8 novembre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la mission du Président et du gouvernement pour assurer le développement régional et les réalisations de la commune de Saint-Médard-en-Jalles, le 8 novembre 1988.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- J'achève ici le périple qui m'a conduit à visiter deux communes et, au sein de ces communes, diverses réalisations. On pourrait penser qu'il s'agit là d'un programme modeste par rapport à l'ampleur des problèmes qui sollicitent la France. Mais rien n'est modeste, dès lors qu'il s'agit de formation, d'éducation, de travail, d'aide et de solidarité aux jeunes ou aux personnes âgées. Rien n'est modeste dès lors qu'il s'agit de la lecture, de la diffusion de la culture et du savoir.
- A Marcheprime tout à l'heure, j'inaugurais une école qui porte le nom désormais d'un maître `Maurice Fognet` que j'ai connu et aimé et dont le rayonnement était considérable. On en garde le souvenir tant d'années après.
- Ici, à Saint-Médard-en-Jalles, à la résidence Flora Tristan, j'ai pu admirer la manière dont avait été conçu et réalise cet immeuble pour que les personnes qui ne peuvent plus vivre en famille ou du moins avec l'ensemble des leurs, trouvent là plus qu'un refuge, un accueil et un accueil de qualité. Il me semble que ce qui m'en était dit par les résidants eux-mêmes était l'expression de la vérité qu'ils ressentaient. Ils étaient heureux, dans leur vieillesse, d'avoir trouvé une maison et aussi des personnes capables de les soigner, de les aimer et de veiller à ce que chacun de leur désir put être satisfait, autant qu'il est possible dans le respect mutuel.
- C'est une belle réalisation. J'ai moi-même été pendant longtemps un élu local, maire, conseiller général, président de conseil général, et je peux faire des comparaisons. C'est vrai qu'il existe une émulation entre les municipalités ou les différentes assemblées. Cette émulation est saine. Chacun, vous le savez bien, au-delà de nos clivages politiques, cherche à faire mieux, mieux que le voisin si c'est possible. En tout cas le mieux possible pour rendre le service désiré, le service désirable, pour être utile en somme. Je peux dire que ce que je viens de voir à Saint-Médard-en-Jalles confirme cette impression. On a, ici, agi du mieux possible, intelligemment et avec ardeur.
- Même observation pour ce village d'enfants dont les immeubles portent les noms de "Gavroche" dans un cas et dans l'autre de "Gribouille". Gribouille c'est un personnage éminemment sympathique, mais il ne faut pas trop s'inspirer de son exemple. Quoi que ce soit une certaine forme de générosité que de se jeter à l'eau pour ne pas se mouiller. Quant à Gavroche, chacun le connaît ici, c'est le symbole de l'enfant contraint par les difficultés de la vie de se débrouiller tout seul. C'est un petit garçon de Paris, mais l'humeur, la bonne humeur qu'il émet, l'esprit batailleur, l'intelligence même sont, je le crois, des qualités bien partagées en France, y compris par les petits villageois de province.\
Ces deux bibliobus, que j'ai vus tout à l'heure, c'est une réalisation où je vois bien que l'Etat, les collectivités locales ont heureusement participé. En tout cas, le résultat est très intéressant. Je connais des théoriciens qui sont aussi des praticiens, qui estiment que la répartition des ouvrages de lecture portés de commune en commune est une façon particulièrement efficace de diffuser le savoir et la culture. Ce sont, je le répète, des praticiens en même temps qu'ils ont bâti les théories sur la meilleure façon de développer le savoir. J'observe qu'ici, à Saint-Médard-en-Jalles, l'implantation choisie avec le concours de la municipalité et de son maire a été judicieuse. C'est le département de la Gironde tout entier qui, de ce point de vue, mérite des éloges, sans oublier l'Etat sans lequel rien n'eut été possible.\
Voilà donc une conjonction de bonnes volontés et de talents qui me paraissent devoir servir de conclusion à ce bref voyage d'une journée en Gironde.
