30 mai 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la réduction partielle et la modernisation des armes à courte portée, la proposition américaine de désarmement conventionnel et le maintien de la stratégie française, autonome, de dissuasion nucléaire, Bruxelles le 30 mai 1989.

Mesdames,
- Messieurs,
- Vous avez appris la conclusion de nos travaux. Leur résumé vous en a certainement été communiqué. Je vais donc résumer. Des propositions qui ont été validées ce matin, je retiendrai quatre points essentiels pour la facilité de votre réflexion.
- Premier point, il a été décidé de négocier une réduction partielle des armes nucléaires à très courte portée sous diverses conditions. La première : cette réduction ne peut intervenir qu'après accord sur le désarmement conventionnel sur la base des propositions - chiffrées - du Président Bush. La deuxième : cette réduction ne pourrait intervenir qu'après que la mise en oeuvre de ce désarmement conventionnel ait débuté. La troisième : une réduction préalable des armements nucléaires à courte portée du Pacte de Varsovie.
- Deuxième point : c'est que tout cela doit s'accomplir sur la base de niveaux égaux, équilibrés et vérifiables dans la négociation avec le Pacte de Varsovie.
- Troisième point : la "modernisation", j'emploie le terme modernisation parce qu'il est plus simple mais ce n'est pas celui qui est retenu par les diplomates, des armes à très courte portée - américaines en l'occurence - sera examinée après 1992.
- Quatrième point, sur lequel j'insiste : c'est au regard de la proposition du Président Bush sur le désarmement conventionnel des avions, le maintien de la position française sur la stratégie autonome de dissuasion nucléaire ce qui veut dire que dès lors que ces avions prendraient part à cette stratégie, la France garde l'entière décision, l'entière liberté d'agir selon ses propres volontés, ce qui est conforme à la notion même de stratégie autonome. Je vous ai résumé cela brièvement avant de répondre à vos questions.
- Ce matin au cours de l'intervention que j'ai faite, j'ai insisté sur d'autres points étrangers à cette discussion centrale. J'ai en particulier alerté les membres de l'OTAN sur les problèmes du Proche-Orient, le conflit israélo-arabe certes, sur le Liban plus encore. J'ai également parlé de la réunion de cet après-midi, de l'ouverture de la CSCE sur les problèmes de la dimension humaine à Paris, première conférence de la série des trois qui se continueront à Copenhague et à Moscou. J'ai avancé quelques considérations sur le développement de la Communauté européeenne.\
QUESTION.- Monsieur le Président est-ce que vous craignez en quelque sorte que les propositions de M. Bush pourraient déclencher un processus difficile à contrôler dans le sens que l'on va très très vite, on parle d'aller très vite, il y a des réductions majeures sur le conventionnel ?
- LE PRESIDENT.- L'indication que vous trouverez dans le texte - de six mois à 12 mois - est une indication de tendance mais bien entendu elle dépend du cours des négociations. Une négociation suppose un partenaire et ce partenaire, lui aussi, aura son allure. Mais enfin, cela montre bien que les partenaires de l'OTAN ont l'intention d'agir le plus rapidement possible.
- Je réponds à votre question : oui, j'ai le sentiment que les propositions du Président Bush sont utiles, intéressantes et positives et si j'ai émis une réserve pour la France c'est uniquement en raison du statut particulier de mon pays qui au sein de l'OTAN, vous le savez n'appartient pas aux organes militaires intégrés et dispose d'une stratégie autonome de dissuasion nucléaire. Cela étant, j'approuve tout à fait la démarche du Président Bush.\
QUESTION.- Qu'avez-vous dit aux alliés et quelle a été leur réponse, sur le Moyen-Orient ?
