11 juin 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, prononçée à l'occasion de l'inauguration du Centre national technique de football, sur le sport et notamment le football, Clairefontaine, samedi 11 juin 1988.

Mesdames et messieurs,
- J'ai accepté avec grand plaisir l'invitation qui m'était faite de venir ainsi pour l'inauguration du Centre technique national de football. Je le connaissais déjà et je savais les efforts accomplis depuis déjà quelques années, au moins depuis 4 ans, à l'instigation naturellement des dirigeants de la Fédération, mais aussi avec le concours d'un certain nombre de personnalités parmi lesquelles j'ai retrouvé avec grand plaisir l'ancien ministre de l'agriculture, aujourd'hui Premier ministre `Michel Rocard`, qui a je crois été à l'origine même du commencement de l'exécution.
- C'est un rendez-vous important. Il s'agit sans doute du sport le plus populaire en France. En tout cas, l'un des plus populaires, qui rassemble des centaines de milliers de jeunes gens, puisque vous le disiez à l'instant, monsieur le Président, je crois avoir entendu, environ un million huit cent mille licenciés pour vingt-trois mille clubs, pour la plupart actifs. Et je constate à partir d'une base humaine aussi remarquable, l'intérêt porté à un grand sport dont les règles sont strictes et exigent discipline et morale pour l'accomplissement de ce qui n'est qu'un jeu mais qui va plus loin qu'un jeu, puisqu'il s'agit des qualités du corps et de l'esprit.
- Lorsque je constate l'effort accompli, ici, pour donner une meilleure formation, une meilleure qualification aux jeunes gens qui seront appelés à représenter leur club et la France dans des conditions de compétitions internationales, au demeurant fort importantes, je ne peux que me réjouir et remercier ceux d'entre vous qui en ont pris l'initiative, qui en ont assuré l'exécution et qui nous permettent aujourd'hui d'être dans ces lieux avec le sentiment d'une réussite.\
Au travers de cette aventure, on pourrait résumer celle de la France tout entière, ou bien se convaincre que si l'on ne commence pas par la formation, on n'aboutira à rien. Dans la plupart des métiers, si la France a connu quelques déboires au sein d'une crise économique qui l'a dépassée, c'est aussi parce que elle n'a pas toujours su, au moment voulu, adapter ses techniques à l'évolution du progrès mondial. Et, s'il s'agit de rattraper certains retards - ce n'est pas le cas dans tous les domaines, heureusement - cela ne se fera que par une meilleure formation de ce que l'on appelle la ressource humaine, c'est-à-dire des filles et des garçons qui seront appelés pendant toute leur vie professionnelle à exercer certains métiers. N'être formé qu'au métier que l'on n'exercera plus, c'est condamner l'économie française à connaître de graves échecs. Cela a été compris. Je ne fais pas la leçon. Je dis seulement que l'effort entrepris doit être poursuivi avec plus d'audace encore, et qu'il faut reconnaître dans cet effort une priorité, une priorité absolue. C'est vrai de tous les domaines.
- J'ai beaucoup insisté pour que l'éducation nationale, et vous en êtes, soit véritablement reconnue par l'ensemble du pays comme l'obligation majeure. Ou bien nous saurons former ces jeunes gens de telle sorte qu'ils pourront, partout dans le monde, affronter les compétitions avec le degré de qualification qu'il convient, ou bien, nous nous comporterons comme des amateurs - et je ne veux en rien, ici, critiquer l'amateurisme car cela peut-être une belle vertu - et notre pays demeurera spectateur de l'effort des autres.
- Je le répète, on l'a compris, ce ne sont pas les premières paroles qui sont prononcées dans ce sens, mais comme je me trouve ici devant des organisateurs, devant des dirigeants d'un grand sport, devant des personnes qui s'y intéressent puisqu'elles sont là, c'est pour bien souligner que l'on ne peut qu'être très heureux de voir un domaine comme celui-ci, où il y a beaucoup de bénévolat. On s'y consacre parce que l'on y croit. Cela ne représente pas une obligation. Celles et ceux qui s'en occupent, c'est parce qu'ils ont le sentiment, peutêtre aussi de retrouver leur jeunesse, de la perpétuer, et sachant bien que la vie passe, que l'essentiel, pour reprendre une expression qui appartient à d'autres sports, c'est de passer le témoin, mais dans les meilleures conditions possibles.
