constaté cela tout au long de la journée en Savoie, après une première halte à Chambéry, une deuxième à Albertville, une troisième à Val d'Isère, la quatrième à Saint-Jean-de-Maurienne et quelques arrêts supplémentaires. J'ai pu voir partout l'énergie en action, la foi dans l'avenir, la volonté de réussir. Ce sont des atouts maîtres ! Vous vous inquiétiez à l'instant et je comprends bien vos raisons, avec l'ouverture de l'Europe, des conditions dans lesquelles s'exerceront les concurrences, de la façon dont seront organisées les communications, votre région, votre Savoie, cessant d'être une région frontalière et devenant un centre pour l'Europe. Il faut bien s'organiser autour de cette nouvelle réalité et préparer le plus vite possible le moment où cette perspective sera devenue la réalité quotidienne. Vous avez, au passage, monsieur le maire, vous n'avez pas oublié de me parler du TGV par la vallée de la Maurienne, de me rappeler que ce serait le chemin le plus commode et le plus rapide pour atteindre l'Italie du Nord. Je ne vous en ferai pas le reproche, monsieur le maire, et je ne veux pas vous décevoir, mais j'entends cela depuis ce matin ! Car aucun des élus n'a oublié de me rappeler ma géographie si j'étais tenté de l'oublier. Il est naturel qu'en Maurienne cette évidence soit plus présente encore que dans les vallées lointaines comme la Tarentaise.\
J'ai pu voir aussi de quelle manière on s'apprêtait aux Jeux Olympiques de 1992. C'est une très grande circonstance. J'ai encore en mémoire le jour où quelques-uns des vôtres, autour de Michel Barnier et de Jean-Claude Killy, sont venus m'en saisir en me demandant s'ils pouvaient compter sur le concours de l'Etat. Je ne pense pas avoir beaucoup hésité à leur dire "mais bien entendu". Bien entendu, si la France peut se voir accorder des Jeux Olympiques d'hiver qui permettront à Albertville et à la Savoie tout entière de connaître un grand moment de notoriété qui serviront d'émulation à nos champions du ski et en tout cas favoriseront considérablement les équipements et les structures de base qui dureront bien longtemps après les Jeux Olympiques. Il n'y a pas naturellement à réserver ces équipements à une seule vallée, c'est un ensemble, tout est lié. Nous n'avons pas à accorder un privilège à tel domaine plutôt qu'à tel autre et j'entends bien que la Maurienne reçoive plus que des retombées de cette immense initiative qui pendant quelques années va vous mobiliser, vous mobiliser tous, vous tous Savoyards d'où que vous soyez, quelle que soit votre opinion sur les autres terrains, quelles que soient vos divisions et vos luttes qui, s'exerçant dans le cadre de la démocratie, sont parfaitement recommandables. Que chacun reste lui-même c'est très bien mais lorsque l'on a une perspective comme cela, cela vaut la peine d'être ensemble. J'ai d'ailleurs pu aussi remarquer que chacun y mettait du sien. Vous avez envie de réussir et vous en êtes capables.
- La Savoie a su préserver son caractère original et ses hommes et ses femmes garder leur caractère tout court. C'est important d'avoir du caractère et d'en vouloir. Vous avez connu des périodes très difficiles. Il en est de plus heureuses mais dès maintenant en cette fin du 20ème siècle eh bien vous serez les bâtisseurs du siècle prochain. Et puis moi, je me réjouis de toutes ces occasions qui sont données à la France d'apparaître comme un des endroits où le monde se rassemble.
- Ces occasions sont rares, celle-ci en est une autour de l'effort de la jeunesse et de sa réussite qui exige comme nous l'avons dit depuis ce matin courage, volonté, discipline, entraînement. On travaille sur la durée pour le résultat d'une minute, calculé au centième de seconde, mais il faut des années et des années de formation dès l'enfance, une maîtrise de soi dans l'adolescence. C'est beaucoup exiger et c'est comme cela que naissent les champions. Mais il n'y a pas de champion isolé, ils ne peuvent que sortir d'un terreau et ce terreau c'est la France tout entière. C'est à la France tout entière, c'est à la France de l'aménager de telle sorte que nous voyions dans ce domaine - on parle de celui du sport mais il a beaucoup de significations dans tous les domaines - la réussite. La France doit aborder l'Europe en ayant préparé son terrain. Voilà à quoi je pensais quand j'ai dit que je me réjouissais de ces grandes circonstances, celles que vous connaîtrez, celles que nous connaîtrons dans trois ans, dans ces lieux, dans ce département.\
Dès cette année, cette fois-ci particulièrement à Paris mais croyez-moi jusqu'au moindre village, on ressentira profondément la valeur symbolique et significative du Bicentenaire de la Révolution française. La plupart des Français se sentent fils de cette Révolution, la plupart d'entre eux parce que cela a été quand même un des grands moments de l'Histoire du monde et de notre histoire contemporaine, parce que cela a été comme une sorte de grand tournant dans la mémoire des hommes, parce qu'ont été définis les Droits de l'Homme et du Citoyen, parce que désormais le peuple a été reconnu pour ce qu'il est, c'est-à-dire pour le peuple souverain qui décide pour tout ce qui touche à son propre sort.
