7 octobre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'importance du rôle de l'INRA dans la recherche agronomique et la biotechnologie, Jouy-en-Josas, le 7 octobre 1988.

Monsieur le Président-directeur général,
- Mesdames et messieurs,
- Avant de commencer l'exposé que je vous dois, je voudrais rendre hommage à Jean Bustarret qui vient de disparaître. Vous savez qu'il a été l'un des premiers responsables de l'Institut national de la recherche agronomique et qu'il a donné à l'INRA sa physionomie moderne. Je pense qu'il était nécessaire de saluer sa mémoire.
- J'ai désiré me trouver parmi vous, ce matin, à Jouy-en-Josas, dans ce beau domaine de l'INRA parmi les chercheurs et leurs partenaires du monde agricole et industriel. C'est avec grand plaisir que j'ai répondu à l'invitation que m'a faite M. Jacques Poly, de venir inaugurer le nouveau bâtiment des biotechnologies. Et croyez bien qu'au delà du rituel de la plaque dévoilée, des visites un peu rapides, il y a dans une manifestation de ce type, l'occasion d'un contact direct avec les chercheurs dont je suis très désireux. J'ai fait une brève visite, on m'a expliqué des choses qu'il a fallu de longues années, à des gens plus qualifiés, pour parvenir à les mettre au point. J'espère digérer cette science nouvelle £ mais ce que j'en sais me suffit en tout cas pour estimer que notre vocation de chercher, de chercher plus, de chercher mieux se trouvera largement justifiée.
- J'ai bien constaté l'enthousiasme communicatif de ceux qui m'ont expliqué l'objet de leurs travaux : bien entendu ils ne l'ont pas souligné, mais je n'ai pas manqué de remarquer leur caractère ardu. Parcourant ce nouveau bâtiment, j'ai pu me rendre compte de ce qu'annoncent pour notre agriculture, pour notre industrie agro-alimentaire les progrès des biotechnologies. C'est un axe majeur de l'Institut qui s'inscrit dans un courant de vif intérêt en France et dans le monde, secteur agricole et secteur de la santé. Après avoir vu Jouy 2000, j'ai le sentiment que nous serons prêts davantage à participer au grand bouleversement que ces nouvelles technologies vont provoquer. Depuis le laboratoire de génétique microbienne où l'on étudie les mécanismes fondamentaux de la cellule vivante, jusqu'au laboratoire de physiologie animale où l'on procède à d'audacieuses expériences de transferts de gènes, en passant par le laboratoire de génétique biochimique où l'on se préoccupe de modifier le patrimoine héréditaire d'animaux laitiers dans une perspective de sélection, c'est vraiment un large spectre de recherches qu'il m'a été donné d'apercevoir.
- Dans tous ces domaines, s'opère une sorte de révolution silencieuse, discrète et cependant profonde par l'appel à des techniques qui permettent l'intervention directe sur le vivant : on peut ainsi d'ores et déjà isoler des gènes, produire des protéines utiles, élaborer des vaccins synthétiques, contrôler la sélection des espèces. A terme, on entrevoit la création de nouveaux êtres sélectionnés pour leur résistance aux maladies ou pour la qualité de leur lait.\
L'agriculture, activité traditionnelle s'il en est, qui a marqué notre paysage et notre culture, accède au prestige des hautes technologies. Les produits et les paysages seront peu modifiés en apparence mais en réalité, là ou régnait l'empirisme, c'est une démarche rationnelle qui désormais s'impose. Là ou dominaient les objectifs de produire plus c'est aussi la démarche qui vise à produire mieux, - je le disais à l'instant - qui va devenir possible, une démarche recherchant la qualité en même temps que la valeur ajoutée dans une chaîne qui va de la production primaire jusqu'à la transformation des produits.
- Je voudrais souligner à quel point l'enjeu de ces recherches est extraordinaire pour la France car c'est l'avenir de la production agricole et de l'industrie agro-alimentaire qui se joue dans de tels centres, alors même que ce vaste secteur est très ouvert, vous le savez, aux bourrasques du monde extérieur. Le type de recherche que conduit l'INRA est essentiel à la compétitivité. Il faut diversifier notre production tout en augmentant sa qualité, ce n'est pas aisé et c'est ce que vous faites. Et en ce sens, je ne saurais trop souligner l'importance de votre contribution au progrès de la Nation.
