22 octobre 1988 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, à Radio-Canada le samedi 22 octobre 1988, sur son éducation et sa vie privée.
QUESTION.- Monsieur le Président, les Canadiens ne connaissent pas toutes les subtilités de la politique française mais il y a chez nous beaucoup d'admiration pour le personnage François Mitterrand et, quand on fouille un peu derrière cette admiration, une remarque qui revient souvent c'est : "cet homme a compris des choses que ses adversaires n'avaient pas comprises et le peuple l'a suivi". Est-ce que c'est une bonne ...
- LE PRESIDENT.- Qu'il m'ait suivi dans sa majorité, c'est certain, c'est à vous de tirer le commentaire. Je lui ai proposé quelques grands objectifs et, d'autre part, depuis déjà sept ans, les Français avaient coutume de me voir exercer la présidence, je pense qu'ils ont préféré me voir continuer plutôt que toute autre hypothèse.
- QUESTION.- Mais il y a quand même, si on vous compare à d'autres personnages, il y a chez vous une rigueur, une volonté de rester calme alors qu'il y a la tourmente autour, et la vie politique, évidemment, c'est le contraire, c'est la tourmente.
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est le bruit, le mouvement, la rumeur permanente mais ce n'est pas, de mon point de vue, une sorte de philosophie, c'est sans doute parce que cela correspond à mon propre caractère et aussi à l'expérience que j'ai acquise après quarante ans de vie politique au Parlement où j'ai pu faire le point sur la relativité de bien des émotions successives, d'agitations inutiles, de conclusions tirées avant l'heure. Les événements doivent se dérouler selon un rythme et il faut attendre que ce rythme se soit déroulé pour en juger.
- QUESTION.- Mais, par exemple, vous avez déjà dit : "J'aurais été ridicule de me préparer à une fonction comme celle-là, j'étais prêt à rester dans l'opposition très longtemps, je pouvais tenir encore très longtemps". Mais si vous y étiez arrivé bien avant, auriez-vous pu avoir cette maîtrise de la fonction, parce que l'on sent chez vous une maîtrise de la fonction.
- LE PRESIDENT.- Peut-être pas. J'aurais pu être élu, en 1974, je pense qu'à cette époque mon expérience de la vie politique française et des problèmes qui touchent à mon pays eût été suffisante. Mais c'est vrai que, par un certain nombre d'affrontements, d'épreuves, j'ai pu connaître la France dans tous ses détours, j'ai vu, depuis la dernière guerre mondiale, le fonctionnement de deux régimes et, à la tête de nos affaires publiques, des hommes de caractères très différents £ c'est vrai, je pense qu'en 1981, puis 1988, j'avais sans doute une plus grande maîtrise de moi-même, donc des choses.\
QUESTION.- Et on a l'impression que, quand vous êtes arrivé, vous citez à un moment donné votre prédécesseur `Valéry Giscard d'Estaing` qui vous avait dit : "Vous verrez, la solitude ce sera très dur" et vous dites aux journalistes qui vous questionnent : "Je ne l'ai pas vécue, j'ai maintenu ma vie à peu près comme elle était auparavant", vous aviez cette idée-là en arrivant, de ne pas vous laisser envahir par la fonction ?
- LE PRESIDENT.- Oui, mais je ne l'ai pas éprouvé, ce sentiment de solitude. Je continue, comme vous l'avez dit, de mener ma vie, j'habite très souvent chez moi et non pas dans les palais officiels et s'il est vrai que mes obligations sont multiples et peuvent créer un écran entre l'opinion publique et moi, entre les autres, les Français, et ma propre fonction, je m'efforce de briser cette glace et je sors très souvent, je me promène dans la rue, je bavarde sur le trottoir avec les gens que je rencontre, je vais dans les magasins, j'achète des livres ...
- QUESTION.- Et ils réagissent bien ?
- LE PRESIDENT.- Je vais déjeuner ou diner au restaurant, je vais au théâtre ou au cinéma - je ne passe pas mon temps à cela - mais je le fais suffisamment pour que je n'aie pas le sentiment en tout cas d'avoir été coupé de mes contemporains.
- QUESTION.- Et il y a un paradoxe parce que vous dites aussi, à un moment donné, je mène une vie très austère et pourtant si on compare la vraie solitude des chefs d'Etat qui se laissent couper de leurs contemporains, c'est moins austère ce que vous décrivez, il reste là les plaisirs habituels de la vie d'un citoyen, vous les avez gardés.
- LE PRESIDENT.- Les plaisirs, les peines, la vie, c'est tout.
- QUESTION.- Est-ce que, à l'occasion, on dit que, par exemple, votre vie familiale est extrêmement importante pour vous et votre famille est quand même assez large - vous étiez huit enfants, si je ne m'abuse, chez vous - cela c'est resté pareil ou les rapports changent à l'intérieur des ...
