9 juin 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant le congrès de la Fédération nationale de la mutualité française, notamment sur la Sécurité sociale, le revenu minimum et l'Europe, Nice, jeudi 9 juin 1988.

Monsieur le Président,
- Mesdames et messieurs,
- Je suis heureux de me retrouver parmi vous, puisque comme on vient de le rappeler, j'ai eu la chance de pouvoir prendre part à vos deux congrès précédents. Votre trente deuxième est l'occasion pour moi de suivre l'ensemble des questions, même si nous ne trouverons de réponse qu'avec le temps. C'est aussi et davantage encore l'occasion de rencontrer - pour trop peu de temps - des femmes et des hommes attachés à ce qu'ils considèrent comme leur devoir humain, des hommes et des femmes qui consacrent temps et peine à des travaux qui ne leur sont pas imposés, des hommes et des femmes qui sont donc des bénévoles, des volontaires, répondant à un idéal, inspirés par des principes et des valeurs. Notre société a tellement besoin que des groupes humains se déterminent de cette façon que je puis que vous redire la joie, ma joie d'être parmi vous.
- Que de questions se posent et pendant vos trois jours de congrès, vous aborderez bien des sujets, j'en ai pris connaissance au travers de l'exposé du Président Teulade que je viens d'entendre et je m'informerai de la même façon du contenu de vos travaux, réflexions, de vos discussions, qui sont indispensables pour ceux qui gouvernent, pour ceux qui ont la principale responsabilité de la France. Sur quelles bases réfléchir ? Quel édifice construire ? Comment faire pour que la solidarité nationale soit véritablement la base avant tout autre de la société française ?\
Que de chemin parcouru - mais vous le connaissez par coeur - depuis les sociétés de secours mutuels, de l'année 1850 jusqu'à la belle fédération nationale de la mutualité française qui me reçoit en cette après-midi, en passant par la mutualité et les lois que nous devons à cette mutualité, lentement et difficilement obtenues des pouvoirs publics : la loi de 1898, la charte de la Mutualité jusqu'à la transformation très profonde de 1945 et l'institution de la Sécurité sociale.
- Je voudrais précisément m'arrêter un moment sur cette Sécurité sociale obligatoire. On pouvait à l'époque se poser bien des questions et notamment deux d'entre elles. La Sécurité sociale allait-elle étouffer l'initiative, le sens de l'initiative et celui de la responsabilité ? L'organisation collective allait-elle rentre inutile ou désuète la démarche altruiste de prévoyance et d'entraide ? Cela a été dit, écrit. Des campagnes d'opinion se sont engagées sur ce thème qu'on en juge aujourd'hui, plus de quarante ans plus tard ! Oui, l'initiative a été préservée, la responsabilité s'est accrue, l'organisation collective a pris de la force et cependant la démarche altruiste pour la prévoyance et l'entraide elle aussi a proposé et rencontré plus de concours encore que dans le temps passé.
- Vous en êtes les témoins, vous en êtes les acteurs, vous qui m'écoutez pour l'instant et qui êtes si nombreux dans cette salle. Vous qui êtes, - je m'étais procuré les fiches - quoi ? 12 millions de mutualistes pour 25 millions de personnes protégées. Quoi ? 100000 administrateurs bénévoles £ quelques 50000 salariés £ 6000 sociétés de bases. Il n'y a guère de mouvement plus puissant et, je le crois, plus cohérent que celui dont vous êtes ici les représentants.
- Comment voulez-vous que le Président de la République ne suive pas de près cette démarche. Comment pourrait-il rester étranger, indifférent à ce qui touche l'un des principaux domaines de notre vie nationale. Dans ce grand mouvement de Sécurité sociale, de solidarité nationale, la fédération nationale de la mutualité française doit remplir un grand rôle. Chaque progrès marqué par nos lois doit être accompagné par votre action. Vous devez prendre part, vous devez être à tout moment autour de la table où l'on débat des intérêts qui vous passionnent, auxquels vous vous consacrez, et je veux aujourd'hui marquer ma volonté, non seulement de préserver l'acquis, mais d'accroître à travers le temps qui vient les moyens dont nous disposons.
