29 avril 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le développement industriel du Morvan, Arleuf le samedi 29 avril 1989.

Mesdames et messieurs,
- Je remercierai d'abord le Président Mario Soares, qui est un de mes vieux amis, pour l'aimable pensée qu'il a eue à notre égard.
- A cette distance de Lisbonne il ne pouvait pas observer que ce n'était pas ma terre natale mais disons que Chateau-Chinon et le Morvan ont représenté pour moi comme une renaissance. De telle sorte que finalement on s'y retrouve.
- J'y ai passé en effet 35 ans où j'ai pu représenter les Morvandiaux, les Nivernais dans leur ensemble mais les Morvandiaux en particulier et c'est avec beaucoup de plaisir et un peu d'émotion que je me retrouve à Arleuf pour une raison simple : d'abord, c'est que j'ai beaucoup fréquenté cette commune proche de Chateau Chinon, où m'attiraient des relations d'amitié très profondes avec plusieurs de vos compatriotes. J'ai connu tous les maires d'Arleuf depuis 1947, cela va faire 42 ans et comment ne citerai-je pas à mon tour le nom de Fernand Dussert, pour moi l'un des amis les plus proches et les plus chers, sa maison familiale où j'ai reçu un accueil si chaleureux pendant tant d'années. Inutile de vous dire les voeux que je forme pour Mme Dussert aujourd'hui et l'ensemble de ceux qui travaillaient dans son entreprise. Il n'a pas été le seul avec lequel j'ai pu contracter des liens d'amitié au cours de ces longues années.
- J'ai aperçu dans cette salle bien des visages connus depuis longtemps et qui évoquent pour moi des heures de paix, de travail et d'amitié. Que chacun d'entre vous sache que c'est pour moi un heureux moment que de m'arrêter parmi vous.\
J'avais en effet suivi les conditions dans lesquelles les Etablissements Aaron se sont installés à Arleuf. J'avais même eu des ambitions pour Chateau-Chinon et vous me rappeliez tout à l'heure qu'au moment où vous vous apprêtiez à vous étendre d'Arleuf à Chateau-Chinon, il y avait auris l'installation BJ, DIM à Chateau-Chinon que nous avions fait venir. Il y avait provisoirement pénurie de main d'oeuvre de telle sorte que vous avez été attirés vers le Nord, vers Saulieu. Enfin, on ne s'en plaindra pas pour Saulieu qui est une commune voisine et amie. J'ai pu suivre à travers le temps les progrès de cette entreprise et les bons services qu'elle a rendus. C'est très important pour celles et ceux qui travaillent dans ces établissements dont je vous félicite, monsieur le Président, c'est très important que de pouvoir travailler sur place ou de venir d'une courte distance, cela permet de perpétuer une vie de famille, de garder son propre voisinage, de rester fidèle à ses attaches et à ses sources et bien entendu, on souhaiterait que l'aménagement du territoire pût permettre au maximum de préserver cette vie rurale avec ses ateliers et ses usines répartis judicieusement sur notre sol, ce qui permet de préserver à la fois les richesses naturelles d'un beau et vieux pays tout en permettant de s'adapter aux grandes techniques modernes.
- La réussite des Etablissements Aaron a valeur d'exemple. D'abord, cela démontre que le textile peut vivre en France. J'ai connu une période, c'était en 1981 - 1982 où l'on pouvait croire que la concurrence internationale avait mis un terme au développement du textile en France. C'était véritablement la faillite, la disparition d'un vaste secteur industriel. Il a fallu réagir vite et je me souviens du plan mis en place par le ministre de l'industrie de l'époque M. Dreyfus qui a pour une large part contribué à sauver l'industrie du textile en France. Mais si vous avez apporté la démonstration que la France pouvait être compétitive vous avez fait une deuxième démonstration, c'est que, il n'était pas nécessaire de disposer d'un vaste empire, d'une concentration puissante pour pouvoir survivre et qu'une unité de taille moyenne pouvait supporter la concurrence à la condition bien entendu d'avoir des techniques, un travail, un sérieux dans la gestion qui viendrait compenser le cas échéant la différence de potentiel financier. Cette double démonstration est très importante. C'est vrai que le textile après avoir connu les crises tragiques que vous savez, doit encore se battre. Dans ce domaine industriel comme dans tous les autres - je reprends une expression fameuse "rien n'est jamais acquis" - et je suis très heureux de voir la qualité de ce qui s'accomplit ici et qui est une garantie sérieuse de pérennité.\
Le textile, l'unité industrielle, le lien établi entre les travailleurs de cette entreprise, pour la plupart d'entre eux et le pays dont ils sont originaires, la vie ainsi maintenue et même développée dans des communes rurales qui n'auraient pas beaucoup d'autres ressources aujourd'hui. Il y a plus d'habitants à Arleuf, n'est-ce pas, monsieur le maire que je suis heureux de saluer, de retrouver ici. Nous avons nous aussi depuis déjà pas mal de temps parcouru ces chemins ensemble la plupart du temps pour des choses très sérieuses touchant à l'administration de votre commune. Il nous est arrivé de partir à la recherche de champignons dans les endroits que vous connaissiez et que vous qui m'écoutez ne connaissez pas sans quoi je n'en aurais pas trouvé. Bref, nous avons beaucoup de souvenirs en commun et je sais avec quel soin le maire et le Conseil municipal s'occupent du devoir qui est le leur puisqu'ils ont la confiance de la population, confiance que je crois durable parce que lorsque l'on fait bien son travail le peuple le reconnait.