- LE PRESIDENT.- Ils sont restés les mêmes. Nous sommes huit frères et soeurs, tous vivants aujourd'hui, alors que naturellement, beaucoup de temps a passé, nous n'avons jamais cessé de nous voir beaucoup et nous continuons. D'autre part ma vie familiale propre se déroule normalement. Mon élection, mes deux élections n'ont rien changé à cela.
- QUESTION.- Mais cela demande une volonté farouche, il me semble ?
- LE PRESIDENT.- Il faut faire attention.
- QUESTION.- Par exemple, vous racontez que vous aimiez vous recueillir avant votre élection sur les tombes de vos proches ou de vos parents et vous avez eu peur que cela devienne un spectacle si vous continuiez ...
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas passé mon temps, contrairement à ce qu'a dit une presse critique, je n'ai pas passé ma vie dans les cimetières mais enfin mes parents sont morts, depuis longtemps déjà, quelques amis qui m'étaient très chers, qui m'avaient beaucoup aidé, qui m'ont apporté beaucoup de leur propre vie et de leurs propres sentiments, c'est vrai que j'ai songé, après ma première élection, à méditer un moment devant leur tombe, à la fois par sentiment de gratitude et par, peut-être aussi, une façon de communiquer par la pensée avec ce que j'avais reçu d'eux. Je me suis rendu compte tout de suite, la première fois que je me suis rendu dans ma petite ville natale pour me rapprocher de mes proches racines, il y avait là des dizaines de journalistes, de radios, de télévisions, bon !
- QUESTION.- Cela vous a déçu ?
- LE PRESIDENT.- Je n'y suis pas allé. J'y suis retourné depuis, bien entendu, mais sans qu'on le sache.\
QUESTION.- Et les rapports aux autres, pas les proches mais les autres ? Quand je vous lis, j'ai l'impression que vous respectez beaucoup la sincérité mais vous dites aussi : "Je ne peux plus faire la part des choses. Il y a sûrement autour de moi des arrivistes, des gens pas sincères, je suis indifférent maintenant, je ne fais plus la part des choses, j'y perdrais mon latin". Mais cela doit être décevant pour vous ?
- LE PRESIDENT.- Je ne les cherche pas, quoi ! Je ne vais pas essayer de démêler, dans l'esprit de chacun de ceux que je rencontre, la vérité de leurs pensées ou ce qui ne serait pas la vérité. Non, j'ai des amis fidèles, je leur fais confiance, des collaborateurs avec lesquels je m'entends bien, pour le reste ...
- QUESTION.- Mais vous n'avez pas peur de voir qui répondra, vous n'avez pas peur d'être manipulé ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne suis ni naïf ni méfiant à ce point.
- QUESTION.- Parce que je me rappelle d'avoir lu un texte, je crois que c'est votre soeur Geneviève qui disait : "Depuis son élection" et elle c'est peut-être un meilleur baromètre, parce qu'elle a moins l'habitude de la vie publique, elle dit : "c'est étonnant les gens qui, soudainement, font renaître leur amitié avec moi cela me déçoit".
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas étonnant, c'est bien banal.
- QUESTION.- Et les amis, justement, ils ont beaucoup compté pour vous, j'ai lu un très bon entretien avec Jean Lacouture là-dessus ...
- LE PRESIDENT.- Quelques-uns, comme pour vous. On n'a pas beaucoup d'amis, ceux qui en ont quelques-uns sont déjà très riches.
- QUESTION.- Et quelqu'un comme Mauriac a beaucoup compté pour vous et ce que vous dites de lui c'est : "il n'aimait pas les garnitures", encore une fois ce souci ...
- LE PRESIDENT.- Mais Mauriac c'est un peu différent, Mauriac était un ami de ma mère, parce qu'il avait été un camarade de collège puis d'études à Paris du frère de ma mère, donc de mon oncle, lequel est mort alors qu'il avait vingt ans ce qui avait laissé un souvenir déchirant à François Mauriac et quand je suis venu moi-même à Paris - comme on disait "monté à Paris" - à partir de ma Charente natale, mes parents m'ont tout naturellement dirigé vers les quelques personnes qui semblaient pouvoir me guider utilement. Donc j'ai rencontré François Mauriac, nous nous sommes liés d'amitié jusqu'à sa mort. De là à prétendre que j'étais un familier de chaque instant, non. Nous avions des points de repère.
- QUESTION.- Et vous êtes "monté" à Paris et - dans les romans de Mauriac on montait à Paris et, bien avant dans les romans de Balzac, les romans de Stendhal - vous avez aussi dit ...
- LE PRESIDENT.- Surtout quand on vient d'Angoulême naturellement ...
- QUESTION.- Oui, comme Lucien de Rubempré.\
`Suite` QUESTION.- Et vous avez dit en décrivant cette vie, que c'était une vie où par exemple il n'y avait pas l'automobile, c'était une vie plus rapprochée du XVIIIème siècle, çà cela vous fait ...
