1 novembre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'histoire de la culture européenne, sur l'empire carolingien et sur la construction européenne en vue du marché communautaire de 1992, Aix-la-Chapelle, le 1er novembre 1988.

Monsieur le Président de la République fédérale d'Allemagne `Richard von Weizsaecker`.
- Je vous remercie de la sagesse de vos propos et de leur acuité. Je vous remercie aussi pour les termes aimables que vous avez employés à l'égard des deux lauréats, particulièrement à l'égard de celui qui s'exprime maintenant. Après tout, nous ne faisons que nous inscrire dans une longue suite d'hommes et de femmes responsables qui ont tiré les conséquences nécessaires des conflits qui nous ont divisés et qui se sont exprimés au nom de nos peuples.
- Je remercie le comité d'attribution du prix Charlemagne qui a choisi cette année de rendre hommage, non pas à la contribution d'un seul ou de deux mais à l'oeuvre solidaire de deux pays : la République fédérale d'Allemagne et la France, dans le cadre le plus vaste, qui ne s'éloigne jamais de nos pensées et que l'on appelle la Communauté ou plus simplement l'Europe, les deux termes n'étant point semblables mais pouvant se rejoindre.
- L'Allemagne et la France, nous avons vécu leurs déchirements et nos pères avant nous. Pourquoi nous sommes-nous ralliés à cette conception nouvelle des relations entre ces deux ennemis d'hier qui se croyaient héréditaires ? Comme se sont crus ennemis héréditaires la Grande-Bretagne et la France pour quelques générations mais pas plus, l'Espagne et la France £ j'arrète là mon récit. J'observais récemment qu'il n'y avait qu'un seul pays en Europe où la France n'avait pas fait la guerre : c'était le Danemark. C'est un lieu où il est agréable de le dire - je veux dire lorsque je vais à Copenhague -. Encore le peuple français n'est-il pas nécessairement le plus batailleur de tous mais chacun pourrait tenir ici le même langage.
- Sans la réconciliation scellée au lendemain de la dernière guerre mondiale, sans le pari tenu de substituer à l'antagonisme séculaire une coopération solide, il eût été vain de songer à bâtir une Europe unie, cela vient d'être dit. Non pas que le couple franco-allemand représente à lui seul toutes les chances de l'Europe, mais sans ce couple-là, si divisé au long du 19ème siècle et du 20ème siècle, que serait-il possible de construire là où la géographie et l'histoire nous ont placés ?.\
C'est pour moi une véritable joie en cette année qui marque le 25ème anniversaire du traité d'amitié franco-allemand, de partager avec M. le Chancelier Helmut Kohl l'honneur de ce prix Charlemagne.
- Nous avons autour de nos travaux et de nos réflexions, bâti une entente solide, une amitié. J'avais déjà eu l'occasion d'entreprendre avec le chancelier Helmut Schmidt l'oeuvre à laquelle nous nous sommes attachés et je m'en étais entretenu, à d'autres titres et dans d'autres fonctions avec le Chancelier Brandt et avant moi, mes prédécésseurs Présidents de la République, avaient chacun accompli leur part de notre tâche commune. C'est pourquoi, je le répète, notre action s'inscrit dans une longue suite qui prouve que la volonté, plus que le choix de quelques hommes, marque véritablement le sens d'une histoire.
- Je suis très touché par la présence ici de Sa Majesté le Roi d'Espagne et de la Reine, dont le pays manifeste d'une façon si évidente son engagement européen £ comme je suis flatté de la présence de Son Altesse Royale le Grand Duc de Luxembourg : son peuple a été choisi il y a peu de temps pour ce prix Charlemagne et c'est dans ce pays d'Europe que se bâtissent tous les jours et que se sont bâties bien des constructions auxquelles nous sommes attachés. C'est dire que l'ensemble des personnalités ici présentes, citées par le représentant de la ville d'Aix-la-Chapelle et rappelées par M. le Président de la République fédérale allemande, représente pour le Chancelier Kohl et pour moi-même un environnement extrêmement chaleureux, très significatif et auquel j'attache pour ma part la plus grande importance.
- En effet, parcourant la liste des lauréats qu'au fil des ans vous avez choisis, j'ai retrouvé nombre de grands fondateurs de ce projet européen venus de ce qui fut autrefois - nous sommes à Aix-la-Chapelle - la Lotharingie carolingienne : Adenauer le Rhénan, Spaak le Belge, de Gasperi le Lombard, Schuman le Lorrain né au Luxembourg.