- LE PRESIDENT.- J'ai dit ce que je répète partout ailleurs, je n'ai pas plusieurs langages. Pour le Liban beaucoup de manifestations ont eu lieu, qui vont dans le même sens : les déclarations communes de MM. Bush et Gorbatchev, les démarches de la France qui ont été les premières à s'affirmer, les conversations que j'ai eues moi-même au téléphone avec M. Gorbatchev et un certain nombre de dirigeants arabes autour d'un seul thème : le Liban doit pouvoir préserver et recouvrer sa souveraineté, son indépendance et son unité. J'ai fait appel à la coopération internationale, qui est le seul moyen d'aboutir puisqu'il ne s'agit pas d'expéditions militaires. Il convenait que la prise de conscience de l'ensemble des pays du monde se produise, donc de multiplier les relations, les interventions, les propositions et rendre impossibles les enchaînements que l'on peut craindre en raison des passions dominantes dans le Proche-Orient. Le droit doit être respecté. Les armées étrangères doivent s'éloigner. Un peu d'oxygène doit être restitué aux populations du Liban. Elles ont le droit de vivre selon leur foi et non pas sous l'imposition des autres. J'attends un cri d'alarme et je demande aux consciences internationales de s'affirmer.\
QUESTION.- Malgré quelques verrous qui sont mis dans le texte a propos de la troisième option zéro est-ce qu'il n'y aura pas un mouvement irrésistible vers cette option zéro et est-ce qu'à terme peut-être assez rapproché il y aura une pression allemande concernant le missile Hadès ?
- LE PRESIDENT.- Il n'en a pas été question. Ce nom n'a été prononcé ni en grec, ni en français. Du moment que l'on ne m'en parle pas, il n'y a pas de raison spéciale d'alerter mes propres partenaires. Personne ne m'en a parlé. D'ailleurs, je ne vois pas du tout ce qu'il y a dans la vie politique d'irrésistible.
- Il suffit de savoir dire non. Cela dépend de notre seule volonté, et je ne vois pas qui pourrait nous faire changer d'avis. J'ai moi-même précisé, à propos du Hadès, que je ne concevais cette arme que comme une arme d'ultime avertissement. J'exclue complètement que le Hadès puisse servir comme "arme de bataille", comme "outil de théâtre", comme disent les techniciens. Ca n'est pas une artillerie supplémentaire, que de fois l'ai-je répété ! Cela me parait être une hérésie profonde de raisonnement et de discernement que de tenir le raisonnement contraire. Mais ce peut être une arme d'avertissement. A partir de là on n'a pas besoin d'en avoir des flopées.
- Même raisonnement à l'égard des armes à très courte portée des autres pays en Europe. Est-ce qu'il est facile de mesurer les dégâts que ferait une arme à très courte portée, par rapport à une fusée stratégique ? Certes les unes sont plus puissantes que les autres. Mais, la plus faible est encore assez puissante ! Qu'une seule de ces charges nucléaires explose et, je le disais à mes collègues, c'est la face du monde qui change. Donc l'emploi de ces armes doit être calibré avec la plus grande précision.
- Mais le problème de leur nombre n'est pas le problème le plus important. Le problème de leur présence est très important, dans le sens de l'équilibre. Si on parvient à équilibrer globalement les rapports de force entre l'Est et l'Ouest particulièrement dans le domaine le plus sensible, je veux dire nucléaire, c'est très bien. C'est le but désiré, recherché. Donc, il y aura en cas d'accord un démantèlement partiel. Vous remarquerez qu'il est demandé aux Soviétiques et au pacte de Varsovie qui disposent d'un beaucoup plus grand nombre, sans comparaison possible, d'armes nucléaires à très courte portée, de commencer par un démantèlement préalable, afin de montrer leur bonne volonté.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la préparation de ce Sommet avait nourri certaines inquiétudes. Aujourd'hui peut-on parler de succès ? Et si oui, qu'est-ce qui est à l'origine de ce succès ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vois pas très bien comment distribuer les couronnes de laurier. Ce qui est vrai, c'est que l'on a pu craindre la crise, j'avais exprimé à Paris, lors de ma conférence de presse, le sentiment que la crise serait évitée. Il n'était pas difficile d'en discerner déjà à l'époque les points forts éventuels. Ils sont réalisés aujourd'hui comme je les avais moi-même esquissés. Cela relevait simplement de la logique. D'abord, il faut savoir, c'est en tout cas ma philosophie que l'on ne résoud rien sans crise. En France, c'est évident, et même dans le reste du monde ! A ce moment-là, chacun peut mesurer l'effet de la crise. Si elle va jusqu'à son terme normal, à partir de là, la raison reprend le dessus. Pas toujours. Mais en l'occurrence c'est le cas, et l'on peut parler d'un succès.\
QUESTION.- Monsieur le Président, M. Chevarnadze va prendre la parole tout à l'heure après vous, je crois à la Conférence de la dimension humaine `CSCE`, pensez-vous qu'il apporte à Paris, déjà un début de réponse aux propositions hier du Président Bush ? Et pensez-vous que cette proposition voit d'ailleurs fortement des effectifs soviétiques en Europe centrale, et supportable vu du point de vue de Moscou ?