- LE PRESIDENT.- Ca, ce sont les quinze premières années de ma vie où j'ai vécu tout à fait à la campagne, dans une maison qui était éloignée en effet non seulement de toute agglomération mais du premier hameau. Ce n'est pas si loin que cela, je ne suis pas centenaire, mais c'était dans les années trente et, à cette époque en effet, ces maisons isolées à la campagne n'avaient pas l'électricité, n'avaient pas l'adduction d'eau, il fallait donc s'éclairer au gaz, on allait chercher l'eau au puit ou à la rivière. Nous n'avions pas d'automobile, donc nous voyagions avec des voitures à cheval, tout cela paraît évidemment antédiluvien, on dira XVIIIème siècle, pour garder la mesure et, d'un seul coup, un peu plus tard, lorsque je suis devenu étudiant, lorsque j'ai été pris à 20 ou 22 ans par la guerre, bien entendu j'ai plongé dans un autre monde.
- QUESTION.- Mais si je vous demande ça, c'est que j'ai l'impression que les Français, quand ils vous écoutent, sont rassurés parce que vous faites le lien avec une époque qui était quand même moins déboussolée. Ils se disent ...
- LE PRESIDENT.- Je pense que je dois beaucoup à cette sorte de stabilité intérieure qui m'a été communiquée par les conditions de ma vie au cours de mon enfance, par les tempéraments de mes parents et de mes grands-parents, par mon environnement, c'est sûr. Par la contemplation toute simple j'ai appris à savoir qu'il y avait quatre saisons chez moi et que chacune de ces saisons était belle.
- QUESTION.- Autre paradoxe, vous avez dit de votre père qu'"il communiquait peu mais bien" et je trouve que cela vous décrit également très bien à cette époque où on a l'impression que parce que les communications électroniques dominent il faut en mettre beaucoup, vous en mettez peu et cela marche très bien, il me semble.
- LE PRESIDENT.- Mon père était beaucoup plus strict que moi. Il disait très peu de choses, il donnait très peu de conseils mais il était là quand il fallait et j'aimerais bien pouvoir approcher de sa sagesse.
- QUESTION.- Et s'il savait aujourd'hui que vous êtes devenu Président, il serait ...
- LE PRESIDENT.- Il en serait content, certainement, il en serait content, content pour moi, content pour lui mais cela ne l'égarerait pas.
- QUESTION.- Et là je regarde votre poignet parce que j'ai également lu que vous ne portiez pas de montre et quelqu'un, qui faisait peut-être un peu de psychanalyse facile, disait : "Ah ! il réagit à sa mère qui, elle, était très activiste ..."
- LE PRESIDENT.- Il est très calé votre psychologue, oui, c'est peut-être vrai ... je n'en sais rien ! Mais je ne pense pas, je n'aime pas le contact d'une montre sur mon poignet, c'est comme ça, comme je ne porte pas de montre à mon gousset c'est une mode oubliée depuis longtemps déjà, mais j'ai une horloge dans la tête, puis j'ai tellement d'occasions lors de mes fonctions, je ne suis vraiment jamais en déshérence !
- QUESTION.- Mais j'ai toujours l'impression que vous luttez un peu contre la fonction, ce n'est peut-être pas la montre, mais que vous ne laisserez jamais l'agenda ou quoi que ce soit vous prendre ...
- LE PRESIDENT.- Vous avez raison, si je me laissais faire, je n'existerais plus, en tant qu'individu.\
QUESTION.- Et cela pose d'autres problèmes, par exemple ces excursions que vous faites dans Paris ou à Venise, à peu près incognito mais pas tout à fait, j'imagine que l'appareil n'est pas content ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est jamais incognito mais je vais souvent dans les Landes, chez moi, je vais souvent, toujours en Charente, mon pays d'origine où j'ai encore beaucoup de familiers. Je retourne dans la Nièvre, que j'ai représentée au Parlement pendant trente-cinq ans, et puis de temps en temps, je vais à l'étranger, vous avez raison, à Florence ou à Venise, j'aime beaucoup aller là-bas, je ne fais pas de mystère mais je ne m'annonce pas non plus à coup de trompettes et j'évite d'emmener avec moi un régiment £ je veux vivre simplement et normalement, comme tout le monde. Alors je n'y arrive pas tout à fait et, naturellement, je ne m'en plains pas. Comment pourrais-je l'éviter ? Certaines surveillances, la presse s'intéresse plus à moi qu'elle ne l'aurait fait autrement, si j'étais resté simple particulier, je m'y fais, j'aimerais simplement avoir suffisamment la paix pour pouvoir aller voir une exposition qui m'intéresse ou, tout simplement, me promener dans les rues.
- QUESTION.- Mais, cela aussi, ça tranche parce que avec l'époque et avec les autres, parce que la plupart des hommes d'Etat aujourd'hui affirment, prétendent que c'est impossible, que l'appareil décide pour eux. Ce n'est pas vrai ?