- Bien entendu, à chaque tournant de notre vie publique, dans toutes les instances, institutions ou organismes où il est question du social - comme on dit - de la solidarité, vous êtes là, et vous devez y être. A cet égard je voudrais vous dire l'intérêt qui s'attache au rapport du Conseil économique et social et dont la charge a été confiée au président Teulade, au nom de la Mutualité française, c'est en effet à partir de ce rapport et de quelques autres études du Comité des sages, et d'autres réflexions encore, que nous serons en mesure dans le deuxième semestre de cette année, de savoir où l'on va.\
Je voudrais d'abord, dans un premier point de cet exposé, vous indiquer mesdames et messieurs qu'à mes yeux, la solidarité nationale est l'une des réponses adaptées à la crise que nous traversons. Nous, c'est-à-dire pas seulement la France, mais le type de société dans laquelle nous vivons, le monde occidental auquel nous appartenons. Et voilà pourquoi le premier élément de ma réponse à moi et de la vôtre j'imagine, sera de dire que tout passe par la sauvegarde de la Sécurité sociale. Sauvons la Sécurité sociale. J'ai entendu beaucoup de discours, reçu l'écho de quelques autres dans lequel on débattait très tranquillement de savoir de quelle manière on assurait la succession d'une Sécurité sociale dépassée par les besoins, remplacée par des organismes de toutes sortes, de caractère privés ou marchands. Comme si la Nation française n'était pas en mesure de supporter le poids du droit qu'elle a consenti, reconnu, proclamé, du droit de ceux qui sont atteints dans leur vie par la maladie, la vieillesse, l'accident ou bien par tous les malheurs d'un temps de mutation industrielle dont la première conséquence est, vous le savez bien, le chômage. Quoi ? Fallait-il laisser sans réponse ce type d'argument ? Je n'ai pas été le seul, bien entendu mais j'ai été l'un de ceux qui ont relevé le gant, et indépendamment des incidents électoraux qui de ce point de vue ne comptent pas dans mon esprit et qui n'ont pas de rapports avec ma présence parmi vous. Vous le constaterez, chaque chose en son temps et à sa place. Et notre place à vous comme à moi, en ce jour, c'est de parler de la solidarité nationale, d'étudier sérieusement par-dessus toutes les frontières qui nous séparent, le moyen de sauvegarder cette institution majeure, attente séculaire, volonté profonde venue des lointains de notre moyen-âge ou bien de nos temps modernes et que ceux de 1945 et ceux qui les ont précédés sont parvenus à faire admettre et même à imposer par des lois décisives. Il faut sauver, pour peu qu'elle soit menacée, la Sécurité sociale.
- C'est vrai qu'il y a des données objectives que nul ne nie. Et d'abord l'évolution de la démographie. On vit plus longtemps. Qui va s'en plaindre ? On va punir les progrès de la science, on va punir l'homme, la femme, du temps vécu, du temps gagné, du temps conquis et la santé elle-même ? On va renier ces progrès que j'appellerai culturels et qui font qu'aujourd'hui on a bien compris que la santé, la bonne santé devait être à la portée de tous, que s'il y avait égalité, elle était bien là dans le droit à la vie et à vivre dignement. Ces menaces, elles existent. C'est vrai aussi qu'avec les progrès des connaissances biologiques avec la sophistication des moyens médicaux, le coût de la santé s'élève en même temps que le besoin est mieux ressenti, est mieux connu. Le plus pauvre d'entre nous doit avoir droit aux soins de la société dans les maladies les plus graves et les plus longues. C'est un devoir de la Nation et de l'Etat, un devoir auquel vous voulez bien vous associer de votre propre chef, de votre propre mouvement parce que vous le voulez, parce que vous êtes des volontaires de la solidarité. Il nous faut pour cela répondre aux questions que nous posent ces données objectives.\
Il y a des mesures immédiates à prendre. C'est vrai, j'ai quelquefois un certain scepticisme pour avoir pris part depuis longtemps, en tous cas depuis sept ans déjà, aux principales responsabilités de l'Etat, sur la réalité des déficits annoncés. Il y a des variations inattendues dans les estimations puis encore d'autres variations quand on compare les estimations à la réalisation. Mais c'est vrai que le problème se pose et l'un des premiers soucis de l'actuel gouvernement a été de reconduire un certain nombre de prélèvements exceptionnels qui permettaient au moins d'assurer la deuxième moitié de l'année afin qu'il n'y ait pas de hiatus ou de coupure dans la gestion de la sécurité sociale. Il n'empêche que nous entendons, que nous voulons corriger certains des effets du plan dit de "rationalisation". Il avait retiré aux grands malades et plus particulièrement aux personnes âgées, M. Teulade vient de le rappeler, la prise en charge de 100 % des soins et des médicaments liés aux graves maladies.
