8 février 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'amélioration de l'habitat urbain, Saint Herblain, mercredi 8 février 1989.

Monsieur le maire,
- Il y a déjà longtemps que vous m'aviez demandé de venir visiter votre commune, bien longtemps, avant même mon élection à la Présidence de la République de 1981. Vous voyez que l'on a pris du temps pour tenir le rendez-vous £ j'allais dire à la limite : il était temps.
- Venir à Saint-Herblain pour ceux qui ont entendu parler de ce qui s'y accomplit, c'est aussi pour moi et pour ceux qui m'accompagnent, les membres du gouvernement en particulier, l'occasion de voir sur le terrain comment les choses vont lorsque l'on s'occupe de rendre la ville plus habitable comme vous l'avez dit fort bien tout à l'heure.
- Vous m'avez précisé que c'était la première fois que je venais, disons officiellement dans le département de la Loire-Atlantique. C'est vrai, cela me donne quelques regrets et j'ai bien l'intention de revenir visiter le département de façon méthodique. C'est un de nos grands départements français avec pour capitale l'une des grandes et belles villes françaises chargées d'histoire. Je serai très heureux si nous pouvons créer l'occasion d'une visite, d'un voyage à l'intérieur de la Loire-Atlantique qui me permettra au Nord, au Sud, à l'Est, à l'Ouest, et au centre pourquoi pas, de prendre contact avec la population de ce département.\
Vous m'avez invité, monsieur le maire et cher ami, à voir comment l'on vit dans cette ville de Saint-Herblain, dans le quartier des "Thébaudières", dans l'immeuble du "Sillon de Bretagne" et vous l'avez fait parce que vous êtes fier de votre ville, fier de ce réaménagement ambitieux, et réussi on peut le dire, du "Sillon" que le ministère de l'équipement et du logement a récompensé en 1988 au titre du Palmarès national de l'habitat.
- Je dois vous dire, mesdames et messieurs, qu'au cours de cette brève visite j'ai vu une ville qui respire. Saint-Herblain respire, recrée ses bases, ses points de repère après une course qui fut peut-être trop frénétique vers la croissance. Et son histoire c'est celle de très nombreuses communes de France à la périphérie des grandes agglomérations. La vigueur de la démographie et la croissance économique, depuis la fin de la dernière guerre mondiale jusqu'au milieu des années soixante-dix, ont poussé de nouvelles populations urbaines vers ces petites villes, ces villes moyennes. C'est pourquoi Saint-Herblain a connu d'abord un développement pavillonnaire, puis à partir des années soixante, la constitution de grands ensembles, peut-être pour aller plus vite, peut-être aussi avec l'intention d'éviter ce que l'on appelle "le mitage" du paysage, c'est-à-dire toute une série de petites habitations répandues et souvent mal réparties sur un territoire, ce qui oblige à des équipements collectifs extrêmement onéreux. Vous avez voulu préserver les espaces verts en concentrant l'habitation, vous, vos prédécesseurs et c'est vrai quoi de plus impressionnant pour une ville que de voir sa population passer de quelque 18000 à 40 et 45000 habitants ? quoi de plus symbolique que cet immeuble immense, construit initialement pour près de 1000 logements, ambitieux par son ampleur et par le souci, dès le début, d'intégrer de nombreux équipements sociaux et commerciaux, qui a été achevé l'année même du début de la crise pétrolière et de la crise économique mondiale ?
- On peut le comprendre quand on l'a vécu et je ne ferai pas le procès de ces périodes d'urbanisation à outrance, de créations de ces nouveaux quartiers même si j'ai toujours pensé qu'il ne serait pas facile d'y vivre. Ces périodes étaient placées sous le signe de la nécessité telle que l'on pouvait la connaître à l'époque. Mais constatons que votre ville a su commencer à réparer les effets d'une expansion trop quantitative, trop massive, très éloignée des aspirations réelles de la vie quotidienne, de la vie réelle des gens qui y habitent.\
C'est pourquoi, je vous dis que Saint-Herblain est une ville qui respire, qui a su sortir d'un monde cloisonné, dans ses immeubles, dans ses rues, dans ses fonctions, dans ses anciennes cités dortoirs. On y retrouve maintenant de l'espace, des perspectives, une circulation pour les piétons et pas seulement pour l'automobile, bref tout ce qui est nécessaire ou tout ce qui contribue en tous cas à la qualité de la vie. Ce passage du quantitatif au qualitatif c'est bien l'effort qu'il faut accomplir partout en France. L'un ne va pas sans l'autre, on peut toujours faire de l'utile, il faut le faire mais pourquoi ne pas y ajouter la beauté, le plaisir de vivre, la convivialité et finalement créer des conditions d'un voisinage qui ne soit pas pesant, peut-être aussi réduire le sentiment d'insécurité ressenti par tous ceux qui vivent dans l'entassement humain.
