18 novembre 1988 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'utilisation des richesses forestières françaises, lors de la visite de la nouvelle scierie "Bois et sciage" de Sougy, vendredi 18 novembre 1988.
Mesdames,
- Messieurs,
- Depuis longtemps déjà, mes amis nivernais m'ont souvent entendu traiter ce sujet, je m'étonnais de la situation dans laquelle se trouvait en France l'industrie du bois ainsi que les industries dérivées. Je me scandalisais de constater qu'en fait, on trouvait là l'un des postes déficitaires les plus marqués de notre commerce extérieur, obligé d'importer les produits finis ou semi-finis alors que nous disposions de la première forêt d'Europe.
- Un véritable non-sens. Cependant, partout, nous voyions des scieries en perdition ou déjà perdues. Tout le long de nos collines on voit encore, ici ou là, des usines détruites, des restes, des vestiges des activités passées, alors que la forêt continue d'être vivante et d'offrir aux hommes et à la société un chantier permanent. Mais l'on ne trouvait plus personne, plus de scieries - en général des petites scieries - que des grosses industries très éloignées des massifs forestiers - près des ports - qui l'une après l'autre connaissaient de graves difficultés financières et, en amont plus de bûcherons. On était obligé de faire appel à une main-d'oeuvre étrangère courageuse - souvent compétente -. Aujourd'hui, j'ai pu le constater il y a un instant, m'adressant aux bûcherons qui nous attendaient là, tous étaient du Morvan, à l'exception d'un decizois.
- Comment était-ce supportable ? Il y avait là le témoignage le plus criant d'une grave insuffisance, d'un manque d'utilisation de nos ressources naturelles, donc d'un manque d'imagination et peut-être un certain manque de courage, en tous cas, d'organisation.
- J'ai passé beaucoup de temps, sans être un spécialiste, à me battre pour tenter de renverser la tendance. J'ai rencontré peu de concours. Les problèmes se posaient différemment selon qu'il s'agissait de résineux ou de feuilles caduques, des arbres de lumière, et le Morvan lui-même connaissait un bouleversement par la multiplication du résineux, la disparition souvent dommageable du chêne, du hêtre, du charme ou du bouleau, sans que l'on pût considérer qu'il y avait sur place une utilisation industrielle des bois que nous implantions.\
Voilà pourquoi cette usine, cette grande scierie, marque à mes yeux un immense progrès, un changement de mentalité en même temps qu'elle démontre la capacité des responsables et des travailleurs à dominer ce type de problèmes dès lors qu'interviennent les qualités dont je déplorais l'absence, le sens de l'organisation, de l'audace, de l'initiative et, finalement, une meilleure conception de l'utilisation même des richesses de notre pays. En voyant Sougy, dans ce secteur industriel, près de Decize, pas très loin de Nevers, encore quelques kilomètres vers l'est, aux franges du Morvan, ce réservoir considérable que représente le Morvan sur le plan de la forêt, et sur le plan des eaux, voilà que l'on peut recommencer d'espérer - je viens de le dire - d'abord dans l'homme et dans les capacités des Français à surmonter les périodes creuses.
- J'ai bien entendu observé des progrès de ce genre dans d'autres régions de France. Mais comment ne me réjouirais-je pas particulièrement de voir la Nièvre que j'ai représentée pendant quelques 35 ans, essentiellement à partir du Morvan, ayant vécu, précisément, parmi ces hauteurs de ce plateau souvent anarchique, difficile à franchir, à traverser, mais où vivent des hommes et des femmes attachant, durs et fidèles, aimant passionnément leur petit pays et qui se désolaient de voir que la dureté et l'ingratitude de leurs terres, sur le plan de ce qu'ils pouvaient comparer avec la plaine, ne leur permettaient pas de vivre, se dépeuplaient, s'appauvrissaient. Parmi toutes ces collines du Morvan - quelques petites cités, particulièrement la capitale de ce haut Morvan, Château-Chinon - qui pouvait légitimement s'inquiéter pour son propre avenir.