- Ce gouvernement devra - je l'y ai incité comme je l'avais moi-même préconisé pendant la campagne présidentielle précédente - revenir sur ces mesures qui ont ajouté aux exclusions, puisqu'elles ont éloigné, exclu, je reprends le terme, de notre système de solidarité des personnes très nombreuses parmi les plus vulnérables. La décision est prise, il faut maintenant la mettre en application. J'ai passé, si j'ose dire, sur la table des experts pour pouvoir mesurer le plus exactement possible l'effet de cette mesure mais vous devez la considérer comme acquise. Elle est un devoir, elle est pour moi un engagement et j'entends bien entendu en suivre de près l'application.
- Nous devons nous mettre en situation de prévoir. Si brutalement on vous dit que nous ne serons plus en mesure d'assurer les allocations vieillesse parce que nous vivrions trop âgés, il faut assitôt analyser, réduire l'impact de ce type de nouvelle qui effraie, penser qu'en vérité le problème sera dans toute son acuité aux alentours de l'année 2005 et de ce fait nous avons donc quelques années pour préparer ces échéances. Mais ce n'est pas parce que ces échéances sont encore à porter à moyen terme que cela doit nous empêcher, sans quoi nous manquerions à nos obligations, non seulement d'y réfléchir mais de commencer d'y parer dès maintenant.\
Il faut étudier des voies nouvelles, des voies nouvelles d'économie. Il y a, vous l'avez dit monsieur le Président, ce que l'on appelle dans les termes souvent employés par les mutualistes "l'évaluation des techniques médicales" £ lorsque je venais, M. le ministre de la santé `Claude Evin` me disait avoir fait comparer à seulement deux années de distance l'état de connaissance et avoir constaté chez les médecins penchés sur ces problèmes des techniques médicales une compréhension considérablement accrue, une disponibilité plus grande.
- Vous avez réussi monsieur le Président et vous mesdames et messieurs à faire comprendre à ceux qui ne s'y refusaient pas mais qui souvent devaient penser à autre chose que cette évaluation des techniques médicales était l'une des données très importantes pour parvenir à dominer les difficultés inhérentes à notre système de santé.
- Je raisonnerai de la même façon par rapport à la formation, à la formation du corps médical et de toutes les professions paramédicales, et à l'économie de la santé. Il faut que l'on en ait une conscience claire, et que chaque acte soit mesuré par rapport aux effets qu'il aura, puisque nous sommes tous là, non seulement pour sauver, le terme est maintenant derrière nous, mais pour promouvoir la Sécurité sociale. Alors, contribuons tous, quelle que soit notre profession et notre technique à cette meilleure formation. Vous devez jouer un rôle déterminant dans cette approche du savoir de la santé nationale, et faire que chaque corps professionnel qui a à se pencher sur ce type de problème ait une connaissance aussi précise que possible des conséquences de ses choix.\
Il y a ensuite la prévention et de ce point de vue je me comporterai en élève, j'allais dire presque en bon élève, mais c'eût été me flatter de ce que j'ai reçu de vous mesdames et messieurs. C'est vrai que le médecin généraliste, on l'a quelquefois trop oublié, doit jouer un rôle prépondérant dans la prévention des maladies. Système énorme à mettre en place, et nous n'en sommes qu'aux limbes, mais qui doit reposer sur le médecin généraliste avec sa science du réel, sa connaissance des individus, sa pratique des choses. Ce n'est pas que j'ai comme une sorte de vague nostalgie du type de médecin que j'ai connu dans mon enfance. Je ne vis pas seulement du passé même si j'estime que l'on ne peut arbitrairement couper le lien qui nous sépare de ces conquêtes encore récentes ou plus lointaines, mais les médecins généralistes doivent être formés et en même temps doivent recevoir de nouveaux concours, de nouvelles aides, doivent être placés dans une situation, je ne dirai pas privilégiée, mais correspondant à leurs talents et à leur utilité sociale dans le domaine de la prévention qui peut être à l'origine d'économies considérables. Il y a enfin comme vous l'avez dit, monsieur le Président, la nécessité de faire relayer par d'autres organismes et d'autres institutions la seule pratique hospitalière. Il faut qu'il y ait à travers toute la France des soins à domicile, qu'il y ait des corps professionnels quelquefois mieux traités, que l'on développe la relation humaine sur la base d'une connaissance des soins à distribuer. On aperçoit dans chacune de nos provinces et j'en connais quelques-unes, un effort qui se développe dans ce sens et qu'il faut accroître. De ce point de vue le gouvernement prendra aussi sa part dans cette responsabilité.\