- Vous, mesdames et messieurs, qui avez pratiqué ce sport ou d'autres, vous savez bien qu'on ne peut parvenir à gagner qu'avec - d'une façon continue - beaucoup de ténacité et surtout en étant informé et formé aux exigences des compétitions. Voilà donc un bel ensemble dans un bel endroit avec je le crois de bons éducateurs et une jeunesse qui "en veut".\
Lequel d'entre vous n'a pas éprouvé quelque fierté à constater nos succès ou à déplorer nos échecs dans le cadre des grandes compétitions de football. Même quand on reste aussi dans son fauteuil, on participe quand même ... Je me souviens des grandes compétitions, 1984 naturellement... mais j'ai aussi le souvenir des belles années de Suède, qui doivent encore être célébrées.
- Mais pour rester dans le contemporain, ou dans le tout à fait moderne, 1984, championnat olympique, mais aussi la demi-finale de la coupe du monde. Elle s'est déroulée cette demi-finale tandis que j'étais en Hongrie dans un voyage officiel d'Etat, et j'ai demandé l'autorisation de M. Janos Kadar, qui à cette époque était le principal responsable de Hongrie, d'avoir ma soirée libre, et nous sommes allés dans un restaurant de Budapest. Nous avons mobilisé une salle pour regarder la télévision et nous avons souffert. Quelques instants avant la fin, c'était gagné. Mais il a fallu jouer les prolongations et assister à ce que vous savez. On ne s'en prendra pas, bien entendu, aux acteurs de ce petit drame. Mais, comment ne pouvait-on pas admirer la remarquable qualité professionnelle de nos représentants : leur énergie, leur vitalité, leur virtuosité, et en même temps penser : "après tout, que le meilleur gagne". Et, s'il a gagné tant mieux pour lui. Enfin, on a sur le coeur le coup de Schumacher. Enfin cela, c'est une autre affaire... Nous étions là, sortant de ce restaurant dans un pays étranger, un peu les bras ou les jambes coupés en disant : "Eh bien ! la prochaine fois, c'est à nous". Cela ne s'est pas produit puisqu'on a connu encore de belles journées.
- On a atteint un stade très élevé, 1986 nous a donné sur le plan de l'Europe de grandes satisfactions et je crois que vos juniors, vos jeunes, sont en train de prendre le même chemin en attendant que M. Michel et quelques autres arrivent à donner l'élan nécessaire à notre équipe nationale. Elle est composée de joueurs si excellents qu'il n'y a pas de raison de douter d'eux. Encore faut-il s'organiser, être prêt, être formé, et c'est ce qui donne tout son sens à la cérémonie de ce matin. C'est ce qui donne tout son sens à l'effort des dirigeants qui, je dirais, bâtiment par bâtiment, mètre carré par mètre carré, organisation par organisation, se sont mis à la disposition des plus jeunes et puis ensuite même je crois jusqu'aux minimes, pour aller jusqu'à l'équipe de France.\
Et puis le grand événement de ce soir qui opposera Metz à Sochaux. J'y prendrai part à ma manière naturellement, qui est trop souvent, peut-être un peu trop souvent la manière des Français qui se sentent très sportifs en regardant. Mais, il faut absolument pousser plus loin et, quand vous me dites : "Monsieur le Président, aidez-nous", ce n'est pas du tout se livrer à des promesses inutiles que de vous dire : "Comment pourrions-nous manquer à ce devoir élémentaire dès lors que vous avez vous-même accompli l'effort initial, car il ne faut pas se reposer sur l'Etat, et vous l'avez su. Mais il faut aussi compter sur l'Etat, et vous l'avez su aussi". C'est de l'harmonie de ces efforts conjugués que nous tirerons le meilleur et ce que je dis là pour le sport vaut pour tout le reste. L'initiative, c'est la vôtre, la gestion, c'est la vôtre, mais puisqu'il s'agit d'un effort national, , il n'était pas dans vos moyens de parvenir au résultat à vous seuls. Et, vous avez énuméré les concours locaux, départementaux, régionaux, etc... etc... jusqu'à l'Etat. Je m'en réjouis une fois de plus, et nous continuerons.