- Voilà pourquoi je suis extrêmement reconnaissant aux initiateurs de ce projet. Qu'il s'agisse des élus, qu'il s'agisse des industriels, des financiers, des travailleurs qui ont fait la démonstration, en l'espace de très peu de mois, que ce qui paraissait impossible hier, est désormais possible. Et demain, pour peu que l'on continue - et l'on continuera - cela nous servira d'exemple.
- Cela faisait longtemps que nous parlions de la zone industrielle de Sougy. Déjà d'autres projets de scieries avaient été ébauchés. Certains problèmes écologiques s'étaient posés par rapport au cours de la Loire. Finalement, les bonnes volontés s'étaient épuisées ou lassées. Si vous y êtes parvenus, c'est parce que vous avez su vous y prendre et c'est parce que vous avez su vous entendre.
- Le problème humain est celui qui se pose dans l'immédiat. Quand celui là est résolu, on peut passer aux autres avec de grandes chances de réussir.\
J'entendais tout à l'heure les exposés de M. Vernes, de M. Vingdiolet, qui racontaient bien, chacun à sa façon, d'une part l'esprit d'initiative et de continuité d'une très grande entreprise, très assise, très enracinée dans le tissu industriel français, et dans la tradition française, avec des prolongements bancaires puissants. Et d'autre part le maire d'une commune d'importance modeste, et lui-même passionné d'aménagement du territoire, ayant la pratique des organisations sur le terrain, des syndicats de communes, des zones industrielles, ayant longtemps assumé la responsabilité des comités d'expansion, ayant donc une connaissance vécue des problèmes, dans notre terroir. Et par le canal de quelques élus, qui ont su eux-mêmes aborder leurs responsabilités avec un état d'esprit très neuf et une véritable envergure, voilà que nous avons pu dans le courant de cette journée, constater de très remarquables efforts et la réussite d'une grande entreprise, celle de Sougy, d'une scierie qui a rattrapé désormais notre retard sur le plan des normes exigées, exigées dans le monde, et qui a pu en même temps montrer que pour peu qu'on s'y attache encore, nous serons capables de faire mieux.\
Je ne voudrais pas oublier le concours de nos amis finlandais. Et c'est pour moi une véritable joie que de retrouver à Sougy, M. Kalevi Sorsa, ministre des affaires étrangères, qui fut Premier ministre, que j'ai connu à ce titre en Finlande et qui m'a fait visiter là-bas des scieries, il y a déjà de longues années, quand ce n'était pas pour participer à des fêtes, à des fêtes typiques de ce beau pays où j'ai eu la joie de retourner en visite d'Etat il n'y a pas si longtemps. Et je voudrais remercier en même temps les industriels, et particulièrement ceux qui se préoccupent de l'avenir conjoint du commerce et de l'industrie finlandais et français, notamment le Président. Je me réjouis d'avoir vu ce peuple sympathique et vaillant - qui obtient pour lui-même de grandes réussites, je les ai constatées, dans de nombreux secteurs industriels - nous prêter la main, nous faire connaître son expérience, et contribuer à la réussite d'un projet qui n'est plus un projet, qui est aujourd'hui une grande réalisation.
- Je ne saurais oublier, bien entendu, les cadres, employés, ouvriers de cette entreprise, qui l'un après l'autre, m'ont démontré - ceux du moins que j'ai rencontrés, sans oublier les bûcherons - qu'ils avaient acquis une compétence qui pouvait supporter toutes les comparaisons. Et cela en très peu de temps, - je me permets d'insister sur ce point -. Les hommes, après tout, que savaient-ils et comment avaient-ils été formés jusqu'alors ? Il leur a fallu tout apprendre, grâce à l'entreprise mais aussi grâce à leur capacité d'intelligence et de travail. Vous voyez bien que nous disposons de tous les matériaux de l'intelligence et de la volonté. Nous disposons des hommes capables de faire de la France ce qu'elle devrait être et qu'elle n'est pas encore.