Encore faut-il que les mesures immédiates et que les voies nouvelles d'économie pour assurer la bonne gestion de la Sécurité sociale s'appuient sur la qualité des hommes. Et, à cet égard, je ne puis manquer de saluer la qualité de gestionnaire des mutualistes. Mais encore faut-il que soit conservée la référence à des principes qui sont intangibles, du moins intangibles pour ceux qui y croient. La signification profonde de la Sécurité sociale, c'est la répartition : chacun prend part selon ses moyens et chacun reçoit selon ses besoins. C'est le rêve que l'on disait utopique du sicèle passé mais que nous avons vu, nous, se réaliser, dont vous êtes aujourd'hui les meilleurs artisans. Ces principes, vous les avez résumés dans votre manifeste de 1985, lorsque vous disiez : solidarité entre les actifs et les non actifs, solidarité entre les jeunes et les adultes, solidarité entre les bien portants et les malades, justice dans la distribution des prestations, justice dans la contribution à l'effort.
- Si l'on s'écarte de ces principes, on met à mal la Sécurité sociale, on la met en danger, on la détruit intellectuellement d'abord, ensuite dans les faits, pour en revenir à cette notion que je croyais définitivement écartée de la route, celle d'une Sécurité sociale à plusieurs vitesses et où, finalement, le pauvre, le riche, chacun selon leurs revenus, aurait des soins qui seraient différenciés dans leur qualité, dans leur renouvellement. Qui ? Laquelle ? Lequel d'entre vous, mesdames et messieurs, pourrait soutenir un instant une thèse de ce genre, je suis tranquille, personne ne s'élèvera, car ceux qui pensent ainsi, ne sont pas là.\
Le deuxième point de cet exposé, c'est ce que j'appellerai les champs nouveaux de la solidarité. Parmi ces champs nouveaux, l'un d'entre eux a été retenu par l'allocution de présentation du Président Teulade et dont je connais la compétence et l'extrême dévouement, à l'image, il faut le dire, de ces milliers d'administrateurs que j'évoquais il y a un instant. Il s'agit du revenu minimum. Le revenu minimum d'insertion sociale - cela fait des termes un peu compliqués, mais chacun d'entre vous les a compris bien entendus - c'est une garantie, c'est un droit. Et vous remarquerez la différence essentielle qui a séparé les thèses en présence au cours de ces derniers mois sur ce sujet-là. D'un côté un droit, ce côté-là, permettez-moi de vous le dire, c'est le mien, même je n'y suis pas tout seul. C'est un droit qu'il faut reconnaître à chaque être humain, une fois sorti de l'enfance, dès lors qu'il peut assumer une responsabilité. C'est un droit de vivre ou de survivre en étant réintégré dans le circuit d'une société dont il est sorti par accident ou par malheur. Ce droit à un revenu minimum, je le considère comme une obligation, politique sans doute puisque je l'ai dit, mais aussi morale, nationale. Ce revenu minimum sera adopté dans les délais les plus brefs. Et s'il y a quelques difficultés présentes, cela ne tient pas du tout aux dispositions des hommes qui en ont la charge. C'est uniquement lié au fait que cette création relève de la loi, que le hasard des élections présidentielles les a situées au mois de mai, qu'au sortir de ces élections on débouche sur la fin de la première session parlementaire, la deuxième ne recommançant qu'en octobre. Bien entendu, on peut multiplier les sessions spéciales. Je ne m'y refuse pas par principe. Je pense simplement qu'il faut les employer avec raison car la Constitution indique que les sessions parlementaires sont de six mois dans une année et non pas de neuf ou de dix. Encore faut-il allier le bon sens au droit, ils ne sont pas contradictoires. De toute façon je prendrai les mesures qui conviendront, en accord avec la Constitution, pour que ce revenu minimum, ce droit pour tous, soit adopté dans des délais tels qu'il puisse être au plus tôt mis en oeuvre.
