10 décembre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et sur la position française pour le respect des droits de l'homme, Paris, Palais de Chaillot, samedi 10 décembre 1988.

Mesdames, Messieurs,
- Je veux remercier d'abord, en votre nom, le Secrétaire général des Nations unies, M. Perez de Cuellar, présent parmi nous quelques heures seulement après avoir reçu, à Oslo, le prix Nobel de la paix attribué aux forces de maintien de la paix des Nations unies. Et je salue avec lui les représentants de la FINUL - les "Casques bleus" - que nous félicitons pour leur disponibilité et leur courage.
- Quand, il y a 40 ans, 48 pays ont joint leurs voix pour que la jeune organisation des Nations unies adoptât la déclaration universelle des droits de l'homme, le monde se relevait à peine des conséquences de la guerre la plus meurtrière et l'humanité découvrait avec un sentiment d'horreur l'extermination de millions d'hommes, de femmes, d'enfants, au nom de la croyance en la supériorité de quelques uns sur tous. Et, partout aussi dans le monde, l'immense désolation que laissaient derrière elles l'oppression, la torture, la défaillance des libertés, bref, les défaites de la vie.
- Ainsi pour ceux qui n'avaient pas abandonné l'espoir d'une société où la justice serait enfin chez elle, ainsi s'imposa la nécessité d'un droit universel qui pût servir de référence et de caution aux hommes sur la terre, quels qu'ils soient, où qu'ils soient. Ils savaient bien ceux-là que l'intolérance, le racisme, la misère ou la guerre ne se soumettraient pas à la force des mots. Mais ils voulaient, par un engagement solennel qui en appelât à la conscience universelle, exprimer, définir, à l'échelle de la planète, les libertés fondamentales dues à tout être humain, à toute société afin que nul n'ignorât son droit et que ce droit fût garanti.
- La déclaration de 1948 fut la réponse qu'ils proposèrent à une attente séculaire, au combat le plus souvent perdu par qui, à travers les temps, a défié, jusqu'à la mort, l'ordre imposé de la puissance, A partir des principes proclamés, il y aura bientôt deux cents ans, par la France de 1789, elle a lié droits politiques et droits sociaux, libertés et exercice vécu des libertés. Deux dangers menaçaient d'affaiblir sa portée : s'en tenir au droit sans se soucier de sa pratique ou noyer les principes dans la masse de leurs effets particuliers. Mais, comme l'observa l'un des participants au débat de 1948, "les hommes libres peuvent mourir de faim". C'est pourquoi l'on convint d'ajouter aux droits et libertés d'opinion d'expression, de communication, à la notion du peuple souverain, reconnus par la loi de la Révolution commençante, ces droits que l'on nomme droit à l'éducation, au savoir, à la culture, droit à la santé, au travail, au salaire, égal pour un travail égal, au repos à la sécurité sociale. J'en passe.
- On s'interroge aujourd'hui sur l'intérêt qu'il y aurait - comme je le pense - à élargir cet horizon aux droits qui naissent de l'évolution si rapide de la société industrielle ou qui découlent des découvertes de la science. Droits tout simplement attachés aux pouvoirs nouveaux conférés à l'homme sur l'homme, à l'homme sur la nature. D'où l'importance du droit à l'assistance humanitaire, du droit à la protection de l'individu exposé aux manipulations de l'informatique ou de la génétique, du droit à un environnement sain, du droit des minorités, droit d'asile et droit des immigrés, qu'il faudra bien faire entrer dans nos lois.\
La France est fière, mesdames et messieurs, de la part qu'elle a prise à ce combat, notamment avec René Cassin pour qui la déclaration universelle des droits de l'homme était le "premier mot d'ordre éthique que l'humanité organisée eût jamais adopté".
- On peut dire que l'Acte de 1948, contre les dérives des systèmes philosophiques et politiques, contre l'abandon du plus faible à l'arbitraire du plus fort, contre toute forme d'exploitation de l'homme par l'homme, a fait de la dignité notre patrimoine commun. Depuis son adoption - et le nombre d'Etats signataires s'accroît - la déclaration universelle a commencé de s'inscrire dans l'ordre juridique et la pratique des Etats. Des outils internationaux, moyens de dialogue et de recours, ont été créés : 22 conventions, 2 pactes internationaux auxquels ont souscrit une centaine de pays £ une convention pour l'élimination de la discrimination raciale ratifiée par 124 Etats et la convention contre la torture, entrée en vigueur en juin 1987.
- Le monde autour de nous n'offre certes le spectacle d'une société ni fraternelle, ni pacifique. La défense des droits de l'homme ne souffre pas de pause. Parlant pour mon pays, je déclare que la France appuiera toute proposition qui visera à accroître le rôle des Nations unies et de leurs experts placés afin de développer, en relation avec la commission qui siège à Genève, les missions d'enquête sur le terrain et de veiller à ce que les rapports de ces missions soient rendus publics, car l'oppression se nourrit de silence et l'information libre est une arme dans nos mains.
- Je n'oublie pas le travail quotidien, opiniâtre, des organisations non gouvernementales pour recenser, contester, dénoncer les violations des droits, soutenir, aider les victimes de ces violations. Sans elles, que de traces perdues à jamais, que de droits bafoués en secret ! La France favorisera ce qui consolidera leur action, précisera leur statut, protégera leurs membres, acteurs et témoins, plus que d'autres exposés aux coups et aux revanches de l'esprit d'intolérance. Mais, puis que je parle d'acteurs et de témoins, comment ne pas se tourner, en cet instant, vers ceux qui, venus, parfois non sans peine, jusqu'à nous en ce jour de célébration, ont donné, entre tous, l'exemple de ce que signifie la consécration d'une vie, par la pensée et par l'action, à la cause de la liberté. Grandeur de l'esprit, courage d'être. Nous puiserons plus de force encore dans cet exemple afin d'accomplir la tâche qui, ce soir, nous rassemble.\