- D'abord une grande disponibilité. C'étaient - au début de l'après-midi - les enseignants, les maîtres d'école, les instituteurs, qui peuvent être cités en exemple pour le devoir, le dévouement et la compétence. C'étaient cet après-midi, soit des élus, soit des personnes bénévoles qui passent des heures et des heures et parfois des jours et des jours à aider les autres et particulièrement les enfants, les petits enfants, si petits qu'il faut guider leurs premier pas, leurs premiers gestes, leurs premiers mouvements, former leur intelligence au travers de l'utilisation de leurs mains. Il est bien artificiel, croyez-moi, de vouloir séparer ces deux formes d'activité, celle de l'esprit et celle des mains. Ce qui donne, au demeurant, à l'enseignement professionnel les lettres de noblesse qu'on a mis trop de temps à lui reconnaître.\
Alors j'apprends à mesure que j'avance, je vois ce qui se passe en France. Je rencontre des Français. La plupart, sinon presque tous, viennent avec l'intention de saluer le chef de l'Etat qui est l'élu de la Nation. Ils le font avec générosité et amitié. Certains usent de ce moment - et comme je les comprends - pour me présenter leurs doléances ou me dire ce qui, selon eux, ne va pas. J'aime entendre et recueillir l'ensemble de ces informations, l'ensemble de ces protestations, car j'ai besoin de le savoir.
- Tout gouvernant a besoin de savoir, de ne pas perdre le contact, de ne pas s'isoler dans ce que l'on croit être la solitude du pouvoir. Je ne connais pas, moi, cette forme de solitude. A vrai dire, je ne pourrais pas m'en contenter et je n'aurais certainement pas recommencé un nouveau mandat, si cela avait été pour me vouer à ce genre de solitude. Non, cela a été pour moi l'occasion de consacrer plus de temps encore à des obligations qui me paraissent devoir être remplies pour le bien du pays.
- Il n'y a pas de lieu où soit réuni plus que là où je suis l'ensemble des forces, des intérêts et des contradictions de la France. Mon devoir est de les comprendre et pour les comprendre, il faut les entendre et donc les rencontrer. Quelquefois, on en apprend plus, comme dans la vie privée par un regard, par un silence plutôt que par une parole. A d'autres moments, il est bon que les oreilles soient éveillées par la fermeté et la vivacité de ceux qui s'estiment injustement traités.
- Se sentir victime d'une injustice, c'est une souffrance. Si cette injustice en est une, alors il faut le dialogue, mais aussi la réponse. Comment guérir le mal ? Comment faire que notre société évolue de telle sorte qu'il y ait de moins en moins d'exclus ? Et il y a tant de façons d'être exclus, l'âge souvent, la condition sociale, l'origine, la couleur de la peau, la différence des langues, et des moeurs. J'observe cependant qu'au total le mouvement va dans le bon sens et que nous nous approchons du moment où l'on atteindra un rythme de croissance, sinon suffisant, du moins assez raisonnable, pour ne pas aggraver les effets de la crise. Nous en sommes là.\
Le gouvernement lui-même est affronté à une rude tâche, - vous me direz après tout c'est le rôle du gouvernement, si ce n'est pas eux qui faisaient cela, alors qui le ferait ? Un gouvernement n'est jamais fait pour marcher sur des roses, même quand on aime la porter à la boutonnière ou les brandir dans des fêtes populaires. Moi, j'aime beaucoup les roses.
- Mais le rôle de gouvernant, c'est aussi de savoir connaître les difficultés de la route et d'avoir le courage de les aborder. Je ne voudrais pas dire des choses cent fois répétées mais c'est vrai qu'il est très difficile et même impossible à un gouvernement de répondre en l'espace de cinq mois à l'ensemble des problèmes qui n'ont pas été résolus pendant longtemps. Je ne vais pas dire le nombre d'années, sans quoi on va tout de suite me soupçonner de faire le tri entre les expériences politiques que j'apprécie et celles que je n'aime guère : non, je ne fixerai pas de date : mais au total, c'est vrai qu'en 1988, on peut relever bon nombre de catégories sociales qui ont été délaissées. On ne peut pas vivre dans un pays comme le nôtre sans tenir compte de l'évolution hors de nos frontières. Non seulement l'évolution près de chez nous, à Bordeaux ou un peu plus loin, mais aussi l'évolution en Europe, dans le monde. Il nous faut donc assumer le contrecoup de tout ce qui se produit au Japon, aux Etats-Unis d'Amérique, en Allemagne ou ailleurs. Il faut être capable de supporter la concurrence. Comme nous disposons - j'en suis sûr - des moyens intellectuels et techniques de la capacité de jugement qui permet de faire aussi bien qu'ailleurs sinon mieux, cela me laisse finalement optimiste.