- LE PRESIDENT.- Vous me posez une question à laquelle nous aurons une réponse vous et moi avant la fin de la journée. Je n'en sais rien. Je ne doute pas de la rapidité des réflexes de M. Chevarnadze, mais je pense qu'il doit falloir que certaines délibérations aient lieu, avant de trancher ce problème. Ce qui est vrai, c'est que M. Gorbatchev a engagé une offensive de désarmement tous azimuts, et que cela est donc conforme à ses choix. Pourquoi n'accepterait-il pas la proposition américaine même si elle accélère, peut-être plus qu'il ne l'aurait désiré, mais après tout je n'en sais rien, le processus du désarmement conventionnel. Les négociations sur le désarmement conventionnel sont déjà engagées. Simplement elles se trouvent précipitées. Est-ce que cela convient au Président soviétique ? D'une façon générale je le crois, oui. En particulier, c'est à dire quant à la rapidité du processus, je ne peux pas vous le dire. Il s'exprimera sûrement lui-même.\
QUESTION.- Monsieur le Président, une précision. Je ne suis pas sûr de vous avoir bien compris. Vous avez bien dit que la réduction bilatérale par l'Est des missiles à courte portée était une des conditions à l'ouverture des négociations sur ces missiles à courte portée ?
- LE PRESIDENT.- Oui, dans le texte même du communiqué, vous trouverez une phrase dans laquelle il est dit que l'on demande une réduction préalable des armements du Pacte de Varsovie. Cela est dû au fait qu'il y a un formidable déséquilibre quant au nombre d'armes détenues par l'un et l'autre bloc. Voilà ce qui a été retenu. M. Gorbatchev l'avait bien compris puisqu'il a procédé à une décision unilatérale il y a peu de temps, précisément dans ce domaine, pour 500 charges nucléaires. C'est donc bien dans ce sens qu'il s'était engagé.\
QUESTION.- Monsieur le Président, question sur les avions d'abord. Est-ce qu'il y a un accord entre membres de l'alliance sur les avions inclus ou non dans la négociation ?
- LE PRESIDENT.- Non, on n'a pas procédé à cette définition. Elle dépend strictement de la France. Le jour où elle estimera que son dispositif stratégique risque d'être atteint par telle ou telle forme de désarmement d'avion, eh bien ! elle dira non. Il n'y a pas de définition préalable, nous sommes seuls juges de ce qui est vraiment stratégique et de ce qui est seulement conventionnel. On peut compter sur notre bonne foi. Nous n'avons pas de raison de jouer sur les mots.
- QUESTION.- Le mandat de Vienne qui a été écrit par les Occidentaux n'interdit-il pas déjà que des différences soient faites entre les avions capables de livrer des charges nucléaires et les autres ?
- LE PRESIDENT.- La position américaine et d'ailleurs de tous les alliés que j'ai rappelée hier, était de ne pas mêler dans une première étape les avions à la négociation sur le désarmement conventionnel. En ce sens la proposition de M. Bush est une accélération, une novation très sensible. Un certain nombre de gens se sont tout de suite agrippés à la position initiale. Pourquoi les avions ? Est-ce qu'il ne risque pas d'y avoir une dérive, d'un avion à l'autre jusqu'à toucher au centre même de forces vives nucléaires ? Ce raisonnement ne m'a pas empêché de donner mon accord à la proposition de M. Bush, et j'ai fait valoir que c'était une question d'honnêteté de rappeler que, conformément à la doctrine française non-intégrée, il arrivera un moment où certains de nos avions devront être considérés comme liés à notre dispositif stratégique. Je le répète, c'est une question de bonne foi. Nous n'avons pas de raison d'appeler "stratégiques" des avions qui n'auraient qu'une signification conventionnelle. Pourquoi voulez-vous que nous le fassions ? D'ailleurs, nous avons prévu dans le cadre du budget un certain nombre de réductions qui se trouvent tout à fait en accord avec cet accord international.
