27 février 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de M. François Mitterrand, Président de la République et de Mme Thatcher, Premier ministre britannique, à l'issue du sommet franco-britannique, notamment sur le désarmement, la construction européenne, les relations franco-britanniques et les relations avec l'Iran à la suite de l'affaire Rushdie, Paris, lundi 27 février 1989.

Mesdames et messieurs,
- Nous venons, Mme Thatcher et moi, tenir cette conférence de presse avec vous à l'issue des heures que nous avons passées à travailler ensemble dans le cadre de ce que l'on appelle les Sommets entre nos deux pays.
- J'ai pu de mon côté avoir une longue conversation avec Mme Thatcher que je remercie pour sa présence, pour son concours et que nous sommes toujours très heureux de recevoir ici, pendant que les ministres de part et d'autre se rencontraient, essentiellement MM. les ministres des affaires étrangères, de l'intérieur, de l'industrie, de la défense.
- Pendant la conversation que j'ai eue avec Mme Thatcher, beaucoup de sujets ont été abordés dont certains ont été traités de nouveau à la séance plénière. D'une part, naturellement les relations Est-Ouest. Les relations entre l'Est et l'Ouest, une évaluation de ce qui se passe en Union soviétique, du déroulement de ce que l'on pourrait appeler l'expérience conduite par M. Gorbatchev à l'intérieur et à l'extérieur.\
S'est greffée là-dessus une conversation sur les problèmes de l'armement. Le désarmement constaté dans un certain nombre de domaines, soit que déjà l'on soit entré dans les faits, soit que l'on ait réaffirmé les intentions, rendez-vous pris, exemples : l'armement classique ou conventionnel début mars, récemment, la conférence sur le désarmement chimique, l'accord plus ancien entre Russes et Américains sur les armes nucléaires dites intermédiaires ou à moyenne portée, l'ébauche d'accords entre les mêmes sur les armements stratégiques. Donc, nous avons parlé surtout, de ce fait, du problème qui sera posé à la réunion de l'OTAN à la fin du mois de mai à Bruxelles, sur ce que l'on appelle la modernisation des armes à très courte portée. De là, nous sommes passés à l'examen de quelques problèmes touchant le Moyen-Orient £ parlant du Moyen-Orient et des conséquences de la guerre entre l'Irak et l'Iran, il était difficile de ne pas s'attarder sur ce que l'on appelle l'affaire Rushdie, sur la réaction des Occidentaux, sur les diverses conséquences de toutes sortes qui s'en suivent. Puis le Proche-Orient, la récente visite de M. Shamir à Paris, l'état actuel des discussions ou des non-discussions sur le problème d'une éventuelle conférence internationale.
- Enfin, nous avons parlé de l'Europe, de la Communauté de l'Europe. Par le biais du problème monétaire, du parachèvement du marché unique. Nous avons parlé de l'environnement, nous avons parlé du problème de l'audiovisuel. Ces deux derniers sujets étant faciles à traiter. Les deux premiers plus délicats £ en tout cas dans l'attente du rapport de M. Delors et des dispositions qui seront prises par l'actuel Président de la Communauté Felipe Gonzalez, nous avons simplement abordé les sujets tout en sachant fort bien quelle était la différence d'approche pour constater qu'en tout état de cause, il convenait qu'un compromis pût intervenir pour faire avancer la construction européenne. Quelques questions se sont également greffées sur ce tronc principal de la communauté européenne et Mme Thatcher par exemple n'a pas oublié de me parler de la production Nissan, de l'automobile japonaise fabriquée en Grande-Bretagne. Comme quoi on n'oublie rien. C'est d'ailleurs très bien comme cela.
