14 juillet 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à TF1 le 14 juillet 1988, à l'occasion de la fête nationale, notamment sur les grands travaux, le gouvernement Rocard et la majorité parlementaire ainsi que sur le désarmement.

YVES MOUROUSI.- Cette musique de la Garde républicaine, cette musique symphonique de la Garde républicaine, menée à la baguette... mesdames, messieurs, bonjour, bonjour en direct de l'Elysée, pour la quatorzième fois dans cet univers présidentiel et pour la huitième fois avec Monsieur le Président de la République François Mitterrand, pour ce deuxième septennat, avec la joie de vous retrouver, ici, un 14 juillet.
- Vous disiez, l'année dernière, que peut-être cela n'arriverait plus...
- LE PRESIDENT.- Oui, je le pensais naturellement. Mon terme était fixé, il a été renouvelé. Je le dois à la confiance de la majorité des Français et je recommence avec naturellement les mêmes devoirs, les mêmes obligations, et aussi le même intérêt.
- QUESTION.- Vous avez pris la décision, j'allais dire, de reprendre le collier du candidat. Vous vous êtes dit : c'est un mal nécessaire, ou j'en ai une ardente obligation ou alors vous y avez pris un malin plaisir ?
- LE PRESIDENT.- Je ne le souhaitais pas, je l'ai déjà dit, mais quand je prends une décision, ensuite je vais vite, sans remords et sans regret. Nous avons mené cette campagne avec le sentiment qu'il fallait la gagner et je me suis pas occupé d'autre chose.
- QUESTION.- Vous n'avez pas choisi entre le mal nécessaire, l'ardente obligation, et le malin plaisir ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas un mal nécessaire, l'ardente obligation pourrait être contestée par trop £ en tout cas moi, je l'ai ressenti comme cela...
- QUESTION.- Tout à l'heure, on parlait du défilé auquel vous avez assisté ce matin... vous l'avez présidé en tant que Président de la République, chef des armées, on emploie les deux termes pour le défilé de 1988, modernité et technologie, ce sont deux termes que vous pourriez reprendre à votre compte dans la façon dont vous allez gouverner la France pendant sept ans ?
- LE PRESIDENT.- Ces deux termes, sûrement, aussi bien sur le plan des activités civiles, industrielles, techniques que sur le plan militaire, mais ce ne serait pas suffisant. Modernité, technique, je dirai progrès, c'est un terme plus vaste et je veux, en effet, représenter ici plus que jamais les forces de progrès. Le progrès cela signifie sur le plan humain justice, égalité des chances, savoir et formation, refus des exclusions, bref, je ne vais pas redire ici ce que j'ai dit pendant deux mois, mais j'y reste fidèle.
- QUESTION.- Quand vous dite "je ne vais pas redire", il n'y a pas de fossé entre le candidat et l'homme de pouvoir ?
- LE PRESIDENT.- Quel fossé pourrait-il y avoir ? Je suis engagé devant le pays, devant notre peuple, il m'a élu, je m'efforce d'exécuter ce que j'ai annoncé.\
QUESTION.- Vous savez qu'on rêve beaucoup en ce moment, c'est peut-être la tradition inaugurée par John Fitzgerald Kennedy... Le Premier ministre rêve, il l'a dit l'autre jour à l'Assemblée nationale, vous, vous rêvez de temps en temps ?
- LE PRESIDENT.- Cela m'arrive.
- QUESTION.- Vous rêvez à quoi ?
- LE PRESIDENT.- Pas seulement la nuit...
- QUESTION.- Vous rêvez le jour ? Vous rêvez de quoi ?
- LE PRESIDENT.- ... bien que mon sommeil soit paisible.
- QUESTION.- Vous rêvez à quoi le jour ?
- LE PRESIDENT.- A la réussite de la France. Ni le Premier ministre, ni moi ne nous contentons d'en rêver. On s'attache à le faire.
- QUESTION.- Vous aviez lancé ici, je crois que c'était en 1982, nous étions à la même heure ensemble, le terme de "la France qui gagne". Vous l'avez repris à plusieurs reprises, d'autres l'ont repris après vous. La France qui gagne vous tient toujours à coeur ?
- LE PRESIDENT.- C'est un grand objectif pour celui qui a la première responsabilité en France de vouloir que son pays gagne sur le maximum de terrains possibles. On ne peut pas tout faire à la fois, mais on doit être le meilleur dans de nombreux domaines et nous le pouvons, c'est d'autant plus nécessaire que nous allons entrer bientôt dans une Europe modifiée, avec les frontières abattues entre les douze pays de la Communauté. Il faut y aller.
- QUESTION.- Je vous ai posé une question sur vos rêves, vous avez des cauchemars quelquefois ?
- LE PRESIDENT.- Pratiquement pas.- QUESTION.- Même pas le jour ?
- LE PRESIDENT.- Non, non.
- QUESTION.- En écoutant la radio, en regardant la télévision ?
- LE PRESIDENT.- Soyons tout à fait précis, naturellement, lorsque j'entends des nouvelles atroces, lorsque je vois le terrorisme tenter de maintenir sa pression, des actes abominables, intolérables, ce n'est pas pour moi un cauchemar, c'est une peine, une douleur £ mais un cauchemar, c'est une peine, une douleur £ mais un cauchemar en imaginant l'avenir, non. C'est une affaire de volonté, d'organisation, et puisque le pouvoir m'échoit pour une large part, j'entends en user de telle façon que les Français se sentent en situation de gagner et qu'ils n'aient pas à faire non plus de mauvais rêve.\
QUESTION.- Alors comment gagner, comment réaliser ces rêves on va y revenir. Simplement j'en finis avec ce qui s'est passé ce matin, vous étiez dans l'axe de la Concorde à l'Etoile, et puis derrière l'Etoile qui était recouverte de ce tissu tricolore pour cacher les travaux, l'Arc de Triomphe, vous avez pu apercevoir l'Arche de la Défense...