- Quant aux chiffres, ils résulteront de la loi et je ne vais pas en préjuger. Bien entendu, pour être clair, il s'agit d'allocation différencielle. C'est un droit à un minimum, et s'il y a d'autres ressources venues d'ailleurs, la différence jouera pour que le minimum soit atteint. Il faut également assurer son financement. Je laisse au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances le soin d'y pourvoir. Mais j'ai indiqué dès le point de départ, que si l'on ne veut pas puiser dans un budget déjà sollicité de toute part, il convenait de créer l'impôt sur les grandes fortunes. Je suis de ceux qui pensent qu'il faut réduire la somme des prélèvements obligatoires. Mais, tout de même, cet impôt sur les grandes fortunes est nécessaire. Il rapportera aux environs de 5 milliards de francs, ce qui ne suffira pas, d'ailleurs, à couvrir entièrement la charge des quelque 500000 personnes qui recevront ce revenu minimum. On trouvera les moyens de financer le reste. Mais au moins n'est-il pas juste que les plus riches, on en compte 110000 sur 23 millions de foyers fiscaux - vous voyez que ce n'est pas abusif - viennent à l'aide des plus pauvres.\
Nous avons ajouté au revenu minimum - et cela faisait partie de vos propositions - un volet d'insertion sociale, il ne peut s'agir purement d'assistance. Certes, nous avons l'obligation à l'égard de nos concitoyens qui sont dans la misère, dans la plus grande pauvreté, de leur donner le moyen minimum de vivre. Encore faut-il que cela ne s'ajoute pas déjà aux charges de la Nation. Voilà pourquoi il faut aborder ce sujet avec la plus grande finesse d'approche et faire que soient associés à la démarche qui permettra de diffuser ce revenu minimum d'insertion dans les meilleures conditions, tous ceux qui y connaissent quelque chose, qui prennent part au combat social, qui s'occupent de prévoyance, qui se consacrent à l'entraide. A qui m'adresser, si ce n'est à vous ? Sans doute il en est d'autres ? Il y a d'abord les Pouvoirs publics, bien entendu. Et il y a parmi eux, et en dehors d'eux, les élus locaux, répartis entre des dizaines de milliers de communes, qui ont un pouvoir local, des ressources locales. Il ne s'agit pas pour l'Etat qui décide cette mesure, de se défausser sur les autres, comme diraient les joueurs de cartes, mais nous ne réussirons l'insertion sociale qu'avec une connaissance absolue et fine du terrain social, du terrain de l'emploi, de tout ce qui peut toucher au relèvement de la dignité humaine, de ceux qui ne sont plus rien, qui n'ont plus rien, que notre société ne reconnaît même plus, que la Sécurité sociale ne peut plus compter parmi les siens. Alors il faut que nous mettions tous la main à la pâte. Et je veux, je souhaite, je veux d'abord mais je souhaite aussi parce que cela dépend de vous, que les mutualistes, que vous toutes et vous tous, mesdames et messieurs, vous jouiez un rôle très important avec les élus locaux, pour que l'insertion sociale, à travers le revenu minimum dont j'ai pris la responsabilité, soit réussie. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons créé un secrétariat d'Etat, spécialisé dans cette tâche : l'insertion sociale.
- Cette insertion sociale ne vise pas que les grands pauvres, que les très pauvres, mais parmi les exclus, ceux-ci exigent de nous une réponse immédiate. Bien entendu les travailleurs sociaux, les assistantes sociales, toute une série de professions directement intéressées s'associeront à cette démarche.\
Je veux vous dire également à quel point je suis moi, convaincu que tout dépend de notre réussite française en Europe d'abord et dans le monde : notre réussite industrielle, notre progrès scientifique, notre modernisation économique, tout d'abord, mais aussi la formation des jeunes, la formation continue, l'adaptation de cette formation aux disciplines professionnelles qui seront celles de la fin du siècle. Les plus hautes technologies changent en moins de cinq ans. Seulement c'est avec ces instruments-là que nous parviendrons enfin à dominer les pertes d'emploi, à réduire d'abord, et à faire disparaître un jour le chômage. Cela est difficile, on le voit bien puisque les expériences politiques les plus diverses n'ont réussi finalement qu'à ralentir la courbe fatale.