- A tous nous devons d'avoir pu avancer et aussi à mon compatriote charentais, Jean Monnet. Nous sommes originaires de deux petites villes, à quelques kilomètres seulement de distance, et enfant, je crois avoir eu l'occasion de regarder avec admiration cet homme qui commençait d'être reconnu bien au-delà de l'Europe et qui rentrait des Etats-Unis d'Amérique. Je ne pouvais encore deviner ce que serait l'épanouissement de celui que nous célébrerons dans quelques jours à Paris, au Panthéon. Eh bien, ce sont ceux-là et d'autres encore qui ont fait l'Europe parce qu'ils ont compris après le désastre, que nous n'avions aucune chance de jouer jamais un rôle dans le monde, ni d'échapper à de pires désastres si nous n'étions capables de franchir l'obstacle que l'histoire nous proposait.
- Ceux qui, dès 1949, eurent l'idée de ce prix Charlemagne ont pris leur part de ce combat qui, à ses débuts, pouvait paraître comme une sorte de rêve, rêve de quelques-uns £ croyez-moi, si l'on commence à en apercevoir la réalité, ce rêve exige encore et toujours vigilance et constance.\
A Aix-la-Chapelle où je me trouvais il y a peu, dans cette salle et dans cette église que je visitais avec un intérêt passionné, dans cette ville donc on est par la force des choses, des pierres et de l'histoire, imprégné de ce que Français et Allemands nous avons reçu en commun héritage.
- Vous l'avez rappelé : il y a plus d'un millénaire, un souverain nomade comme l'étaient ceux de son temps, a décidé de se fixer et de faire d'Aix-la-Chapelle le centre d'un empire où bien des peuples de l'Europe actuelle ont commencé de vivre ensemble.$ C'est de cette fondation que dérivèrent un jour et l'Allemagne et la France. Un temps rassemblés nos peuples se séparèrent, s'affrontèrent. Et cependant jamais ils ne cessèrent de référer leur histoire à cette commune origine. Aujourd'hui encore ils en portent l'empreinte. Le destin paradoxal de l'Europe d'après Charlemagne, ce sont ces conflits meurtriers, ces haines remâchées, ces revanches sans fin. Mais en même temps, jamais rompre l'incessante circulation des idées et des hommes qui ont fait du Moyen-Age au 20ème siècle, la vitalité de la culture européenne, notre culture.
- L'Europe géographique, la notion en est parfois incertaine, le "petit cap" de Paul Valéry n'est pour les géographes qu'une presqu'île d'un vaste continent, eurasiatique. L'Europe économique et politique elle-même, bien que très tôt certains en aient rêvé comme notre roi français Henri IV ou Kant avec sa confédération générale des Etats européens, après tout, cette Europe économique et politique n'est que de conception récente. Tandis que l'Europe des idées et de la culture, elle n'a jamais cessé de vivre, même au plus fort des affrontements guerriers.
- Et Aix-la-Chapelle fut pour cette Europe un foyer de renaissance. Je salue cette ville en tant que telle.\
J'établirai précisément ici un lien entre l'ambition éducative et artistique de Charlemagne pour son Empire et la nécessité présente d'une Europe plus forte de sa culture. Car Charlemagne n'était pas simplement un chef de guerre valeureux qui, comme on le dit à l'époque, "dilatat le royaume" jusqu'aux lisières du monde slave et aux confins ibériques.
- A la gloire des armes et au souci d'affirmer sur de vastes territoires la cohésion d'un Etat naissant, il joignit un véritable projet éducatif et culturel pour lequel il mobilisa, dans l'Europe entière, les plus diverses compétences. Vous le rappeliez judicieusement, monsieur le Président de la République fédérale allemande, particulièrement les compétences anglaises, irlandaises, italiennes, espagnoles. Il avait pris beaucoup d'avance sur quelques-uns de nos contemporains.
- Je considère que l'éducation et la culture sont des facteurs de cohésion indispensables. Nous l'avons dit il y a quelques temps à Francfort lorsque nous y tenions un sommet. Ce que Charlemagne a compris il y a bien longtemps, pourquoi l'aurions-nous oublié ?
- Les précieux capitulaires parvenus jusqu'à nous témoignent de la mise en oeuvre minutieuse de cette grande réforme scolaire. A Aix même, l'école palatine en était le prototype et le moteur. Savants, lettrés furent mobilisés, réunis à l'académie palatine. On construisit, empruntant et adaptant les formes et les techniques qui avaient fait merveille ailleurs, cette chapelle sur laquelle s'érigea ensuite votre cathédrale. Bref, on donna l'impulsion d'un renouveau. Ces foyers culturels et d'études survécurent au partage de l'empire, à la désunion des peuples jusqu'à nos jours. Encore faut-il que nous soyions capables d'en renouveler les modes et d'en développer toutes les chances.