- LE PRESIDENT.- Oui, on aperçoit le haut - car cette arche de La Défense est haute de cent cinq mètres - et à partir de l'Arc de triomphe du Carrousel, plus on va vers la Concorde, vers le rond-point des Champs Elysée, apparaît peu à peu, cette barre transversale, qui n'est pas le premier élément qui vient déranger l'horizon de l'Arc de triomphe de l'Etoile, puisque déjà beaucoup de constructions ont été faites en ce lieu. J'essaie au contraire d'y créer l'harmonie, et quand on arrive à l'Etoile, soudain apparaît le monument dans sa grandeur, son ampleur et c'est une belle chose.
- QUESTION.- Lorsque vous êtes arrivé à peu près le 14 juillet en 1981, ici, vous aviez dans vos rêves de laisser une trace, l'idée de grands travaux nécessaires pour Paris, disiez-vous, pour la France. C'était la fin de La Villette, enfin, c'était mener La Villette jusqu'à son terme, Le Grand Louvre, vous allez y arriver, parce que M. Balladur est parti...
- LE PRESIDENT.- J'ai réalisé d'abord les grands projets hérités de mon prédécesseur £ je pense essentiellement à La Villette et au musée d'Orsay. J'ai entrepris d'autres grands projets...
- QUESTION.- Le Grand Louvre, par exemple ?
- LE PRESIDENT.- Je citerai l'Arche dont nous venons de parler à La Défense ou le Grand Louvre £ ce ne sont d'ailleurs pas les seuls travaux que j'ai engagés £ naturellement , il y a eu quelques avatars au cours de ces deux dernières années, divers projets un peu modifiés, mais on en est revenu, disons, dans le bon sens, et ces travaux verront leur fin d'ici peu.
- QUESTION.- M. Bérégovoy comprend mieux que M. Balladur l'intérêt de la chose ?
- LE PRESIDENT.- Non, ce n'est pas le problème. Je crois qu'il est plus attaché à réaliser un projet nécessaire à l'art français.\
QUESTION.- Et là, vous n'avez pas dans votre corbeille, j'allais dire, de mariage avec les Français, quelques autres idées £ puisque vous restez sept ans vous n'allez pas encore mettre les pierres les unes sur les autres ?
- LE PRESIDENT.- L'ensemble de ces grands projets qui était précisément un nombre d'or, au nombre de sept, s'achève ou va s'achever. C'est la durée d'un septennat par définition... cela dépasse un peu, ce sont des projets sur huit ou neuf ans, car il faut les financer et répartir les dépenses sur un certain nombre de budgets, mais j'ai commencé une nouvelle période de responsabilité à la Présidence de la République, oui, j'ai de grands projets, je vais vous en citer un.
- QUESTION.- Lequel ?
- LE PRESIDENT.- Je veux que soient entrepris la construction et l'aménagement de l'une des ou de la plus grande et de la plus moderne bibliothèque du monde.
- QUESTION.- Vous voulez refaire la bibliothèque d'Alexandrie ?
- LE PRESIDENT.- Justement, à Alexandrie, l'UNESCO vient de prendre en charge, sans doute en raison de la résonance historique, la construction d'une bibliothèque qui sera un modèle qui communiquera avec le monde entier. Les mêmes efforts ont été observés à Chicago et à Londres, bref, il faut que Paris et que la France tout entière puissent démontrer ce qu'ils sont capables de faire.
- Je veux une bibliothèque qui puisse prendre en compte toutes les données du savoir dans toutes les disciplines, et surtout, qui puisse communiquer ce savoir à l'ensemble de ceux qui cherchent, ceux qui étudient, de ceux qui ont besoin d'apprendre, toutes les universités, les lycées, tous les chercheurs qui doivent trouver un appareil modernisé, informatisé et avoir immédiatement le renseignement qu'ils cherchent. On pourra connecter cette bibliothèque nationale avec l'ensemble des grandes universités de l'Europe et nous aurons alors un instrument de recherche et de travail qui sera incomparable. J'en ai l'ambition et je le ferai. J'en ai parlé récemment au Premier ministre, au ministre de l'éducation nationale, au ministre de l'économie et des finances, on va, au coude à coude, réussir ce projet.
- QUESTION.- Pour quand ?
- LE PRESIDENT.- Quatre ou cinq ans.
- QUESTION.- Quatre ou cinq ans. Où ?
- LE PRESIDENT.- L'endroit reste à choisir.\
QUESTION.- Bien. Alors, quatre ou cinq ans... second mandat... vous en avez pris pour sept ans - j'allais le dire - le 8 mai... Vous avez l'intention d'aller jusqu'au bout ?
- LE PRESIDENT.- En principe.
- QUESTION.- Comme la campagne a l'air d'avoir déjà démarré pour votre succession, je me demandais si vous étiez sûr de rester...
- LE PRESIDENT.- Je crois l'avoir observé, cela... Disons qu'il est normal que d'autres, comme responsables politiques, pensent à ma succession. Peut-être s'y prennent - ils un peu vite... Ils ne devraient pas oublier que pour l'instant et pour un certain temps - si Dieu me prête vie - la décision m'appartiendra. Mais enfin, tout cela, c'est à eux de l'apprécier.
