26 avril 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle de 1988, notamment sur la régionalisation, à la mairie des Abymes en Guadeloupe, mardi 26 avril 1988.

Monsieur le député-maire, cher ami, mesdames et messieurs,
- J'ai désiré cette halte à l'hôtel de ville des Abymes pour remplir un devoir, un double devoir. Devoir d'amitié à l'égard du maire et d'une équipe que je connais depuis longtemps, un devoir de gratitude aussi à l'égard d'une population qui, en effet, s'est prononcée en très forte majorité pour les propositions, les thèmes et les projets que j'ai présentés aux Français. Cela remonte, en effet, à quelques années ma première visite aux Abymes. Que de conversations avec des hommes et des femmes qui représentent aujourd'hui la quasi totalité des fonctions responsables de ce département et qui n'étaient alors que quelques-uns à exprimer nos orientations communes, tandis que Frédéric Jalton s'attaquait il y a vingt ans à une commune qui, en l'espace de ce temps-là, a doublé de population, ce qui veut dire, ce qui signifie la somme de soucis et de préoccupations, d'initiatives qu'il a fallu pour réussir l'urbanisme, pour développer les équipements, pour assurer le bien-être autant qu'il était possible aux habitants. Bref, un grand dévouement et une grande compétence. Et je tenais à le dire à Frédéric Jalton ici-même, chez lui. J'ai eu l'honneur, le plaisir aussi, de connaître sa famille, de pouvoir pénétrer à l'intérieur de son foyer et de mesurer que l'amitié était quelque chose pour lui de solide, de durable. Il devait à la fois porter ses effets sur le plan personnel et sur le plan public.
- Je veux m'adresser aussi à la population représentée dans cette salle et au dehors de cette salle, tout autour de l'hôtel de ville que j'avais d'ailleurs visité au moment où on allait l'installer. On l'a inauguré, si on peut dire...
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Je ne ferai pas le tour des problèmes qui, aujourd'hui, sont ceux de la Guadeloupe, ce serait trop long. Mais j'insiste beaucoup comme je l'ai fait hier soir à Pointe-à-Pitre sur la décision capitale qui a été prise en 1982 de décentraliser et de régionaliser. En 82, comme en 84, de nouvelles mesures ont été prises exactement dans le sens indiqué par Frédéric Jalton tout à l'heure, pour que les Guadeloupéens soient chez eux responsables de leurs affaires à des milliers de kilomètres de la métropole et tout ceci dans le cadre de la République française, de la France, notre pays commun.
- Mais, comment imaginer que l'on pourrait traiter les problèmes des Caraïbes - cet archipel qui a le regard tourné vers le continent américain, dont le voisinage est si différent de celui que nous connaissons là-bas - comment imaginer que les femmes et les hommes de ce pays soient considérés comme des exécutants et ils l'étaient au temps de la colonisation, bien entendu. Mais lorsque tout cela s'est transformé pour que naissent les départements au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le gain n'a pas été tel car, en vérité, dans un pays aussi centralisé que la France, les décisions se prenaient à Paris d'où les lenteurs et les incompréhensions qui finissaient par exaspérer une partie de la population que j'aperçois encore aujourd'hui malgré la régionalisation. Des pouvoirs considérables, plus considérables qu'ils ne le sont dans les régions de la métropole.
