29 septembre 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, devant l'Assemblée générale des Nations unies, sur la position de la France quant au désarmement (notamment les propositions sur les armes chimiques), aux conflits régionaux et à l'aide aux pays en voie de développement (proposition sur le remboursement de la dette), New York, jeudi 29 septembre 1988.

Mesdames,
- Messieurs,
- Mes premiers mots seront pour rendre hommage à la sagesse de votre quarante-troisième assemblée générale qui, en vous choisissant, monsieur le Président, a mis en lumière et l'estime qui vous est dûe et la place éminente qui est celle de l'Argentine et, au-delà, de l'Amérique latine dans le monde d'aujourd'hui. J'ajoute que je ressens profondément le grand honneur qui est le mien de prendre à nouveau la parole devant vous.
- Ayant appris comme vous cette récente nouvelle, je tiens à adresser dès maintenant mes félicitations aux Nations unies pour ce prix Nobel de la paix décerné aux forces de maintien de la paix des Nations unies. Lorsque je suis monté il y a cinq ans à cette tribune, le monde était dominé par la confrontation Est-Ouest, la multiplication des conflits régionaux, l'approfondissement du fossé entre le Nord et le Sud, les atteintes répétées aux droits de l'homme, aux droits des peuples. Ces réalités ont-elles disparu ? Notre planète tourne-t-elle décidément dans le sens de l'unité et de la paix ? Je ne le prétendrai pas. En dépit des années qui passent, il me semble entendre trop souvent les mêmes mots pour les mêmes vaines incantations et voir trop souvent brasser les mêmes espérances pour les mêmes désillusion. Les attentes de trop de peuples demeurent sans réponse. Il reste, deux siècles après la déclaration des droits de l'homme et du citoyen bien des bastilles à prendre, des libertés à conquérir, des droits à garantir. Mais pourtant voilà que, ici et là, des progrès se dessinent. Ce qui paraissait à jamais figé bouge. L'espérance va-t-elle reprendre droit de cité dans la société des hommes ?
- Nous savons ce que nous devons à messieurs Reagan et Gorbatchev qui ont eu l'intelligence et le courage d'en finir avec la course aux armements, aux surenchères de l'affrontement.
- De même, les adversaires aux prises dans certains conflits régionaux, soit qu'ils aient mesuré les limites de leur action et l'usure de leurs forces, soit qu'ils aient apprécié autrement l'intérêt de leurs peuples, soit qu'ils aient voulu contribuer au mouvement général vers l'apaisement des tensions, cherchent à se dégager du drame qu'ils ont vécu.
- J'exprime ma gratitude aux hommes et aux femmes épris de paix qui, partout, n'ont cessé d'agir en ce sens et je veux parmi eux prononcer le nom du secrétaire général des Nations unies, monsieur Perez de Cuellar. Sans sa finesse, sa ténacité, sa disponibilité, sans les ressources de sa culture, nous n'en serions pas là.\
Pour la première fois depuis la dernière guerre mondiale, les deux plus grandes puissances ont commencé d'explorer la voie du désarmement. Il faut le dire. Leur accord sur l'élimination des forces nucléaires intermédiaires américaines et soviétiques en Europe est un bon accord. Au nom de la France, je l'ai approuvé sans hésiter et dès le premier jour. J'attends maintenant des Etats-Unis et de l'Union soviétique - qui l'on d'eux-mêmes prévu - qu'ils progressent dans la réduction de leurs armements nucléaires stratégiques. Si les négociations qu'ils mènent conduisent à des accords conformes aux règles impératives d'équilibre et de contrôle, la sécurité de tous en sera considérablement renforcée.
- Ces questions sont, cela va de voi, d'une importance immense. Mais, chef d'un Etat européen, on comprendra la place prioritaire que j'attache à la réduction des armements classiques ou conventionnels accumulés en Europe, et, de façon dissymétrique, au détriment de l'Europe de l'Ouest.
- Je souhaite vivement que les 35 participants à la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe abordent au plus tôt le fond de cette négociation.