- QUESTION.- Vous venez d'employer un terme qui m'a fait immédiatement "chaud" aux oreilles, vous avez employé le terme de "Dieu". Vous avez vu le "Bébête Show" ?
- LE PRESIDENT.- Oui, naturellement.
- QUESTION.- Vous savez que vous êtes Dieu, dans le "Bébête Show" ? LE PRESIDENT.- J'ai vu cela, oui, avec intérêt... une grenouille divinisée...
- QUESTION.- Donc, c'est vous-même qui vous prêtez vie à vous-même, quoi !
- LE PRESIDENT.- Si vous voulez reprendre le thème d'une émission que j'ai trouvée remarquable, très astucieuse et très vive, qui d'ailleurs - je suis un peu surpris - me prête toujours un langage (comment pourrait-on dire ?...) de chambrée, puisque nous sommes le 14 juillet... moi, je ne parle pas comme cela, mais c'est une caricature... J'ai un peu de peine à me reconnaître dans cette caricature... moi, je trouve qu'elle ne me ressemble pas. Mais comme tout le monde trouve qu'elle me ressemble, c'est moi qui dois me tromper, sans doute...
- QUESTION.- Bon, alors, vous savez... Dieu qu'on implore, qu'on ne remercie pas quand il arrive quelque chose de bon, sur la tête duquel on met toutes les catastrophes - et en particulier les fidèles - lorsqu'il arrive quelque chose qui ne va pas du tout dans la vie, du point de vue santé, du point de vue des rapports avec les autres... C'est toujours que Dieu leur veut du mal ! Pourquoi Dieu me veut-il du mal ? Vos fidèles, les socialistes, n'arrêtent pas de se retourner vers François Mitterrand en demandant ce qu'ils ont fait au bon Dieu ! Vous ne les aimez pas ?
- LE PRESIDENT.- Mais vous reprenez toujours cette analogie...
- QUESTION.- On va passer à autre chose...
- LE PRESIDENT.- ... j'ai une idée un peu plus modeste de mon rôle.
- C'est une bonne plaisanterie. Il est vrai qu'un Président de la République est appelé à rester un certain nombre d'années à la tête du pays, cela peut prêter à des comparaisons qui éloignent quand même du sujet en question.\
Alors, revenons là-dessus. Vous parliez des socialistes. Allons-y. Je suis prêt à répondre à vos questions.
- QUESTION.- Ce sont vos amis ... ?
- LE PRESIDENT.- Ce sont mes amis, en effet.
- QUESTION.- Ce sont vos amis, en effet.
- QUESTION.- Ce sont vos amis, mais ils le sont tous ?
- LE PRESIDENT.- Je le suppose. Le mot "ami" doit toujours être employé avec précaution, mais enfin ce sont des compagnons avec lesquels j'ai fidèlement mené un combat qui a duré longtemps et je me réjouis toujours lorsque j'observe que mes amis socialistes obtiennent des succès.
- QUESTION.- C'est grâce à eux que vous avez fait 54 et quelques % ?...
- LE PRESIDENT.- Pour beaucoup, certainement, pour beaucoup... Pas simplement grâce à eux, mais ils étaient là.
- QUESTION.- Et alors, les autres, c'est lesquels ? Le "plus", il vient d'où ?
- LE PRESIDENT.- C'était assez facile à voir, vous savez... Il y a des analystes politiques qui ont d'abord remarqué que l'ensemble des forces qui ont assuré mon élection étaient des forces - je les ai appelées tout à l'heure comme cela - de progrès...
- QUESTION.- Vous le ressentez comment, vous ?
- LE PRESIDENT.- Les forces de progrès, ce sont...
- QUESTION.- Uniquement par addition de forces ?
- LE PRESIDENT.- ... ce sont des mouvements, disons, plus obscurs peut-être, moins différenciés, ce sont des mouvements qui emportent des moments de l'Histoire. Mais il y a quand même une base politique, et cette base politique, ce sont les forces de progrès, parmi lesquelles, au premier rang, les socialistes.
- QUESTION.- Et au deuxième rang, les communistes ?
- LE PRESIDENT.- Mais il y a quand même une base politique, et cette base politique, ce sont les forces de progrès, parmi lesquelles, au premier rang, les socialistes.
- QUESTION.- Et au deuxième rang, les communistes ?
- LE PRESIDENT.- Mais il y a beaucoup de gens qui sont considérés comme des modérés et qui sont parfaitement capables de comprendre cet appel de l'Histoire, cette nécessité du pays...
- QUESTION.- Au premier rang, les socialistes... au deuxième rang, les communistes ?
- LE PRESIDENT.- Les communistes, sans aucun doute, qui ont appelé à voter pour moi, et je m'en suis réjoui.
- QUESTION.- Alors, en même temps que les communistes, à côté, ou juste derrière, ce que vous appelez "les modérés"...
- LE PRESIDENT.- Je ne dirai pas derrière mais à côté, des modérés qui, jusqu'alors, n'avaient pas voté pour des candidats de la gauche - dont je suis - et qui ont compris que là était l'intérêt de la France.
- QUESTION.- Vous pensez que M. Soisson a voté pour vous à l'élection présidentielle ?
- LE PRESIDENT.- Je ne le crois pas, non. Il l'a dit lui-même, d'ailleurs. Il a été candidat aux élections législatives sur des listes contraires, non ? Mais on a le droit à tout moment de rallier la majorité présidentielle...
