6 janvier 1989 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, dans l'hebdomadaire "Vendredi" du 6 janvier 1989, sur le socialisme et la construction européenne.
LE PRESIDENT.- Puisque vous voulez bien me poser quelques questions pour l'hebdomadaire "Vendredi", j'y réponds avec d'autant plus de plaisir que cela me permet de m'adresser directement à ceux dont j'ai partagé le combat pendant de longues années et auxquels me lie toujours le même attachement aux valeurs socialistes.
- QUESTION.- Pour se dire socialiste en 1989 faut-il vouloir encore transformer la société ?
- LE PRESIDENT.- Je ne comprends pas très bien qu'on puisse m'interroger là-dessus. A quelque époque que ce soit, la démarche des socialistes s'explique essentiellement par la volonté de transformer la société afin d'en corriger les injustices, les inégalités et d'en éliminer les privilèges individuels ou collectifs. On peut, certes, discuter de la méthode à suivre pour atteindre cet objectif mais quiconque y renonce n'est pas ou n'est plus socialiste. Le problème se pose dans les mêmes termes en 1989 qu'en 1848, 1936 ou 1981, même si les réponses varient selon les conditions du moment.
- QUESTION.- La culture du gouvernement de la gauche doit-elle l'emporter sur la mise en oeuvre de ses valeurs ?
- REPONSE.- Encore un faux débat de principe. Ce que vous appelez "la culture de gouvernement" conduit sans doute ceux qui ont la charge de l'Etat à tenir compte des "possibles" plus que ne le souhaitent les militants sur le terrain. Chacun remplit sa fonction là où il est. Aussi les responsables doivent-ils veiller, de part et d'autre, à ce que cette distanciation inévitable n'aille pas jusqu'à la rupture. Contrairement à beaucoup, je crois à la force des idées donc à l'idéologie. Dénoncer l'idéologie est une façon commode et intéressée de gommer les différences pour ne rien changer au cours des choses. L'important est que "culture de gouvernement" et "valeurs" se rejoignent.
- QUESTION.- Certains socialistes disent ne pas se reconnaître dans le gouvernement de Michel Rocard. Quelques-uns lui reprochent de ne pas avoir de grand dessein, d'autres d'oublier les salariés. Estimez-vous ces critiques excessives ?
- LE PRESIDENT.- Laissons de côté la discussion sur le grand dessein. C'est l'affaire des conventions et des congrès de parti. Oublier les salariés ? La critique me paraît excessive, donc injuste.
- QUESTION.- Le statut de l'élu pourrait-il porter remède à la professionnalisation de la politique, permettre l'accès de nouvelles couches sociales aux responsabilités tout en prolongeant la décentralisation ?
- LE PRESIDENT.- Votre question me rappelle le débat d'autrefois sur l'indemnité parlementaire. Plaidaient contre cette mesure ceux qui ne souhaitaient pas élargir l'accès des assemblées aux ouvriers, employés, fonctionnaires, bref, à quiconque ne disposait pas de revenus personnels. Je suis d'accord sur un "statut de l'élu". Mais je m'inquiète aussi de certaines facilités abusives que j'observe dans nombre d'assemblées locales. Je souhaite une discussion de fond sur ce sujet.\
QUESTION.- Les préparatifs du marché unique se font sur le mode libéral, à partir du système capitaliste. Ne sera-t-il pas trop tard pour introduire des réformes sociales ? Que pourront faire les socialistes quand on invoquera les institutions communautaires comme une contrainte extérieure ?
- LE PRESIDENT.- L'Espace social européen est à mes yeux l'une des quatre urgences de 1989 avec la monnaie, l'audiovisuel et l'environnement. Mais il conditionne, à lui seul, la marche en avant de l'Europe. Sans Europe sociale, pas d'Europe du tout ! Quant aux institutions communautaires, elles ne pourront pas plus que les institutions nationales, empêcher le libre débat démocratique. La suppression des frontières intérieures de l'Europe des Douze obligera, au contraire, chaque courant de pensée à "s'exporter". Ce ne sera pas un mal.
- QUESTION.- Pour entrer dans l'Europe, la France doit entreprendre une baisse de la TVA comme le demande Jacques Delors, ainsi que l'allègement de la fiscalité de l'épargne comme le rappelle Michel Rocard, peut-elle conserver en même temps l'impôt sur le revenu le plus faible d'Europe ?
- LE PRESIDENT.- Oui, la TVA en France baissera. Je ne sais quel sera l'allègement de la fiscalité de l'épargne, mais la libéralisation des charges, le 1er juillet 1990, supposera une harmonisation de la fiscalité de l'épargne au sein de l'Europe des Douze. Le gouvernement agira en temps voulu pour obtenir les ressources dont il aura besoin pour assumer la charge des dépenses qu'on lui demande de tous côtés et qui lui paraîtront justifiées. Laissez-le mener sa réflexion pendant le temps, un à deux ans, qui restent pour cela.
- QUESTION.- Depuis quelques semaines, vous êtes l'objet de critiques. Désirez-vous les commenter ?