- Une occasion sans précédent depuis un demi-siècle nous est offerte pour qu'un équilibre stable, à un niveau d'armemement plus bas, suffisant et raisonnable, s'établisse. Y parviendra-t-on ? Cela dépendra de la volonté politique des Etats en présence. Mais je vous le demande, qui prendrait la responsabilité d'écarter à priori cette chance ? L'objectif est aisé à formuler : que chacun puisse se défendre, comme c'est son droit, sans menacer quiconque. Mais comment procéder ? Je me permets de vous suggérer quelques éléments de réponse :
- d'abord en veillant à ce qu'aucune armée, aucune coalition d'armées ne dispose dans la zone où l'Est et l'Ouest se font face, du moyen de lancer brusquement une attaque par surprise, ni de mener une guerre prolongée. Et pour cela il conviendra de prévoir dans cette zone des mesures de réduction, de recul, de déconcentration des troupes et des matériels - chars, engins blindés, artillerie, ponts mobiles et toutes techniques de franchissement et de limitation des réserves et des stocks.
- Ensuite, en élaborant des procédures de vérification et de contrôle contre la violation éventuelle des traités. Ces nouvelles mesures de transparence et de confiance compléteraient utilement le dispositif d'Helsinki. Plusieurs initiatives ont été prises par mon pays pour la définition des zones où s'appliqueraient ces contraintes, sur le rapport entre les matériels militaires nationaux et les matériels étrangers, sur le plafonnement des forces d'un seul pays au regard de l'ensemble. J'ai enfin souhaité qu'au terme des deux années à venir il fût procédé à un examen de l'état de la négociation. Faute de résultat, en effet, qui pourrait empêcher chacun de reprendre sa liberté ? Une issue favorable ouvrirait à l'Europe, sur laquelle pèsent encore si rigoureusement les conséquences de la dernière guerre mondiale, de vastes et nouvelles perspectives d'avenir. Nous tous, Européens de l'Est comme de l'ouest, appartenons à un même continent et puisons aux sources d'une même culture. L'histoire et la géographie nous invitent à dépasser patiemment par tous les moyens possibles, dans la sécurité et l'intérêt de tous, l'affrontement des blocs hostiles.\
Quant à l'arme chimique, dont, hélas, nous avons constaté récemment les ravages, éliminons la au plus vite. Le Président Reagan s'est justement exprimé là-dessus, ici même, lundi dernier. Il l'a fait en des termes élevés et pressants, échos de nos propres préoccupations et d'une façon d'autant plus opportune que son pays dispose de cette arme. J'ai remarqué avec le même intérêt que l'Union soviétique qui en dispose également, avait appuyé ce projet. Les propositions de la France qui, elle, n'en possède pas, sont de trois ordres :
- En premier lieu, mon pays dépositaire du protocole de Genève de 1925, est naturellement favorable à la réunion des 110 pays signataires de cet accord. L'objet de cette réunion, selon elle, sera de réaffirmer solennellement l'engagement de non-emploi, de prévenir la prolifération, de susciter de nouvelles adhésions, d'améliorer les procédures d'enquête, enfin, de marquer une volonté commune de voir aboutir les travaux actuellement menés à Genève dans le cadre de la conférence de désarmement. En deuxième lieu, mon pays désire accroître le rôle des Nations unies dans la lutte contre la prolifération et l'usage de l'arme chimique. En 1982, la France avait été à l'origine de la résolution permettant au Secrétaire général de diligenter les enquêtes dans les régions du monde où des armes chimiques auraient été utilisées. Cette procédure a déjà confirmé l'emploi effectif de ces armes. Allons plus loin. Créons une situation qui fasse qu'aucun Etat ne puisse impunément employer l'arme chimique pour règler ses problèmes externes ou internes. Sinon, je pense que s'imposerait, parmi d'autres mesures, l'embargo sur toute livraison de produits, de technologies et, plus généralement, d'armes, à l'Etat en cause. La France est prête, après consultation de ses partenaires, à déposer un projet de résolution dans ce sens. Cela sans préjuger les sanctions que déciderait le conseil de sécurité.