- LE PRESIDENT.- Quand je vais dans certains pays, je suis toujours entouré d'une garde impressionnante, armée, qui craint toujours qu'arrive un mauvais coup. Je peux difficilement leur en vouloir et cela les ennuierait sans doute énormément que leur hôte, leur invité ... mais en France ce n'est pas comme ça, ni en Italie où vraiment on me traite bien, comme je le souhaite en tout cas.
- QUESTION.- Le sceptique, chez vous, j'ai l'impression, sourit aussi devant tant de grandeur officialisée ou tant de ...
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas sceptique, simplement je sais de quoi il retourne et puis j'ai quand même lu quelques livres. J'ai lu Saint-Simon aussi ...\
QUESTION.- Les idées très généreuses qui vous ont poussé vers la politique, est-ce que vous sentez, aujourd'hui, qu'il y aura écho de cela parce que je me rappelle avoir lu que vous disiez, par exemple, "les gens de Mai 68, oui, ils avaient 13 ans de plus quand ils m'ont élu en 1981" cela a pu jouer, mais les gens après, on ne les sent pas tellement, on n'en parle pas beaucoup, vous avez bon espoir pour cette génération-là ?
- LE PRESIDENT.- Je m'efforce de garder le contact. C'est même un peu singulier qu'un homme qui a vieilli ait pu garder une relation directe avec la majorité des jeunes, enfin une relation qui est ressentie à travers leur vote, à travers leurs dispositions, à travers le type de préoccupations qui sont les nôtres, de caractère esthétique, de caractère éthique, certains modes de vie qui m'intéressent, je ne prétends pas me confondre avec eux, bien entendu, mais je pense qu'ils doivent ressentir l'intérêt que je leur porte parce que, dans quelques années et déjà maintenant, c'est eux, cette génération-là qui fera notre pays. On ne peut pas gouverner un pays contre la génération qui va l'inspirer, l'animer, le construire.
- QUESTION.- Mais si elle ne s'exprime pas ? Ce qu'on craint, c'est qu'elle n'ait pas d'opinion.
- LE PRESIDENT.- Oui, vous avez raison de poser cette question. Mais si, elle a des opinions. Elle les exprime. Le problème est de savoir si une coupure ne se réalise pas entre les besoins, les styles, les modes de la génération qui monte et le tempérament, les habitudes, quelquefois un peu la sclérose, de ceux qui gouvernent. Ce serait très dangereux. Je m'efforce de parer à cet inconvénient.\
QUESTION.- Je me rappelle Sartre, dans ses derniers entretiens, on lui posait une question générale sur la France dans le genre "quand même c'est pas si mal" et il répondait "La France que je vois autour de moi n'est pas si belle que cela que je puisse me réjouir". Et je me rappelle, en revanche, de ce que vous avez répondu à M. Begin, je crois, quand il y a eu cet attentat à Paris où il avait, avec un peu de démagogie, évoqué Oradour, et vous aviez dit "Il connaît mal la France, la France est un pays d'une grande vitalité qui ne doit pas être jugé de la sorte". Alors vous n'êtes pas pessimiste quand vous regardez la France autour de vous ?
- LE PRESIDENT.- Pas du tout, non, pas du tout pessimiste.
- QUESTION.- C'est un pays qui a, depuis des années où vous participez à sa vie publique, qui a bien progressé ?
- LE PRESIDENT.- C'est un des rares pays d'Europe qui ait une démographie non pas en grand progrès, pas assez, mais tout de même en progrès, qui a des réserves de vitalité physiques, intellectuelles. J'aperçois dans tous les métiers, dans les arts et dans les sciences, s'affirmer de grands talents, parfois même des génies et je ne vois pas pourquoi cette génération serait plus démunie qu'une autre, dès lors où, malgré tout cela compte, le gouvernement de la France montre quelque chemin qui puisse lui convenir à cette jeunesse. Pour qu'elle n'ait pas le sentiment d'être incomprise et d'être tentée de se révolter contre un mode de vie national qui irait à l'encontre de toutes ses aspirations. Voyez le problème des immigrés, voyez le problème du tiers monde, de la solidarité internationale, voyez le problème de l'environnement, voyez le problème de la drogue, sur tous ces sujets il y a - disons en grande majorité chez des jeunes - un besoin de croire que la vie peut être belle.
- QUESTION.- Mais on a l'impression que ces problèmes-là, il y en a trop, il y a une très belle phrase de vous, vous avez dit ça je pense à "Globe" qui vous demandait, il vous citait Malraux sur la spiritualité et vous disiez : "il y a trop de colère, trop d'armées, trop d'intolérance à l'extérieur de la France". Vous non plus vous ne faites pas un portrait de la planète tout entière qui soit si encourageant que cela.
- LE PRESIDENT.- Non, évidemment, la planète est toute petite aujourd'hui, ce qui se passe de l'autre côté de la terre peut nous émouvoir £ l'apartheid, ce n'est pas à notre porte mais cela existe, et combien de régimes tyranniques, combien de génocides, combien de folles tortures, combien d'hommes qui veulent affirmer leur puissance envers et contre tous, ça c'est le mal de l'homme depuis toujours.
