29 mai 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République à l'agence de presse d'Oman, le 29 mai 1989, notamment sur les relations entre la France et le sultanat d'Oman, le problème palestinien et le conflit du Golfe persique.

QUESTION.- La France et le Sultanat d'Oman entretiennent des relations d'amitié. Comment voyez-vous ces relations ? Comment évolueront-elles ?
- LE PRESIDENT.- Les relations entre la France et Oman sont anciennes. Comme vous le savez, elles remontent au début du XVIIIème siècle. Depuis cette époque, aucun différend n'a entaché des rapports faits d'amitié et de confiance. Nous avons hautement apprécié l'hospitalité des ports omanais durant le conflit du Golfe, comme par le passé pour les vaisseaux du Roi puis de la République française. Solidement fondées sur l'intérêt mutuel, ces relations doivent maintenant nous conduire à renforcer notre dialogue politique. C'est dans cet esprit que j'ai tenu à recevoir en visite d'Etat le Sultan. Je me fais une joie de rencontrer une personnalité qui administre avec une sagesse unanimement reconnue un pays d'ancienne tradition, fier de son identité et de son indépendance.\
QUESTION.- Quelle est la nature des entretiens que vous aurez avec le Sultan Qabous lors de sa visite en France ? Comment voyez-vous cette visite ?
- LE PRESIDENT.- Les entretiens que j'aurai avec Sa Majesté le Sultan porteront sur la situation internationale, les questions régionales et nos relations bilatérales. Ils seront, à mes yeux, d'un grand intérêt en raison de l'importance politique, stratégique et économique du Sultanat situé à un carrefour d'influences aux confins de l'Iran, de l'Afrique orientale et du sous-continent indien.
- Nous parlerons de la question palestinienne et de la tragédie libanaise, sur lesquelles les analyses d'Oman et de la France sont, je le sais, très semblables, ainsi que de la situation dans le Golfe. Gardien de la liberté de navigation dans le détroit d'Ormuz, le Sultanat a joué, pendant le conflit entre l'Irak et l'Iran, un rôle modérateur apprécié par tous. Sur le plan bilatéral, j'attends de ces entretiens qu'ils nous permettent d'examiner les moyens d'accroître et de diversifier nos relations sur la base d'un bilan déjà positif. La France est prête, en particulier, à poursuivre une coopération fructueuse en matière d'exploration et d'exploitation du pétrole.\
QUESTION.- Pourriez-vous nous dire comment la France perçoit les relations de coopération entre l'Europe de 1992 et le Conseil de coopération du Golfe, d'une part, et l'Union du Maghreb, d'autre part.
- LE PRESIDENT.- Pour ce qui concerne les relations entre l'Europe et le Conseil de Coopération du Golfe, elles se développeront dans le cadre de l'accord en cours de discussion. La France, pour sa part, s'efforce de promouvoir la conclusion par la Communauté d'un accord de libre échange permettant de trouver une solution équilibrée aux problèmes du raffinage.
- Vis-à-vis du Maghreb : l'approche générale d'une "Europe partenaire" et non "forteresse" prévaudra également. Le cadre des relations entre la Communauté et les pays du Maghreb sera régi, en 1993 comme aujourd'hui, par les accords préférentiels que la CEE a conclus avec les pays méditerranéens. Les avantages dont ces pays bénéficient à ce titre seront bien entendu maintenus.\
QUESTION.- La position du Sultanat d'Oman a été très claire envers la guerre du Golfe. Cette position a aidé à garantir la liberté de navigation dans le détroit d'Ormuz et à arrêter le conflit. Qu'en pensez-vous ? Quel est le rôle de la France dans le maintien de la liberté de navigation internationale par le détroit ? LE PRESIDENT.- Comme l'Oman, la France attache une importance primordiale au respect de la liberté de navigation dans les eaux internationales. S'agissant du Golfe, c'est-à-dire d'une voie d'eau essentielle pour les pays riverains comme pour les nations occidentales, la détermination de nos deux pays à défendre ce principe fondamental s'est traduite par une coopération à la fois exemplaire et efficace de nos deux marines. Je tiens d'ailleurs, sur ce point, à renouveler au Sultanat mes remerciements pour les facilités d'escale et la qualité d'accueil réservés à nos navires. Leur présence dans la région tiendra tant que les sources d'instabilité dans la région n'auront pas disparu.\
QUESTION.- La marche de la paix au Proche-Orient rencontre des obstacles en raison de la position israélienne. Quel rôle pourra jouer la France, en coopération avec la communauté européenne, pour avancer le processus de paix dans cette région ?
- LE PRESIDENT.- Rien n'est plus nécessaire que la Paix au Proche-Orient, et pourtant rien n'est moins certain. La gravité des affrontements en Cisjordanie et à Gaza m'alarme. J'en appelle à la lucidité et au courage des dirigeants israéliens pour enrayer l'engrenage de la violence. Je compatis à la souffrance de la population palestinienne, privée depuis trop longtemps de ses droits et qui voit, jour après jour, tomber ses enfants. Sans apaisement de cette tension, il n'y aura aucun plan de paix qui vaille.
- Pourtant je ne désespère pas des efforts des hommes de modération et conciliation qui existent dans les deux camps. Je le dis après avoir reçu, à Paris, Yasser Arafat. L'aurais-je fait si j'avais pensé que tout espoir de dialogue entre les ennemis d'aujourd'hui fût irréversiblement compromis ?
- La communauté internationale doit prendre la mesure de ses responsabilités. Il n'est que temps que les membres permanents du Conseil de Sécurité s'attachent, en liaison avec les pays de la région, à préparer le terrain pour une Conférence internationale qui traite de tous les aspects du conflit avec la participation de l'ensemble des acteurs.\
QUESTION.- Les dettes du tiers monde préoccupent le gouvernement français. Que peut faire la France pour résoudre cette question et pour atténuer les charges des pays sous-développés ?
- LE PRESIDENT.- La dette du tiers monde est en effet pour la France une préoccupation majeure. Notre pays, vous le savez, a pris dans ce domaine plusieurs initiatives. Lors du Sommet de Toronto en 1988, j'ai obtenu l'accord de nos principaux partenaires industrialisés pour assouplir les conditions de remboursement de la dette des pays les plus démunis de la planète, la France pour sa part annulant le tiers des échéances de la dette publique. En septembre dernier, à la Tribune de l'ONU, j'ai proposé un plan de réduction de la dette bancaire pour les pays dits "à revenu intermédiaire". D'autres grands pays industrialisés et notamment les Etats-Unis, ont depuis, accepté le principe d'une réduction de cette dette. La France, dans la perspective du prochain Sommet des pays industrialisés qui se tiendra à Paris, le 14 juillet prochain, s'emploiera à résoudre les derniers problèmes qui demeurent pour l'application effective des mécanismes qui sont en cours d'élaboration.\