- Troisième et dernier point, et c'est là surtout que je veux en venir : nous devons non seulement interdire l'emploi des armes chimiques, mais aussi leur fabrication. Les risques de banalisation et de prolifération de l'arme chimique commandent de forcer l'allure et d'aboutir à la destruction des stocks comme à la surveillance étroite des moyens qui permettraient de les reconstituer. En signant la convention, chaque Etat détenteur de stocks s'engagerait à les détruire. Mais comme plusieurs années seront, de l'avis des experts, nécessaires avant d'y parvenir, la menace chimique subsistera pendant ce temps. D'où la nécessité d'assurer la sécurité pendant la période délicate qui précédera la destruction totale de ces armes.
- C'est pourquoi je pense que les usines d'armes chimiques devraient être fermées dès l'entrée en vigueur de la convention, et placées, comme les stocks, sous contrôle international avant d'être démantelées. Dès maintenant la France se déclare prête à renoncer à toute possibilité de produire des armes chimiques à partir de l'entrée en vigueur de la future convention.\
Bien entendu, l'interdiction de l'arme chimique ne saurait être imposée aux uns tandis que d'autres, notamment les puissances nucléaires, garderaient pour elles-mêmes le champ libre et ne persévéreraient pas dans leur volonté de désarmer. A cet égard, je rappelle que j'ai évoqué à cette tribune, en septembre 1983, les conditions auxquelles mon pays accepterait de participer, le moment venu, à une conférence sur le désarmement nucléaire des cinq puissances détentrices de cette arme : réduction déterminante de l'écart entre les arsenaux des grandes puissances et le nôtre, arrêt de la surenchère anti-missile, anti-satellite et anti sous-marine, correction des déséquilibres conventionnels. Je maintiens, en ce jour, ce que j'ai dit à l'époque. J'ajoute que l'effort de désarmement doit s'étendre à l'espace, patrimoine commun de l'humanité. C'est pourquoi la France récuse la course aux armements dans l'espace tout en soutenant l'utilisation de moyens spatiaux de contrôle.
- Jusqu'à l'accord sur le FNI, accord dont on mesure chaque jour davantage la portée, les négociations sur le désarmement ont achoppé sur le problème de la vérification. La France, en juin dernier, lors de la troisième session extraordinaire des Nations unies, a préconisé le contrôle par satellite et par surveillance automatique, ainsi que par les inspections sur place dites "de routine" ou "par défi". Nous pouvons maintenant définir en effet, au cas par cas, une combinaison de moyen de contrôle adaptée à chaque accord de désarmement. Mais rien ne se fera sans la volonté politique des Etats.\
Si j'en viens maintenant aux conflits régionaux, je ne puis que me réjouir de l'évolution constatée dans le golfe, commencée en Afghanistan, attendue au Sahara Occidental, au Cambdoge peut-être à Chypre. Cela m'est d'autant plus facile que la France a toujours refusé de reconnaître le fait accompli, qu'elle n'a cessé de condamner l'intimidation terroriste ou militaire, qu'elle a inlassablement plaidé pour le règlement des conflits par des moyens pacifiques.
- Loin de moi l'idée de sous-estimer les progrès enregistrés au cours des denriers mois. Je constate toutefois que, si le rapprochement entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique contribue à la cessation des combats, ce rapprochement reste insuffisant pour ramener une paix durable car les causes profondes demeurent. J'observe, à cet égard, que plusieurs régions du globe échappent à l'embellie diplomatique : le Proche-Orient, l'Amérique centrale, en dépit du plan Arias et de l'action des groupes de Contadora et de Lima, que la France soutient et, ici ou là, et malgré un répit, toujours l'Afrique Australe, conséquence directe de l'insupportable Apartheid.
- Il appartient à la Communauté internationale de consolider les acquis et d'aider à éteindre les derniers foyers de violence. Lorsque les armes se sont tues, tant de choses restent à faire : accords à garantir, blessures à panser, adversaires à réconcilier, économies à reconstruire.
