18 mai 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République devant les ministres des affaires étrangères et des finances de l'OCDE, sur la croissance, le système monétaire international, la dette des pays en voie de développement et la construction européenne, Paris, Palais de l'Élysée, mercredi 18 mai 1988.

Monsieur le Président,
- Mesdames et messieurs les ministres,
- Monsieur le Secrétaire général,
- J'ai vraiment grand plaisir à vous recevoir de nouveau dans ce Palais de l'Elysée. C'est devenu presqu'une tradition. Cela me donne l'occasion de m'informer de vos travaux, de leur rendre hommage, ainsi qu'à votre organisation, et de parler avec vous des quelques grands problèmes touchant à l'économie mondiale.
- Cette année encore, de grandes questions ! Malheureusement ce sont les mêmes. Ce qui montre que tout ce qui touche à la vie générale de nos économies est loin d'être réglé : problèmes de croissance, d'emploi, problèmes monétaires, commerce international, tiers monde, j'y viendrai dans un moment.
- Je me contenterai de quelques mots pour chaque question, d'autant plus que vous passez vos journées, quand vous ne passez pas une part de votre existence, à vous occuper de ces choses.\
Je noterai, cependant, que tout passe par la croissance, aussi bien la lutte contre le chômage - le fléau principal, particulièrement en Europe et dans mon propre pays -, contre la misère - notamment celle du tiers monde -. Il faut donc qualifier la croissance. Je dirai qu'elle doit être aussi forte que possible, qu'elle doit être une croissance saine, une croissance harmonieuse et, autant que possible, non inflationniste.
- Croissance la plus forte possible, on sent comme un regain aujourd'hui. Peut-être un regain d'espérance, mais aussi un certain nombre de données qui nous permettent de croire que cela redevient possible. Bien entendu, vous prendrez garde et nous aussi, aux rechutes éventuelles, car les dangers de récession ne sont pas entièrement écartés.
- Une croissance saine, je me souviens de vous avoir dit l'an dernier que rien ne serait plus redoutable qu'une croissance spéculative des marchés qui ne masquerait pas longtemps la faiblesse structurelle de l'industrie, sans prétendre à la prophétie, car cela était à la portée de bien des esprits. Je dirai que les événements financiers et boursiers du mois d'octobre dernier ont bien marqué à quel point nous devions être prudents. Il faut donc qu'il y ait une croissance saine, donc durable, que des ressources aillent vers l'investissement productif. Je ne saurais trop insister sur l'importance primordiale de l'investissement industriel et de la coopération scientifique et technique. Il me semble que c'est une priorité pour nous tous, c'est en tout cas celle que j'ai personnellement fixée au gouvernement de la République française.
- Une croissance harmonieuse, il suffit d'observer les déséquilibres dans les comptes extérieurs : excédents ici, déficits là qui marquent bien à quel point nos situations sont dissemblables. Il ne s'agit pas de désigner des responsables, il suffit pour cela de constater que plus il y aura de concertation pour parvenir à l'harmonie, mieux cela vaudra. Et c'est bien l'une des tâches essentielles de votre organisation.
- Enfin une croissance non inflationniste, nous avons atteint le niveau le plus bas, je crois, depuis une génération. Mais vous savez bien que les tensions réapparaissent constamment. Là aussi, je ne puis qu'insister sur la vigilance nécessaire. La lutte contre l'inflation reste une priorité.\
Après vous avoir parlé de croissance, j'évoquerai ce qui est presqu'une sorte de ritournelle - comme on le dit dans les chansons populaires - : l'ordre économique international ou mondial plus stable. Mais enfin il faut bien la chanter cette ritournelle, chaque fois que nous nous voyons, puisque les efforts dans ce sens, réels, n'ont quand même pas produit, encore aujourd'hui, des effets très certains.
- Système monétaire international qui serait moins soumis aux fluctuations, système commercial multilatéral plus ouvert, tous ces sujets ce sont les vôtres. Sur le système monétaire international, je me souviens d'avoir alerté le Sommet des sept grands pays industrialisés à Versailles, en 1982, j'observe que des progrès ont été faits non pas spécialement parce qu'on a jugé utile de m'entendre, mais parce que l'évolution de la situation a contraint la plupart des pays à se soumettre à cette règle. Mais enfin, nous sommes encore loin du compte.
- Sur les relations commerciales internationales, les négociations d'Uruguay, je me permets d'insister sur un point que j'avais signalé à nos partenaires dès 1984. On ne peut pas se précipiter vers des négociations, elles ont lieu, réjouissons-nous, mais en oubliant qu'il s'agit de discuter de tout. Pendant longtemps seuls les dossiers agricoles étaient prêts, il faut aussi aborder les problèmes industriels, les problèmes des services et avancer au même rythme dans tous les domaines. Je soulignerai, enfin, cette urgence, celle des produits tropicaux, parce qu'ils intéressent le tiers monde.\
Le troisième point que je me contenterai d'évoquer, inutile de le traiter ici, mais pour mémoire, faire de l'aide au tiers monde une vraie priorité.
- Alléger le poids de la dette passée, parfois même l'effacer, prévoir des ressources financières nouvelles, les procédures sont multiples, encore faut-il s'y attaquer. Aujourd'hui encore les transferts financiers du Sud vers le Nord, représentant quelque trente milliards de dollars, montrent que ce sont les pays pauvres qui continuent d'aider les pays riches.
- Cela peut, peut-être, vous paraître un paradoxe, pourtant c'est la réalité. J'ai l'intention, enfin mon pays, la France, a bien l'intention d'en saisir ses partenaires bientôt à Toronto.\
Mesdames et messieurs, j'ai bien la volonté de poursuivre au travers des prochaines années les actions, qu'avec un certain nombre d'entre vous ou responsables d'Etat, j'ai pu mener pour tenter de résoudre ces difficiles questions.
- Nous fêterons, l'an prochain, le deuxième bicentenaire de la Révolution française. Excellente occasion pour un examen de conscience, du moins pour tous les pays qui se réclament des mêmes principes et des mêmes valeurs.
- En 1992, c'est pour l'Europe un rendez-vous capital auquel je crois très fermement, bien qu'en sachant la somme d'efforts qui devra être exigée de chacun de nos pays et particulièrement du mien. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'au moment où devrait s'ouvrir le marché unique européen, le grand marché, nous fêterons en même temps le cinquième centenaire de la rencontre de l'Amérique et de l'Europe. Les symboles ne sont pas inutiles à la réflexion des responsables de nos Etats.
- Bref, je plaide pour un monde aussi ordonné qu'il soit possible de l'imaginer, en sachant fort bien à quel point le désordre est plus attractif que son contraire, d'où la responsabilité de ceux qui dirigent, la responsabilité de ceux qui disposent de la confiance de leur peuple, la responsabilité de celles et de ceux qui, comme vous, ont pour mission de décider les lignes de l'avenir en constatant les réalités du présent.
- Je suis très flatté, mesdames et messieurs, de vous recevoir ce soir. Heureux de retrouver nombre d'entre vous que j'ai eu le plaisir de connaître dans le passé. C'est la première cérémonie à laquelle je prends part depuis que j'exerce un deuxième mandat à la tête de mon pays, mais c'est aussi la dernière cérémonie à laquelle je prendrai part à l'issue de mon premier mandat qui ne s'achèvera que samedi prochain. Vous êtes donc à l'exacte jonction d'un certain nombre d'événements qui sont propres à la Nation française, mais auxquels je suis très heureux de vous voir associés. Je vous remercie.\