- LE PRESIDENT.- Non. A ceux qui font semblant de croire au "bon plaisir" ou qui dénoncent une "dérive monarchique" je ferai cette simple remarque : peut-on citer un seul manquement au droit et par conséquent un seul abus de pouvoir depuis 1981 ? Le reste m'est indifférent.\
- QUESTION.- Pour se dire socialiste en 1989 faut-il vouloir encore transformer la société ?
- LE PRESIDENT.- Je ne comprends pas très bien qu'on puisse m'interroger là-dessus. A quelque époque que ce soit, la démarche des socialistes s'explique essentiellement par la volonté de transformer la société afin d'en corriger les injustices, les inégalités et d'en éliminer les privilèges individuels ou collectifs. On peut, certes, discuter de la méthode à suivre pour atteindre cet objectif mais quiconque y renonce n'est pas ou n'est plus socialiste. Le problème se pose dans les mêmes termes en 1989 qu'en 1848, 1936 ou 1981, même si les réponses varient selon les conditions du moment.
- QUESTION.- La culture du gouvernement de la gauche doit-elle l'emporter sur la mise en oeuvre de ses valeurs ?
- REPONSE.- Encore un faux débat de principe. Ce que vous appelez "la culture de gouvernement" conduit sans doute ceux qui ont la charge de l'Etat à tenir compte des "possibles" plus que ne le souhaitent les militants sur le terrain. Chacun remplit sa fonction là où il est. Aussi les responsables doivent-ils veiller, de part et d'autre, à ce que cette distanciation inévitable n'aille pas jusqu'à la rupture. Contrairement à beaucoup, je crois à la force des idées donc à l'idéologie. Dénoncer l'idéologie est une façon commode et intéressée de gommer les différences pour ne rien changer au cours des choses. L'important est que "culture de gouvernement" et "valeurs" se rejoignent.
- QUESTION.- Certains socialistes disent ne pas se reconnaître dans le gouvernement de Michel Rocard. Quelques-uns lui reprochent de ne pas avoir de grand dessein, d'autres d'oublier les salariés. Estimez-vous ces critiques excessives ?
- LE PRESIDENT.- Laissons de côté la discussion sur le grand dessein. C'est l'affaire des conventions et des congrès de parti. Oublier les salariés ? La critique me paraît excessive, donc injuste.
- QUESTION.- Le statut de l'élu pourrait-il porter remède à la professionnalisation de la politique, permettre l'accès de nouvelles couches sociales aux responsabilités tout en prolongeant la décentralisation ?
- LE PRESIDENT.- Votre question me rappelle le débat d'autrefois sur l'indemnité parlementaire. Plaidaient contre cette mesure ceux qui ne souhaitaient pas élargir l'accès des assemblées aux ouvriers, employés, fonctionnaires, bref, à quiconque ne disposait pas de revenus personnels. Je suis d'accord sur un "statut de l'élu". Mais je m'inquiète aussi de certaines facilités abusives que j'observe dans nombre d'assemblées locales. Je souhaite une discussion de fond sur ce sujet.\
QUESTION.- Les préparatifs du marché unique se font sur le mode libéral, à partir du système capitaliste. Ne sera-t-il pas trop tard pour introduire des réformes sociales ? Que pourront faire les socialistes quand on invoquera les institutions communautaires comme une contrainte extérieure ?
- LE PRESIDENT.- L'Espace social européen est à mes yeux l'une des quatre urgences de 1989 avec la monnaie, l'audiovisuel et l'environnement. Mais il conditionne, à lui seul, la marche en avant de l'Europe. Sans Europe sociale, pas d'Europe du tout ! Quant aux institutions communautaires, elles ne pourront pas plus que les institutions nationales, empêcher le libre débat démocratique. La suppression des frontières intérieures de l'Europe des Douze obligera, au contraire, chaque courant de pensée à "s'exporter". Ce ne sera pas un mal.
- QUESTION.- Pour entrer dans l'Europe, la France doit entreprendre une baisse de la TVA comme le demande Jacques Delors, ainsi que l'allègement de la fiscalité de l'épargne comme le rappelle Michel Rocard, peut-elle conserver en même temps l'impôt sur le revenu le plus faible d'Europe ?
- LE PRESIDENT.- Oui, la TVA en France baissera. Je ne sais quel sera l'allègement de la fiscalité de l'épargne, mais la libéralisation des charges, le 1er juillet 1990, supposera une harmonisation de la fiscalité de l'épargne au sein de l'Europe des Douze. Le gouvernement agira en temps voulu pour obtenir les ressources dont il aura besoin pour assumer la charge des dépenses qu'on lui demande de tous côtés et qui lui paraîtront justifiées. Laissez-le mener sa réflexion pendant le temps, un à deux ans, qui restent pour cela.
- QUESTION.- Depuis quelques semaines, vous êtes l'objet de critiques. Désirez-vous les commenter ?
- LE PRESIDENT.- Non. A ceux qui font semblant de croire au "bon plaisir" ou qui dénoncent une "dérive monarchique" je ferai cette simple remarque : peut-on citer un seul manquement au droit et par conséquent un seul abus de pouvoir depuis 1981 ? Le reste m'est indifférent.\