- Durant tout le Moyen-Age, de monastères en universités, les étudiants européens, pour se former, circulaient d'Est en Ouest, du Nord au Sud. Les humanistes de la Renaissance allaient en Italie, en Hollande, en Angleterre. La philosophie des Lumières à partir de Paris, le romantisme allemand se diffusèrent à leur tour en grandes ondes à travers l'Europe. Et les inter-actions entre l'Espagne et la France ont marqué quelques grands moments des siècles les plus fameux de notre culture renaissante.
- Ainsi s'est ébauchée, mêlée à d'autres influences plus anciennes ou plus lointaines, une forme de civilisation qui constitue pour l'Europe d'aujourd'hui la vraie chance, la chance réelle de réussite.\
J'insiste sur cette Europe de la culture parce que c'est le ciment trop inutilisé alors qu'il est à notre portée.
- Nous avons voulu le marché unique - n'est-ce pas Helmut Kohl - les discussions si rudes commencées à Milan, poursuivies et réussies à Luxembourg ont abouti a un traité qui n'est pas né du hasard et qui a dû dès le point de départ, surmonter bien des difficultés. Cet horizon est maintenant proche : 1992-1993. Des institutions politiques communes existent, elles fonctionnent. Pas toujours aussi bien qu'il faudrait, pas toujours aussi vite mais enfin nous sommes sur la bonne voie. Et à côté de cela, l'Europe vivante, l'Europe des citoyens qui doit gagner confiance en son avenir et qui devrait être plus consciente de sa culture.
- Bref, d'innombrables liens y prédisposent, les moyens modernes de communication nous y encouragent et pourtant encore que de risques et que de menaces.
- L'Europe de la culture en même temps qu'elle se fait, se défait et si cette Europe-là se défait il n'y aura durablement ni Europe économique ni Europe politique. Cela devrait commencer très tôt : par l'apprentissage des langues, l'enseignement de l'histoire, l'habitude d'aller étudier les uns chez les autres, les uns avec les autres comme y poussent d'excellents programmes que l'on appelle Erasmus, Comete, et Yes ou Jeunesse pour l'Europe. Cela touche à toutes les disciplines artistiques et intellectuelles, aux livres qu'il faut traduire davantage, aux grandes bibliothèques européennes qu'il faut relier, au patrimoine architectural.
- J'ai ressenti, je ne suis pas le seul, l'incendie d'une partie du vieux Lisbonne comme un drame personnel. Tout devrait nous être commun.\
Mais permettez-moi de m'arrêter un instant sur un domaine auquel je tiens, le plus neuf sans doute mais après tout celui où convergent les périls : la production audiovisuelle qui est à la fois une industrie, un art et un moyen moderne d'éducation et qui représente pour l'Europe un formidable enjeu. Nos pays comptent pour le cinéma, la télévision, de nombreux créateurs. La multiplication des chaînes, les satellites, offriront demain des possibilités décuplées de diffusion. Le marché européen représentera en 1992 plus de 100000 heures de programmes télévisés aujourd'hui sur 100 heures de programmes achetés en Europe, 8 seulement proviennent d'un autre pays européen et nous ne représentons à nous tous que 15 % de ce qui s'exporte dans le monde. Comment ne pas le comprendre : à compter du moment où nous recevrons la technique japonaise et la culture américaine, aussi intéressantes que soient ces techniques, aussi enrichissante que soit cette culture, que deviendront nos racines même dans notre diversité, diversité qui eut déjà tant de peine à devenir complémentaire ?
- C'est pourquoi j'attache beaucoup d'importance au projet Eurêka audiovisuel qui doit permettre la création, la production de richesses nouvelles, comme l'a souhaité le Conseil de Hanovre, et donner une place à la mesure de notre culture au développement de l'Europe.
- D'autres outils existent et doivent être développés. Je pense à Eurimages, ce fonds de soutien à la co-production et à la diffusion d'oeuvres réalisées conjointement par plusieurs pays européens.
- S'ouvrir aux images venues d'ailleurs, bien entendu il le faut aussi. Ce que je dis là ne signifie pas qu'il faille se fermer aux autres formes d'expression mais on ne peut accepter passivement d'en être submergé. Ce serait renoncer à créer et à être soi-même. Où se forment les structures du cerveau, l'imagination, la part du rêve et du langage sinon là où se trouve la culture de ceux qui ont vécu sur notre terre, dans ce continent qui lui-même en a formé d'autres ? Serions-nous les premiers à accepter de renoncer à cette capacité d'échange, de réflexion ? J'espère que l'Europe le comprendra.