- QUESTION.- Et on en viendra à bout ...
- LE PRESIDENT.- Je pense que la société internationale fait quand même quelques progrès.\
- LE PRESIDENT.- Qu'il m'ait suivi dans sa majorité, c'est certain, c'est à vous de tirer le commentaire. Je lui ai proposé quelques grands objectifs et, d'autre part, depuis déjà sept ans, les Français avaient coutume de me voir exercer la présidence, je pense qu'ils ont préféré me voir continuer plutôt que toute autre hypothèse.
- QUESTION.- Mais il y a quand même, si on vous compare à d'autres personnages, il y a chez vous une rigueur, une volonté de rester calme alors qu'il y a la tourmente autour, et la vie politique, évidemment, c'est le contraire, c'est la tourmente.
- LE PRESIDENT.- Oui, c'est le bruit, le mouvement, la rumeur permanente mais ce n'est pas, de mon point de vue, une sorte de philosophie, c'est sans doute parce que cela correspond à mon propre caractère et aussi à l'expérience que j'ai acquise après quarante ans de vie politique au Parlement où j'ai pu faire le point sur la relativité de bien des émotions successives, d'agitations inutiles, de conclusions tirées avant l'heure. Les événements doivent se dérouler selon un rythme et il faut attendre que ce rythme se soit déroulé pour en juger.
- QUESTION.- Mais, par exemple, vous avez déjà dit : "J'aurais été ridicule de me préparer à une fonction comme celle-là, j'étais prêt à rester dans l'opposition très longtemps, je pouvais tenir encore très longtemps". Mais si vous y étiez arrivé bien avant, auriez-vous pu avoir cette maîtrise de la fonction, parce que l'on sent chez vous une maîtrise de la fonction.
- LE PRESIDENT.- Peut-être pas. J'aurais pu être élu, en 1974, je pense qu'à cette époque mon expérience de la vie politique française et des problèmes qui touchent à mon pays eût été suffisante. Mais c'est vrai que, par un certain nombre d'affrontements, d'épreuves, j'ai pu connaître la France dans tous ses détours, j'ai vu, depuis la dernière guerre mondiale, le fonctionnement de deux régimes et, à la tête de nos affaires publiques, des hommes de caractères très différents £ c'est vrai, je pense qu'en 1981, puis 1988, j'avais sans doute une plus grande maîtrise de moi-même, donc des choses.\
QUESTION.- Et on a l'impression que, quand vous êtes arrivé, vous citez à un moment donné votre prédécesseur `Valéry Giscard d'Estaing` qui vous avait dit : "Vous verrez, la solitude ce sera très dur" et vous dites aux journalistes qui vous questionnent : "Je ne l'ai pas vécue, j'ai maintenu ma vie à peu près comme elle était auparavant", vous aviez cette idée-là en arrivant, de ne pas vous laisser envahir par la fonction ?
- LE PRESIDENT.- Oui, mais je ne l'ai pas éprouvé, ce sentiment de solitude. Je continue, comme vous l'avez dit, de mener ma vie, j'habite très souvent chez moi et non pas dans les palais officiels et s'il est vrai que mes obligations sont multiples et peuvent créer un écran entre l'opinion publique et moi, entre les autres, les Français, et ma propre fonction, je m'efforce de briser cette glace et je sors très souvent, je me promène dans la rue, je bavarde sur le trottoir avec les gens que je rencontre, je vais dans les magasins, j'achète des livres ...
- QUESTION.- Et ils réagissent bien ?
- LE PRESIDENT.- Je vais déjeuner ou diner au restaurant, je vais au théâtre ou au cinéma - je ne passe pas mon temps à cela - mais je le fais suffisamment pour que je n'aie pas le sentiment en tout cas d'avoir été coupé de mes contemporains.
- QUESTION.- Et il y a un paradoxe parce que vous dites aussi, à un moment donné, je mène une vie très austère et pourtant si on compare la vraie solitude des chefs d'Etat qui se laissent couper de leurs contemporains, c'est moins austère ce que vous décrivez, il reste là les plaisirs habituels de la vie d'un citoyen, vous les avez gardés.
- LE PRESIDENT.- Les plaisirs, les peines, la vie, c'est tout.
- QUESTION.- Est-ce que, à l'occasion, on dit que, par exemple, votre vie familiale est extrêmement importante pour vous et votre famille est quand même assez large - vous étiez huit enfants, si je ne m'abuse, chez vous - cela c'est resté pareil ou les rapports changent à l'intérieur des ...
- LE PRESIDENT.- Ils sont restés les mêmes. Nous sommes huit frères et soeurs, tous vivants aujourd'hui, alors que naturellement, beaucoup de temps a passé, nous n'avons jamais cessé de nous voir beaucoup et nous continuons. D'autre part ma vie familiale propre se déroule normalement. Mon élection, mes deux élections n'ont rien changé à cela.
