8 novembre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mémoire de Maurice Fognet, en l'honneur des enseignants et sur la politique de l'éducation, Marcheprime, mardi 8 novembre 1988.

Monsieur le maire,
- Mesdames,
- Messieurs,
- Me voici devant vous, dans cette petite ville qui n'était, il n'y a pas si longtemps, qu'un village. On se dira, mais pourquoi venir de si loin, alors que dans tant de villes de France se posent des problèmes difficiles, pourquoi avoir choisi Marcheprime ? Vous aviez raison tout à l'heure, monsieur le maire, de dire que cela avait à mes yeux une valeur symbolique. D'abord parce qu'il s'agit d'une école, ensuite parce qu'il s'agit de Maurice Fognet.
- Maurice Fognet fut pendant 14 ans directeur de cette école où Violette, sa femme, enseignait elle aussi. Ils ont vu grandir leur hameau de Marcheprime, commune de Biganos, et devenir commune à son tour. C'est devenu ensuite une petite ville de 2500 ou 3000 habitants, avec toutes les formes d'activités que représente cette vie à la fois rurale et citadine entre le bassin d'Arcachon et la grande ville de Bordeaux. Tous les corps de métiers, toutes les activités humaines sont ici représentés, et peu à peu par l'effort des habitants, des élus, des enseignants, cette commune de Marcheprime a pris toute sa signification. Le rôle de Maurice Fognet a été déterminant et ce n'est pas un hasard si aujourd'hui nous venons découvrir cette plaque qui porte son nom. Il faut bien se rendre compte, pour ceux qui ne l'ont pas connu, que Maurice Fognet, était le représentant typique des enseignants de France, avec le goût d'enseigner, de communiquer aux autres, et d'abord aux enfants, avec ce dévouement et cette vigilance, cette attention aux autres. Combien de maîtres se reconnaîtront dans ce portrait, qui ne le diront pas car ils restent modestes et ne désirent pas qu'on vienne leur faire des compliments. Mais ils savent bien que cela existe, beaucoup plus qu'on ne le pense. Il y a cet engagement personnel, ce sens du service public, cet amour des enfants. Il y a ce sentiment que l'on contribue à édifier quelque chose de plus grand qui s'appelle la République et, bien entendu, une République démocratique, c'est-à-dire une certaine conception des relations de l'homme et de la société.\
C'est le cas de milliers d'enseignants. N'oublions pas cela lorsqu'il s'agit de traiter des problèmes de l'école. On appelait cela, il y a un siècle, l'infanterie de la République et il est resté sans doute une certaine conception de la France et des devoirs de la France dans l'Humanité, il est resté le sentiment que le monde bouge et qu'il faut non seulement le suivre dans ses évolutions mais, le cas échéant, le précéder : c'est ce qui fait qu'aujourd'hui tant d'enseignants sont devenus chercheurs ou que des enfants d'enseignants ont poursuivi dans la carrière pour devenir cette cohorte d'enseignants dits supérieurs, bien qu'il n'y ait pas de supérieurs ni de hiérarchie dans le domaine de l'enseignement. Tous ces chercheurs continuent d'être, à mes yeux, l'élément vivant, vital - dirais-je - d'une nation qui reste présente parmi les plus importantes du monde et qui est restée fidèle à ses idéaux d'il y a deux cents ans, que nous allons célébrer l'an prochain.
- Les Français, et plus particulièrement ceux qui transmettent le savoir et la culture se sentent responsables au-delà d'eux-mêmes et au-delà de leur pays £ ils ont comme une mission à remplir, même s'ils évitent d'employer ce terme. Ils font un métier, ils remplissent une vocation, ils font quelque chose de plus grand qu'eux et ils le savent. C'est comme cela qu'à la fin d'une carrière professionnelle bien remplie, un homme comme Maurice Fognet avait cet optimisme, cette joie de vivre, cet esprit de construction, en même temps que ce goût de l'amitié et de la convivialité. Tous ceux qui l'ont connu, dont je suis, ont été très peinés lorsqu'ils ont appris sa mort et sont restés très attachés à sa maison où il m'arrive de me rendre pour retrouver son épouse et ses enfants. Maurice Fognet était un beau type d'homme qui représente mieux que quiconque ce qu'est l'enseignant français, le responsable d'école. Il a quitté Marcheprime parce que les obligations familiales devaient l'y contraindre, et il ne voulait pas quitter ce qui n'était encore, je l'ai dit tout à l'heure, qu'un village.
