7 janvier 1989 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, à la conférence internationale de Paris sur l'interdiction des armes chimiques, Paris, samedi 7 janvier 1989.

Mesdames et messieurs,
- Au nom du peuple français, je salue les représentants des cent quarante-cinq pays qui ont accepté de participer à la Conférence internationale de Paris sur le désarmement chimique. La France est honorée par leur présence en une circonstance aussi déterminante pour le présent et l'avenir de l'humanité. Elle souhaite ardemment que de leurs travaux naisse un nouvel espoir pour la paix dans le monde et que s'affirme plus encore la certitude de voir les nations poursuivre leur dialogue jusqu'à l'établissement d'équilibres durables.
- Je vous rappelle que siègent à cette conférence les pays parties au Protocole de Genève de 1925 dont la France est dépositaire, ceux qui s'apprêtent à le signer, d'autres encore qui reconnaissent également l'importance du débat et la nécessité de parvenir à un désarmement dans ce domaine, comme dans les autres.
- Il aura fallu moins de quatre mois pour que se réalise le souhait émis par le Président Reagan et par moi-même lors de la session de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier. La brièveté du délai entre l'évocation de cette conférence et sa tenue effective, brièveté inusitée, on peut le dire, dans la vie diplomatique, et la présence d'un si grand nombre de délégations soulignent qu'il y a partout une attente, une exigence récente que le monde soit libéré de la menace chimique.
- Pourquoi, demandera-t-on, insister sur l'élimination de telles armes alors qu'il en est peut-être de plus meurtrières encore ? Et pourquoi traiter d'un tel problème en 1989 alors qu'on pouvait le penser réglé depuis 1925 ? En fait, l'attention portée à l'élimination de l'arme chimique n'est qu'une manifestation supplémentaire de l'effort de désarmement mené depuis un certain temps dans de multiples domaines. J'y reviendrai dans un moment. S'ajoute aussi le sentiment de l'intolérable devant les ravages causés par cette arme. On en a récemment constaté l'horreur `guerre Iran - Irak`, n'y revenons pas. Il ne s'agit pas d'oublier mais d'inscrire dans le droit l'engagement qu'il n'en sera plus jamais ainsi. Votre présence ici montre que la conscience du danger est très largement partagée et profondément vécue. On sait qu'en raison de la nature même de l'arme chimique, la sécurité de tous et de chacun exige son élimination complète et vérifiée.\
Depuis 1980, dans le cadre du Comité ad hoc de la conférence du désarmement de Genève, les négociateurs de quarante pays s'efforcent de mettre au point un traité universel, plus ambitieux que le Protocole de 1925. Un grand nombre d'entre ces négociateurs sont parmi nous aujourd'hui et je tiens à ce qu'il soit rendu hommage à leur persévérance, à leur vigilance, à leur esprit de conciliation.
- La Conférence de Paris qui commence aujourd'hui n'a évidemment pas pour objet de conclure cette convention, ni même de mener des débats techniques sur les nombreuses questions discutées à Genève. Nous ne nions pas les difficultés, leur ampleur. Je pense notamment à l'identification du champ même de la négociation, à la vérification de la non-possession et de la non-production, aux aspects institutionnels, aux sanctions, à la destruction des stocks et plus généralement au maintien de la sécurité pendant la période de transition.
- Deux questions revêtent une importance particulière. La première précisèment a trait au contrôle et à la vérification, clé de voûte mais pierre d'achoppement de tout débat sur le désarmement. La deuxième porte sur la période de transition entre l'entrée en vigueur de l'accord et la destruction totale des stocks. Comment organiser l'exercice permanent d'une vigilance internationale capable d'assurer que personne ne gardera en secret des armes chimiques militairement significatives ? Le système dit d'inspection par défi, selon lequel chaque Etat a la faculté de faire vérifier toute installation chimique jugée suspecte, située sur le territoire d'une autre partie, sans que celle-ci ait la possibilité de s'y refuser, offre un élément important de solution à un problème d'une immense complexité. Mais il reste à mettre au point de façon précise et fiable un contrôle régulier de l'ensemble des activités industrielles civiles sans porter atteinte à la confidentialité qui les protège. Et comment aménager cette transition ? Aux Nations unies, j'ai souligné la nécessité de placer sous contrôle international, dès l'entrée en vigueur de la convention, et avant tout démantèlement, les installations de production et de stockage.
- Je souhaite qu'un débat approfondi puisse s'engager sur tous les aspects de cette question à Genève et que de façon plus générale chacun fasse les efforts utiles pour hâter les travaux. La France pour sa part a renoncé - je l'ai dit à New-York - à toute possibilité de produire des armes chimiques dès l'entrée en vigueur de la future convention.\
Pas plus qu'elle ne cherche à se substituer aux négociations de Genève, votre conférence ne se veut le lieu où l'on analysera et l'on remédiera aux éventuelles imperfections du Protocole de Genève.