- QUESTION.- Mais cela demande une volonté farouche, il me semble ?
- LE PRESIDENT.- Il faut faire attention.
- QUESTION.- Par exemple, vous racontez que vous aimiez vous recueillir avant votre élection sur les tombes de vos proches ou de vos parents et vous avez eu peur que cela devienne un spectacle si vous continuiez ...
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas passé mon temps, contrairement à ce qu'a dit une presse critique, je n'ai pas passé ma vie dans les cimetières mais enfin mes parents sont morts, depuis longtemps déjà, quelques amis qui m'étaient très chers, qui m'avaient beaucoup aidé, qui m'ont apporté beaucoup de leur propre vie et de leurs propres sentiments, c'est vrai que j'ai songé, après ma première élection, à méditer un moment devant leur tombe, à la fois par sentiment de gratitude et par, peut-être aussi, une façon de communiquer par la pensée avec ce que j'avais reçu d'eux. Je me suis rendu compte tout de suite, la première fois que je me suis rendu dans ma petite ville natale pour me rapprocher de mes proches racines, il y avait là des dizaines de journalistes, de radios, de télévisions, bon !
- QUESTION.- Cela vous a déçu ?
- LE PRESIDENT.- Je n'y suis pas allé. J'y suis retourné depuis, bien entendu, mais sans qu'on le sache.\
QUESTION.- Et les rapports aux autres, pas les proches mais les autres ? Quand je vous lis, j'ai l'impression que vous respectez beaucoup la sincérité mais vous dites aussi : "Je ne peux plus faire la part des choses. Il y a sûrement autour de moi des arrivistes, des gens pas sincères, je suis indifférent maintenant, je ne fais plus la part des choses, j'y perdrais mon latin". Mais cela doit être décevant pour vous ?
- LE PRESIDENT.- Je ne les cherche pas, quoi ! Je ne vais pas essayer de démêler, dans l'esprit de chacun de ceux que je rencontre, la vérité de leurs pensées ou ce qui ne serait pas la vérité. Non, j'ai des amis fidèles, je leur fais confiance, des collaborateurs avec lesquels je m'entends bien, pour le reste ...
- QUESTION.- Mais vous n'avez pas peur de voir qui répondra, vous n'avez pas peur d'être manipulé ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne suis ni naïf ni méfiant à ce point.
- QUESTION.- Parce que je me rappelle d'avoir lu un texte, je crois que c'est votre soeur Geneviève qui disait : "Depuis son élection" et elle c'est peut-être un meilleur baromètre, parce qu'elle a moins l'habitude de la vie publique, elle dit : "c'est étonnant les gens qui, soudainement, font renaître leur amitié avec moi cela me déçoit".
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas étonnant, c'est bien banal.
- QUESTION.- Et les amis, justement, ils ont beaucoup compté pour vous, j'ai lu un très bon entretien avec Jean Lacouture là-dessus ...
- LE PRESIDENT.- Quelques-uns, comme pour vous. On n'a pas beaucoup d'amis, ceux qui en ont quelques-uns sont déjà très riches.
- QUESTION.- Et quelqu'un comme Mauriac a beaucoup compté pour vous et ce que vous dites de lui c'est : "il n'aimait pas les garnitures", encore une fois ce souci ...
- LE PRESIDENT.- Mais Mauriac c'est un peu différent, Mauriac était un ami de ma mère, parce qu'il avait été un camarade de collège puis d'études à Paris du frère de ma mère, donc de mon oncle, lequel est mort alors qu'il avait vingt ans ce qui avait laissé un souvenir déchirant à François Mauriac et quand je suis venu moi-même à Paris - comme on disait "monté à Paris" - à partir de ma Charente natale, mes parents m'ont tout naturellement dirigé vers les quelques personnes qui semblaient pouvoir me guider utilement. Donc j'ai rencontré François Mauriac, nous nous sommes liés d'amitié jusqu'à sa mort. De là à prétendre que j'étais un familier de chaque instant, non. Nous avions des points de repère.
- QUESTION.- Et vous êtes "monté" à Paris et - dans les romans de Mauriac on montait à Paris et, bien avant dans les romans de Balzac, les romans de Stendhal - vous avez aussi dit ...
- LE PRESIDENT.- Surtout quand on vient d'Angoulême naturellement ...
- QUESTION.- Oui, comme Lucien de Rubempré.\
`Suite` QUESTION.- Et vous avez dit en décrivant cette vie, que c'était une vie où par exemple il n'y avait pas l'automobile, c'était une vie plus rapprochée du XVIIIème siècle, çà cela vous fait ...
