9 décembre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'histoire des relations franco-tchécoslovaques et sur la place de la Tchécoslovaquie dans l'Europe, Chateau de Bratislava, le 9 décembre 1988.

Monsieur le Président,
- Mesdames et Messieurs,
- Je suis très sensible à l'accueil qui nous est réservé à Bratislava et dans votre République. Les deux exposés qui viennent d'être faits nous ont retracé l'histoire et les efforts, à travers le temps, des habitants de ce pays. Il était clair en vous écoutant que vous avez dû affronter beaucoup d'épreuves et que vous les avez surmontées. Cela n'a été possible que par le courage d'une population attachée à son identité et dont le courage s'est montré dans des circonstances historiques qu'à notre façon nous avons nous-mêmes vécues.
- Je discutais avec M. le Président Husak, désireux de connaître l'origine du nom de Bratislava. Il m'a dit que c'était discuté. Je vais m'en tenir à l'explication qui n'est peut-être pas la meilleure sur le plan de l'étymologie mais qui est peut-être la meilleure quant à son sens profond : Bratislava "fraternité entre les Slaves". Mais je ne sais pas comment il faudrait traduire par l'extension de cette signification "fraternité entre les peuples". Vous chercherez et vos érudits trouveront bien. De toute façon, ce ne serait pas contradictoire, fraternité entre les Slaves, fédération slovaque, dans le cadre de la République tchécoslovaque, je crois qu'on peut toujours affirmer son identité et sa réalité propre sans être obligé de se séparer pour autant de plus vastes ensembles où l'on retrouve des compatriotes associés dans une démarche historique commune et d'autres peuples encore qui peu à peu prennent conscience qu'ils appartiennent au même continent, ce continent qui s'appelle l'Europe. Nous en sommes là - vous et nous - vous au centre, nous à l'Ouest, mais quand on relate les pages de nos propres histoires, nous trouverons à tout moment des connexions, des interactions, des échanges, des combats, mais au total la formation d'une culture et d'intérêts qui me paraissent aujourd'hui prévaloir sur les aspects contradictoires. J'ai écouté avec intérêt les statistiques que vous avez produites et selon lesquelles, si pendant un temps on a heureusement forgé la réalité de votre République tchécoslovaque, on a peut-être négligé l'aspect économique et social. C'est vrai qu'il ne peut y avoir de véritable expansion économique et sociale que par un juste partage des profits acquis par le travail et la peine de ceux qui, à travers les siècles, ont été le plus souvent oubliés. Ils fournissaient l'effort, ils n'avaient pas droit au profit. Et de ce point de vue, on observe dans l'ensemble de l'Europe, une prise de conscience, il ne peut y avoir réussite politique ni économique sans cohésion sociale laquelle repose sur l'esprit de justice.\
Je suis heureux aujourd'hui de me trouver à Bratislava, c'est la première fois que je viens en Slovaquie. J'en connaissais l'histoire, du moins superficiellement, et Bratislava et le pays qui l'entoure, ce sont des cités, des campagnes originales et que l'on retrouve à tous les détours du temps, quand ce ne serait qu'au cours de ces deux derniers siècles des rencontres multiples sur les champs de bataille. Le nom du général Stefanik qui est resté dans nos mémoires, le général de l'armée française et votre compatriote. Et c'est vrai qu'en 1918 la France a été votre première amie pour contribuer à la création de votre Etat. Je le disais hier soir à Prague : nous ressentons nous-mêmes Français, avec une grande amertume, le déchirement de 1938 'accords de Munich'. Je rappelais qu'étant à l'époque étudiant et m'exprimant dans de petites revues universitaires, j'avais écrit à ce sujet, sur le moment, et j'avais protesté contre un acte qui me paraissait tragiquement dommageable quand ce ne serait que par la rupture d'une obligation contractuelle, diplomatique certes, mais plus encore politique et morale. Nous en avons vu les conséquences, et je voudrais qu'aujourd'hui on sache en Tchécoslovaquie, et particulièrement en Slovaquie, que notre effort doit tendre vers de nouvelles bases finalement plus solides afin que nul ne soit victime d'un manquement.
- Nous avons beaucoup de travail à faire puisque la guerre a provoqué une division de l'Europe qui nous a projetés des deux côtés, et de fait, nous avons vécu beaucoup d'années les uns sans les autres, idéologiquement, même souvent les uns contre les autres. Notre tâche, maintenant, est de considérer que ce temps est passé, il faut en tirer les leçons et bâtir les fondements des temps nouveaux. C'est la signification réelle de ma présence parmi vous. Je ne demande pas, monsieur le Président, à l'imitation de Napoléon 1er, mon prédécesseur, de signer une nouvelle paix de Presbourg. D'abord maintenant on l'appellerait "Paix de Bratislava".
- Et quand je parle de la paix de Bratislava, je ne parle pas de la paix entre la Bohême et la Tchécoslovaquie, je parle de la paix entre la Tchécoslovaquie et la France, toute confusion serait regrettable... Je veux simplement dire que c'étaient des combats qui se réglaient à la tête, entre empereurs, cette fois-ci, c'est une paix des esprits, précisément entre les peuples et pour des combats pacifiques qu'il convient d'engager.
- Voilà, monsieur le Président, ce que je souhaitais vous dire en réponse à vos paroles. Tous mes voeux vont vers votre pays afin que vous puissiez constamment avancer dans la voie du progrès, de la liberté et que votre place, dans l'Europe, soit de plus en plus reconnue, nous devons, croyez-moi, donner à l'Europe tout le contenu désirable. Vous avez beaucoup à donner à cette Europe. Vous êtes au centre, d'autres disent "au coeur", c'est une expression plus belle, et nous-mêmes, nous pouvons contribuer fortement à cette grande entreprise. Ca été l'objet de beaucoup de conversations avec les dirigeants de l'Etat, et je tenais à rappeler ces éléments de la position française avec l'espoir qu'à partir de maintenant dans le respect des différences, nous attendons de créer les deux parties de l'Europe et entre nos deux pays une relation vivante, et je l'espère confiante.\