- QUESTION.- Ces modérés sont ceux qu'on appelle le centre... L'autre jour, j'entendais M. Méhaignerie dire : "La France a voté au centre". Donc, si la France a voté au centre, vous êtes concerné directement par ce centre ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez, chacun est libre d'exposer son explication à sa manière. Peut-être la France a-t-elle voté au centre, après tout... Je ne veux pas entrer dans un débat avec le leader politique que vous me citez. Résultat ? Le groupement du centre à l'Assemblée nationale a environ 50 députés et, pour donner un exemple, le groupe socialiste en a 275 ou 276. Alors, pour qui a-t-elle voté, la France ?... Je laisse les commentateurs en juger.\
QUESTION.- Si en définitive, les 54 % de l'élection présidentielle qui vous donnent - j'allais dire - la force du pouvoir et du consensus, ou de l'accord, vous les avez ressentis comme étant une force au départ, est-ce que quelques semaines après l'action des leaders politiques dans les élections législatives ne vous a pas affaibli vous-même ? Est-ce que vous ne vous sentez pas affaibli aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Je ne crois pas. Pourquoi le serais-je ? J'ai été élu avec 54 % des voix. L'ensemble des organisations politiques qui ont pris part aux élections législatives le mois suivant ont obtenu, grosso modo, 52,5 ou 53 % des suffrages, la différence n'est pas telle. Peut-être ai-je disposé, seul candidat représentant ces forces au deuxième tour de scrutin, d'une possibilité d'impact et de force qui s'est un peu diluée lors des élections législatives, mais ce sont des chiffres comparables...
- QUESTION.- Vous l'attribuez à quoi, ce... ?
- LE PRESIDENT.- Ce quoi ?
- QUESTION.-... ce mouvement de dissolution, comme cela...
- LE PRESIDENT.- Non, c'est vous qui le dites, ce n'est pas moi, il n'y a pas eu dissolution... QUESTION.- Quand même, le triomphe de François Mitterrand entraînant ses candidats à la majorité présidentielle...
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas tout à fait pareil, la candidature présidentielle... Les réflexes ne sont pas les mêmes. C'est tout un peuple qui souhaite élire tel Président plutôt que tel autre. Et puis ensuite, il y a le choix plus directement politique, réparti entre 577 circonscriptions, où en effet la capacité, la qualité des hommes ou des femmes candidats, sur place, jouent de telle sorte qu'elles impriment une nouvelle direction au mouvement sur le plan national. Mais tout cela est normal.
- Je voudrais vous dire ceci, parce que je sais bien qu'il y a de nombreuses discussions là-dessus. D'abord, on s'est interrogé sur le point de savoir qui a gagné... Eh bien ! Il y avait une majorité de droite, il y a aujourd'hui une majorité de gauche ! Il y avait un gouvernement de droite, il y a aujourd'hui un gouvernement de gauche ! Il y avait un Président de l'Assemblée nationale de droite, il y a maintenant un Président de l'Assemblée nationale de gauche ! Je suis encore là ! Je ne sais pas finalement qui a gagné, mais comme disais l'autre... je sais qui a perdu !
- QUESTION.- Oui, mais alors vous venez de répéter trois ou quatre fois les termes "gauche" et "droite". Vous vous dites : on ne peut pas sortir de ce clivage ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas dit cela ! C'est vous qui le dites !
- QUESTION.- Ah !.\
Simplement, je considère que le premier de mes devoirs est de répondre aux aspirations des forces de progrès que j'ai citées il y a un moment, c'est-à-dire de répondre aux aspirations des Français qui, en votant pour moi, ont choisi une certaine direction pour leur pays. Voilà mon premier devoir. Mais la fidélité à mes engagements me conduit aussi à chercher à rassembler beaucoup d'autres Français, dès lors qu'ils se retrouveraient comme adoptant de grands objectifs, mais des objectifs simples. Voulez-vous que j'en cite ? Oh, trois ou quatre, simplement. Par exemple, la priorité à l'éducation nationale et à la formation. La construction de l'Europe. Premier exemple, sur l'éducation nationale : parmi les premières mesures prises par ce gouvernement, des crédits et un plan s'esquissent pour l'éducation nationale et la formation professionnelle. De même, pour l'Europe, mon premier soin à la conférence du sommet européen des Douze, à Hanovre, a été de faire avancer la construction de l'Europe unifiée. Je pourrais continuer en vous disant, bien entendu : la solidarité nationale, et un exemple de solidarité nationale c'est cette double loi, ou ces deux lois qui se complètent l'une l'autre, l'une qui tend à assurer à tout Français un minimum garanti pour qu'il se réinsère dans la vie sociale, professionnelle française, et l'autre, naturellement, qui recherche une part des ressources nécessaires à ce financement dans un impôt de solidarité sur la fortune. Voilà des exemples précis, qui montrent que les objectifs que j'avais définis se mettent en oeuvre. J'en citerai un quatrième, qui est le refus des exclusions. Y a-t-il meilleur exemple de ce refus des exclusions que ce qui a été déjà accompli remarquablement par le Premier ministre dans le dialogue réouvert en Nouvelle-Calédonie ?
- QUESTION.- Je voudrais revenir sur deux ou trois points, et simplement sur ces deux projets dont on a discuté hier en Conseil des ministres dont la traduction dans un autre sens est : on fait payer beaucoup de riches pour donner un peu d'argent à quelques pauvres ?