- Il ne servirait à rien de couvrir d'éloges la personne et l'action du Secrétaire général des Nations unies si nous devions demain lui mesurer notre soutien. Car la paix a un coût. L'envoi, ici, d'une force d'intervention £ l'organisation, là, d'un référendum £ la mise en place, ailleurs, de l'aide à la reconstruction. Tout cela devra être financé. Je ne veux pas croire que, après avoir été prodigues de leur effort de guerre, les Etats, à commencer par les plus puissants, lésineront sur les efforts de paix.
- En Afghanistan, nul ne saurait se satisfaire de la substitution d'une guerre civile à un conflit international. L'évacuation des troupes étrangères doit normalement ouvrir la voie au rétablissement de la souveraineté de ce pays, au retour des réfugiés, à la reconstruction économique. Mais cela ne se fera pas sans une extrême vigilance.
- Je forme des voeux pour que le cessez-le-feu entre l'Irak et l'Iran débouche - et aussi rapidement que possible - sur une paix véritable, sur le règlement des litiges, sur la reconstruction des zones sinistrées et sur le rétablissement de la liberté de navigation dans le Golfe et le détroit d'Ormuz. La Paix est contagieuse et chacun, Etats et peuples de la région, en recueillera les bienfaits. Comment ne pas penser, en cet instant, aux minorités doublement frappées telles que les populations kurdes ?
- Je souhaite que le retour à la conciliation au Sahara Occidental prévale. Ainsi, on peut aujourd'hui le croire, serait levé un obstacle à la construction du grand Maghreb porteur de paix et de prospérité dont la France approuve le dessein, et elle compte là-dessus, sur la sagesse des gouvernants.\
Au Proche-Orient, le soulèvement de la jeunesse palestinienne et les décisions du roi Hussein montrent, une fois de plus, que le statu-quo ne protège plus ceux qui s'en prévalent tandis qu'il est de plus en plus meurtrier pour ceux qui le subissent.
- Revenons aux principes de base d'un règlement durable, tels qu'ils ont été définis par les Nations unies, ils sont connus de vous. Je les ai, pour ma part, exposés aussi bien à la tribune de la Knesseth à Jérusalem, que dans les capitales arabes : Israël a le droit de vivre dans des frontières sûres et reconnues et le peuple palestinien a le droit de disposer d'une patrie et d'assumer lui-même son destin.
- Pour atteindre le règlement de paix qui consacrera ces droits, le dialogue entre les parties s'impose. Chacun Israéliens et Palestiniens, doit faire un bout de chemin et accepter pour l'autre ce qu'il exige pour lui-même, et le dire clairement. Je perçois, bien entendu, à quel point le premier pas est difficile. Pour faciliter le dialogue et abattre les murs de méfiance, la communauté internationale a, c'est évident, un rôle d'intermédiaire à jouer. Une procédure existe : la conférence internationale. Elle est le seul cadre où les vrais partenaires pourront se retrouver et établir entre eux des contacts bilatéraux.
- La Conférence internationale est devenue une référence. Faisons-en une réalité. J'avais proposé, il y a quelques temps, qu'un comité préparatoire s'attachât à aplanir le terrain. Monsieur Gorbatchev s'était retrouvé avec moi sur cette idée. Eh bien le moment est venu de la relancer. Je suggère qu'une concertation diplomatique s'engage entre les cinq membres permanents du conseil de sécurité, en liaison avec le secrétaire général. Ce travail préparatoire devrait alors aboutir à des recommandations sur l'organisation, le calendrier et les participants de la future Conférence.\
La France, dont les liens avec le Liban ne sont pas à rappeler, ne se résigne pas à voir disparaître l'indépendance et l'unité de ce pays. Elle prend à temoin l'organisation des Nations unies des obstacles qui sont mis là-bas au libre exercice de la souveraineté populaire. Elle en appelle à la raison des voisins de ce pays. Un Liban réconcilié et pacifique ne menace personne. Un Liban écartelé et disputé restera un foyer d'insécurité pour tous. Exhortons les Libanais à puiser dans leur fierté nationale, dans leur patriotisme, la force et le courage de croire en leur pays. J'affirme en tout cas que la France restera aux côtés de ceux qui, dans le respect mutuel, luttent pour l'avenir démocratique, l'intégrité territoriale et la souveraineté du Liban.\
plus loin, vers l'extrême-Orient, le Cambodge entrevoit la fin de son calvaire. La décision annoncée par le gouvernement du Vietnam de mettre fin à son intervention, les initiaves des pays de l'association des Nations du Sud-Est asiatique, l'action des responsables tels que le Prince Norodom Sihanouk, peuvent faire avancer l'heure d'un règlement politique.