- Il a fallu aller à Bordeaux, diriger une grande école avec quelques dix-huit classes. C'était la reconnaissance de ses qualités, de ses qualités personnelles et professionnelles, mais cela ne lui plaisait pas tellement bien qu'il ait aimé aussi ce qu'il a fait à Bordeaux. Mais quitter la campagne pour la ville pour lui qui avait gardé un si profond goût de la nature, cela a été un sacrifice et un arrachement. Et puis la retraite, une retraite consacrée à la réflexion, à l'amour des autres et au goût toujours d'apprendre. Maurice Fognet, je vous l'assure, monsieur le maire, c'est un nom qui valait bien d'être sur ce mur et j'aimerais que les enfants de cette commune continuent d'apprendre, à travers les années qui viendront.
- Je crois beaucoup aux valeurs de l'histoire, à la mémoire collective. C'est grâce à la mémoire qu'un peuple peut préparer l'avenir tout en restant fidèle à ses sources. La mémoire de Maurice Fognet doit être préservée, particulièrement à Marcheprime, car c'est là qu'il a transformé en réalité l'immense idéal qui habitait son coeur et son esprit.\
Célébrer l'école, considérer l'école comme un objectif majeur d'une société en pleine évolution est un devoir auquel je ne veux pas manquer. J'ai saisi cette occasion qui m'était offerte par le souvenir et l'amitié, pour me retrouver en pleine terre de France, dans ce département de la Gironde, pour m'arrêter à Marcheprime que j'ai traversé si souvent. Ainsi je peux mieux connaître la France, ses paysages, la nature, la relation de l'homme avec les éléments, je peux mieux savoir comment s'est constitué en quelque sorte l'humus de notre pays. La France est comme un arbre. Sans humus, elle meurt. De quoi faut-il constituer cet humus, cette substance d'où l'on tirera vie, puissance, durée et rayonnement comme il en est aujourd'hui de cette immense forêt autour de nous ? Je ne peux le savoir qu'en rencontrant les Français, qu'en les retrouvant là où ils vivent et où ils travaillent. Certes, ce n'est pas tous les jours que vous venez ici entendre les enfants chanter un beau chant, un beau chant appris patiemment. Ce n'est pas tous les jours que les notables ou les représentants de l'Etat, de la région, du département se réunissent autour du chef de l'Etat. Donc, on pourrait déjà dire qu'il y a quelque chose de faussé, ce n'est pas une relation tout à fait normale mais moi-même, originaire de province et sachant comment on y vit, ayant représenté pendant trente-cinq ans un coin de France aussi rural que celui-là, je crois comprendre assez bien ce que vous êtes.\
Aujourd'hui, l'école représente une préoccupation majeure. Le ministre de l'éducation nationale `Lionel Jospin` a bien voulu m'accompagner. Il est ici et il m'entend, mais c'est lui que j'entends le plus souvent car je lui demande souvent de m'expliquer comment il conçoit maintenant son action. Il fallait des moyens, ces moyens lui ont été donnés, pas autant qu'il eût fallu - ce n'est jamais assez - mais c'est beaucoup plus que ce qui était auparavant. Quelques onze milliards de francs supplémentaires, une augmentation de 5,5 %, des créations d'environ 12500 postes répartis dans toutes les disciplines et à tous les niveaux de l'enseignement.
- Sur tous les plans, il convient que la priorité à l'éducation nationale, que j'ai fixée, soit respectée. C'est là que se forment les enfants, que se forment les hommes et les femmes de demain, c'est peut-être là que tout se décide. Une nation doit, surtout dans le monde moderne, veiller à ce que toutes les disciplines intellectuelles et techniques, toutes les données du savoir soient dispensées à l'école. Cela suppose que les maîtres et les enseignants eux-mêmes soient formés ou puissent se former de plus en plus pour adapter leur profession aux obligations du temps présent. Cela suppose que le maximum d'enfants puisse échapper au rejet si déplorable qui veut que tant et tant d'enfants n'accèderont à rien dans la société d'aujourd'hui parce qu'ils n'ont pas pu poursuivre leurs études à un niveau suffisant. Il existe tant d'inégalités à la base, que je pense souvent avec admiration au travail des enseignants, qui, à l'intérieur d'une classe, souvent nombreuse, doivent dispenser des formes d'enseignement divers, qui ne sont pas toujours complémentaires.