- LE PRESIDENT.- C'est le contraire. Vous voulez que je donne les chiffres ? Il y aura environ 110000 foyers fiscaux qui seront frappés par l'impôt sur la grande fortune, et il y a environ 500000 personnes qui sont rejetés par notre société et qui ont besoin de la solidarité nationale. Donc je rétablis les chiffres £ ils suffisent pour ma réponse.\
QUESTION.- En ce qui concerne le gouvernement, l'année dernière vous ne m'aviez plus habitué du tout à donner des fleurs au gouvernement. Aujourd'hui, c'est à peu près normal mais...
- LE PRESIDENT.- Je suis plus porté à donner des fleurs au gouvernement actuel que je ne l'étais l'année dernière...
- QUESTION.- Sans aucun doute...
- LE PRESIDENT.- Faut-il que je l'explique ?
- QUESTION.- Non, ce n'est pas vraiment la peine. Simplement, vous lui en donnez beaucoup de fleurs, au gouvernement ? Rocard est-il un bon Premier ministre ?
- LE PRESIDENT.- Quelle est la mission du Premier ministre et du gouvernement ? C'est de mettre en oeuvre les choix qui furent les miens en tant que candidat à la Présidence de la République. C'est la mise en oeuvre de la majorité présidentielle, majorité présidentielle appelée à s'élargir à celles et à ceux qui voudront la rejoindre, sans qu'il n'y ait d'obligation ou de reniement pour quiconque...
- QUESTION.- C'est l'ouverture...
- LE PRESIDENT.- Si vous voulez l'appeler comme cela. C'est le rassemblement, l'ouverture, l'élargissement éventuel de la majorité. Le Premier ministre et le gouvernement, et surtout le Premier ministre, ont cette mission-là. Comment voulez-vous imaginer que je ne les aiderai pas autant que je le pourrai à réussir dans cette entreprise ? Si j'ai choisi Michel Rocard comme Premier ministre, c'est parce que je l'en savais capable. Il peut donc compter sur mon aide entière.
- QUESTION.- Il y a eu Rocard I, il y a Rocard II, y aura-t-il un Rocard III... un peu comme Rambo ?
- LE PRESIDENT.- Un Rocard I, c'était nécessaire puisque j'ai dissous l'Assemblée nationale et qu'une nouvelle Assemblée nationale supposait automatiquement, par la tradition républicaine, que ce gouvernement devait démissionner. Il y en a un deuxième. Il peut y en avoir un troisième mais ce n'est pas cela que j'ai dans la tête. Travaillons avec ce que nous avons. C'est un bon instrument.\
QUESTION.- En somme, la mission du gouvernement Rocard, c'est d'appliquer le slogan principal du candidat ?
- LE PRESIDENT.- Pas un slogan, un projet... C'est plus qu'un slogan... Je travaille pour que la France s'unisse. J'ai dit tout à l'heure, je le répète, que mon premier devoir est de veiller à ce que les aspirations de ceux qui ont voté pour moi, les 54 % de Français, trouvent tout de même la réponse attendue, la réponse que ces Français espèrent, qu'ils sont en droit d'attendre de moi. Cela, c'est ma priorité. Mais j'ai aussi dit aux Français que je travaillerai à les unir. Il y en a bien besoin, vous savez ce n'est pas facile.
- QUESTION.- On dit : il va à la pêche... au lieu de dire : il essaie de nous unir, on dit : il va à la pêche... le gouvernement va à la pêche, à la débauche des uns et des autres...
- LE PRESIDENT.- Quand on a l'esprit critique - il n'est pas mauvais de l'avoir - on peut dire cela mais telle n'est pas mon opinion. Ce que je veux vous dire, et, au-delà de vous, à tous ceux qui m'entendent, c'est que, d'abord, on ne peut s'entendre qu'avec ceux qui le veulent. Ensuite, j'ai surtout écouté à partir du 8 mai au soir et perçu des refus. Tous les groupes politiques de la majorité de l'époque, devenue aujourd'hui opposition, ont refusé de prêter la main en disant : on verra. Certains ne l'ont pas dit méchamment £ d'autres l'ont dit vigoureusement. Je dois dire que cela ne me peine pas du tout. C'est une façon de s'exprimer. Je vois s'opposer avec détermination, dans une opposition politique, au Président de la République et à la majorité parlementaire, un certain nombre de groupes d'hommes et de femmes que rien ne peut rapprocher des objectifs que j'ai soutenus, qui ont montré dans leur action et qui montrent dans leur attitude qu'ils ont choisi une autre voie.
- Je dois dire que même lorsque je lis dans les journaux, comme ce matin, que la discussion sur le revenu minimum garanti d'insertion, que la discussion, au mois d'octobre, sur l'impôt de solidarité sur les grandes fortunes, seront un test d'ouverture, ou encore que la majorité politique d'aujourd'hui démontrera si elle veut ou si elle ne veut pas réaliser l'ouverture... mais, il faut renverser la proposition ! C'est à la majorité qu'il appartient de gouverner, pas à l'opposition ! Cela me donne toujours l'impression qu'il se passe, à peu près, ce dialogue-là ou bien cette sorte de double réflexion : "vous avez gagné ? rendez-vous ". Non, ce n'est pas ainsi que les choses se posent. C'est à la majorité qu'il appartient de gouverner.
- QUESTION.- Cela veut dire : capitulez. "Vous avez gagné, capitulez".