- Vous avez pu voir tout le long de ce petit voyage, l'accueil de la population qui, bien entendu, dépasse ma personne et va au chef de l'Etat, parce qu'on est Républicain. Et quand on est Républicain, cela ne veut pas dire que l'on doive devenir un béni-oui-oui à l'égard de ceux qui détiennent le pouvoir, cela veut dire simplement que l'on respecte les institutions, celles qui sont faites pour assurer un équilibre entre les intérêts souvent concurrents afin que nul ne soit victime des autres. Il faut qu'il y ait des arbitres, un arbitre. Il faut qu'il y ait un pouvoir de décision, il faut pouvoir trancher les problèmes. Il faut en somme pouvoir décider pour la Nation, quel qu'en soient le risque et la peine.\
Il suffit de voir ce qu'il est possible de réaliser dans nos communes de France, particulièrement à Saint-Médard qui en l'espace de peu d'années a franchi une grande distance comme beaucoup de petites villes, devenues plus grandes villes, avant de devenir vraiment grandes villes et qui ont dû affirmer leur identité ou retrouver leur identité autrefois villageoise, c'est-à-dire garder leur âme ou la retrouver au travers de transformations profondes qui pourraient paraître même destructrices.
- C'est vrai qu'avec de puissantes industries, avec la part consacrée au développement spatial, avec la très grande qualité de ses techniques et de son savoir, Saint-Médard-en-Jalles mérite qu'on offre à chaque catégorie de la population des moyens de vivre satisfaisants. Et notamment pour les personnes âgées que j'ai vues tout à l'heure, exprimer leur confiance dans la vie, avec cette gentillesse que l'on trouve si aisément dans ce pays d'Aquitaine et particulièrement en Gironde. Cela fait réfléchir à ce qu'il convient de faire. On se dit à la fois : ils sont très bien installés, la qualité du service rendu vaut bien le prix que cela a coûté à la collectivité et même beaucoup plus et en même temps ce n'est pas forcément l'idéal.
- Les personnes âgées aimeraient bien rester chez elles, aimeraient bien - si la santé le permet - rester dans leur environnement, dans leur maison, dans leur village avec leurs voisins, dans le paysage et parmi les gens qu'ils ont connus et aimés. On ne le peut pas toujours car il faut se soigner, il faut être entouré, et puis combien de ces personnes âgées ont perdu ceux qu'elles aimaient. Alors, des maisons comme celles-là sont les bienvenues. Mais il faut en même temps penser à développer pour les autres les soins à domicile.
- Cela serait au total moins onéreux. Il faut changer de conception et donc développer les professions qui permettront d'assurer ce type de soins.
- On sait bien que la vie passe. On sait bien que les saisons de la vie vous conduisent à connaître en fin de compte un hiver un peu rude. On le sait bien tout cela. Encore les sources de joie et d'espoir peuvent-elles n'être jamais taries pour peu que la société veuille qu'un peu d'amour et d'amitié viennent adoucir les cruautés inévitables du cours d'une vie.
- C'est pourquoi je veux voir se développer partout cette aide à domicile. J'en ai déjà parlé à diverses reprises au gouvernement pour qu'il accélère la cadence. Ce n'est pas moi qui ai inventé cela. Beaucoup pensent que c'est comme cela qu'il faut procéder, encore faut-il coordonner les efforts et s'organiser à cette fin.\
Pour les villages d'enfants, ce qui me frappe c'est cette formidable inégalité qui subsiste après un siècle d'école publique, cette admirable école publique qu'il faut préserver et développer. Cette école-là n'était pas en mesure de s'adapter sans un effort particulier des gouvernements à ce que nous avons connu à partir de l'après-guerre, c'est-à-dire l'afflux vers le secondaire. Et cette école n'était pas en mesure de s'adapter sans un effort puissant de la puissance publique, pas simplement du gouvernement mais des régions, des départements et des communes. Si les exclusions ne sont pas toujours évitables, combien d'entre elles pourraient être guéries dès le point de départ si nous avions les équipements nécessaires. Je sais que c'est à cela que s'applique avec une force et une volonté qui seront de plus en plus reconnues, le ministre de l'éducation nationale, qui a consacré beaucoup d'années de sa vie à se pencher sur ce type de problème.
- C'est vrai qu'il y a un certain nombre d'inégalités qui se sont accentuées à travers le temps. Il appartient à la puissance publique de fournir des réponses étalées dans le temps, de répondre à cette demande qui peut paraître excessive mais qui est fondée sur une protestation souvent légitime. Je fais vraiment toute confiance au gouvernement de la République, pour qu'il mène à bien cette tâche.\
Je reviens, avant de terminer, sur la bibliothèque. Vous savez que j'ai l'ambition de créer une bibliothèque en France comparable aux plus grandes, aux plus belles et aux plus modernes. Celle de Londres, celle d'Alexandrie, celle de Chicago.