- A quoi il fallait ajouter, bien entendu, il faudra continuer d'ajouter, les technologies. Et de ce point de vue, parcourant cette usine, je n'ai pas pu ne pas remarquer que la plupart des machines imposantes, qui ont marqué le progrès de l'industrie du bois, la scierie, n'étaient pas françaises. C'est-à-dire que nous manquons cruellement de machines-outils, d'industries capables de nous fournir le moyen d'aller directement de la matière première aux produits finis. Il nous faut rattraper ce retard. Que de fois ai-je eu l'occasion d'en parler avec M. le ministre de l'économie et des finances `Pierre Bérégovoy`, avec lequel nous travaillons déjà depuis de longues années. Il y a là un progrès à faire. Il n'est pas normal que nous soyons obligés d'importer toute machine dès lors qu'elle est compétitive. Nous ne sommes pas simplement des producteurs de matières premières. Nous ne sommes pas nés pour produire au demeurant l'admirable production que représentent nos Charolais, pour vendre de la viande ou du cuir, et que cela nous revienne sous forme de produits finis, chaussures s'il le faut, de l'industrie du cuir qui n'existe pas suffisamment en France ou bien sous la forme de conserves, ou tout simplement d'alimentation du bétail dans ces pays de naisseurs. Nous sommes souvent handicapés, c'est-à-dire dans la situation un peu des anciens pays colonisés qui vendent à prix médiocre leurs ressources naturelles et qui achètent au prix fort la valeur ajoutée.
- Enfin je sais que le Conseil général de la Nièvre se préoccupe de ces choses et qu'au cours de ces dernières années, de réels progrès ont été accomplis et je suis plein d'espoir dans ce que vous faites.\
Je dois exprimer ma reconnaissance. A ceux que j'ai cités il y a un moment. Ce n'était pas si simple pour les banquiers, de prendre en compte une industrie qui n'était pas la leur `scierie`, dont ils ne connaissaient pas a priori les secrets. Et chacun sait comme il est difficile d'aborder la compétition internationale. Eh bien ils l'ont fait. Et ils ont persévéré. Ce n'était pas si facile non plus que d'utiliser, faute d'équipement, et faute de personnel adapté, nos forêts. Eh bien cela commence d'être fait. Un espoir nouveau se lève pour tout l'est du département mais d'autres régions aussi car nous devons exploiter de plus en plus nos arbres, nos plantations à feuilles caduques qui représentent une richesse comparable. Et par d'autres techniques et pour d'autres usages. Nous avons là un réveil que je salue, qui est dû à la fois aux Nivernais, aux élus de la Nièvre, à des industriels et à des banquiers extérieurs à la Nièvre, et même à un concours d'une haute technologie venu d'un pays lointain de l'Europe, avec lequel nous n'avons pas tellement de liens économiques, pas assez. Mais cependant, quand on a fait appel à eux - et je sais leur amitié pour nous - ils n'ont pas hésité.
- J'en ai terminé. Pourquoi ai-je multiplié les remerciements ? Parce que je voudrais bien que chacun puisse désormais contribuer davantage au développement de la France. Et ce développement passe par le développement industriel et par l'utilisation industrielle de nos productions naturelles. C'est là que gît le secret de notre prospérité future. Et pour cela comme pour le reste, il faut y croire, et il faut le vouloir.\
Je répète partout, parce que notre esprit critique - je n'en manque pas non plus - et souvent de l'auto-critique se reportant sur nous-mêmes - en tout cas sur notre peuple - nous conduit à penser que nous sommes moins capables que d'autres dans le domaine industriel de conquérir des marchés, et même de défendre le nôtre. Eh bien ce n'est pas exact. Nous sommes aujourd'hui le quatrième pays exportateur du monde. Il faudrait comparer nos 55 à 56 millions d'habitants à d'autres pays très actifs qui en ont le double, ou le triple ou le quadruple. Nous sommes l'un des cinq premiers, le cinquième, quatrième ou cinquième pays, quant à sa valeur économique, et la même comparaison démographique pourrait se faire. Quand