30 mars 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur les relations franco-italiennes et les problèmes monétaires et de droit européens, Taormina, jeudi 30 mars 1989.

Je ne puis que confirmer ce qui vient d'être dit. Je vous épargnerai une répétition. Je me contenterai donc de résumer en peu de mots mes propres impressions. D'abord - surtout lorsque l'on songe à ce qui existait entre nos deux pays il y a cinq ou six ans - il n'y a pas de contentieux. Des approches parfois différentes qui sont à la merci d'une bonne conversation ou d'un dialogue approfondi. Nous avons même constaté que nos échanges s'étaient considérablement accrus à l'avantage de l'un et l'autre pays, et qu'ils sont à peu près équilibrés.
- C'est donc sur les problèmes européens que nous avons dû mettre l'accent. A Madrid, bientôt, et pour la suite dans les différentes rencontres bilatérales qui unissent les pays européens entre eux avant que nous nous retrouvions en France à la fin de l'année dans le cadre de la Communauté européenne.
- Monsieur le Président du Conseil des ministres italien l'a dit, essentiellement, le problème de l'union économique monétaire, sa traduction dans les faits au travers d'une monnaie, d'une banque et le développement du droit social européen, d'une Europe sociale qui devrait commencer de voir le jour véritablement à Madrid du moins en ce qui concerne les définitions initiales et les définitions d'un calendrier.
- M. de Mita a bien voulu également vous parler de mes préoccupations pour l'organisation du Sommet des grands pays industriels au mois de juillet à Paris. La préoccupation qui est la mienne de placer en exergue le problème de l'endettement et par là du développement des pays pauvres ou intermédiaires endettés. D'autres rendez-vous ont été pris. On l'a dit, au mois d'octobre notamment. J'aurai d'ailleurs l'occasion en plus de le recevoir en visite d'Etat, M. le Président de la République italienne qui viendra visiter notre pays. Bref, nous avons pu parler de façon utile en ajoutant une idée à l'autre pour aller dans le même sens. Mes derniers mots seront pour dire, en effet, qu'il faudrait être bien difficile pour se plaindre d'être invité à Taormina. Le temps, le soleil, le ciel et le reste se sont appliqués à ne pas faire mentir la réputation de ce pays. C'est vraiment pour nous une véritable joie que de nous retrouver en Sicile.\
QUESTION.- Extradition de deux présumés terroristes.
- LE PRESIDENT.- Le Président du Conseil des ministres italien m'en a parlé. Je n'ai pas à commenter une décision d'ordre judiciaire. On approuve, on désapprouve et lorsqu'on représente un pouvoir politique, on se tait. Ma position sur les extraditions est bien connue. Lorsqu'il s'agit d'apprécier une affaire criminelle, à compter du moment où, surtout pour les affaires de terrorisme, l'un des pays de la Communauté demande solidarité, il est juste que soit extradé le suspect, le présumé coupable.
- Si la question se posait ou si vous me la posez, c'est parce qu'il y a quelques années nous avons eu une interprétation différente. Mais il ne s'agissait pas du même cas. De longues années après les événements dramatiques, criminels qui s'étaient déroulés en Italie, un certain nombre d'Italiens s'étaient réfugiés en France et au cours de ces années-là - il y a dix ans, peut-être plus - ils s'étaient mariés, avaient un métier, ce n'était plus les mêmes personnes. Mais au total il n'y avait pas d'incrimination personnelle, directe, en dehors de celles d'avoir appartenu à une organisation condamnable. Il a été jugé qu'il n'était pas nécessaire d'extrader des personnes qui avaient refait leur vie et qui n'étaient pas, je le répète, de réputation criminelle personnelle. La situation d'aujourd'hui se pose dans des termes tout à fait différents. Je vous le dis, moi, personnellement, je pense que, lorsque les choses sont claires et lorsque la justice italienne en juge ainsi, le devoir de la France est de pratiquer la solidarité dans la lutte contre le terrorisme. On ne manquerait pas de difficultés particulières. Mais, nous sommes soumis quand même à une procédure judiciaire. C'est à la justice de se prononcer et au pouvoir exécutif, par définition, d'exécuter.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la dernière Présidence française du Marché commun a été marquée par ce que vous avez défini, l'élimination du poids du passé et en quoi vous espérez caractériser votre prochaine présidence qui commence à partir de juin.