- Voilà je résume simplement, disons que je fais là non pas l'énoncé des prises de positions britannique et française, mais le compte-rendu très bref des sujets traités. Je laisserai aux journalistes qui souhaiteront poser des questions, le soin de nous laisser approfondir tel ou tel sujet de votre préférence.\
Avant de donner la parole à Mme Thatcher, j'éprouve personnellement le sentiment que ce type de relation est extrêmement utile et profitable, non seulement sur le plan des relations personnelles qui gagnent toujours à être maintenues de telle sorte que l'on travaille ensemble sur des problèmes concrets, mais aussi pour les relations entre nos deux pays qui jouent un rôle sans doute unique en Europe pour des raisons historiques, technologiques, pour la possession de certaines armes, leur proximité, et sur les grands sujets qui intéressent l'humanité, une certaine communauté de démarches. Des décisions qui paraîtront de peu de choses auprès des grands sujets quand on les traite en théorie mais qui ne sont pas négligeables. Je vois par exemple qu'il y aura des échanges de diplomates entre nos deux pays. Cela a été décidé ou proposé par les deux ministres à partir de l'automne de cette année. On verra donc des diplomates britanniques au Quai d'Orsay et des diplomates français à Londres qui seront reçus et admis comme s'ils appartenaient à la même administration. C'est donc un facteur de confiance entre nos diplomaties, d'accroître les échanges de jeunes dont nous avions pris ensemble l'initiative il y a quelques années, donc d'accroître aussi le budget de ces échanges, au moins de le doubler, puis d'une même façon multiplier les visites afin de préparer les échéances communautaires et internationales qui nous attendent. Cela dit, je pense que Mme Thatcher va vous faire connaître elle-même son point de vue avant que vous ne puissiez nous poser des questions. Madame, en vous réitérant à quel point il nous est agréable de recevoir nos amis britanniques et en particulier Mme le Premier ministre en personne.\
QUESTION (RFI).- Est-ce que vous avez parlé d'une action concertée communautaire à l'égard de l'Iran, étant donné les menaces de mort vis à vis de Salman Rushdie de la part de l'Iman Khomeiny. Est-ce qu'il y a par exemple à envisager de rompre les relations diplomatiques avec l'Iran ?
- LE PRESIDENT.- Je vous féliciterai pour votre autorité, car beaucoup de personnes avaient demandé la parole et vous l'avez prise, ce qui d'ailleurs plaide pour votre capacité à représenter votre radio. Voulez-vous répondre d'abord madame ?
- QUESTION.- Monsieur le Président, la situation autour de l'affaire Rushdie s'étant envenimée ces dernières heures, en tout cas, l'affaire ne s'étant pas débloquée, pensez-vous que Salman Rushdie ait une chance encore de pouvoir vivre libre sans une éternelle protection ?
- LE PRESIDENT.- Vous me demandez de faire un pronostic sur le degré de haine qui l'entoure. Je ne le ferai pas. Je dis simplement que tant qu'il sera menacé, il aura droit à la protection qui lui est dûe, comme à toute personne - quoi qu'on pense bien entendu, de ses paroles ou de ses écrits - qui désire s'exprimer librement. Je suis hors d'état de vous dire combien de temps, mais il est vrai que plus il y aura de solidarité entre les pays qu'indigne un tel comportement à l'égard de la liberté d'expression, plus il y aura de fermeté et de solidarité, plus courte sera sans doute l'épreuve. C'est en tout cas dans ce sens que nous nous dirigeons.\
QUESTION (Gideon Koutz - radiodiffusion israélienne).- Concernant la visite de M. Shamir à Paris que vous avez mentionnée, quelles sont vos impressions que vous avez transmises à Mme Thatcher ?
- LE PRESIDENT.- Des impressions qui n'ont rien d'original. Je veux dire que cela n'avance guère, quoi. Les voies de la conférence internationale que j'ai moi-même souhaitées, à l'initiative des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, visiblement le Premier ministre d'Israël n'y tient pas.
- Quels sont les autres moyens d'engager une négociation ? La négociation directe, vous avez pu en constater l'échec. Je n'aperçois pas de perspectives qui permettent de penser que les choses changeront d'ici longtemps en tout cas. Alors, serait-ce le dialogue direct entre Israël et de futurs interlocuteurs inconnus à cette heure que seront les futurs élus des élections en Cisjordanie ? Serait-ce - M. Shamir l'exclut - que cela puisse être l'OLP et son chef `Yasser Arafat` ? Donc je ne peux pas répondre de façon positive pour vous indiquer ce que sont les intentions réelles de M. Shamir. Lui-même l'exposera certainement. Ce qui est certain, c'est que les points qui ont été exposés depuis déjà plusieurs années, afin de permettre un réglement pacifique dans le conflit entre Israël et les pays arabes, cela reste en l'état, c'est-à-dire purement hypothétique. Il y a toujours l'idée qu'il serait possible d'obtenir une sorte de médiation avec des pays comme l'Egypte ou la Jordanie, mais ce sont les chefs d'Etat de ces pays qui se sont exprimés et qui semblent ne pas avoir encouragé ce type de procédure.
- Donc, il s'agit d'une procédure allant vers le dialogue et la paix, je n'ai pas d'éléments nouveaux à vous fournir. Mais le Premier ministre israélien qui a été reçu à Paris comme il se devait, c'est-à-dire comme le représentant d'un pays ami, nous a permis - m'a permis en particulier - de lui dire aussi ce que j'en pensais.