- Voilà pourquoi l'Institut joue un rôle de premier plan puisqu'il précède et qu'il accompagne les évolutions d'un secteur constitué de partenaires très nombreux.\
Les scientifiques nous disent l'universalité de la biologie et la puissance des méthodes issues des découvertes de ces dernières années. Il nous faut nous organiser pour explorer les multiples voies de la recherche qu'ouvre la biologie moderne et pour exploiter les innombrables applications qu'elle autorise.
- Pour le responsable politique que je suis, il est rassurant de voir que nous avons en France la faculté de réagir pour relever ce type de défi, de pressentir les ruptures qu'annoncent les progrès de la science, de mobiliser nos ressources humaines et financières, de rassembler de bonnes équipes autour de bons programmes, en respectant un bon équilibre entre les recherches fondamentales et des recherches plus finalisées.
- Jouy 2000 symbolise à mes yeux cette volonté d'excellence. Nous avons là un pôle de rang international bien inséré dans l'ensemble des institutions scientifiques du pays, ayant établi une forte relation avec les universités et les grandes écoles. Un tel pôle doit attirer - et attire déjà des chercheurs étrangers - et éveiller de nouvelles vocations de chercheurs, servir de point d'ancrage à des coopérations internationales qu'impose cette discipline comme les autres dès lors que l'on va vers des besoins d'équipement de plus en plus lourds et qu'il faudra partager la dépense. En même temps - et l'assistance ici rassemblée en témoigne - les chercheurs de l'Institut ne restent pas dans leur tour d'ivoire. J'ai été frappé à diverses circonstances, car ce n'est pas la première visite que je rends à un centre de l'INRA, combien était présente chez vous la préoccupation d'être à l'écoute du monde agricole et industriel, et bien davantage encore, scientifique, combien ceux qui conduisent ces recherches même très fondamentales veulent répondre à une attente ou précéder une demande qui n'est pas encore formulée.
- On ne voit pas ici, et M. Poly m'en parlait, d'opposition entre recherche académique et recherche appliquée. Il y a simplement une recherche de base qui concentre des moyens importants sur des sujets dont la finalité est évidente. Je crois qu'il n'est pas trop risqué d'avancer l'hypothèse que si la recherche marche bien, elle diffusera bien. La faiblesse relative de notre recherche industrielle, si souvent diagnostiquée, n'est pas une fatalité. Nous avons commencé de lutter contre. Un effort public supplémentaire ne compensera peut-être pas automatiquement un trop faible engagement de l'industrie mais en revanche, comme on le constate ici, un effort public bien orienté crééra des opportunités d'investissement de recherche pour les industriels. L'opposition entre le public et le privé serait ici stérile quand la complémentarité des métiers et des situations par rapport au marché est au contraire stimulante.\
Si je suis particulièrement heureux de pouvoir inaugurer ce bâtiment de biotechnologie, c'est qu'il a une forte valeur symbolique. Il a été décidé en 1983 £ le bâtiment vient d'être achevé £ sa mise en service témoigne de la nécessité de conduire notre politique de recherche avec continuité. Cela a été accompli dans des conditions qui ont parfaitement respecté l'efficacité, l'utilité et l'esthétique, et l'on doit en remercier les architectes, les concepteurs. Je dois vous dire que cette mise en service coïncide avec la priorité absolue que j'ai voulu donner à la politique de recherche.
- On traverse des périodes de doute. On a exalté - il faut bien - la recherche qui trouve, mais il ne faut pas non plus abaisser la recherche la plus fondamentale et la plus hasardeuse par nature dans ses résultats. On a critiqué les grands organismes de recherche qui sont pourtant très caractéristiques de notre génie national. On a vu surtout leur faiblesse - elles en ont - on a refusé de tirer parti de leur force, elle existe. On a même prévu en un temps, certains démantèlements sans souci des interactions favorables qui peuvent être escomptées dans ces creusets de disciplines diverses. Bref, plutôt que de rechercher les oppositions inutiles ou stériles, il vaut mieux rechercher les synthèses. C'est pourquoi nous avons voulu, avec M. le ministre de la recherche, inverser la tendance, restaurer la confiance que le pays doit placer dans ceux qui exercent le métier de chercheur : nous voulons assigner à notre dispositif de recherche une place prééminente dans la guerre économique qui se livre dans le monde et qui décidera de notre statut de grand pays scientifique et de grand pays industriel. C'est là que cela se joue. J'en ai la conviction. On doit donc se mobiliser autour de cet effort qui est le vôtre.