- Mais moi je suis de ceux qui croient que la cohésion sociale, que la dialogue social, sont des éléments indispensables de la modernisation économique. On ne peut pas séparer les deux termes. La solidarité pour l'emploi, la solidarité à l'intérieur de l'entreprise, dans les grandes entreprises, la solidarité nationale et internationale, c'est le seul moyen de donner à chacun du coeur à l'ouvrage. La volonté de réussir suppose qu'à toutes les étapes, on trouve la justice, c'est-à-dire que soient justement réparties les responsabilités, que soient justement répartis les profits. Cela n'est possible que si le dialogue est continu, et que s'il existe les instances de dialogue. On a discuté récemment des problèmes qui touchent à la suppression de l'autorisation de licenciement naguère donnée par l'Inspection du travail. Mais le problème tel que je le pose, n'est pas de se lancer dans un permanent va-et-vient entre telle majorité politique et telle autre, la France ne s'y reconnaîtrait plus, même si parfois on regrette certaines décisions. Il est d'aller là où l'on veut aller. Et là où l'on veut aller, c'est parvenir à ce que le salarié ne soit pas abandonné à l'arbitraire, à la seule autorité non contrôlée de ceux qui ont une situation économique dominante. Alors il faut en discuter, et faire que dans les entreprises, dans les branches, on discute avec les organisations syndicales. Vous savez bien que quand on commence à discuter ou à dialoguer, on a déjà fait la moitié du chemin, parce qu'on apprend à se connaître, à s'estimer, on reconnaît après tout que l'autre a bien quelque chose à dire, qu'il a des droits à faire valoir. La cohésion sociale est un facteur déterminant de la solidarité nationale, le traitement social n'est pas antinomique du traitement économique du chômage. La modernisation économique ne doit pas s'accompagner de l'appauvrissement du dialogue. Et consultant la liste des cent entreprises industrielles les plus performantes du monde entier, je constatais que les deux tiers d'entre elles étaient celles qui avaient réussi à établir les meilleures bases d'un dialogue social, chaque individu producteur, associé à la production, au travail, dès lors qu'il se sent lui-même engagé, dégage en lui, une énergie, une force, une volonté d'attention, une capacité d'intelligence, d'accroissement de ses connaissances, hors desquelles un pays comme le nôtre, croyez-moi, mesdames et messieurs, ne saura pas supporter les concurrences qui l'attendent.\
J'en arrive directement au dernier point de cet exposé. Celui qu'a traité également "in fine", le Président Teulade, celui qui s'impose à l'esprit, c'est-à-dire l'Europe. C'est pour 1992, 1993. On sent se répandre une certaine crainte dans beaucoup de milieux, de ne pas pouvoir supporter cette lutte ouverte, cette lutte pacifique, et qui pourtant peut conduire un certain nombre de nos groupes sociaux à connaître de grandes difficultés si l'on ne s'organise pas dès maintenant pour être les meilleurs. Nous ne serons pas les meilleurs partout en même temps. Mais nous formons un grand corps social actuellement de quelque 55 millions de personnes, bientôt un jour je l'espère 60 millions, si nous savons veiller à ce que notre natalité prospère.
- Pourquoi la France serait-elle moins capable que les autres alors qu'elle réussit si bien en tant de disciplines ! Faut-il parler des communications, des télécommunications ? Faut-il parler de tant de disciplines industrielles où elle s'affirme aussi bien dans le domaine de la quantité que dans le domaine de la qualité ? Faut-il parler de l'agro-alimentaire ? Pourquoi la France serait-elle disposée moins que d'autres à supporter la concurrence ? Moi, je crois dans la capacité française, à condition que la politique générale du pays aille dans le sens de la solidarité. Moi, je suis prêt à aborder avec vous le grand rendez-vous, dans quatre ans et demi, le grand rendez-vous de l'Europe, sans craindre pour nous. Il faut avoir confiance en soi. Nous en avons vu d'autres, notamment ceux qui comme moi, étaient prisonniers de guerre, dans un camp de pleine Allemagne, dans l'Allemagne de Hitler, et qui considéraient à la fois la jeunesse passée et qui rêvaient de l'avenir et de l'avenir du pays, en partant de rien, de l'anéantissement de nos espérances. Je me disais alors déjà, ma foi dans un pays comme le nôtre, et dans celle des hommes de ce pays. Il faut croire en notre capacité dès lors qu'il y a l'union, suffisamment d'union, et ne pas redouter en quoi que ce soit les combats de la démocratie, ils vous sont nécessaires. Il y a tant de force en France, à la condition que nous veillons toujours à pourvoir ou à corriger les inégalités qui sont facteurs de désespoir, de rancune, de luttes, de divisions, de dispersions, et donc d'échecs. Eh bien il faut corriger les inégalités.