- Quand il m'a été proposé de venir ici j'ai d'abord cédé au désir disons de retrouver le Morvan, de retrouver Arleuf, de revoir mes amis et les autres ceux que j'ai rencontrés au travers des chemins. Mon deuxième reflexe a été de venir saluer l'effort d'une entreprise dont l'historique vient d'être rapidement tracée par M. le Président et dont Mme Aaron est l'exemple vivant. C'est vrai que la continuité d'une famille, la continuité d'une direction qui s'est étoffée, de ses cadres qui accomplissent un beau métier technique, qui sont à l'affût de tous les apports modernes, a permis aux établissements Aaron d'assurer la prospérité pour une large part, la prospérité de cette région. Vous avez raison de dire, monsieur le Président que vous alliez affronter des temps nouveaux. Seront-ils plus difficiles on ne peut pas le dire ? Il ne faut pas avoir le sentiment que la création du marché unique européen entre les douze pays de la Communauté, - c'est-à-dire 320 millions d'habitants - l'Europe, l'Europe telle que nous la concevons aujourd'hui, il ne faut pas croire que cela va être un changement total. Nous sommes déjà dans la compétition. Il ne faut pas imaginer que d'un côté il y a un pays : le nôtre qui serait fermé, protégé, tandis que demain il n'en irait plus ainsi et qu'il serait ouvert, livré. Non ! Les choses sont plus nuancées. Nous sommes déjà au centre de la compétition mondiale, on peut venir déjà concurrencer toutes nos productions chez nous. On ne passe donc pas d'une période paisible et sûre à une période d'incertitude. Il ne faut pas que les Français imaginent l'Europe comme cela, c'est simplement un progrès dans une forme d'intégration économique qui exigera des efforts supplémentaires et pour laquelle la France est bien armée. Notre économie a bien des défauts mais elle remporte des succès, notre économie est saine. Les à-coups de ces derniers mois sur les monnaies en particulier ne nous ont pas affectés, notre monnaie est plus solide aujourd'hui qu'elle ne l'était précédemment et cependant on sait de quelle manière les monnaies fortes du type dollar ou mark représentent pour nous un danger permanent dans des pays : l'Allemagne, très prospère, les Etats-Unis d'Amérique qui ont une grande puissance naturelle, la France tient son rang, gagne des points. Il ne faut donc pas imaginer que cette France qui gagne des points n'en gagne que parce qu'elle aurait protégé son travail, ses produits. Ce n'est pas le cas. Tout est déjà à la merci du meilleur, du plus fort mais dans la plupart des cas la France démontre qu'elle est la meilleure et qu'elle peut elle-même conquérir les marchés extérieurs.\
Sans vouloir verser dans l'optimisme qui n'a pas de sens, c'est une vue réaliste et prometteuse, que la gestion de l'entreprise privée (comme celle que nous célébrons aujourd'hui) et la gestion publique étroitement associées dans une économie où chacun joue son rôle - ce qui me permet souvent d'en appeler à l'économie mixte où chacun accomplit sa part de l'effort national - donnent des résultats dont je me réjouis.
- Bien entendu, ils sont fragiles, et en cas du moindre relâchement la concurrence étrangère s'engouffrerait. Il faut être audacieux et prudent à la fois.
- On observe une réduction très sensible de l'inflation, celle dont j'avais hérité il y a 8 ans, était d'environ 14 % par an, elle passe au-dessous de 3 %. Notre commerce extérieur est variable dans ses résultats. Quand la période est prospère, on dispose de plus d'argent et les Français ont souvent tendance à acheter à l'extérieur ce dont ils ont besoin si bien que la prospérité de notre économie nous conduit parfois et même trop souvent à une fragilité de notre équilibre commercial. Bien entendu, cela provient aussi du fait que les entreprises françaises ne sont pas toujours en mesure de fournir aux consommateurs ce que ceux-ci réclament. Voilà un bon exemple, vous, établissements Aaron, vous fournissez vous-même des produits et ces produits conviennent à un vaste public, qui n'est pas obligé d'aller acheter ses produits textiles en Italie ou en Allemagne.
- Les entreprises comme celle-ci remplissent un rôle national utile que je tiens à saluer en vous en remerciant.
- Je ne vais pas prolonger cet exposé pour redire le plaisir que j'éprouve d'être avec vous pendant quelques quarts d'heure, c'est un peu rapide. Quand se reverra-t-on la prochaine fois, c'est difficile à dire. Mais c'est une note d'espoir qui se dégage de cette rencontre : nous célébrons le travail, la permanence du travail, le développement économique et spécialement industriel. En même temps cela me permet de remercier les élus et les municipalités dont je connais les mérites et qui ont contribué au développement de cette entreprise sans oublier bien entendu mes autres amis élus, venus de tout le département et auxquels je dédie simplement un petit salut amical sans vouloir m'attarder davantage car nous avons autre chose à faire toute la journée. Nous allons tout à l'heure à Geux et au Beuvray, ensuite nous irons à Chateau-Chinon, c'est bien normal, et nous pourrons continuer comme cela une journée pour moi très riche d'émotion, de souvenirs mais aussi d'espoir dans les chances du Morvan, de la Nièvre, de la France.\