- Je suis heureux de vous écouter Jean-Marc Ayrault. J'ai été sensible au rappel que vous avez fait des encouragements que j'avais donnés il y a plus de 10 ans à la nouvelle génération de maires que vous représentez. Cette volonté d'agir vous l'avez appliquée à la reconquête urbaine, avec pas mal d'idées et en restant toujours à l'écoute des besoins des habitants. C'est ce que j'ai pu éprouver, avec mes compagnons de visite, à l'écoute des habitants du "Sillon de Bretagne". C'est bien ce qu'ils ont dit, je n'interprète pas ou je ne le découvre pas subitement après une visite d'une heure et demie. Je ne suis pas de ceux qui pensent chaque matin en se levant qu'ils vont découvrir le Pérou mais j'ai entendu ceux qui se sont exprimés et il me semble bien qu'ils ressentent cela, que le projet réalisé avec les responsables de la société HLM, le "Home Atlantique", a été accompagné en même temps par tout un groupe de pilotage, de très nombreux partenaires, les associations de locataires. Et c'est précisément cet effort collectif qui nous vaut d'être ici et qui vous permet monsieur le maire d'avoir le sentiment d'une tâche accomplie. Elle n'est jamais terminée, on voit toujours ce qui ne va pas ou ce qui pourrait aller mieux, mais la comparaison entre le point de départ et le point d'arrivée d'aujourd'hui montre que l'on peut se réjouir pour Saint-Herblain de ce qui s'est fait ici même.\
Je voudrais tirer quelques leçons de votre démarche, en quatre points.
- D'abord améliorer la vie quotidienne des habitants, la rendre supportable. C'est l'exemple que donnent ces nouveaux accès, ces ascenseurs accolés à la façade du "Sillon" ce qui permet aux occupants de ne point traverser 250 mètres de coursives, comme dans le passé m'a-t-on dit, avant d'atteindre leur logement, enfin qui redonnent, qui restituent ou qui accordent à un ensemble immobilier qui n'était pas fait pour cela, une autre dimension davantage à la mesure des hommes. Améliorer la vie quotidienne des habitants, tel était bien votre objectif à vous, aux membres du Conseil municipal, aux différents services qui ont contribué à votre effort, aux dirigeants d'associations.
- Mais deuxième point, vous n'avez pas hésité à utiliser les technologies les plus modernes. Vous l'avez fait avec la régulation thermique, pilotée par ordinateur, avec le réseau câblé qui distribue des programmes de télévision internationaux, avec des systèmes de protection et de sécurité, avec la télé-alarme, notamment pour les personnes âgées.
- Troisièmement, vous avez créé un vrai quartier, équipé, cohérent, avec intégration d'emplois dans un ensemble devenu résidentiel. Des bureaux sont maintenant installés dans les étages élevés, je les ai visités, mais aussi des commerces, des centres culturels et la proximité des services publics. Cela fait un vrai quartier, un véritable ensemble, sans oublier la décoration, la décoration notamment de la place, conçue dans le cadre de cette belle initiative que j'ai toujours encouragée, parce qu'elle me paraissait très prometteuse et qu'elle tient ses promesses, et qu'on appelle "Banlieues 89".