- Deuxième question, un peu moins sérieuse, Maurice Duverger a écrit sur Le Monde il y a une semaine que le Parti socialiste en France est bien placé pour rester au pouvoir pour les prochains 40 ans. Est-ce que vous avez demandé des conseils à Monsieur ...? dans votre conversation étant donné que son parti lui-aussi est au pouvoir depuis 40 ans ?. Merci.
- LE PRESIDENT.- Commençons par la deuxième question. Je n'ai pas l'habitude de traiter des problèmes français lorsque je me trouve dans un pays étranger. De toutes manières, je me garde, pour ce qui me concerne de perspectives imprudentes. Qui est maître du temps ? Vous connaissez vous ? C'est le peuple français qui tranchera cette intéressante question.\
LE PRESIDENT.- La Conférence de Fontainebleau en 1984 a été en effet l'occasion de liquider les seize ou dix-sept contentieux existants qui traînaient depuis plusieurs années. Donc, de ce point de vue, on peut dire comme vous l'avez dit, que Fontainebleau a apuré le passé. Mais on a fait quand même davantage. On a fait avancer de façon importante la future adhésion de l'Espagne et du Portugal. On a dessiné les premiers éléments du débat qui a abouti l'année suivante à l'accord de Luxembourg sur le marché unique. Bref, il y a eu aussi une prospective. On ne s'est pas contenté de s'occuper du passé. Alors, cette fois-ci, je prendrais les choses comme je les recevrai, des mains du Président du gouvernement espagnol. Il m'est difficile de préjuger ce qui se passera à Paris alors que je ne sais pas encore ce qui se sera passé à Madrid.
- Simplement je peux vous dire que je m'efforcerai de faire accomplir par la Communauté un progrès supplémentaire par rapport au point où je l'aurai reçu pour l'union économique et monétaire, pour l'Europe sociale, l'Europe culturelle sous l'aspect audiovisuel, et pour l'Europe de l'environnement. Sur ces deux dernières questions, les difficultés ne devraient pas être importantes. En revanche, il ne faut pas se dissimuler que pour l'union économique et monétaire et pour le débat sur l'Europe sociale, nous avons besoin d'une très forte solidarité pour parvenir à des résultats sensibles. L'Italie et la France s'y appliqueront, c'est d'ailleurs l'une des significations de la rencontre d'aujourd'hui.\
QUESTION.- (inaudible).
- LE PRESIDENT.- En effet, c'est un rapide passage à Taormina, ce sont quelques images qui resteront dans ma mémoire, qui confirment quand même mon intuition. On a une intuition des pays que l'on va visiter, que l'on ne connaît pas, et généralement on sort difficilement de sa propre intuition. Il est difficile d'aimer un pays que l'on ne s'apprêtait pas à aimer. C'est vrai dans le sens contraire. Je connaissais déjà un peu la Sicile, mais pas cette partie. Je connaissais Messine et aussi l'axe Palerme - Agrigente. J'y avais fait une promenade en voiture, circulant, voyant différents endroits, toujours très beaux. La Sicile est un pays très attachant et très attirant. Je compte bien revenir.\
Quant au problème que vous me posez sur l'immigration des pays tiers, la France est conduite à traiter ce problème pour elle-même. Quant on dit pays tiers, je pense que vous supposez qu'il s'agit des pays qui ne sont pas membres de la Communauté car, pour ce qui touche à la Communauté elle-même, la Commission fait des propositions que vous connaissez sans doute sur les possibilités d'installation des nationaux des onze autre pays hors de son propre pays, où l'on doit pouvoir circuler librement, s'installer librement et même on va jusqu'à proposer l'exercice des droits civiques. Il s'agit là des pays de la Communauté.