- Mon pays qui a facilité les premières rencontres entre partenaires cambodgiens, le fera plus encore et, je l'espère, prochainement. Il se tient prêt, si tel est leur souhait, à inviter les parties concernées à se rencontrer à Paris le moment venu.\
A ce point de mon exposé, je veux vous dire, mesdames et messieurs, que rien ne me paraît plus important, quelle que soit l'ampleur des sujets que j'ai abordés ce matin, désarmement et règlement des conflits régionaux, rien ne me paraît plus important que de combler le fossé qui ne cesse de s'élargir entre pays développés et pays en développement. Les causes sont multiples : politiques, sociales, économiques, démographiques, financières, que sais-je ! Elles ont atteint une telle gravité que beaucoup sont tentés de juger vain l'application de tout remède.
- Tel n'est pas le cas de la France. Depuis sept ans, et certes je ne suis pas le seul, je répète qu'il est de l'intérêt du Nord d'aider le Sud, qu'il n'y a pas de fatalité, que l'homme peut toutjours maîtriser les voies du devenir et qu'il y a urgence. Je vois dans la permanence des déséquilibres actuels la cause la plus pernicieuse d'un immense malheur qui précipitera, plus sûrement qu'aucun autre danger, le monde vers un désordre sans limite comme la guerre, pire que la guerre.
- Et pourtant, l'aide internationale, multilatérale ou bilatérale, stagne ou régresse. La France - qui est, parmi les sept pays industriellement avancés, celui qui consacre le plus fort pourcentage de son produit national brut à l'aide au développement - ne se considère pas comme quitte de ses devoirs : l'objectif de 0,7 % reste son ambition.
- En particulier, le fardeau de la dette exige une action immédiate. Diverses initiatives intéressantes ont déjà été lancées par les uns ou par les autres. J'ai moi-même proposé pour ma part aux grands pays industrialisés réunis cette année à Toronto, d'assouplir sensiblement les conditions de remboursement imposées aux plus pauvres. La France quant à elle, a choisi d'annuler le tiers de ses créances publiques sur ces pays. Ce pas significatif ne doit être qu'un début.
- Pour d'autres pays lourdement endettés, notamment en Amérique latine, en Afrique ou ailleurs, la dette représente également une charge insupportable et constitue, dans certains cas, une menace pour la démocratie. Face à cette situation, la communauté internationale doit faire preuve de plus de réalisme et d'imagination. Toute dette contractée doit être payée. Mais on peut en réduire le coût sans en transférer la charge sur les contribuables des pays créanciers.
- C'est ainsi que les Etats-Unis d'Amérique ont garanti l'année dernière, par une opération audacieuse, une partie du capital des emprunts commerciaux du Mexique. Plusieurs pays, et de nombreux experts, ont imaginé de créer un fonds multilatéral qui, en garantissant le service des intérêts, en abaisserait le coût. Bref, diverses méthodes pour financer ce fonds ont été avancées.