- LE PRESIDENT.- Oui, reniez-vous, renoncez. Ce n'est pas mon opinion. Moi, j'encouragerai la majorité à être majoritaire et je ne veux pas de cette confusion. Mais j'estime que la première démonstration à faire doit venir de ceux qui n'ont pas été soutenus par l'opinion publique, du moins d'une façon majoritaire.\
Moi, le centre, je trouve ça très bien. Je le cherche un peu. Je le cherche un peu, et je pense qu'un centre qui vote toujours avec la droite ou l'extrême droite, c'est un drôle de centre. En attendant qu'il sache où il en est, j'entends que l'on gouverne et que l'on fasse les lois et que l'on oriente la politique française dans le sens qu'a voulu la majorité des Français.
- QUESTION.- Toujours est-il que pour que la majorité soit majoritaire, il faudrait qu'elle ait la majorité absolue à l'Assemblée nationale.
- LE PRESIDENT.- Pourquoi ? ... ça, c'est une conception... mais non, mais non. Il y a une majorité £ elle est relative à neuf sièges près...
- QUESTION.- Il faut les trouver ces neuf sièges...
- LE PRESIDENT.- Non, non, pas du tout...
- QUESTION.- Ou alors, vous allez toujours...
- LE PRESIDENT.- ... il faut relire la Constitution. Beaucoup de gens en sont encore à la quatrième République mais pas moi !
- QUESTION.- Ah ? C'est une information. Ce n'est pas l'avis de Michel Debré voyez...
- LE PRESIDENT.- Je ne sais pas où il en est, pour dire la vérité.
- QUESTION.- Il est à l'Académie française !
- LE PRESIDENT.- Très bien, qu'il étudie le dictionnaire. Mais ce que je voulais dire, de mon côté, c'est que le travail à faire, que l'on attend de nous, que les Français attendent de nous, c'est de moderniser la France en préservant toutes les chances de l'effort national dans l'égalité autant qu'elle est possible, en tout cas l'égalité des chances £ il faut que chaque Française, que chaque Français sache qu'avec nous, il a ou elle a sa chance. Eh bien, je veux servir ce mouvement national le mieux possible.\
QUESTION.- Pour en revenir au centre et aux contacts, la démarche de la recontre entre MM. Rocard et Barre, au sujet de la Nouvelle-Calédonie, pour essayer de trouver une bonne direction pour résoudre les problèmes, c'est une bonne démarche ?
- LE PRESIDENT.- C'est une très bonne chose et je souhaite qu'elle se répète avec M. Barre ou avec d'autres. Je souhaite que pour des décisions aussi importantes que celle qui a touché à la Nouvelle Calédonie - c'était vraiment quelque chose de très dramatique que de voir se déchirer de cette façon une fraction de la population, qui relève de la République française, la République française doit exercer son arbitrage. Je pense qu'il est bon que les hommes responsables de l'opposition et de la majorité puissent se rencontrer et débattre de ces questions-là.
- QUESTION.- Il y aura un referendum qui a été annoncé - je lisais France-Soir ce matin, un petit confidentiel, ce serait le 25 septembre... c'est ce que vous savez déjà, non ?
- LE PRESIDENT.- Je n'en sais rien moi-même...
- QUESTION.- Ce n'est pas fixé ?
- LE PRESIDENT.- Non, mais je peux très bien vous apporter quelques révélations, mineures au demeurant, sur ce plan-là. Le gouvernement pense jumeler le premier tour des élections cantonales avec le referendum, de façon à ne pas déranger trop souvent les Français. Il fera une proposition le jour venu. Vous savez qu'un referendum dépend du Président de la République. Bien entendu, je souscrirai et au projet et à la date.\
QUESTION.- Puisqu'on donne dans le confidentiel, ne pouvez-vous me faire quelques petites révélations sans aucun intérêt sur ce que vous avez dit à M. Barre si vous l'avez rencontré ?
- LE PRESIDENT.- Je n'infirme ni ne confirme.
- QUESTION.- Vous l'avez vu ou pas vu ?
- LE PRESIDENT.- Je l'ai reçu à l'Elysée il n'y a pas longtemps... Ecoutez, je vois qui je veux...
- QUESTION.- C'est comme M. Léotard.
- LE PRESIDENT.- Mais dire oui ou dire non, c'est déjà entrer dans le jeu, et mon calendrier ne dépend de personne... que de moi, ou de la personne que je reçois... Je n'ai pas l'intention d'en rendre compte.
- QUESTION.- Exactement comme M. Léotard quand on lui demande s'il a vu M. Giscard d'Estaing ?
- LE PRESIDENT.- Il m'arrive de ressembler sur certains points à M. Léotard... à moins que ce ne soit lui qui me ressemble... après tout, pourquoi pas... J'ai l'impression qu'il existe assez de différences entre nous pour qu'on remarque nos ressemblances.\
QUESTION.- Avant d'en venir à autre chose, vous choisiriez quel terme, en ce moment, dans ce que vous écoutez : le flou, la confusion, le malaise...
- LE PRESIDENT.- Non, non, pas du tout. Quel malaise ?
- QUESTION.- Je ne sais pas. J'ai lu "Le point", il y a du malaise partout cette semaine : malaise face aux différentes déclarations contradictoires du gouvernement sur des projets...
- LE PRESIDENT.- Précisez, précisez... un journal...
- QUESTION.- L'affaire Arpaillange, l'affaire Schwartzenberg...
- LE PRESIDENT.-... un journal d'opinion est fait pour s'exprimer et exprimer ses opinions. Quand ce ne sont pas les miennes, je le remarque, bien entendu...
- QUESTION.- Schwartzenberg et Arpaillange, ce n'est pas un flou ?