- Nous nous sommes séparés avec un futur rendez-vous, c'est-à-dire que c'est une conversation qui n'est pas prête de s'achever. Il n'empêche que la position de la France est que l'on devrait tenir compte du fait nouveau considérable qu'a représenté la réunion du Conseil national palestinien à Alger et les conséquences qu'il convient d'en tirer et qu'une conférence internationale qui n'imposerait pas sa loi, mais qui faciliterait les échanges, serait la bienvenue. Mais enfin, nous en sommes restés là.\
QUESTION (M. Bortoli).- Monsieur le Président, les ministres de l'intérieur ont-ils étudié ou pris les nouvelles mesures pour lutter en commun contre les menaces venant des intégrismes ou des extrémismes dont on a déjà parlé ?
- LE PRESIDENT.- Il y a eu un entretien - un long entretien - entre les deux ministres de l'intérieur. Ce n'était pas la première fois. Ils ont donc simplement repris une conversation engagée depuis longtemps et cette conversation ne peut avoir naturellement pour objet, présentement, que les moyens d'assurer la sécurité des personnes. Je ne peux pas vous en dire davantage, sinon pour vous confirmer qu'il en a bien été question.
- QUESTION (Valérie Lainé - RFI).- Monsieur le Président, est-ce que vous avez évoqué avec le Premier ministre britannique, la réaction que pourrait avoir la France si demain le Parlement iranien décidait d'aller plus loin et de rompre, par exemple, les relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne comme il a menacé de le faire ce week-end ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'avons pas voulu évoquer - du moins pour les rendre publiques - les pires hypothèses. Nous attendrons qu'elles se produisent, si elles doivent se produire, avant de vous faire connaître nos sentiments. Mais dans une affaire de ce genre où fanatisme et dogmatisme créent une situation totalement irrationnelle, on doit bien entendu s'attendre à tout et telle est notre disposition d'esprit.\
QUESTION.- Monsieur le Président, concernant la modernisation des missiles nucléaires à courte portée de l'OTAN, vous sentez-vous plus proche du chancelier Kohl qui estime que l'on peut attendre deux ou trois ans, ou vous sentez-vous plus proche de Mme Thatcher qui estime qu'une décision doit être prise au plus vite ?
- LE PRESIDENT.- Je vous dirai cela quand le moment sera venu. Pour l'instant, ma position est très, très simple, exagérément simple. S'il y a modernisation de ce type d'armes par l'Union soviétique, il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas modernisation par les Occidentaux. L'objectif que j'ai constamment recherché est celui de l'équilibre entre les forces, naturellement au niveau le plus bas possible. On a bien avancé dans presque tous les domaines, vous avez pu le constater. Il n'y a pas de raison de faciliter un déséquilibre dans ce domaine des armes nucléaires à très courte portée. Cela étant dit, le pays sur lequel se trouveraient, en fait, les armes en question, c'est l'Allemagne fédérale. La France, elle-même, dispose d'une stratégie autonome. Donc, avant d'aborder ce problème publiquement, je dois rencontrer le Chancelier Kohl, dans quelques semaines, j'attendrai que nous ayons ensemble exploré l'ensemble de cette question pour le rendez-vous de fin mai. Nous avons encore le temps d'en débattre. Il s'agit là d'une décision qui doit se prendre dans le cadre de l'alliance où chacun est solidaire de l'autre, mais aussi d'une décision souveraine qui engage l'Allemagne fédérale elle-même, qui n'engage pas spécifiquement la France. Admettez qu'il est normal que j'observe avant de vous répondre l'ensemble des obligations qui sont les miennes à l'égard de nos amis allemands.\
QUESTION (Claude Belay - Europe 1).- Que pensez-vous des prolongements de ce que l'on appelle l'affaire Rushdie en France même. Je pense, notamment à la démonstration qui s'est produite hier à Paris ?
- LE PRESIDENT.- Un communiqué a été publié par le Premier ministre en fin de matinée - je pense que c'est déjà fait - et indiquant qu'en France on pratique la liberté de penser et la liberté d'expression.
- Donc rien n'est interdit dans ce domaine. Cela ne doit pas être confondu avec des appels au meurtre. Voilà, entre ces deux principes, le gouvernement entend mener son action, et, on se réunit, on proteste, c'est normal. On menace de mort, c'est autre chose. Nous voulons concilier nos lois. Il y a donc ce qui est permis et ce qui pourrait ne pas l'être.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pour en revenir à l'Europe, est-ce qu'un jour on verra l'Europe des marchands qui est chère à Mme Thatcher, rejoindre l'Europe des riches que quelquefois vous dénoncez ? Je veux dire sur le plan monétaire et notamment également sur le plan du droit social des travailleurs, est-ce que l'un et l'autre vous allez dans la même direction ?