- LE PRESIDENT.- Ca, ce sont les quinze premières années de ma vie où j'ai vécu tout à fait à la campagne, dans une maison qui était éloignée en effet non seulement de toute agglomération mais du premier hameau. Ce n'est pas si loin que cela, je ne suis pas centenaire, mais c'était dans les années trente et, à cette époque en effet, ces maisons isolées à la campagne n'avaient pas l'électricité, n'avaient pas l'adduction d'eau, il fallait donc s'éclairer au gaz, on allait chercher l'eau au puit ou à la rivière. Nous n'avions pas d'automobile, donc nous voyagions avec des voitures à cheval, tout cela paraît évidemment antédiluvien, on dira XVIIIème siècle, pour garder la mesure et, d'un seul coup, un peu plus tard, lorsque je suis devenu étudiant, lorsque j'ai été pris à 20 ou 22 ans par la guerre, bien entendu j'ai plongé dans un autre monde.
- QUESTION.- Mais si je vous demande ça, c'est que j'ai l'impression que les Français, quand ils vous écoutent, sont rassurés parce que vous faites le lien avec une époque qui était quand même moins déboussolée. Ils se disent ...
- LE PRESIDENT.- Je pense que je dois beaucoup à cette sorte de stabilité intérieure qui m'a été communiquée par les conditions de ma vie au cours de mon enfance, par les tempéraments de mes parents et de mes grands-parents, par mon environnement, c'est sûr. Par la contemplation toute simple j'ai appris à savoir qu'il y avait quatre saisons chez moi et que chacune de ces saisons était belle.
- QUESTION.- Autre paradoxe, vous avez dit de votre père qu'"il communiquait peu mais bien" et je trouve que cela vous décrit également très bien à cette époque où on a l'impression que parce que les communications électroniques dominent il faut en mettre beaucoup, vous en mettez peu et cela marche très bien, il me semble.
- LE PRESIDENT.- Mon père était beaucoup plus strict que moi. Il disait très peu de choses, il donnait très peu de conseils mais il était là quand il fallait et j'aimerais bien pouvoir approcher de sa sagesse.
- QUESTION.- Et s'il savait aujourd'hui que vous êtes devenu Président, il serait ...
- LE PRESIDENT.- Il en serait content, certainement, il en serait content, content pour moi, content pour lui mais cela ne l'égarerait pas.
- QUESTION.- Et là je regarde votre poignet parce que j'ai également lu que vous ne portiez pas de montre et quelqu'un, qui faisait peut-être un peu de psychanalyse facile, disait : "Ah ! il réagit à sa mère qui, elle, était très activiste ..."
- LE PRESIDENT.- Il est très calé votre psychologue, oui, c'est peut-être vrai ... je n'en sais rien ! Mais je ne pense pas, je n'aime pas le contact d'une montre sur mon poignet, c'est comme ça, comme je ne porte pas de montre à mon gousset c'est une mode oubliée depuis longtemps déjà, mais j'ai une horloge dans la tête, puis j'ai tellement d'occasions lors de mes fonctions, je ne suis vraiment jamais en déshérence !
- QUESTION.- Mais j'ai toujours l'impression que vous luttez un peu contre la fonction, ce n'est peut-être pas la montre, mais que vous ne laisserez jamais l'agenda ou quoi que ce soit vous prendre ...
- LE PRESIDENT.- Vous avez raison, si je me laissais faire, je n'existerais plus, en tant qu'individu.\
QUESTION.- Et cela pose d'autres problèmes, par exemple ces excursions que vous faites dans Paris ou à Venise, à peu près incognito mais pas tout à fait, j'imagine que l'appareil n'est pas content ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est jamais incognito mais je vais souvent dans les Landes, chez moi, je vais souvent, toujours en Charente, mon pays d'origine où j'ai encore beaucoup de familiers. Je retourne dans la Nièvre, que j'ai représentée au Parlement pendant trente-cinq ans, et puis de temps en temps, je vais à l'étranger, vous avez raison, à Florence ou à Venise, j'aime beaucoup aller là-bas, je ne fais pas de mystère mais je ne m'annonce pas non plus à coup de trompettes et j'évite d'emmener avec moi un régiment £ je veux vivre simplement et normalement, comme tout le monde. Alors je n'y arrive pas tout à fait et, naturellement, je ne m'en plains pas. Comment pourrais-je l'éviter ? Certaines surveillances, la presse s'intéresse plus à moi qu'elle ne l'aurait fait autrement, si j'étais resté simple particulier, je m'y fais, j'aimerais simplement avoir suffisamment la paix pour pouvoir aller voir une exposition qui m'intéresse ou, tout simplement, me promener dans les rues.
- QUESTION.- Mais, cela aussi, ça tranche parce que avec l'époque et avec les autres, parce que la plupart des hommes d'Etat aujourd'hui affirment, prétendent que c'est impossible, que l'appareil décide pour eux. Ce n'est pas vrai ?
- LE PRESIDENT.- Quand je vais dans certains pays, je suis toujours entouré d'une garde impressionnante, armée, qui craint toujours qu'arrive un mauvais coup. Je peux difficilement leur en vouloir et cela les ennuierait sans doute énormément que leur hôte, leur invité ... mais en France ce n'est pas comme ça, ni en Italie où vraiment on me traite bien, comme je le souhaite en tout cas.