- Quatrièmement, vous n'avez voulu oublier personne. Vous avez pensé aux personnes âgées. Un effort pour le maintien à domicile, c'est très important, quand on arrive dans la dernière tranche de sa vie, que de ne pas être déraciné en perdant soudain tout l'environnement que l'on aime, les habitudes prises, l'horizon que l'on a. Vous n'avez pas oublié les enfants, les jeunes. Quant aux loyers, on me dit qu'ils sont restés raisonnables et accessibles grâce aux aides personnelles et je dirai à ce propos que je connais la préoccupation du ministre d'Etat, qui m'accompagne, qui est ici, Maurice Faure. Il veut précisément permettre toutes les rénovations nécessaires, mais il a aussi organisé une vaste enquête dont il connaîtra le résultat incessamment qui lui permettra avant les échéances de juillet de savoir exactement comment adapter notre législation afin que les loyers ne soient pas constamment élevés à la guise ou à la seule merci de propriétaires qui n'auraient pas compris leurs devoirs.\
Eh bien voilà, maintenant j'ai pris connaissance des résultats tangibles de votre réussite : la diminution de proportion de logements vacants, il fallait du courage j'imagine pour supprimer près de 300 logements ici, car on a toujours besoin de lieux d'habitation £ l'ensemble des bureaux déjà aux deux tiers occupés, il semble qu'il y a là une vertu d'entraînement, qu'on a envie d'y venir et les bureaux que j'ai visités étaient particulièrement bien équipés, je veux dire que ceux qui viennent là, ils ne viennent pas simplement parce qu'ils n'ont rien trouvé ailleurs, mais parce qu'ils ont choisi.
- J'ai noté la baisse de la délinquance, la diminution des dégradations, que l'on a si souvent, si tristement relevées dans beaucoup de grands ensembles que j'ai visités il y a plusieurs années, aussi bien à La Courneuve qu'aux Minguettes que dans d'autres lieux au Nord et au Sud de la France. Je pense en particulier à ce que j'ai pu voir à Saint-Etienne avec un effort de rénovation tout à fait exceptionnel.
- Alors il me semble que nous assistons à une sorte de basculement, entre une période très difficile qui poussait chacun à noircir encore le tableau, à se sentir plus malheureux encore d'être là plutôt qu'ailleurs, et le renouveau qui rend optimiste. On a envie de faire des choses, on a envie de se connaître, on a envie d'aimer sa ville, tout cela est loin d'être indifférent lorsqu'il s'agit d'y passer une partie de sa vie et parfois même toute sa vie.
- C'est ce changement, disons par le retour à l'espérance, c'est ce changement-là que je veux voir se produire dans les prochaines années dans tous les quartiers de France en difficulté. Aussi j'y attache beaucoup d'importance, ce n'est pas un sujet que j'aborde pour la première fois ici, j'ai même tendance, si j'exerce mon autocritique, à me répéter car c'est bien un peu le même discours qu'il faut tenir, face aux mêmes problèmes. Alors cela s'est traduit, cette action, par une politique pour la ville, politique pour le quartier, un conseil national des villes et du développement social urbain qui a été mis en place par le Premier ministre, une délégation présidée par Yves Dauge, qui travaillait à mes côtés déjà depuis de longues années. Délégation qui a pour mission de mettre au point de nouveaux contrats de ville, devant faire travailler ensemble, comme ici, les collectivités locales, l'Etat, les organismes d'HLM, les architectes de talent.
- Et comme ici, il faudra partout rassembler volonté, idées, moyens financiers, le souci du détail, une grande capacité d'écoute et de dialogue. Et je dois dire ici les remerciements que j'adresse à la délégation et à son principal dirigeant pour leur dire que, s'ils disposent - ils disposeront - du temps qu'il faudra, nous n'aurons pas la même vision de nos banlieues, avant peu, je veux dire une période raisonnable, avant les cinq à dix années qui viennent. Enorme travail pour un pays comme la France, qui a vécu pendant plus d'un siècle, une société industrielle sans qu'il fût vraiment tenu compte des besoins de l'homme, où l'on recherchait davantage le profit sans se soucier beaucoup du bonheur ou du confort de ceux qui seraient conduits à vivre leur vie dans ces murs, parfois dans cette absence d'espace, qui vivraient avec l'espoir qui se dégrade de jour en jour.\
Je vous remercie monsieur le maire, et vous mesdames et messieurs, et vous mesdames et messieurs les responsables des organismes, organisations, associations qui m'avez très aimablement accompagné tout le long de cette visite, comme je remercie la population ici représentée tout autour de ces immeubles de façon chaleureuse, sympathique et vivante. Je vous remercie tous de m'avoir montré ce qui peut être fait quand on le veut, vous qui savez comme moi qu'il reste beaucoup à faire, ici sans doute, dans l'ensemble de l'agglomération, certainement partout en France, mais ici où vous êtes au coeur de l'un des grands pôles européens, dont le peuple, dont le pays aura plus besoin encore dans les années prochaines. Votre réussite, c'est une part de la réussite de la France et j'ai bien le droit de faire appel à vous, pour que délaissant un certain nombre de sujets qui divisent inutilement, une fois passés les libres et nécessaires débats démocratiques, le libre et nécessaire choix par les citoyens de ceux qui ont ou qui auront la charge de gérer, de conduire, d'administrer, de représenter, vous vous attachiez à ce chantier, il vaut bien la peine qu'on s'y associe.