- J'ai tout à fait retenu ce que vous m'avez dit de vos perspectives prochaines, et de votre souhait pour 1988. A vrai dire, je croyais que c'était fait, mais, puisque ce n'est pas le cas - on connaît bien des déconvenues dans la vie, ce n'est pas facile à faire - j'espère que les gouvernants de l'époque pourront prendre part à la célébration, en France, de la coupe du monde en 1998. Je l'espère bien. Mais, comme ces choses se préparent, je demande au gouvernement de m'entendre et j'espère que les gouvernements que l'on verra d'ici 1998 tiendront compte de l'élan que vous avez donné et auquel nous entendons contribuer afin que la France soit en mesure - je crois que c'est de 1991 à 1992 que les choses se décideront - d'assurer que tout soit en bon état et que les dossiers soient solides. D'après mes informations, on a des raisons d'espérer, mais là aussi, la compétition est rude alors il ne faut pas baisser les bras.
- Je vais former des voeux pour vous, mesdames et messieurs, pour vous les pratiquants de ce beau sport £ pour vous les dirigeants à tous niveaux qui consacrez une large part de votre vie pour promouvoir un sport, et par là-même, notre jeunesse £ pour vous les dirigeants qui l'aimez cette jeunesse et qui avez compris que la France future qui, à travers le temps, représente notre permanence, n'atteindra les horizons qui sont les siens que si de génération en génération, on sait aimer sa jeunesse, la servir et la former. Cela donne tout son sens, croyez-moi, à la réunion de ce matin à Clairefontaine.\
Je crois que vous avez le droit d'avoir des préoccupations sur l'Europe, mais c'est un grand enjeu. Beaucoup d'autres catégories de Français s'y intéressent, parfois s'en inquiètent. Ils n'ont pas tort. On ne peut pas vivre sur l'inquiétude. On doit vivre sur le courage, sur la préparation aussi sur l'idéal. L'Europe, ce n'est pas une entreprise du hasard. La Communauté européenne repose sur le sentiment qu'avec trois cent vingt millions d'êtres humains qui représentent aujourd'hui la première puissance commerciale du monde, elle pourrait être, demain, la première puissance industrielle, la première puissance technologique. Que dis-je encore, l'Europe, c'est donner des atouts supplémentaires à chacun des pays qui la compose et particulièrement la France, c'est une manière, pour ceux qui y croient, de servir aussi la France. Et, vous constaterez, MM. les Présidents, et vous mesdames et messieurs, lorsque nous aurons accompli le délai probatoire qui nous conduira jusqu'à la fin de 1992, si l'effort est suivi. Mais c'est vrai qu'il y a des caractères tout à fait spécifiques. Dès lors que l'on fait des équipes nationales, et que nos patries continueront, Dieu soit loué, non seulement de survivre, mais d'accroître leur rayonnement par le canal de l'Europe - équipes nationales, cela veut dire qu'à l'intérieur de la Communauté que nous formons, il faut bien suivre le chemin que vous avez pris - l'on risque par des dispositions hâtives ou mal établies, d'en arriver à une sorte de "melting pot" comme on dit, enfin de mélange, de confusion où l'on ne saura plus exactement qui est qui. Il deviendra très difficile pour des dirigeants d'un pays de pouvoir conduire la reponsabilité qui est leur en continuant d'être bien enracinés dans leur terrain, c'est-à-dire dans notre pays pour en tirer le meilleur quant à la ressource humaine.
- Vous avez eu raison de rappeler le rôle de Jacques Delors. Il aime beaucoup le football, il m'en a parlé encore très récemment. J'aurai l'occasion de le voir la semaine prochaine. Le Premier ministre est très sensible aussi à ce sujet. Je crois pouvoir vous dire - sans faire la moindre promesse, c'est dépassé - écoutez : quels que soient les clivages politiques, ici même dans ce parc, tous ceux qui sont autour de nous sont les représentants de la France, les représentants des petites et grandes collectivités locales, les représentants des élus au Parlement, les représentants de l'Etat, et croyez-moi, pendant ce moment que nous vivons ensemble, ils y apportent la même conviction, la même foi et la même espérance. Cela est dû notamment à la qualité de ce sport, à la beauté de votre effort, raison de plus pour vous dire merci, mesdames et messieurs.
- Maintenant, je vais vous dire au revoir, non sans avoir marqué d'une certaine manière la gratitude que la nation porte à ceux d'entre vous qui symbolisent le plus l'effort du sport français.
- Je vous remercie.\