- Il reste encore trop d'enfants qui devenus jeunes gens, sont presque automatiquement écartés des métiers auxquels ils pouvaient prétendre. Je pense aussi aux rythmes scolaires, je pense aux programmes, je pense à toute cette évolution de notre vie qui voudrait que l'école puisse correspondre aux contraintes du travail des parents, de façon que la famille puisse continuer de vivre ensemble autant qu'il est possible. Oh, je sais bien que ce type de problèmes se pose moins dans une commune comme celle-ci que dans tant et tant de quartiers ou de villes de ce que l'on appelle les grandes banlieues, où les transports sont interminables. Mais cette adaptation de l'école, il faut aussi que nous en ayons le moyen, d'où l'importance des crédits.\
Il faut que le dialogue s'instaure et s'approfondisse chaque jour davantage entre le ministre, les responsables à tous les échelons et les enseignants eux-mêmes. Alors, on dira, oui c'est vrai, tout cela est vrai ! Encore faut-il que les enseignants aient le sentiment que leur fonction est reconnue, que la dignité éminente de leur fonction soit véritablement intégrée dans notre société.
- Je suis sûr que le gouvernement de la République, que le ministre de l'éducation nationale ont engagé leur foi, leur volonté, leur conscience et leur compétence pour réussir en quelques années, ce qu'il n'est pas possible de réaliser en six mois, mais ce qu'on a peut être trop souvent négligé de faire au cours des décennies précédentes.
- C'est une tâche immense ! On nous presse de tous côtés, on nous dit : nous voulons obtenir notre dû et notre droit £ cela ne me choquera jamais et puis en même temps, il faut pouvoir insérer ce droit dans les capacités de la France. Eh bien, je considère que l'éducation nationale que j'ai placée au rang des priorités de la nation, comme la formation professionnelle, comme la recherche et la culture, forme un des piliers sur lesquels doit désormais reposer la société française.
- Je souhaite que les jeunes puissent déboucher directement de l'université sur un métier, qu'ils soient en somme prêts à exercer le métier qu'ils auront appris plutôt que d'apprendre à faire un métier qu'ils n'exerceront jamais, soit parce que ces métiers appartiennent déjà au passé, soit parce que la France ne serait pas suffisamment équipée pour disposer des industries de l'an 2000. C'est à cet effort d'adaptation auquel j'appelle tous les Français. On a coutume de critiquer la France, et moi-même je ne manque pas de relever ce qui ne va pas. Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas, mais quand même la France reste le 4ème pays dans le monde à exporter des biens et des marchandises.
- A mesure que le temps passe, notre situation démographique s'affaiblit au regard de ces grands ensembles qui comptent 500 millions d'habitants et plus. Nous restons néanmoins au 4ème rang sur le plan de l'économie tandis que sur le plan de la défense du pays, nous nous plaçons au 3ème rang. Sur le plan de la capacité d'invention et de création, avec les crédits que nous consacrons aujourd'hui à la recherche théorique et appliquée, nous nous situons encore parmi les premiers pays du monde.
- Et si notre capacité avait fléchi au cours de ces derniers temps, j'ai tenu, avec le chef du gouvernement `Michel Rocard`, à ce que, dès le mois de juin dernier, soient accordés à la recherche les moyens qui feront que partout, dans tous les domaines, il y aura des enfants formés par vous, mesdames et messieurs les enseignants, et qui vont devenir des ingénieurs, des chercheurs, des savants, des experts car ce sont eux qui peuvent apporter à notre société des conditions telles que chacun n'ait plus qu'à se préoccuper de sa vie personnelle, domaine aux frontières duquel je m'arrête, car cela est l'affaire de chacun d'entre vous.\
Merci de m'avoir fourni l'occasion, monsieur le maire, de venir jusqu'à vous et d'avoir eu l'heureuse idée de célébrer le nom et la mémoire de Maurice Fognet. Merci de m'avoir aussi permis de me retrouver parmi vous, au milieu de la population de Marcheprime et des environs. C'est en venant comme cela, de place en place, à Marcheprime comme dans tant d'autres petites communes de France qu'il me sera donné, pour le temps que vous m'avez confié, de mieux connaître, donc de mieux comprendre, ce qui me reste à faire. Comme chacun d'entre vous, j'ai besoin de savoir et d'élargir mes connaissances. Qu'est-ce qui peut m'apporter ces connaissances ? Eh bien chacun d'entre vous car vous êtes la France et, chaque jour, j'ai beaucoup à apprendre, et de la France et des Français.
- Je vous remercie.\