- Mais pour la France la meilleure technique consisterait dans la création d'un fonds auprès du FMI, chargé de garantir le paiement des intérêts servis sur certaines créances commerciales converties en obligations. Ce fonds réduirait significativement les charges financières des pays débiteurs et les mêlerait plus activement au commerce mondial. Pour le financer, les pays développés lui réserveraient l'usage de leurs parts d'une émission nouvelle de droits de tirage spéciaux. La mise en oeuvre de ce projet constituerait, j'en ai conscience, une novation juridique et financière considérable. Elle exigerait de longs travaux préparatoires et de nombreuses consultations entre les créanciers et avec les débiteurs. Et pourtant, elle seule paraît à la hauteur de l'enjeu.\
Mais le développement passe par bien d'autres choses :
- Par la stabilisation des recettes d'exportation des pays du Sud, la diversification et la revalorisation de leurs productions. L'Uruguay round devrait en tenir compte.
- Par la protection de l'environnement, menacé depuis peu par les déchets industriels du Nord déversés au Sud : la communauté internationale aura à fixer des règles ainsi que les précautions nécessaires.
- Par un puissant transfert de technologie et de connaissance du Nord vers le Sud. Je voudrais, à ce propos, suggérer une approche nouvelle, inspirée du projet dit Eurêka pour l'Europe, où, à côté de l'impulsion gouvernementale, des initiatives prises librement par des entreprises et des universités aboutiraient à une coopération d'égal à égal.
- Je continue ma brève liste.
- Par le lancement de grands projets d'intérêt mondial capables de mobiliser les énergies au service de telle ou telle région blessée par la nature ou par la folie des hommes. Je prends l'exemple de la stabilisation des fleuves qui inondent le Bengladesh à l'origine d'une impressionnante catastrophe, fournirait la juste matière d'un premier projet de ce genre. La France, pour sa part, est prête à y contribuer.\
Il y a deux siècles, la France a entrepris une révolution, sa révolution, qui a marqué le cours de l'histoire. Elle a, de la sorte, pris rang dans la bataille jamais gagnée et toujours nécessaire pour plus de liberté, d'égalité et de fraternité.
- Au moment où nous nous apprêtons à fêter ce bicentenaire, défendons donc plus que jamais les droits de l'homme, des plus anciennement reconnus aux plus nouveaux. Droits de l'homme, droits des peuples, droits de l'humanité.
- Il convient aujourd'hui, devant certaines situations d'urgence, de détresse ou d'injustice extrême d'affirmer un "droit d'assistance humanitaire". Le progrès économique et social, seul fondement solide de la démocratie, le poids moral des opinions publiques, et une vigilance sans défaut en seront le meilleur garant.
- Tant de peuples voient encore nier leurs droits les plus élémentaires et tant d'hommes, de femmes, d'enfants dont la misère est la seule patrie et l'absence de droits le seul horizon !
- Le moment n'est-il pas venu de prendre conscience qu'il existe des droits de l'humanité et de les définir ? Je songe à la défense de notre milieu naturel, face aux exigences parfois irresponsables de l'économie - j'étais heureux d'entendre monsieur le représentant de l'Union soviétique demander qu'un plan fut mis en oeuvre avant 1992 sur ce sujet - je pense aussi à la défense del'espèce, de l'espèce humaine, - ravage de la drogue -, à la défense de l'espèce face aux possibilités vertigineuses de la science, et, notamment de la génétique.
- La conférence des Prix Nobel que j'ai réunie en Janvier 1988 à Paris nous a alertés sur ce point : ce n'est pas la connaissance en elle-même qui est dangereuse, ce sont les applications de la science qu'il nous faut contrôler, qu'il nous faut maîtriser.
- Comptables à proportion de la puissance qui est aujourd'hui la nôtre de la transmission à nos descendants d'un patrimoine naturel et génétique intact, nous avons à fonder l'éthique du troisième millénaire.
- Mais je m'arrête. Et puisque avec vous j'ai considéré l'avenir, je rêve du jour où l'Europe, l'Europe telle qu'elle cherche à se construire, pourra, d'une seule voix, s'exprimer comme je viens de le faire pour y tenir le langage de la paix entre les Nations et de la confiance dans le destin de l'humanité.
- Je vous remercie.\