8 octobre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les principaux événements jalonnant l'histoire et le rayonnement de Strasbourg depuis deux mille ans, Strasbourg, samedi 8 octobre 1988.

Très Saint Père,
- Je me fais l'interprète des personnalités ici rassemblées et qui vous accueilleront aux diverses étapes de votre voyage, pour vous redire la joie de vous recevoir à nouveau et les voeux que nous formons pour votre séjour parmi nous.
- Vous avez rappelé tout à l'heure que Strasbourg fêtait cette année son bi-millénaire, et vous avez tenu à marquer cette célébration qui a revêtu tout le long de cette année un éclat particulier, en exprimant le souhait de vous adresser à la ville de Strasbourg demain soir.
- On vient de vous présenter des documents d'une inestimable valeur historique et symbolique. C'est M. le Professeur Leroy-Ladurie qui vous les a présentés.
- Les serments de Strasbourg, je rappelle la date, 14 février 842, la Bible latine, l'un des premiers exemplaires de la première Bible, imprimée à Mayence par Gutenberg et Fust en 1455. Ce sont vraiment des documents qui illustrent l'histoire et le rayonnement de cette ville où nous sommes.
- C'est une ville carrefour, elle s'en flatte et elle a raison. C'est un lieu de rencontre permanente, de synthèse, entre deux expressions très fortes de la civilisation européenne, à la fois séparées et qui se sont rejointes ici sur le Rhin ou quasiment. Ville médiatrice entre les cultures française et germanique, vocation que l'on retrouve à l'université, dans l'architecture, dans l'influence culturelle, et dans sa fonction marchande et économique. Je crois pouvoir dire aussi dans son rôle politique.
- C'est très intéressant d'observer les quatre serments de Strasbourg, que vous venez de voir, Très Saint Père, dans leur texte original. Quatre textes, les deux premiers, c'est Louis Le Germanique qui les rend à Charles le Chauve, l'un Roi de Francie orientale, l'autre de Francie occidentale, en langue romane, ancêtre des Français et d'autre part par Charles à Louis, écrit cette fois-ci en vieil allemand, en vieil haut allemand ou tudesque. Les deux autres serments sont similaires, ils émanent respectivement des armées des deux frères.
- Ces serments-là ont marqué un échec, l'échec de l'Europe carolingienne, monolithique, uniforme, et ils annoncent le partage de Verdun. Et pourtant, c'est à travers ces documents que commence à naître l'idée d'une Europe politique contemporaine : la France à l'ouest, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse et l'Italie, si je puis dire au centre, l'Allemagne à l'est, et qui s'inspire d'une idée force, vivante, actuelle, le droit pour les peuples, représenté par chacun des deux frères de se voir reconnaître une identité propre, au sein d'une entité politique plus vaste, qui à l'époque était l'Empire. D'où l'usage de la langue propre à chacun des peuples qui prêtent serment, il n'y a pas de précédent qui traduit cette vocation.
- C'est donc la première manifestation dans notre histoire d'un système politique original, à la dimension de l'Europe, un empire chrétien, composé de royautés contractuelles.\
Je passe à un autre sujet en évoquant la construction de la cathédrale de Strasbourg qui marque la première grande phase de prospérité de la ville. Ce sont de grandes foires qui se tiennent à Strasbourg, la ville est le centre de la mystique rhénane et de la poésie courtoise. La cathédrale ne se dissocie pas de l'histoire de la ville, c'est un monument qui demeurera pendant des siècles le plus élevé de l'occident. C'est un record comme un autre mais enfin qui marque bien une volonté créatrice intéressante. Une synthèse architecturale et sculpturale : le style roman rhénan à la fin du XIIème et puis au XIIIème ce sont les maîtres d'oeuvre qui viennent de Chartres et de l'Ile de France. Et la façade commencée en 1277, donc aux XIIIème siècle, sur le modèle des cathédrales françaises sera achevée en 1439, après l'intervention successive de plusieurs architectes venus de l'est et du nord. Quelle histoire !
- Et je me flatte dans les années 1984 et 85 d'avoir entrepris la restauration définitive de la cathédrale, considérant qu'il s'agissait de l'un des premiers fleurons du patrimoine français. J'ai donc tenu à ce que ce soit la cathédrale de Strasbourg qui marque cette rénovation.
- Voilà, je ne veux pas m'attarder plus qu'il ne convient. Mais puisqu'on a parlé de la Bible, il faut bien rappeler que Gutenberg a séjourné une dizaine d'années à Strasbourg, dix ans c'est assez long, c'est la durée de votre pontificat jusqu'ici, Très Saint Père. On a le temps, vous l'avez démontré, de faire beaucoup de choses, même si dix ans aussi c'est court. Et dans la vie d'un homme et dans la vie de l'histoire. Mais enfin c'est quand même là, à Strasbourg, que Gutenberg a mis au point le procédé technique de l'imprimerie, avant de retourner à Mayence, ville où a été imprimée la Bible latine. Mais enfin on peut penser que l'ensemble des travaux d'imprimerie que vous avez pu constater tiennent pour beaucoup au génie industrieux d'un homme et d'une ville : Strasbourg.
- Voilà, au travers des siècles, Strasbourg a été marquée par sa tradition germanique, mais cette tradition est aussi royale, et française depuis 1681, Strasbourg a été un laboratoire d'idées, à l'origine de courants intellectuels, après tout c'est là que Goëthe viendra se familiariser avec la langue française, la culture française. Si on n'avait pas ressenti à Strasbourg, cette culture française qu'il recherchait, il serait allé ailleurs, il s'est arrêté là, cela lui a suffi, et cela a suffi pour faire de lui l'un des hommes de génie qui marque bien le passé et le devenir de l'Europe.
- Voilà je pourrais trouver bien d'autres signes, des alternances de l'identité, des héritages de l'histoire. J'ai voulu, rapidement, signifier toutes ces étapes, très Saint Père, en hommage à votre présence, en hommage à votre personne.\