on pense au développement formidable au cours de ces dernières décennies de certains pays d'Extrême-Orient. Et cependant, nous restons avec l'Allemagne, le Japon, les Etats-Unis d'Amérique, et à peu près à égalité la Grande-Bretagne, bien que nous nous plaçions avant elle pour ce qui touche aux exportations, nous restons l'un des cinq pays capables d'affirmer leur capacité de puissance dans une compétition de plus en plus ouverte. Je dis cela simplement pour qu'on le sache. Et que les Français n'abordent pas les combats qui sont devant eux avec un sentiment d'infériorité. Que nous ayons besoin, certes, de développer nos compétences et nos connaissances en commençant par l'école, que nous développions notre recherche, pour disposer de plus de savants, de plus de techniciens, que nous ayons une formation meilleure pour disposer de plus d'ingénieurs, et de cadres, que nous développions plus de justice et d'équité sociale pour que l'ensemble des travailleurs de France se sente davantage intéressé, porté par l'effort collectif, il faut bien qu'ils en reçoivent les fruits, puisqu'ils apportent l'effort. Et pourquoi n'y parviendrions-nous pas ? Nous sommes bien partis, croyez-moi. Et s'il en est qui doutent, je ne suis pas de ceux-là. Je ne remplace pas je ne sais quelle méthode Coué par une sorte de volontarisme qui n'aurait pas d'objet. Non, c'est la connaissance de la France et des Français qui me démontre que c'est possible. Les Français n'ont pas à réserver leur faculté de victoire sur eux-mêmes et sur les autres, aux seules périodes de crise ou de guerre. Ils l'ont montré. Il faudrait que de plus en plus ils le consacrent aux travaux de la paix. Ce sont au fond les mêmes vertus, auxquelles il faut faire appel : travail, courage, persévérance, imagination, sur la base d'une formation intellectuelle et professionnelle hors de pair. Voilà l'enjeu.
- Eh bien je vous le dis, mesdames et messieurs, qui m'avez montré cette entreprise et qui en êtes responsables, les animateurs et les responsables, et vous, chers amis, les représentants du département de la Nièvre, eh bien vous me donnez là un exemple qui me remplit d'espoir pour le temps à venir, bien entendu à la condition de ne pas relâcher l'effort, de ne pas dissiper l'énergie, et de ne pas croire que tout est arrivé, quand tant nous reste à faire. Merci mesdames et messieurs, bonne chance à la Nièvre, c'est une façon de dire bonne chance à la France.\
- Messieurs,
- Depuis longtemps déjà, mes amis nivernais m'ont souvent entendu traiter ce sujet, je m'étonnais de la situation dans laquelle se trouvait en France l'industrie du bois ainsi que les industries dérivées. Je me scandalisais de constater qu'en fait, on trouvait là l'un des postes déficitaires les plus marqués de notre commerce extérieur, obligé d'importer les produits finis ou semi-finis alors que nous disposions de la première forêt d'Europe.
- Un véritable non-sens. Cependant, partout, nous voyions des scieries en perdition ou déjà perdues. Tout le long de nos collines on voit encore, ici ou là, des usines détruites, des restes, des vestiges des activités passées, alors que la forêt continue d'être vivante et d'offrir aux hommes et à la société un chantier permanent. Mais l'on ne trouvait plus personne, plus de scieries - en général des petites scieries - que des grosses industries très éloignées des massifs forestiers - près des ports - qui l'une après l'autre connaissaient de graves difficultés financières et, en amont plus de bûcherons. On était obligé de faire appel à une main-d'oeuvre étrangère courageuse - souvent compétente -. Aujourd'hui, j'ai pu le constater il y a un instant, m'adressant aux bûcherons qui nous attendaient là, tous étaient du Morvan, à l'exception d'un decizois.
- Comment était-ce supportable ? Il y avait là le témoignage le plus criant d'une grave insuffisance, d'un manque d'utilisation de nos ressources naturelles, donc d'un manque d'imagination et peut-être un certain manque de courage, en tous cas, d'organisation.