- C'est une forme de combat. Il ne faut pas manquer le rendez-vous de la modernité. La France et l'Allemagne ont là-dessus une responsabilité particulière. Je pense à la signification du projet de chaîne franco-allemande, première étape d'une télévision culturelle vraiment européenne. La technologie moderne est là qui nous permettra de dépasser des barrières linguistiques en diffusant simultanément en plusieurs langues un même programme.
- L'adoption d'une norme européenne que j'ai pu voir de mes propres yeux, capable d'assurer la compétition pour un standard mondial de haute définition, cette norme européenne est à notre merci.
- Sachons pour l'Europe tirer partie de la créativité technique et artistique de nos différents pays, de cet ensemble de goûts et de valeurs que l'on appelle une civilisation. Et si j'insiste sur ce point, c'est parce que rater ce rendez-vous là, nous fera manquer les autres.\
Vous avez insisté, monsieur le Président de la République fédérale d'Allemagne, sur le fait - vous aviez bien raison, c'est un thème que je reprends moi-même le plus souvent possible et qui devient plus encore d'actualité par les temps qui courent - sur le fait que l'Europe, c'est vrai, ne s'arrête pas aux frontières de la Communauté. D'est en ouest, nous sommes également Européens, vous l'avez rappelé. Les grandes universités du Moyen-Age rayonnaient à Valence comme à Budapest, à Heidelberg comme à Cracovie, à Paris comme à Prague, je pourrais en citer d'autres encore.
- Je suis allé moi-même voir sur place parce que cela m'intéressait, de quelle façon s'étaient développées les formes de l'enseignement à Salamanque et au Portugal. J'en ai tiré le même enseignement et partout j'ai trouvé autant d'esprits avides de s'initier et de répandre les formes modernes de la culture dont je viens de parler à l'instant.
- Nul mieux que les Allemands ne peut témoigner de cette proximité de territoire de mémoire et d'espoir. L'Europe que nous bâtissons veut être maîtresse de son destin, et doit rester ouverte à toute autre partie d'elle-même. L'Europe, c'est nous et quelques autres. Entre nous et ces quelques autres, ne pensons pas rivalité : elle existe dans les faits, les idéologies, les intérêts économiques, les systèmes commerciaux, les formes de pensée ou de philosophie. Mais pourquoi inscrire ces formes diverses dans une fausse éternité ? Ce que nous faisons montrera ses valeurs attractives à l'Europe qui n'en est pas. Et nous avons à retirer beaucoup de cette Europe-là pour parfaire ce que nous sommes.
- Alors l'histoire, la géographie, c'est aussi la sécurité, c'est l'intérêt de tous. Comment dépasser l'affrontement des blocs hostiles ? Je pense personnellement que l'existence de la Communauté de l'Europe, de l'Europe unie, consciente de ses valeurs, aidera largement à mieux comprendre l'autre Europe. C'est un instrument nécessaire, ce n'est pas antinomique, cela se rejoint. Chaque fois qu'il m'arrive de parler de la Communauté, je pense aussi à ceux qui n'en sont pas, à ceux qui au-delà de ces frontières-là nous écoutent plus que nous ne le croyons nous-mêmes. Je ne dis pas cela en termes d'expansion. Nous avons auprès de nous de vastes empires. Simplement, il faut savoir quel langage on veut employer, de quoi on veut parler. Est-ce qu'on ne parlera qu'en termes de compétition et le cas échéant en termes de compétition militaire ?.\
Je me suis réjoui de ce que les deux plus grandes puissances du monde aient engagé le dialogue sur le désarmement. Quelle qu'en soit la forme, c'est à prendre en espérant que la contagion gagnera du terrain. Force nucléaire intermédiaire, oui, sans doute, mais aussi force stratégique, mais encore force classique, force conventionnelle, force chimique, massées en Europe, accumulées sur ses territoires et pour ce qui est de l'armement classique, conventionnel ou chimique, au détriment de l'Europe occidentale. Il faut encourager ceux qui, quel que soit leur mobile, se sont engagés dans cette voie, plutôt que de les freiner il faut les y pousser.