- Ceux que je rencontre le plus souvent, je ne sais pas ce qu'ils pensent sur le plan politique, philosophique, je ne connais pas leurs références ou leurs tendances, et d'une certaine manière cela m'est égal, dès lors que je sens une volonté de rénover, de transformer, d'améliorer, de conquérir pour que la France se porte mieux.
- Il est évident que cela ne se fait pas n'importe comment, par n'importe quels moyens, qu'il y a certains itinéraires préférables à d'autres pour aller au plus court, qu'il y a une certaine disposition à servir la collectivité et à s'éloigner des intérêts particuliers, mais au total, c'est à l'effort de tous que je m'adresse. Et je remercie particulièrement le maire, mon ami, M. Ayrault, que j'ai connu en effet - il est encore très jeune mais il l'était encore plus - il y a quelque douze ou treize ans, les conseillers municipaux dont j'ai pu serrer la main sans pouvoir naturellement fixer, comme le ferait un appareil photographique, les traits de chacun, mais je sentais bien dans cette relation qui s'établissait, comme une volonté commune, une disponibilité, pour servir les autres. Et je vous assure que le gouvernement participe de cet état d'esprit. On peut le critiquer, on peut l'approuver, mais on ne peut pas douter de sa volonté d'être utile aux Français, en cherchant le meilleur pour eux. Voilà quelques quarts d'heure passés avec vous, chez Jean-Marc Ayrault, vous êtes quelques dizaines, ils sont plus loin quelques dizaines, peut-être, quelques milliers. Nous ne sommes à nous tous qu'une toute petite délégation de la France et des Français, mais croyez-moi, les Français avec leurs différences se ressemblent, ils savent bien où se trouve leur histoire, ce qui est bon pour eux. Ils savent bien qu'on ne construit pas l'avenir avec des idées étroites, que la France a sa place déjà écrite dans le devenir de l'Europe et du monde, à la fois dans la fidélité à sa propre tradition, à sa propre culture et dans l'audace d'aller au devant des autres, pour tout simplement disposer du rôle qui lui revient sur la scène du monde, et défendre comme il convient les intérêts, les justes intérêts, des Français.\
Merci encore. Je vous l'ai dit : à plus tard, sans trop tarder. Vous me reverrez dans ce département. Que de fois m'est-il arrivé de rappeler que j'ai beaucoup entendu parler de Nantes et de sa banlieue pour la raison très simple que mes parents y ont vécu. Et moi-même, il s'en est fallu de peu après tout si la tradition française n'était pas pour les mères de famille, devant avoir des enfants que de retourner dans leur famille qu'au lieu d'être né à Jarnac, Charente, je fusse né à Chantenay. Cela ne vous aurait pas avancé beaucoup, cela n'aurait pas changé grand chose à votre sort mais comme c'étaient les années de jeunesse de mes parents, j'ai toujours entendu raconter cette ville et ses environs avec le charme de l'espoir, le goût de vivre et l'espérance. Alors je garde en moi encore cette marque-là et, venu chez vous, j'ai le sentiment au travers du travail accompli pour "le Sillon de Bretagne" que le raccord est fait entre cette espérance et celle d'aujourd'hui.
- Mesdames et messieurs, à plus tard. Vive Saint-Herblain, nous y sommes, c'est une ville qui existe, qui a pris signification, vive Saint-Herblain, oui sans doute vive la Loire-Atlantique et la République et la France. Allons-y tous ensemble, mesdames et messieurs, et croyez-moi nos enfants et peut-être les plus jeunes d'entre vous en récolteront les fruits avant longtemps.\