- J'ai passé beaucoup de temps, sans être un spécialiste, à me battre pour tenter de renverser la tendance. J'ai rencontré peu de concours. Les problèmes se posaient différemment selon qu'il s'agissait de résineux ou de feuilles caduques, des arbres de lumière, et le Morvan lui-même connaissait un bouleversement par la multiplication du résineux, la disparition souvent dommageable du chêne, du hêtre, du charme ou du bouleau, sans que l'on pût considérer qu'il y avait sur place une utilisation industrielle des bois que nous implantions.\
Voilà pourquoi cette usine, cette grande scierie, marque à mes yeux un immense progrès, un changement de mentalité en même temps qu'elle démontre la capacité des responsables et des travailleurs à dominer ce type de problèmes dès lors qu'interviennent les qualités dont je déplorais l'absence, le sens de l'organisation, de l'audace, de l'initiative et, finalement, une meilleure conception de l'utilisation même des richesses de notre pays. En voyant Sougy, dans ce secteur industriel, près de Decize, pas très loin de Nevers, encore quelques kilomètres vers l'est, aux franges du Morvan, ce réservoir considérable que représente le Morvan sur le plan de la forêt, et sur le plan des eaux, voilà que l'on peut recommencer d'espérer - je viens de le dire - d'abord dans l'homme et dans les capacités des Français à surmonter les périodes creuses.
- J'ai bien entendu observé des progrès de ce genre dans d'autres régions de France. Mais comment ne me réjouirais-je pas particulièrement de voir la Nièvre que j'ai représentée pendant quelques 35 ans, essentiellement à partir du Morvan, ayant vécu, précisément, parmi ces hauteurs de ce plateau souvent anarchique, difficile à franchir, à traverser, mais où vivent des hommes et des femmes attachant, durs et fidèles, aimant passionnément leur petit pays et qui se désolaient de voir que la dureté et l'ingratitude de leurs terres, sur le plan de ce qu'ils pouvaient comparer avec la plaine, ne leur permettaient pas de vivre, se dépeuplaient, s'appauvrissaient. Parmi toutes ces collines du Morvan - quelques petites cités, particulièrement la capitale de ce haut Morvan, Château-Chinon - qui pouvait légitimement s'inquiéter pour son propre avenir.
- Voilà pourquoi je suis extrêmement reconnaissant aux initiateurs de ce projet. Qu'il s'agisse des élus, qu'il s'agisse des industriels, des financiers, des travailleurs qui ont fait la démonstration, en l'espace de très peu de mois, que ce qui paraissait impossible hier, est désormais possible. Et demain, pour peu que l'on continue - et l'on continuera - cela nous servira d'exemple.
- Cela faisait longtemps que nous parlions de la zone industrielle de Sougy. Déjà d'autres projets de scieries avaient été ébauchés. Certains problèmes écologiques s'étaient posés par rapport au cours de la Loire. Finalement, les bonnes volontés s'étaient épuisées ou lassées. Si vous y êtes parvenus, c'est parce que vous avez su vous y prendre et c'est parce que vous avez su vous entendre.
- Le problème humain est celui qui se pose dans l'immédiat. Quand celui là est résolu, on peut passer aux autres avec de grandes chances de réussir.\
J'entendais tout à l'heure les exposés de M. Vernes, de M. Vingdiolet, qui racontaient bien, chacun à sa façon, d'une part l'esprit d'initiative et de continuité d'une très grande entreprise, très assise, très enracinée dans le tissu industriel français, et dans la tradition française, avec des prolongements bancaires puissants. Et d'autre part le maire d'une commune d'importance modeste, et lui-même passionné d'aménagement du territoire, ayant la pratique des organisations sur le terrain, des syndicats de communes, des zones industrielles, ayant longtemps assumé la responsabilité des comités d'expansion, ayant donc une connaissance vécue des problèmes, dans notre terroir. Et par le canal de quelques élus, qui ont su eux-mêmes aborder leurs responsabilités avec un état d'esprit très neuf et une véritable envergure, voilà que nous avons pu dans le courant de cette journée, constater de très remarquables efforts et la réussite d'une grande entreprise, celle de Sougy, d'une scierie qui a rattrapé désormais notre retard sur le plan des normes exigées, exigées dans le monde, et qui a pu en même temps montrer que pour peu qu'on s'y attache encore, nous serons capables de faire mieux.\
Je ne voudrais pas oublier le concours de nos amis finlandais. Et c'est pour moi une véritable joie que de retrouver à Sougy, M. Kalevi Sorsa, ministre des affaires étrangères, qui fut Premier ministre, que j'ai connu à ce titre en Finlande et qui m'a fait visiter là-bas des scieries, il y a déjà de longues années, quand ce n'était pas pour participer à des fêtes, à des fêtes typiques de ce beau pays où j'ai eu la joie de retourner en visite d'Etat il n'y a pas si longtemps. Et je voudrais remercier en même temps les industriels, et particulièrement ceux qui se préoccupent de l'avenir conjoint du commerce et de l'industrie finlandais et français, notamment le Président. Je me réjouis d'avoir vu ce peuple sympathique et vaillant - qui obtient pour lui-même de grandes réussites, je les ai constatées, dans de nombreux secteurs industriels - nous prêter la main, nous faire connaître son expérience, et contribuer à la réussite d'un projet qui n'est plus un projet, qui est aujourd'hui une grande réalisation.