- Tel qu'il est ce Protocole constitue la seule règle internationale s'appliquant aux armes chimiques et le demeurera jusqu'à ce que prenne place dans le droit international l'accord en cours de négociation. Mais s'il peut être périlleux de tenter d'amender le Protocole, il est en revanche indispensable de le confirmer et de déclarer que ne sera plus jamais trahi l'engagement qu'il contient.
- Car c'est cela me semble-t-il qui est attendu de ceux qui sont ici réunis, la proclamation solennelle que les Etats refusent l'usage de l'arme chimique et jugent impératif de la faire disparaître de la face du monde. Rappel d'un interdit juridique politique et moral, expression d'une détermination ardente à parvenir à l'interdiction non seulement de l'usage mais aussi de la fabrication, du stockage, des transferts : tels sont les deux objectifs de notre conférence. L'un et l'autre sont liés. On ne parviendra pas à l'interdiction complète si l'on ne réaffirme pas aujourd'hui la prohibition de l'usage. Cette prohibition sera à son tour d'autant mieux assurée que la fabrication, le stockage et les transferts seront devenus impossibles. Grâce à l'accélération du temps qu'aura provoquée votre conférence, grâce à l'engagement qui y aura été renouvelé et étendu, les négociations de Genève se poursuivront, je l'espère, avec une vigueur accrue. Trop grave pour qu'on se laisse entraîner par la hâte ou la précipitation, les questions que l'on y traite sont également trop graves pour que l'on s'accomode d'un rythme qui laisserait aux projets dangereux le temps de prendre forme, aux situations acquises de se perpétuer tandis que ceux qui ont les mains vides resteraient sans protection.\
Mesdames et messieurs, cette conférence internationale est la première de l'année qui commence. Des signes, des promesses d'apaisement se multiplient à travers le monde. En premier lieu, l'attention portée à l'élimination de l'arme chimique n'est qu'une des manifestations de l'effort de désarmement mené depuis déjà longtemps avec ces temps derniers aussi une série de réussites dans de multiples domaines. C'est ainsi qu'à Washington a été signé l'important accord entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique sur les forces nucléaires intermédiaires, qui organise, événement majeur et nouveau dans l'histoire du désarmement, un contrôle réciproque sur le territoire de chacun. Au nom de mon pays, j'ai approuvé sans réserve cet accord, et dès le premier jour. Je rends encore une fois hommage à ses initiateurs.
- Nous savons aussi que les deux mêmes grandes puissances se sont promis d'engager d'autres négociations pour la réduction de leurs armements militaires stratégiques. Eh bien ! nous souhaitons que ces négociations soient rapidement reprises tandis que dans d'autres domaines nous assistons à des progrès que je veux signaler.
- Les trente-cinq participants à la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe s'apprêtent en effet très prochainement, je le pense, à de nouvelles avancées pour le désarmement dit conventionnel ou classique.\
Et puis, comment ne pas observer, ainsi que l'a fait M. le secrétaire général, une sorte de volonté universelle d'apaisement. Des conflits anciens sont en voie de règlement. Certains ont déjà pris fin sur le terrain. Je pense au Tchad, à la Namibie, à l'Angola, à la guerre du Golfe et je ne prétends pas être exhaustif. Des signes se multiplient ici et là qui soulignent les progrès accomplis en direction de la paix. Je pense à l'Afghanistan, au Sahara occidental. Nous sommes attentifs à l'écho de promesses tangibles qui sont le levain de l'espérance au Cambodge ou au Proche-Orient. La Conférence internationale, au-delà de son objet principal, facilitera les rencontres, les échanges et les discussions entre responsables du monde entier et facilitera la recherche des moyens nouveaux pour consolider ces espoirs de paix.
- La présence à mes côtés du secrétaire général des Nations unies, M. Perez de Cuellar, dont je salue ici une fois de plus la contribution décisive à l'effort de paix augmente ces chances, les fortifie £ et je tiens à répéter de quelle façon je considère - et je suis loin d'être le seul, n'est-ce pas mesdames et messieurs - le rôle décisif rempli par l'Organisation des Nations unies et d'abord par son secrétaire général pour avoir changé le climat du monde au cours de ces dernières années.
- La France qui vous accueille aujourd'hui n'a pas d'autre ambition que de vous aider dans votre tâche et de servir elle aussi la cause de la paix. Cette conférence n'est pas un tribunal, mais vous devez prononcer une condamnation inconditionnelle et sans appel, celle d'une arme dont l'interdiction s'impose - comme le disait déjà le Protocole de Genève - à la conscience comme à la pratique des Nations.\