- QUESTION.- Le sceptique, chez vous, j'ai l'impression, sourit aussi devant tant de grandeur officialisée ou tant de ...
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas sceptique, simplement je sais de quoi il retourne et puis j'ai quand même lu quelques livres. J'ai lu Saint-Simon aussi ...\
QUESTION.- Les idées très généreuses qui vous ont poussé vers la politique, est-ce que vous sentez, aujourd'hui, qu'il y aura écho de cela parce que je me rappelle avoir lu que vous disiez, par exemple, "les gens de Mai 68, oui, ils avaient 13 ans de plus quand ils m'ont élu en 1981" cela a pu jouer, mais les gens après, on ne les sent pas tellement, on n'en parle pas beaucoup, vous avez bon espoir pour cette génération-là ?
- LE PRESIDENT.- Je m'efforce de garder le contact. C'est même un peu singulier qu'un homme qui a vieilli ait pu garder une relation directe avec la majorité des jeunes, enfin une relation qui est ressentie à travers leur vote, à travers leurs dispositions, à travers le type de préoccupations qui sont les nôtres, de caractère esthétique, de caractère éthique, certains modes de vie qui m'intéressent, je ne prétends pas me confondre avec eux, bien entendu, mais je pense qu'ils doivent ressentir l'intérêt que je leur porte parce que, dans quelques années et déjà maintenant, c'est eux, cette génération-là qui fera notre pays. On ne peut pas gouverner un pays contre la génération qui va l'inspirer, l'animer, le construire.
- QUESTION.- Mais si elle ne s'exprime pas ? Ce qu'on craint, c'est qu'elle n'ait pas d'opinion.
- LE PRESIDENT.- Oui, vous avez raison de poser cette question. Mais si, elle a des opinions. Elle les exprime. Le problème est de savoir si une coupure ne se réalise pas entre les besoins, les styles, les modes de la génération qui monte et le tempérament, les habitudes, quelquefois un peu la sclérose, de ceux qui gouvernent. Ce serait très dangereux. Je m'efforce de parer à cet inconvénient.\
QUESTION.- Je me rappelle Sartre, dans ses derniers entretiens, on lui posait une question générale sur la France dans le genre "quand même c'est pas si mal" et il répondait "La France que je vois autour de moi n'est pas si belle que cela que je puisse me réjouir". Et je me rappelle, en revanche, de ce que vous avez répondu à M. Begin, je crois, quand il y a eu cet attentat à Paris où il avait, avec un peu de démagogie, évoqué Oradour, et vous aviez dit "Il connaît mal la France, la France est un pays d'une grande vitalité qui ne doit pas être jugé de la sorte". Alors vous n'êtes pas pessimiste quand vous regardez la France autour de vous ?
- LE PRESIDENT.- Pas du tout, non, pas du tout pessimiste.
- QUESTION.- C'est un pays qui a, depuis des années où vous participez à sa vie publique, qui a bien progressé ?
- LE PRESIDENT.- C'est un des rares pays d'Europe qui ait une démographie non pas en grand progrès, pas assez, mais tout de même en progrès, qui a des réserves de vitalité physiques, intellectuelles. J'aperçois dans tous les métiers, dans les arts et dans les sciences, s'affirmer de grands talents, parfois même des génies et je ne vois pas pourquoi cette génération serait plus démunie qu'une autre, dès lors où, malgré tout cela compte, le gouvernement de la France montre quelque chemin qui puisse lui convenir à cette jeunesse. Pour qu'elle n'ait pas le sentiment d'être incomprise et d'être tentée de se révolter contre un mode de vie national qui irait à l'encontre de toutes ses aspirations. Voyez le problème des immigrés, voyez le problème du tiers monde, de la solidarité internationale, voyez le problème de l'environnement, voyez le problème de la drogue, sur tous ces sujets il y a - disons en grande majorité chez des jeunes - un besoin de croire que la vie peut être belle.
- QUESTION.- Mais on a l'impression que ces problèmes-là, il y en a trop, il y a une très belle phrase de vous, vous avez dit ça je pense à "Globe" qui vous demandait, il vous citait Malraux sur la spiritualité et vous disiez : "il y a trop de colère, trop d'armées, trop d'intolérance à l'extérieur de la France". Vous non plus vous ne faites pas un portrait de la planète tout entière qui soit si encourageant que cela.
- LE PRESIDENT.- Non, évidemment, la planète est toute petite aujourd'hui, ce qui se passe de l'autre côté de la terre peut nous émouvoir £ l'apartheid, ce n'est pas à notre porte mais cela existe, et combien de régimes tyranniques, combien de génocides, combien de folles tortures, combien d'hommes qui veulent affirmer leur puissance envers et contre tous, ça c'est le mal de l'homme depuis toujours.
- QUESTION.- Et on en viendra à bout ...
- LE PRESIDENT.- Je pense que la société internationale fait quand même quelques progrès.\