- LE PRESIDENT.- Comment un flou? Il y a là deux ministres qui, chacun dans son domaine, représentent une grande capacité, une grande réussite dans le domaine de la connaissance du Droit et de la pratique de la justice, M. Arpaillange, dans le domaine de la médecine et de la recherche, le professeur Schwartzenberg. Bien entendu, des hommes aussi éminents n'ont pas la pratique politique, l'usage parlementaire qu'ont les parlementaires élus par le peuple. Chacun a des qualités qui sont complémentaires. Il faut distinguer la forme et il faut distinguer le fond. Lorsque le garde des Sceaux s'est exprimé, juridiquement il avait parfaitement raison. Nos lois pénales ne prévoient pas de peine en plus de celles qui sont déjà clairement exprimées, en particulier la détention perpétuelle ou la détention à vingt ans. Le problème est celui de l'appréciation politique. Faut-il le faire ? Quand faut-il le faire ? Comment faut-il le faire ?
- QUESTION.- En somme, c'est difficile de parler vrai.
- LE PRESIDENT.- Non, le garde des Sceaux a parlé vrai. Mais la responsabilité est d'ordre gouvernemental et la seule chose qui soit exigible - qui est très facile à comprendre, qui est généralement observée, qui le sera de plus en plus... J'ai beaucoup d'estime pour les deux ministres dont vous me parlez... - c'est que rien ne doit être fait sans que le Premier ministre en ait décidé. C'est tout. A partir du moment où l'on se trouve dans une situation qui ne l'a pas permis, il faut remettre le train sur les rails.\
QUESTION.- On vous verra beaucoup avec le Premier ministre à l'étranger £ je crois qu'il va faire un voyage prochainement...
- LE PRESIDENT.- Je lui avais dit que je verrais avec plaisir sa présence à mes côtés, lorsque je me suis rendu à Toronto pour le sommet des grands pays industrialisés, comme je le lui ai demandé pour Hanovre au sommet des pays européens. En raison de la mise en place de son gouvernement, il n'a pas pu le faire £ dès qu'il en aura l'occasion, il viendra et je trouve cela très bien.
- QUESTION.- A propos de ce sommet, cela tient toujours le rendez-vous du 14 juillet 1989 des Pays industrialisés à Paris ? C'est quoi ? C'est totalement symbolique par rapport à l'année du bicentenaire ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas le symbole le plus caractéristique...
- QUESTION.- ... je veux dire la réunion des riches à Paris, le 14 juillet 1989...
- LE PRESIDENT.- Un certain nombre de grands pays, qui ne sont pas coupables d'avoir depuis deux siècles réussi leur révolution industrielle, ces grands pays-là seront présents le 14 juillet 1989. Ils l'ont décidé à Toronto récemment, puisque c'est au tour de la France - à partir de 1989 - de présider cette conférence. Je me réjouis de pouvoir les recevoir, car ce sera l'occasion, pour la France, de sentir sa propre grandeur, que d'avoir des chefs d'Etats ou de gouvernements des sept plus grands pays industrialisés. Mais j'ai bien l'intention d'inviter beaucoup de représentants, chefs d'Etats ou de gouvernements de pays pauvres, de nos amis d'Afrique, de pays d'Amérique latine. Je souhaiterais que le tiers monde fût présent ce jour-là, car il n'y a pas eu de choix des uns contre les autres. Reconnaissez qu'à Paris, dans notre capitale, en France pour le 14 juillet, deuxième centenaire de la Révolution française, puisque c'est la date de la prise de la Bastille qui a servi de symbole, cette présence universelle d'un monde si différent dans ses réalités, mais qui trouve un point commun dans la célébration de ce qui a fait une des grandeurs de la France, c'est quand même une grande chose.\
QUESTION.- D'ici là, vous aurez vu M. Gorbatchev, on parle d'une rencontre prochaine...
- LE PRESIDENT.- Certainement, oui.
- QUESTION.- A propos, vous avez suivi, vous en avez dit l'autre jour un mot à Luxeuil...
- LE PRESIDENT.- J'ai déjà rencontré quatre fois M. Gorbatchev £ nous nous rencontrerons certainement cette année, en 1988, et nous avons l'intention de reprendre un rythme régulier de rencontres. QUESTION.- Alors, si vous vous rencontrez prochainement, vous aurez l'occasion - peut-être l'avez vous fait même par téléphone, je n'en sais rien - de lui parler de son initiative de sommet ?
- LE PRESIDENT.- Nous nous écrivons de temps à autre, c'est plus facile que le téléphone.
- QUESTION.- Vous avez dit que vous n'étiez pas contre, que c'était une proposition à examiner, ce sommet européen...
- LE PRESIDENT.- Il faut regarder cette question de désarmement... Je ne vais pas vous faire un cours, ce n'est pas le moment, ce n'est pas l'occasion, il est tard maintenant, simplement la négociation sur la réduction, la disparition de certaines formes d'armement nucléaire a abouti à Washington, je m'en suis réjoui, j'ai approuvé, j'approuve. Une négociation sur les armes nucléaires stratégiques a commencé de s'engager, je souhaite qu'elle aboutisse. Une négociation sur les forces classiques conventionnelles : les chars, les canons, les artilleries ou les infanteries classiques telles qu'on les connaît, avec des armements même très modernisés, sont un facteur de déséquilibre aujourd'hui au centre de l'Europe, à la frontière des deux Allemagnes ou de l'Allemagne fédérale et de la Tchécoslovaquie, où les forces de l'Est sont théoriquement très supérieures aux forces de l'Ouest. Il faut donc équilibrer si l'on veut réduire autant que possible les risques de tension. Il faut équilibrer ce rapport de forces, et tout ce que M. Gorbatchev proposera dans ce sens, je l'approuverai. Tout ce qui n'irait pas exactement dans ce sens et qui nous conduirait à des discussions interminables sans résultats possibles, je ne l'accepterai pas.