- Ce qui était effectivement redouté, y compris par nos amis américains, avant cette dernière proposition du Président Bush, c'était une dérive insensible partant des avions de chasse, jusqu'à l'avion qui se trouve dans le dispositif nucléaire. Pour éviter cette dérive, la position avait été jusqu'alors de dire non pas tout de suite. Puisqu'on dit oui, la France, pour des raisons que je viens de dire, entend faire respecter son autonomie dont elle est seule juge.
- Pour bien faire comprendre cette position, je rappelle une fois de plus que les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique disposent chacune de plus de dix mille charges nucléaires, douze mille, treize mille... et que la France en a moins de quatre cents. J'ai déjà dit aux Nations unies que la France participerait le jour venu aux négociations, qu'elle n'entend pas bénéficier d'un sort spécial. Mais il faudra que les deux plus grandes puissances fassent un effort considérable pour en arriver à des chiffres comparables, afin que l'on ne se tourne pas vers la France pour lui demander de désarmer alors que les autres puissances disposeraient d'une force je ne sais combien de fois plus importante.\
QUESTION.- Je voulais en venir sur la troisième option zéro. Les interprétations qui sont données maintenant par les porte-paroles du gouvernement allemand affirment qu'en fait la formulation qui a été retenue n'exclut pas la troisième option zéro en cas d'ouverture de négociations sur les armes à très courte portée.
- LE PRESIDENT.- On peut dire ce qu'on veut. Le terme qui a été retenu c'est "réduction partielle". J'ai accepté cette résolution dans laquelle il est dit "réduction partielle des forces nucléaires à très courte portée". Mon raisonnement, devant la difficulté où se trouvaient les Anglais et les Américains d'un côté et d'autre part les Allemands de parvenir à un accord était qu'on n'avait pas suffisamment distingué les problèmes. Selon mes conceptions stratégiques, l'audace peut aller très loin. En matière d'armes à très courte portée, pour moi simples armes d'ultime avertissement, il pourrait y avoir un désarmement très important. Le problème c'était précisément d'arriver à distinguer cette réduction importante de zéro. Eh bien ! la notion d'une réduction partielle répond à cette question.
- Maintenant quant à me dire "Si un jour ..." Moi, si le désarmement était total partout, je trouverais ça très bien. Mais quelque temps passera avant qu'on en soit là !\
QUESTION.- Monsieur le Président, avez-vous fait des réserves quant à la position des Etats-Unis pour inclure les avions stratégiques et les avions à double capacité dans les négociations à Vienne et si vous avez exprimé de telles réserves, pensez-vous, monsieur le Président, que la proposition de M. Bush puisse être modifiée afin de prendre en compte votre point de vue ?
- LE PRESIDENT.- Non, pas du tout. Je me suis déjà exprimé à ce sujet. J'approuve tout à fait la proposition de M. Bush. Parallèlement j'ai dit au Président Bush, comme je l'ai dit aux membres de l'OTAN qui se trouvaient présents, comme je l'ai fait d'ailleurs inscrire dans la déclaration que la France, qui est seule à disposer d'une stratégie autonome au sein de l'OTAN, entendait réserver son droit d'appréciation et de décision pour préserver sa stratégie. Donc je n'ai rien à redire, dès lors que ma réserve a été admise et qu'elle figure dans le texte. Je n'en demande pas davantage. Je parle pour la France, je ne cherche pas à demander aux autres d'agir de même puisqu'ils n'ont pas exactement la même stratégie. Mais nous sommes dans la même alliance.\
QUESTION.- Monsieur le Président, certains milieux américains et britanniques craignaient, croyaient voir une dérive dangereuse de l'Allemagne fédérale vers le neutralisme. Est-ce que vous partagiez cette opinion et est-ce que vous pensez que ce Sommet a permis de mettre un frein à cette dérive ?