- Bien entendu, c'est bien parce que je crois dans cette réussite, c'est bien parce que j'entends délivrer un message d'espoir grâce à vous et à travers vous que j'ai saisi l'occasion qui m'était offerte d'inaugurer cette maison.\
J'ajouterai quelques mots, puisqu'à cette occasion s'en est ajoutée une autre : celle de rendre hommage à M. Jacques Poly qui préside aux destinées de l'INRA depuis 10 ans. Dans quelques instants, je lui remettrai les insignes de Commandeur de la Légion d'honneur.
- Je rappellerai très brièvement quelques-unes des raisons pour lesquelles la République a décidé de l'honorer. Jacques Poly est, vous le savez - il le rappelle à chaque instant - originaire du Jura, faut-il ajouter comme Louis Pasteur. Pour lui, l'agronomie est une vocation de famille. Je crois que vous êtes trois frères à être entrés à l'Agro, mais vous êtes le seul qui vous soyez consacré à la recherche.
- D'une carrière bien remplie, je retiens ces quelques traits. Précisément d'abord ce choix atypique, atypique pour un major de "l'Agro", celui de la recherche.
- C'est une certaine modernité aussi de la démarche. Car après tout il n'était pas évident dans les années 50 `1950`, de discerner l'importance de l'outil informatique appliqué à des travaux de génétique animale qui ont en fait renové les méthodes de sélection de l'élevage français.
- Lorsque Jacques Poly accèdera à la direction de l'INRA il maintiendra avec une grande ténacité ce délicat équilibre entre le souci de bien faire de la bonne recherche et aussi de ne jamais oublier son efficacité. L'audience de l'INRA dans le monde agricole, dans le monde scientifique est un signe de réussite qui ne trompe pas.\
Vous n'avez pas non plus négligé, monsieur Poly, la coopération internationale. Vous avez créé en particulier avec les responsables de la recherche agronomique des principaux pays industrialisés une instance de coordination. Tout est mis au service de la politique agricole commune, il faut faire de la recherche agronomique un outil particulièrement puissant de la construction européenne.
- La recherche en coopération a permis d'engager des actions qui ont associé l'INRA à des partenaires qui n'ont pas la même expérience scientifique que la vôtre. Mais leur besoin en ressources technologiques sont également vitaux pour leur propre développement. Il y a donc eu un transfert en fait du Nord vers le Sud que j'ai suivi de près, approuvé et encouragé. On commence à apercevoir l'émergence d'équipes nationales dans de nombreux pays du tiers monde. Il faudra réaliser et continuer de réaliser ces transferts : croyez-moi, si l'on donnait au tiers monde autre chose que des aides aussitôt absorbées parfois même sans grande utilité, il faut savoir que l'on construira ce monde autour d'une connaissance par ceux qui auront été formés là-bas, sur place et chez nous, capables de maîtriser pour eux-mêmes les technologies qu'ils connaissent.\
Je crois que je n'aurais pas tout à fait achevé mon propos si je n'avais souligné la personnalité de Jacques Poly, la chaleur qu'il dégage, son franc parler, son combat permanent pour une agriculture différente, pour rechercher la qualité en toute chose, y compris la qualité gustative des produits alimentaires. Après tout, il vaut mieux qu'ils soient bons que insipides. L'insipidité gagne tellement de terrain qu'il est bon que quelques-uns s'organisent pour tenter de s'y opposer. Cela me fâcherait beaucoup et vous aussi sans doute.
- Mais que célébrons-nous en cet instant ? Les qualités d'un homme de science et de dévouement. Je vois au travers de ces quelques mots surtout un moyen de dire qu'au delà de la personne de Jacques Poly, il existe des centaines de chercheurs dans toutes les disciplines qui ont consacré leur intelligence et leur vie professionnelle à quelque chose de plus grand qu'eux, de plus haut et qui va loin, qui pèsera à travers les temps, qui assurera la maîtrise de l'homme sur la matière à partir naturellement d'une meilleure connaissance.
- C'est donc un moment solennel.\