- Je représente l'un des cinq pays détenteurs de la puissance nucléaire. Je considère que cette puissance est une façon pour mon pays, comme vous l'avez dit, monsieur le Président de la République fédérale d'Allemagne, non pas de gagner la guerre, mais de l'interdire. Je voudrais que cette conception fût celle de l'ensemble des alliés, aujourd'hui unis à l'Ouest. Non pas pour gagner la guerre, que gagnerait-on au demeurant ? Mais pour l'interdire. Cela ne peut pas signifier qu'il faille fermer les yeux et répondre aux aspirations de notre coeur en oubliant les commandements de la raison et ceux de l'histoire. Cela veut dire que dès que l'on trouve un partenaire qui accepte de s'engager sur ce terrain-là, il faut lui demander d'aller plus loin et organiser les contrôles nécessaires. A-t-on suffisamment souligné que le contrôle était lié au désarmement, à la sécurité collective et que pour la première fois, un système commençait de se mettre en place pour contrôler là où elles sont disposées les armes que l'on pourrait penser adverses.\
Alors tout cela est lié, comme vous l'avez dit, monsieur le Président, avec le problème de l'Europe des droits de l'homme. Nous n'allons pas effacer, oublier, faire semblant de croire que les droits de l'homme sont désormais respectés par chacun. Des preuves doivent être données, même si les conceptions ne peuvent s'identifier en si peu de temps, sur la façon dont on considère les relations de l'homme et de l'Etat, du citoyen et de la société, de l'individu et de la collectivité. Il n'empêche qu'aucun système, avec lequel il serait possible de bâtir une entente durable, ne peut nier les droits de l'homme. Cela doit être entendu. Mais nous ne pouvons pas non plus nous servir des progrès de notre propre civilisation, de notre mode d'existence ou des régimes qui sont les nôtres, que nous considérons comme des hâvres de paix pour le citoyen, pour refuser de considérer qu'ailleurs aussi des progrès sont consentis et que nous avons commencé d'en débattre.
- La liberté tout simplement, on ne fera rien sans la liberté, pas plus qu'on ne fera rien sans culture. Après tout, ce sont peut-être les mêmes mots ou plutôt des mots différents qui disent les mêmes choses.\
J'en terminerai, mesdames et messieurs, nous sommes à l'orée d'une année, 1989, qui nous rappelle des souvenirs à nous, particulièrement, français, mais aussi au reste du monde et il se trouve que, précisément, après l'Allemagne qui a vraiment bien rempli son rôle, l'Espagne et la France auront tout le long de l'année prochaine à présider aux destinées de la Communauté.
- Il faut que nous sachions cerner nos ambitions. Les miennes, je l'ai déjà dit, répété, c'est qu'il faut certes poursuivre avec patience et ténacité l'objectif, c'est-à-dire l'instauration d'une Europe politique avec des institutions plus fermes, une vie démocratique - par l'intermédiaire du parlement -, plus intense, une plus grande communication entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés. Cela c'est l'objectif, avec le relais pour 92-93 du Marché unique. A l'intérieur de cette démarche, il convient que dès l'année prochaine l'Europe marque définitivement qu'elle entend se doter d'une véritable monnaie. Qu'elle veut se donner le moyen de sa culture. Qu'elle fasse un projet culturel autour de l'audiovisuel dont j'ai dit un mot tout à l'heure. Qu'elle s'élargisse aux conceptions sociales. On ne peut imaginer que l'Europe de la Communauté persévère sans que les travailleurs, employés dans l'industrie ou à la campagne selon les spécificités de chacun d'entre nous, voient leurs droits élémentaires garantis par des conventions collectives communes et sans que les démarches pour l'organisation du travail et sa sécurité ne puissent au cours de l'année prochaine faire un pas considérable en avant. Une monnaie, une culture, Eurêka audiovisuel, un espace social, un environnement aussi. Car il n'y a pas de frontières pour les désastres causés à la nature de l'Europe tout entière, pas plus qu'il n'y a de frontières entre les continents.
- Enfin, je souhaite que la Communauté prenne conscience davantage de ses obligations au regard des pays en voie de développement, de ce que l'on appelle grossièrement le tiers monde. Il n'y aura de prospérité pour personne si nous laissons couler l'ensemble des pays pauvres ou qui s'appauvrissent chaque jour simplement parce qu'ils n'ont pas été en mesure, au moment voulu, de disposer des techniques nécessaires. Ou simplement aussi parce que notre monde à nous a usé de son pouvoir et de sa puissance à l'époque coloniale pour créer les bases d'un pacte égoïste qui, en fait, tout en apportant de nombreux bienfaits a peu à peu ramené vers nous-mêmes les richesses du temps moderne.
- Je voulais dire cela à Aix-la-Chapelle.
- Ceux qui sur les ruines et sur les blessures encore vives de la deuxième guerre mondiale, ont voulu l'Europe, ont donné raison au grand poète allemand Holderlin : "avec le danger, croit aussi ce qui sauve". Ayons conscience des dangers et nous ferons ce qui sauvera.\