- Il faudra aussi corriger les inégalités à l'intérieur de chacun des pays d'Europe. Comme il faudra corriger les inégalités entre les pays de l'Europe. Songez qu'à l'heure actuelle le taux de chômage est de 8% en République fédérale allemande, et songez qu'il est de 20 % en Espagne. Et je cite là des pays hautement qualifiés, grands pays industriels et agricoles. J'aurais pu citer des pays beaucoup plus pauvres, qui font partie de l'Europe des Douze. Et là l'écart est immense. De la même façon les gains horaires d'un ouvrier de la production automobile en Allemagne sont de 55 % supérieurs à ceux de l'Espagne. L'Espagne, je le répète est un pays très évolué, dont les progrès depuis quelques années, sont très remarquables. Il devient un concurrent tout à fait estimable et je pourrais prendre l'exemple - je viens de le dire - de quelques pays qui sont bien loin de là. Il faut rétablir certaines égalités. C'est un travail de longue haleine entre les pays de l'Europe.\
C'est un Européen qui vous dit cela. Moi je crois fermement à l'Europe depuis le premier jour. Je me flatte chaque fois qu'il m'arrive de m'exprimer, d'avoir été l'un des parlementaires. J'étais un jeune parlementaire en 1948, il y a 40 ans et l'un des rares parlementaires à avoir pris part au premier congrès européen de l'histoire. Il se tenait à La Haye. J'y ai donc cru tout de suite, mais à une certaine Europe, à celle de la démocratie, à celle de la justice. Il ne serait pas possible que plus d'Europe se traduise par moins de social, moins de solidarité. Dans quelques jours je me rendrais à Toronto pour le grand rassemblement des sept plus grandes nations industrielles du monde, où l'on discutera des problèmes qui touchent surtout au décalage entre les pays riches et les pays pauvres. Et quelques jours après, on discutera à Hanovre des problèmes de l'Europe.
- On nous presse de libéraliser les changes, les capitaux. Il faut le faire. Ce n'est pas la France qui freinera une construction à laquelle elle s'est adonnée toute entière. Encore faut-il, que entre les différents pays de l'Europe et sur le -plan social, et sur le -plan fiscal, existent des conditions de concurrence loyale. C'est donc un immense chantier, mesdames et messieurs, qui s'ouvre devant nous. J'ai cru devoir traiter ce problème parce que je vous sais responsables. Ce chiffre que j'ai cité au point de départ, de 100000 administrateurs bénévoles, me démontre que ces 100000 personnes et bien d'autres encore, sont capables de réfléchir sur l'ensemble des échéances qui se trouvent devant nous.
- Alors, il faut que nous arrivions à instituer un modèle européen de développement. Il faut avoir une politique commune de baisse des taux d'intérêts de l'argent, des taux réels, et nous sommes loin du compte. Il faut prévoir des grands programmes de travaux. Il faut aménager le temps de travail en harmonie avec nos voisins. Il faut un meilleur emploi par le développement des hautes technologies. C'est pourquoi j'ai pris l'initiative de ce que l'on appelle Eurêka qui réuni aujourd'hui 18 pays de l'Europe, et qui est une immense réussite, puisque toute les technologies de pointe sont industriellement traitées par contrat direct entre entreprises, et que cela recouvre pratiquement tout le champ de l'esprit humain.
- Voilà ce que je voulais vous dire, mesdames et messieurs, en souhaitant de toutes mes forces, que au-delà de cette belle salle, de cette grande assistance, la France entière me comprenne. Il est des femmes et des hommes de notre pays, aptes à surmonter les divisions naturelles et historiques qui tiennent aussi à l'esprit comme aux intérêts matériels de la France. Cela doit être le rôle du Président de la République, cela doit être aussi la mission d'hommes et de femmes tels que vous êtes, des citoyens libres et maîtres de vos choix. Mais dès lors que vous vous retrouvez pour consacrer le meilleur de votre existence à la solidarité, à l'entraide, à la prévoyance, à la mutualité, je sais que je m'adresse à des Françaises et des Français qui sont capables de dépasser toutes nos ruptures et de faire avec moi, avec nous, avec d'autres une longue course en avant, pour conquérir les chances de l'avenir. C'est ce que j'attends de vous, mesdames et messieurs, en vous remerciant de votre accueil.\