- Malgré le travail accompli, la responsabilité assumée, et la confiance que l'on peut faire aux administrateurs élus que vous êtes, les dispositions législatives qui ont été votées au cours de ces deux dernières années, ont rogné votre identité. Au moment des contrats de plan, - j'en parlais, il y a un moment à M. Larifla, le Président du Conseil régional - vous discutiez. On ne pouvait rien faire sans que vous disiez oui ou non, la loi-programme se décide à Paris et ses applications aussi. De telle sorte que c'est une reprise en main par l'administration centrale, malheureusement souvent politisée. Ainsi les dispositions favorables à la Guadeloupe ont généralement servi seulement une catégorie minoritaire de la population.\
J'ai voulu la régionalisation. C'est une pensée qui m'habitait depuis déjà de longues années. Quand j'ai eu l'occasion de le faire, je l'ai fait. Nous en avions parlé précédemment avec les principaux responsables de ce département. Je sentais bien, comme vous, à quel point se pose le problème de l'identité guadeloupéenne. Eh bien, c'est toute une histoire qui n'appartient qu'à vous. Cette histoire-là, vous l'avez faite, vos pères et les pères de vos pères, vos expressions, votre culture, votre art, vos relations. Tout cela c'est vraiment l'héritage du temps et des épreuves. Et qui peut mieux l'exprimer et le défendre que vous-mêmes ? D'autant plus que vous avez des artistes de grand talent et que, en vérité, si on a voulu longtemps importer en Guadeloupe les modes de pensée, eh bien vous commencez à les exporter et très heureusement. On vous connaît de loin et on aime ce que vous faites. L'identité culturelle, j'en parlerai dans un moment à Fort-de-France, car là aussi, ce n'est pas la même chose, mais c'est le même type de problème. Là aussi, l'une des grandes tâches politiques a été de restituer les chances d'une identité propre à chacun de ces peuples qui, en raison des conditions naturelles sont appelés, ont été appelés, pendant des siècles à vivre sur eux-mêmes et qui sont, désormais, appelés à se projeter dans le monde entier et qui tiennent, naturellement, à rester fidèles à ce qu'ils sont.\
Je tiendrai le même raisonnement pour les problèmes économiques, pour les marchandises. On veut réduire le chômage. Mais pendant combien d'années, de décennies, n'a-t-on pas en réalité vidé la Guadeloupe de toutes structures industrielles ? Il en existait autrefois, au bénéfice de quelques puissances économiques qui vivent dans la métropole. Alors nous avons pensé d'abord à faire avec vous, à bâtir avec vous de nouvelles structures de production, qui seront capables, d'abord de créer une croissance en Guadeloupe, de créer de nouvelles richesses, d'employer des générations d'agriculteurs, qui connaissent admirablement leur métier, mais qui n'avaient plus l'instrument de ce métier, cassé dans leurs mains.
- Je crois que la décision que j'ai rappelée hier soir à Pointe-à-Pitre pour ce plan-programme de la culture de la canne à sucre a représenté, m'a dit Frédéric Jalton, l'un des événements principaux, l'une des décisions les plus importantes pour l'économie, à la Guadeloupe, depuis très longtemps au point que cela a été reconnu par d'importantes personnalités politiques, qui sur tous les autres plans, se comportent en adversaires, en adversaires politiques j'entends.\
Puis j'ai parlé, je parlerai encore tout à l'heure de l'égalité. Je ne dis pas l'égalité sociale, bien entendu cela est compris, mais cela va plus loin. Cela doit être entrepris avec énergie, c'est dans les moyens de la France. Il faut étudier ce problème avec sérieux en discutant avec les responsables que vous êtes, que je vois devant moi et puis quelques autres. Et quand, comme l'a dit dans une très heureuse formule, Frédéric Jalton, la Guadeloupe se sentira tout à fait guadeloupéenne, se sentira d'autant mieux partie intégrante, intégrée, vivante, active, créatrice, de la République française.
- Mais au travers de cette loi de régionalisation nous avons déjà réglé de grands problèmes psychologiques, n'est-ce pas mesdames et messieurs ? Vous avez moins de difficulté à convaincre certains de vos jeunes de suivre le chemin que vous avez choisi parce que vous pouvez leur parler d'identité et parce que la Guadeloupe, cela signifie quelque chose dans la vie quotidienne.\
Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour la qualité de votre accueil. Je ne sais plus en quelle année j'étais là pour l'inauguration, 1985, 6 décembre 1985, il était temps et j'étais venu là dans un grand concours populaire. J'avais vu beaucoup de belles choses et de choses passionnantes, mais ce n'était qu'un retour après bien d'autres voyages qui m'avaient permis de bâtir quelques amitiés qui durent toujours et qui s'identifient dans certains visages dont quelques-uns sont devant moi.
- Merci, monsieur le député-maire, cher ami. Merci, mesdames et messieurs. J'espère que nous nous reverrons. L'avenir n'est à personne disait le poète, mais pour ce qui dépendra de nous, nous le ferons. Et je continuerai là où je serai depuis Paris, à la fois de suivre avec intérêt l'évolution de vos problèmes. Mais je continuerai aussi de voir avec joie les Guadeloupéens qui seront de passage et qui consacrent aujourd'hui à l'avenir, au présent, et à l'avenir de la Guadeloupe.
- Vive la Guadeloupe ! Vive la République ! Vive la France !\