- Ce n'est pas une mince affaire, ce n'est pas une petite révolution, un petit mouvement de l'histoire. Non seulement la France mais combien d'autres s'inspirent aujourd'hui, chaque jour, et surtout les peuples opprimés, tous ceux qui souffrent et les couches sociales malheureuses, combien s'inspirent de la grande leçon entendue depuis deux siècles et que nous allons célébrer et que nous célébrerons dans le concert des nations qui vont venir nous voir, représentées par les meilleurs des leurs ! Tous seront là autour de nous, Français, pour dire que le message d'il y a deux cents ans est aujourd'hui un message universel. Eh bien, cela vaut la peine de supporter à cause de cela quelques inconvénients, ou quelques disciplines supplémentaires parce que le devoir de la France c'est de bien recevoir ceux qui viennent rendre hommage à la mémoire des grands Français qui ont su préparer l'avènement des temps modernes.\
Voilà, je vous parlais de ce palmarès pour commencer, qui s'inscrit dans votre histoire locale, et votre histoire locale, Saint-Jean-de-Maurienne, cela remonte loin. Si je vous ai bien entendu, cela va jusqu'à Saint-Jean-Baptiste. Je ne sais comment ont fait vos voyageurs d'Egypte pour trouver très exactement les trois doigts qui convenaient. Mais, après tout pourquoi pas ? On n'en est pas à cela près et Saint Jean-Baptiste c'est une excellente recommandation. Et voilà que ces doigts qui montrent le chemin et qui font la leçon, montrent aussi la direction du ciel, voilà ces trois doigts qui continuent d'être le signe de Saint-Jean-de-Maurienne. Je suis heureux de m'associer modestement à ce message plusieurs fois millénaire, enfin, au moins deux fois ou presque.
- Je voudrais, mesdames et messieurs, vous dire que j'ai bien entendu ce qui m'a été dit sur vos aspirations. Les dangers qui ont menacé votre vallée, qui continuent bien entendu d'être là, la déperdition de l'emploi, des sursauts autour de la grande usine, la première d'Europe, ou la première d'un grand groupe européen, celle qui est installée à Saint-Jean-de-Maurienne. Bon, il semble bien que la population a repris espoir, qu'elle est bien accrochée au terrain. Encore faut-il que les pouvoirs publics et la population se tiennent vraiment les coudes pour bien supporter les chocs qu'il faut attendre de la concurrence internationale. Vous savez, qu'il y ait l'Europe que nous avons voulu construire, que nous avons raison de construire, celle de 92 et de 93 et la suite, ou qu'il n'y ait pas cette Europe-là, de toute manière la compétition est à nos portes, nous n'y échapperons pas. Et il vaut mieux aborder cette compétition parmi 320 millions d'Européens unis dans une seule communauté politique, économique et culturelle, il vaut mieux avoir cette Europe-là que d'être répartis entre 12 pays divisés, séparés qui continueraient de se combattre inutilement.
- Moi j'ai foi, comme vous-mêmes sans doute dans les destinées de la France. Mais cela exige une attention quotidienne. C'est pourquoi j'ai souhaité que le ministre chargé de l'aménagement du territoire fût parmi nous aujourd'hui. Il a d'ailleurs rencontré, je crois, au cours de la journée un certain nombre de vos représentants, représentants de toutes sortes, représentants syndicaux, représentants ouvriers. Il a rencontré les élus et il recommencera. Ce n'est pas son premier champ de bataille. Il a commencé avec la Lorraine, la Lorraine sinistrée que nous irons visiter bientôt. Et partout où nous implantons, partout où nous tentons de réparer les injures du temps et d'une société malheureuse, bousculée, constamment changeante partout si nous le voulons nous voyons l'espoir refleurir. Eh bien c'est ce que l'on va faire aussi, croyez-moi, en Maurienne. Ce n'est pas facile, il y a l'usure du temps, il y a le changement permanent, il y a les technologies qui nous prennent par surprise, qui arrivent du bout du monde, qui bousculent tout comme une bourrasque. Il y a aussi l'intelligence humaine, capable de se transformer en intelligence artificielle. Bref, cela change ! Qui va s'en plaindre ? Qui va s'en plaindre vraiment ici ? Ceux qui ne veulent pas voir que c'est une bonne chose pour l'humanité que d'être contrainte constamment de s'adapter aux circonstances.\
Et comme le sportif, puisque nous parlons Jeux Olympiques, qui n'est pas obligé presque chaque jour d'entretenir son corps pour aborder les compétitions futures sans quoi c'est déjà la sclérose ? Et croyez-en celui qui vous parle, la sclérose cela vient vite, il faut s'en prémunir, et c'est aussi une discipline que je tente de m'imposer chaque jour. Qui va s'en plaindre ? Pas moi ! Je ne sais pas quels seraient les vieillards de vingt ans, de trente ans ou de cinquante ans qui vont pleurer en s'inquiétant du lendemain, alors que le lendemain dépend pour une large part de ce qu'ils sauront faire, de ce qu'ils voudront faire, et moi je me range du côté de ceux qui veulent et qui peuvent parce qu'ils veulent.
- Voilà l'appel, chers amis, que je vous lance. Il y a d'ailleurs beaucoup de jeunes ici. Et je suis content de les entendre, beaucoup de très jeunes aussi, qui se sont dérangés par cet après-midi. Et nous sommes tous là, de tous les âges, toutes les opinions. Nous sommes tous là, quelle que soit notre origine ethnique, sociale, nous devons être tous là ! Si vous voulez retrancher ceci ou cela, faites attention, vous vous retrouverez tout seuls. Voilà pourquoi il faut que la France soit un pays justement ouvert, autant qu'il le faut, pas plus qu'il ne le faut. Voilà, la France doit en tout cas ouvrir son esprit à toutes les idées, à toutes les ambitions. Ce que j'ai vu là pour l'instant me suffit, j'ai la preuve que la Maurienne bouge, qu'elle est capable à chaque génération de produire et de créer. Je vais maintenant vous quitter, et en même temps la Savoie, mais j'en retirerai cette leçon et cette leçon je vous la dois.\