- Je ne saurais oublier, bien entendu, les cadres, employés, ouvriers de cette entreprise, qui l'un après l'autre, m'ont démontré - ceux du moins que j'ai rencontrés, sans oublier les bûcherons - qu'ils avaient acquis une compétence qui pouvait supporter toutes les comparaisons. Et cela en très peu de temps, - je me permets d'insister sur ce point -. Les hommes, après tout, que savaient-ils et comment avaient-ils été formés jusqu'alors ? Il leur a fallu tout apprendre, grâce à l'entreprise mais aussi grâce à leur capacité d'intelligence et de travail. Vous voyez bien que nous disposons de tous les matériaux de l'intelligence et de la volonté. Nous disposons des hommes capables de faire de la France ce qu'elle devrait être et qu'elle n'est pas encore.
- A quoi il fallait ajouter, bien entendu, il faudra continuer d'ajouter, les technologies. Et de ce point de vue, parcourant cette usine, je n'ai pas pu ne pas remarquer que la plupart des machines imposantes, qui ont marqué le progrès de l'industrie du bois, la scierie, n'étaient pas françaises. C'est-à-dire que nous manquons cruellement de machines-outils, d'industries capables de nous fournir le moyen d'aller directement de la matière première aux produits finis. Il nous faut rattraper ce retard. Que de fois ai-je eu l'occasion d'en parler avec M. le ministre de l'économie et des finances `Pierre Bérégovoy`, avec lequel nous travaillons déjà depuis de longues années. Il y a là un progrès à faire. Il n'est pas normal que nous soyons obligés d'importer toute machine dès lors qu'elle est compétitive. Nous ne sommes pas simplement des producteurs de matières premières. Nous ne sommes pas nés pour produire au demeurant l'admirable production que représentent nos Charolais, pour vendre de la viande ou du cuir, et que cela nous revienne sous forme de produits finis, chaussures s'il le faut, de l'industrie du cuir qui n'existe pas suffisamment en France ou bien sous la forme de conserves, ou tout simplement d'alimentation du bétail dans ces pays de naisseurs. Nous sommes souvent handicapés, c'est-à-dire dans la situation un peu des anciens pays colonisés qui vendent à prix médiocre leurs ressources naturelles et qui achètent au prix fort la valeur ajoutée.
- Enfin je sais que le Conseil général de la Nièvre se préoccupe de ces choses et qu'au cours de ces dernières années, de réels progrès ont été accomplis et je suis plein d'espoir dans ce que vous faites.\
Je dois exprimer ma reconnaissance. A ceux que j'ai cités il y a un moment. Ce n'était pas si simple pour les banquiers, de prendre en compte une industrie qui n'était pas la leur `scierie`, dont ils ne connaissaient pas a priori les secrets. Et chacun sait comme il est difficile d'aborder la compétition internationale. Eh bien ils l'ont fait. Et ils ont persévéré. Ce n'était pas si facile non plus que d'utiliser, faute d'équipement, et faute de personnel adapté, nos forêts. Eh bien cela commence d'être fait. Un espoir nouveau se lève pour tout l'est du département mais d'autres régions aussi car nous devons exploiter de plus en plus nos arbres, nos plantations à feuilles caduques qui représentent une richesse comparable. Et par d'autres techniques et pour d'autres usages. Nous avons là un réveil que je salue, qui est dû à la fois aux Nivernais, aux élus de la Nièvre, à des industriels et à des banquiers extérieurs à la Nièvre, et même à un concours d'une haute technologie venu d'un pays lointain de l'Europe, avec lequel nous n'avons pas tellement de liens économiques, pas assez. Mais cependant, quand on a fait appel à eux - et je sais leur amitié pour nous - ils n'ont pas hésité.