- Mais, permettez moi de vous dire qu'au nom de la France, c'est moi qui ai indiqué, il y a déjà quelque temps, près de deux ans, que la priorité devait être accordée à cette réduction des armes classiques en Europe, que cela devait passer avant le renforcement de toute forme d'arme nucléaire notamment de la forme nucléaire dite à courte ou à très courte portée, les armes qui n'atteignent pas 500 km. On dit moderniser... Cela veut dire renforcer. Eh bien ! Il faut d'abord désarmer sur le plan conventionnel, parce qu'il pourrait y avoir, s'il y avait un conflit, - auquel je ne crois pas - un contournement des forces nucléaires qui ont assuré l'équilibre du monde et préservé la paix en Europe depuis quarante ans. Un contournement par le bas, c'est-à-dire une guerre ou un conflit qui ne déboucherait pas sur un conflit nucléaire, représenté comme trop grave, mais qui n'en serait pas moins un grand risque de contagion et de dégradation de l'équilibre mondial. Je pense qu'il est très important que l'on désarme sur ce terrain-là. Je l'ai proposé aux forces de l'OTAN. Cela a été accepté à Bruxelles au début de cette année, et quand j'ai entendu M. Gorbatchev défendre une idée du même ordre - pas le même projet, mais du même ordre - "Réduisons les armements conventionnels" - j'ai pensé qu'il fallait encourager cette démarche, parce que c'est la première fois depuis la fin de la dernière guerre mondiale, qu'au lieu de surarmer, on désarme, et le devoir de la France, c'est d'encourager ce mouvement.\
QUESTION.- Même si on laisse les Américains dans leur coin, sans les tenir au courant ? Il n'y a pas un jeu de M. Gorbatchev, de jouer l'Europe contre les Etats-Unis ?
- LE PRESIDENT.- Peut-être bien. Interprété strictement on pourrait dire : M. Gorbatchev chercher à découpler, comme on dit, ou à séparer les forces occidentales de l'Europe des forces américaines. Mais le problème ne peut pas se poser dans ces termes, car les forces qui tiennent la frontière allemande, disons entre l'Est et l'Ouest, ce sont des forces de l'OTAN, et les forces de l'OTAN comprennent, bien entendu, les forces américaines, diverses forces alliées... mais pas la France, qui n'appartient pas à ce commandement intégré. Les forces françaises se trouvent à proximité, et bien entendu nous sommes solidaires. L'idée de séparer les Etats-Unis d'Amérique de l'Europe dans cette circonstance est une idée qui serait chimérique. Mais en revanche, chercher à rapprocher l'ensemble des pays de l'Europe dans des discussions sérieuses, comme elles ont lieu à l'heure actuelle à Vienne, naturellement je l'encourage...\
QUESTION.- L'Europe, j'aurais dû vous en parler, mais vous vous rendez compte, cela fait trois quarts d'heure déjà que nous sommes ensemble... on a eu tellement de choses à dire depuis le 8 mai qu'en définitive, Monsieur le Président, je vous ai écouté avec les téléspectateurs avec intérêt... L'année prochaine j'espère vous revoir, je vous le dis chaque année. Espérons que nous nous reverrons l'année prochaine ici.
- LE PRESIDENT.- Vous serez le bienvenu.
- QUESTION.- L'année prochaine, au 14 juillet ... Pour cette célébration de la Révolution française, il y aura une autre date importante : le 26 août, la célébration des Droits de l'Homme. Je voudrais en terminer avec peut-être - on va y revenir - les rêves de François Mitterrand pour la suite : "les hommes naissent et meurent libres et égaux en droit". Si l'on avait à actualiser pour les deux cents ans à venir, vous diriez quoi ?
- LE PRESIDENT.- Je dirais la même chose. Il y a eu là un trait de génie, non seulement dans la pensée qui a été élaborée au cours du siècle précédent et même auparavant - c'est toute une philosophie de l'homme et de la société qui est exprimée par ces mots qui ont pris un caractère sacré - mais ces mots ont été exprimés au bon moment et dans une belle forme, dans un bon langage. Donc, je dirais la même chose car cela reste d'actualité, même deux cents ans après.
- QUESTION.- Il y a de nouveaux droits aujourd'hui...
- LE PRESIDENT.- Il y a des progrès, c'est évident, mais le monde a supporté tant de crises et tant de déchirements, l'Europe, avec deux guerres qui sont devenues des guerres mondiales, et puis ces dictatures, et puis ces mouvements de colère des opinions, ces intégrismes, cette tendance qu'a tout pays à se diviser, le besoin que j'ai moi-même de me pencher sur la réalité de la société française pour éviter qu'elle ne se laisse porter vers ses divisions naturelles, vers son morcellement, tout cela montre bien que - bien qu'égaux et libres en droit, cela a été magnifiquement dit - c'est une tâche de chaque jour pour les responsables d'aujourd'hui comme pour ceux, sans doute, de demain.
- YVES MOUROUSI.- Merci, Monsieur le Président. A l'année prochaine. Nous serons le 14 juillet 1989. Nous aurons l'occasion, je l'espère, de retrouver François Mitterrand pour cette traditionnelle interview et peut-être, autour de lui, l'ensemble du monde. En tout cas, nous avons essayé de traiter de quelques problèmes du monde, et en particulier de vos problèmes, aujourd'hui, dans cette interview dans les jardins de l'Elysée.\