- Une bibliothèque capable de rassembler tous les fruits du savoir, par le nombre d'ouvrages, de livres, de manuscrits, d'estampes, de dessins, en même temps que disposant de tous les moyens de la technique moderne. Et je veux que cette bibliothèque soit en mesure de diffuser son savoir à l'ensemble des universités de France et d'Europe. C'est un travail considérable. Nos plus belles et nos plus grandes bibliothèques ne disposent pas d'un matériel comparable à celui que possèdent un certain nombre de pays dans le monde.
- Alors je pensais à tout cela tandis que je visitais votre bibliothèque, située dans une ville d'importance moyenne, dans un département intéressant et harmonieux, qui, il faut le dire, connaît de grands éveils et qui n'a pas fermé les yeux sur les merveilles de la science et de la technique. Et croyez-moi, je m'efforcerai de vous aider dans cet effort.\
Je n'aime pas entendre les raisonnements défaitistes. Je ne sais pourquoi on ne voit dans l'oeuvre de la France que ses défauts. Moi-même, si je me laissais aller, je passerais mon temps à grogner ou à gronder, comme le font beaucoup de mes compatriotes. J'aurais tort. J'aurais raison sans doute d'être impitoyable pour les manquements. J'aurais raison de faire valoir les erreurs de parcours mais je vois aussi la France telle qu'elle est. Et dans l'ensemble du monde, elle tient sa place. Elle tient sa place parmi les plus grands, alors que sa démographie normalement devrait la faire reculer.
- Tandis que les populations de tant de pays dans le monde vont vers les cinq cents millions d'habitants et même davantage, nous restons au-dessous de soixante millions. Encore sommes-nous l'un des pays en Europe où la démographie tient le choc. Je veux dire par là que si l'on doute de soi, si l'on n'aperçoit à l'horizon que les nuages et la tempête, on n'a pas envie d'avoir des enfants et de les exposer aux difficultés que l'on a connues. Or nous ne sommes pas loin non plus de posséder l'instrument qui nous permettra d'abord de maintenir notre rang, ensuite de l'affirmer dans un moment qui peut être difficile, c'est-à-dire à partir de 1992, en n'ayant pas peur de l'Europe, mais en y allant carrément.
- Avoir peur de l'Europe, cela voudrait dire se refermer sur soi-même et se refermer sur soi-même ce serait pire encore. De toute manière nous serions assiégés parce que les autres fabriqueraient des objets que nos compatriotes désireraient. Et nos produits rencontreraient des barrières infranchissables. C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'autre solution que de croire en l'avenir, il n'y a pas d'autre solution que de s'atteler à la tâche, il n'y a pas d'autre réponse que le courage, l'intelligence, la volonté et la foi dans la Nation. Moi cette foi, je l'ai, je ne suis pas le seul heureusement car cela ne suffirait pas. Et je suis très heureux de m'adresser ici et au-delà de cette salle à des Français de toutes opinions qui croient dans les vertus de leur patrie, dans sa pérennité et dans ses chances de s'affirmer au sein des collectivités nouvelles, au sein des grands ensembles que le monde nous propose. La planète se rétrécit et désormais il n'est plus de distance.\
Dans quelques semaines je serai en Sibérie, j'observerai le lancement d'une fusée avec à son bord un Français, le général Chrétien, qui sera propulsé dans l'espace pour y rester quelques semaines. Je me réjouis de cette coopération entre plusieurs pays qui partagent leurs techniques et leurs efforts humains. Et combien d'autres expériences ! N'est-ce pas Ariane, n'est-ce pas Hermès, n'est-ce pas tout ce que je pourrais citer que l'on trouve à Bordeaux, à Toulouse, dans beaucoup de grandes métropoles françaises où l'Europe s'est associée pour le meilleur. Je l'ai vu récemment avec la télévision à haute définition pour laquelle les Européens sont capables de proposer des images, c'est-à-dire des moyens de communication supérieurs à ceux que produisent les Américains ou bien les Japonais.
- Alors ce que je voudrais vous dire, et j'en finis, mesdames et messieurs, c'est qu'il faut y croire, il faut garder son esprit critique, son goût de l'analyse, son pouvoir d'observation, sur les choses qui ne conviennent pas, sur les inégalités qui ne sont plus supportables, sur les injustices qu'il faut évacuer, mais en même temps, il faut croire au destin de la France parce que nous en avons les moyens et si nous en avons les moyens, nous en avons aussi la volonté. C'est le message que je voudrais communiquer ce soir à Saint-Médard-en-Jalles, poussé que je suis par les réalisations d'une collectivité moyenne qui a su trouver en elle-même les moyens de cette espérance. Merci.\