- LE PRESIDENT.- Je ne dénonce pas l'Europe des riches, j'aimerais bien que tout le monde le soit. Je dénonce les systèmes dans lesquels l'inégalité est une règle. Parce qu'elle est dépendante des structures économiques et sociales, je dis cela uniquement, c'est un débat déjà dépassé, mais enfin j'en ai l'occasion. Donc, quand je vois avancer l'Europe des marchands, pourquoi pas ? C'est très bien l'Europe des marchands. Lorsque les marchands au Moyen-Age ont commencé de circuler un peu partout, tandis que les échanges se multipliaient, c'était excellent pour la civilisation en Occident. Mais en même temps bien entendu, je souhaite et je demande que l'ensemble des producteurs, des travailleurs, à quelqu'échelon que ce soit, puissent aussi se sentir Européens dans leur vie quotidienne, dans les garanties qu'ils reçoivent, dans leur façon de vivre. Donc tout doit avancer du même pas. C'est normal qu'il y en ait qui commencent, mais dans ce cas-là, il faut tenter d'harmoniser les intérêts.\
QUESTION.- Je voulais vous poser une question encore concernant M. Rushdie. Notre vieille loi sur la liberté de la presse de 1881 prévoit de punir de fortes amendes et même de un an à cinq ans de prison les personnes appelant au meurtre en public. Cette loi tombe peu à peu en désuétude c'est certain, mais étant donné qu'hier des personnes en ont appelé publiquement au meurtre, est-ce qu'on ne peut pas aujourd'hui regretter de ne pas avoir appréhendé ceux qui l'ont fait ouvertement ?
- LE PRESIDENT.- Je vous renvoie au communiqué de Matignon disant que tout nouvel appel à la violence ou au meurtre, sous quelque forme que ce soit donnera lieu à la mise en oeuvre immédiate de poursuites judiciaires. Ce texte vient de m'être transmis, je ne l'avais pas sous mes yeux lors de ma première réponse. Cela va comme cela ?\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais revenir sur votre réponse à la question concernant les armements nucléaires à courte portée. Vous avez dit s'il y a de l'autre côté, c'est-à-dire de l'Union soviétique, une modernisation, vous ne voyez pas pourquoi il n'y aura pas modernisation sur l'autre côté ? Est-ce que vous voyez en effet une modernisation des armes nucléaires à courte portée de la part de l'Union soviétique qui nécessite une modernisation et une décision prise prochainement ?
- LE PRESIDENT.- C'est la discussion en cours. Si un nouveau déséquilibre doit se produire - il y a déjà un déséquilibre sur le plan de la quantité des armes, sur le sol européen - mais si ce déséquilibre doit être accentué par une différence considérable de qualité, bien entendu chacun comprendra que la paix tenant à cet équilibre, il s'agira de sauvegarder la paix.\
QUESTION.- Je voudrais savoir si vous avez parlé des problèmes de sécurité alimentaire, étant donné certaines mesures adoptées en Grande-Bretagne contre les fromages français, et est-ce que cela fait partie du menu de votre déjeuner ?
- LE PRESIDENT.- Mais madame, il est toujours excellent. Je pense que personne ne se servira de l'argument sanitaire, à la fois il faut être très vigilant sur ces choses et d'autre part cela ne peut pas être un argument commercial mais je suis sûr que nos amis britanniques le comprennent autant que nous quoi, ils pourraient nous retourner le compliment d'ailleurs sans doute sur d'autres domaines. C'est une question d'honnêteté commerciale.
- Voilà, je crois qu'on a dit l'essentiel, personne n'insiste ? Monsieur ?\
QUESTION.- Monsieur le Président, madame le Premier ministre, je voudrais savoir si vous avez discuté des problèmes relatifs au système monétaire européen, et je voudrais demander à Mme le Premier ministre si elle considère l'entrée de la Grande-Bretagne dans le SME toujours prématurée ?
- LE PRESIDENT.- A mon avis, monsieur pensait à autre chose. A mon avis. Mais il est incontestable que nous avons parlé du système monétaire européen, Mme Thatcher et moi. C'est un sujet capital, actuellement en balance, puisque les éléments principaux de la décision ne sont pas encore connus de nous. Le rapport de M. Delors, les dispositions que prendra M. Felipe Gonzalez, actuel Président du Conseil européen. Je crois que vous pourrez nous poser plus utilement la question bientôt, en tout cas avant le sommet de Madrid. Qu'il y ait des différences d'approche, faut-il le redire ? Que le progrès soit réalisable, ce que je souhaite, j'espère que cela sera démontré, mais nous parlerions sans doute pour ne pas dire grand chose si nous insistions aujourd'hui.\