- J'en ai terminé. Pourquoi ai-je multiplié les remerciements ? Parce que je voudrais bien que chacun puisse désormais contribuer davantage au développement de la France. Et ce développement passe par le développement industriel et par l'utilisation industrielle de nos productions naturelles. C'est là que gît le secret de notre prospérité future. Et pour cela comme pour le reste, il faut y croire, et il faut le vouloir.\
Je répète partout, parce que notre esprit critique - je n'en manque pas non plus - et souvent de l'auto-critique se reportant sur nous-mêmes - en tout cas sur notre peuple - nous conduit à penser que nous sommes moins capables que d'autres dans le domaine industriel de conquérir des marchés, et même de défendre le nôtre. Eh bien ce n'est pas exact. Nous sommes aujourd'hui le quatrième pays exportateur du monde. Il faudrait comparer nos 55 à 56 millions d'habitants à d'autres pays très actifs qui en ont le double, ou le triple ou le quadruple. Nous sommes l'un des cinq premiers, le cinquième, quatrième ou cinquième pays, quant à sa valeur économique, et la même comparaison démographique pourrait se faire. Quand on pense au développement formidable au cours de ces dernières décennies de certains pays d'Extrême-Orient. Et cependant, nous restons avec l'Allemagne, le Japon, les Etats-Unis d'Amérique, et à peu près à égalité la Grande-Bretagne, bien que nous nous plaçions avant elle pour ce qui touche aux exportations, nous restons l'un des cinq pays capables d'affirmer leur capacité de puissance dans une compétition de plus en plus ouverte. Je dis cela simplement pour qu'on le sache. Et que les Français n'abordent pas les combats qui sont devant eux avec un sentiment d'infériorité. Que nous ayons besoin, certes, de développer nos compétences et nos connaissances en commençant par l'école, que nous développions notre recherche, pour disposer de plus de savants, de plus de techniciens, que nous ayons une formation meilleure pour disposer de plus d'ingénieurs, et de cadres, que nous développions plus de justice et d'équité sociale pour que l'ensemble des travailleurs de France se sente davantage intéressé, porté par l'effort collectif, il faut bien qu'ils en reçoivent les fruits, puisqu'ils apportent l'effort. Et pourquoi n'y parviendrions-nous pas ? Nous sommes bien partis, croyez-moi. Et s'il en est qui doutent, je ne suis pas de ceux-là. Je ne remplace pas je ne sais quelle méthode Coué par une sorte de volontarisme qui n'aurait pas d'objet. Non, c'est la connaissance de la France et des Français qui me démontre que c'est possible. Les Français n'ont pas à réserver leur faculté de victoire sur eux-mêmes et sur les autres, aux seules périodes de crise ou de guerre. Ils l'ont montré. Il faudrait que de plus en plus ils le consacrent aux travaux de la paix. Ce sont au fond les mêmes vertus, auxquelles il faut faire appel : travail, courage, persévérance, imagination, sur la base d'une formation intellectuelle et professionnelle hors de pair. Voilà l'enjeu.
- Eh bien je vous le dis, mesdames et messieurs, qui m'avez montré cette entreprise et qui en êtes responsables, les animateurs et les responsables, et vous, chers amis, les représentants du département de la Nièvre, eh bien vous me donnez là un exemple qui me remplit d'espoir pour le temps à venir, bien entendu à la condition de ne pas relâcher l'effort, de ne pas dissiper l'énergie, et de ne pas croire que tout est arrivé, quand tant nous reste à faire. Merci mesdames et messieurs, bonne chance à la Nièvre, c'est une façon de dire bonne chance à la France.\