- LE PRESIDENT.- D'abord, vous me posez une question sur un problème hypothétique, la dérive. Ensuite vous me demandez de conclure sur cette dérive. Il y a une dérive dans votre question, n'est-ce pas ? Vous considérez la réponse comme acquise, si vous me permettez cette observation ? Alors la dérive allemande ? C'est vrai qu'il y a eu, dans beaucoup de milieux européens, spécialement anglais et puis du côté américain, cette crainte. Elle a exprimée, non pas par le Président Bush mais par Mme Thatcher qui n'a pas dissimulé cette crainte. Donc vous avez raison de poser ce problème. Mais je ne pense pas qu'il en aille ainsi. Je pense que le problème allemand est très particulier en raison, d'une part, de sa proximité à l'égard du monde de l'Est et, d'autre part, du fait que c'est sur son sol que sont installées les armes en question et, comme elles sont de très courte portée, c'est sur son sol que, pour la plupart d'entre elles, elles retomberaient. C'est-à-dire que l'emploi de ces charges nucléaires serait un désastre humain et matériel sans doute pour le monde, mais particulièrement pour l'Allemagne.
- Je pense que l'Allemagne est fidèle à l'Alliance. Nous avons, en plus, des relations franco-allemandes qui sont des relations étroites. Les préoccupations allemandes sont spécifiques pour les raisons que je viens de vous dire. Elles ne sont pas éprouvées de la même façon par tous les autres, spécialement par ceux auxquels on ne demande pas de disposer de ces armes sur leur territoire. L'Allemagne ne veut pas se voir interdire la perspective disons à jamais d'une troisième option zéro. D'ailleurs ces grands serments projetés dans le temps sont souvent d'une extrême imprudence. Mais elle ne demande pas ce démantèlement comme cela et on suppose tellement de conditions à réunir que le problème a perdu beaucoup de son aigu au travers de la discussion.\
`Suite sur la dérive neutraliste de la RFA`
- Pour moi je n'ai pas de raison de douter de la position allemande, même si un certain nombre d'infléchissements me paraissent dus à la situation propre à ce pays. Enfin je ne veux pas vaticiner sur l'avenir, je crois vraiment que la priorité au désarmement conventionnel était une nécessité.
- Je me permettrai de le rappeler, sans vouloir tirer avantage de mon côté, que c'est la condition que j'avais posée, en mars 1988, à l'OTAN à Bruxelles, lorsqu'il était question de la modernisation des armes à très courte portée. Certains d'entre vous se trouvaient déjà là, sans doute. J'avais demandé qu'il y ait au préalable engagement de négociation sur l'armement conventionnel ce qui n'était pas le cas à l'époque. Mon approche relevait un peu de ce qui avait été fait précédemment par d'autres en 1979 sur la double décision. (Si d'ici quatre ans, 1983, les Soviétiques n'avaient pas renoncé aux implantations de SS 20, alors nous installerons, disait-on à ce moment-là, à la demande du chancelier Schmidt, des Pershing 2. Les Soviétiques n'avaient pas réduit, ils avaient au contraire accru leur implantation de SS 20. En 83, j'ai été de ceux qui ont dit : "Eh bien ! il faut appliquer cette décision" même si la France n'est pas elle-même impliquée dans cette décision, toujours en raison de son statut particulier).
- A partir du moment où on se trouve dans une situation inversée, où c'est un processus de désarmement et non pas de surarmement qui est engagé, mon raisonnement reste dans sa logique. Nous n'avons aucune raison de refuser de prendre part à ce désarmement. Quand je dis nous, je veux dire l'Alliance atlantique. Voilà ce que je veux vous dire.