- Pour les pays tiers, vous savez que les législations sont différentes. Il y a des pays qui vont jusqu'à accorder l'exercice des droits civiques à des immigrés qui viennent des autres continents. Ce n'est pas le cas de tous. Mais tous veillent aux frontières à éviter l'immigration clandestine. C'est le cas de la France. Il faut que cette immigration s'exerce conformément aux lois, pour obtenir des titres de séjour, des cartes de travail, des droits d'asile. Pour cela il existe des lois, il faut se conformer à ces lois et dans le cadre de ces lois, nous entendons, nous en France, développer une politique d'accueil, qui à aucun moment ne doit signifier la complaisance à l'égard de ceux qui viennent sans en avoir demandé l'autorisation. Pas de complaisance, mais le respect du droit, et du droit des personnes, du droit des gens. Bref, une attitude humaine. Ce qui signifie l'étude de chaque cas, de la manière la plus précise possible. Est-ce qu'il sera possible d'obtenir une sorte de législation commune entre les douze pays ? On va dans cette direction. Beaucoup de dispositions sont aujourd'hui similaires. Cela commence à diverger à partir du moment où l'on passe du stade du travail à celui des droits civiques. Je suis de ceux qui pensent que ces droits civiques doivent être accrus dans la mesure où il est normal qu'un être humain qui participe à la vie du pays où il se trouve, ait la possibilité d'avoir une opinion sur les décisions qui touchent sa vie quotidienne - je ne parle pas des problèmes idéologiques - des problèmes de sa vie quotidienne. C'est un problème de civilisation. Il faut à la fois préserver nos pays, qui ont besoin de préserver leur équilibre intérieur sur le marché du travail, de faire respecter leur législation, et d'autre part, puisque l'on vient travailler, et souvent nous en avons besoin, cela nous est utile, faire que les travailleurs disposent des mêmes droits que leurs camarades nationaux. Quant au reste, dont j'ai déjà parlé l'aspect civique, cela reste en débat, je me suis déjà exprimé à ce sujet, c'est inutile d'y revenir.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pardon de parler de choses désagréables. Nous sommes dans un lieu merveilleux, mais nous sommes aussi dans la patrie de la mafia. Tout près d'ici, à Catane, les morts s'accumulent, il semble que rien ne puisse empêcher le développement de ce phénomène, et en particulier son emprise de plus en plus grande sur le monde économique. Cela pose des problèmes à l'Italie, mais aussi à la France et aux autres pays européens. Est-ce qu'on en parle aussi entre Présidents ?
- LE PRESIDENT.- En l'occurence, vous me parlez de Catane, c'est-à-dire un lieu où s'exerce la souveraineté italienne. Quant à la solidarité, elle existe. On ne peut qu'être solidaire pour condamner le crime et pourchasser les organisations qui se livrent au crime. Que voulez-vous que je vous dise de plus ?\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez parlé d'une monnaie, une banque centrale mais Mme Thatcher, il y a une opposition de l'Angleterre au niveau de la banque centrale.
- LE PRESIDENT.- Est-ce que c'est une constatation ou une interrogation ?
- QUESTION.- Une interrogation.
- LE PRESIDENT.- Vous vous interrogez là-dessus encore ?
- QUESTION.- Comment pensez-vous surmonter l'hostilité de l'Angleterre ?
- LE PRESIDENT.- Il suffit de dire non. Je crois que l'on a tout dit.\
LE PRESIDENT.- Monsieur de Mita a bien dit tout à l'heure que nous avions parlé un moment dans le cadre naturellement des problèmes du Proche-Orient. M. de Mita en effet a déjà rencontré, reçu M. Arafat. Il n'est pas le seul. Le Roi d'Espagne, M. Felipe Gonzalez, le Pape Jean-Paul II, bien d'autres personnalités encore à l'Ouest, l'ambassadeur américain à Tunis, beaucoup de personnalités à l'Est, beaucoup de personnalités du monde arabe, beaucoup de personnalités des pays non alignés. Bon, maintenant c'est la France. Quelle question peut être posée ? Demandez à M. de Mita comment cela s'est passé. Ils ont discuté, c'est bien ce que j'ai l'intention de faire.\
QUESTION.- (en italien).
- LE PRESIDENT.- Vous savez on a traversé Fontainebleau et Luxembourg, Milan auparavant qui pouvait nous laisser pessimiste sur la réussite de Luxembourg et pourtant on y a réussi, Hanovre récemment, pourquoi pas Madrid et Paris ? On discute, on cherche un accord. Si on n'y parvient pas on fera le commentaire aussi après comme vient de le dire M. de Mita mais il n'y a pas lieu de douter de la force de ce dynamique que l'on appelle l'Europe communautaire et pour y parvenir il faut être résolu.\