- Je ne suis pas spécialement inquiet. Moi aussi je me pose toujours des questions et je reste vigilant. Mais nous avons des relations de confiance avec l'Allemagne. La bonne volonté mutuelle s'est imposée puisque l'accord a été fait. Moi, je n'avais jamais douté que cet accord finalement serait contresigné. Il y a là des problèmes de politique générale qui se posent de telle sorte que, à mon avis, nul n'était en mesure de préférer la rupture. Mais enfin, le fait que ce problème ait été posé et réglé montre bien que l'Europe est en train de bouger. Qui s'en plaindra ?\
QUESTION.- Monsieur le Président, je vous prie de m'excuser de vous reposer une question en anglais, les responsables américains nous affirment que la genèse de la proposition du Président Bush faite à Paris au cours du week-end passé à Kennebunkport, aux Etats-Unis, lorsque vous avez rencontré des responsables américains au cours de ces deux jours, je me demande si le Président Bush ou ses conseillers ont consulté avec vous à propos de ce qu'ils envisageaient de faire et, plus précisément, vous ont-ils dit qu'ils se proposaient d'inclure des avions dans les négociations et que vous aviez réagi ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne prétendrai pas cela. Ce qui est vrai, c'est que la priorité et que j'avais réclamée, depuis près de deux ans, au désarmement conventionnel et que j'ai rappelée en toutes circonstances depuis lors, notamment lors de ma dernière conférence de presse, a été le gros morceau de nos conversations à Kunnebunkport.
- J'ai attiré l'attention de M. Bush - qui n'avait pas besoin de cela pour y penser - sur la nécessité que face au débat qui était posé sur les armes à très courte portée la solution se trouvait dans une accélération et un renforcement de la position occidentale sur les problèmes du désarmement conventionnel. Nous en avons effectivement parlé. Mais de là à prétendre que c'est cette conversation qui a donné l'inspiration au Président Bush, je ne le prétends pas. Je pense que cela l'a peut-être confirmé dans son intention, mais je n'en sais rien.
- Nous n'avons pas parlé spécialement des avions, mais nous avons dit que, dès lors que l'on parlait du désarmement conventionnel, il n'y avait pas de raison de fixer des limites. Est conventionnel ce qui est conventionnel. Le raisonnement diffère dès que l'on aborde le stratégique. Mois, je ne me suis pas accroché à cette histoire d'avion, dès lors que la réserve que j'ai émise était acceptée par mes partenaires. Enfin, l'accueil qui m'a été réservé à Kennebunkport par le Président Bush a été un accueil très sympathique, très cordial et nous avons pu, pendant plusieurs heures, parler de tous les sujets à fond, en mettant l'accent, je le répète, sur le désarmement conventionnel.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quel jugement porteriez-vous sur M. Bush vous qui l'avez vu à maintes reprises depuis deux jours ?
- LE PRESIDENT.- J'essaie d'éviter ce genre de chose. Je l'ai déjà fait une fois en répondant à une question il y a quelques jours là-dessus. Je ne vais pas passer mon temps à faire, comment dirais-je ?, le psychanalyste, il y a des gens faits pour ça. George Bush est un homme très sympathique, très ouvert, qui connait bien les questions, qui les a vécues, qui a le regard tourné vers l'Europe, qui sait ce qu'elle est, qui la pressent bien, qui en a bien l'intuition. C'est donc vraiment un partenaire intéressant. Quand s'y ajoute une ouverture d'esprit, une sensibilité, cela rend les relations agréables et plus positives. Que puis-je vous dire de plus ?\
QUESTION.- Monsieur le Président, en parlant de l'Europe, quelle était l'opinion du Sommet sur ce qui se passe maintenant dans l'Europe de l'Est, sur les changements de l'Europe de l'Est ?
- LE PRESIDENT.- On risque là de tomber dans des banalités ! Je dirais par exemple, à la manière de M. Prudhomme, "les événements qui se déroulent dans l'Est de l'Europe, en Union soviétique, sont des événements importants", je ne vous aurais pas appris grand chose ! Et pourtant, ils sont très importants. Qui pourrait nier les changements déterminants qui s'y produisent ? L'évolution de l'opinion publique partout, née si j'ose dire d'elle-même, d'une aspiration à plus de liberté individuelle et collective, peut-être aussi à une vie matériellement meilleure. Tout cela additionné a provoqué des mouvements spontanés que des hommes politiques d'envergure, comme M. Gorbatchev, ont saisis avant d'autres. C'est un homme de sa génération qui a compris les évolutions de son temps. C'est un homme responsable. De pays en pays et comme une réaction en chaîne, on voit bien que le mouvement est partout lancé et qu'il sera, en fin de compte, irrésistible, même si il y a entre la liberté et l'oppression un certain nombre de va et vient au cours des années futures.\