19 avril 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle de 1988, sur l'Europe, le désarmement et la solidarité nationale, Montpellier, mardi 19 avril 1988.

Mesdames, messieurs, chers amis,
- D'abord, salut à Montpellier ! Salut au département de l'Hérault ! Salut à celles et ceux d'entre vous qui sont venus de plus loin et qui composent cette foule, ce soir, que je suis heureux de rencontrer ! Pourquoi ? Parce que j'ai besoin de votre mobilisation ! J'ai besoin de votre enthousiasme ! J'ai besoin de votre volonté !
- Il nous faut un immense mouvement à travers toute la France et nous sommes capables de le créer, de le porter plus loin, pour donner à la République, au-delà de son Président, la politique qu'il lui faut, les desseins qui lui sont nécessaires, la direction à prendre pour la fin de ce siècle, qui est le commencement d'autre chose.
- Salut à Montpellier, que j'ai visitée plusieurs fois au cours de ces dernières années et dont j'ai admiré le progrès, l'énergie et l'imagination à diverses reprises, qu'il s'agisse d'Agropolis, d'Euromédecine, du rôle technologique, qu'il s'agisse des projets d'urbanisme. Et tout ceci dans un ensemble qui est le département, qu'il faut équilibrer, et qui est cette région, en dépit de ses difficultés qui sont si grandes £ du chômage, qui frappe la jeunesse, qui atteint dans le Languedoc-Roussillon une proportion inquiétante £ en dépit des maux, des inquiétudes, des angoisses de la viticulture - partout la peine, partout l'anxiété, partout l'effort non récompensé - qu'il faut saisir aujourd'hui de telle sorte que nous puissions rassembler, sauvegarder, promouvoir.\
Mais pendant que nous parlons ce soir, ici, dans cette ville, le monde tourne. Bien au-delà de nos frontières, le monde bouge. Je viendrai dans un moment à l'essentiel de mon propos, mais j'ai remarqué qu'au cours de cette campagne présidentielle on avait trop souvent tendance à oublier ce qui se passait à l'extérieur.
- Là-bas, la guerre... Partout, les menaces... Partout, l'oppression.
- La guerre Irak-Iran. Hier, cela a été un nouveau pas dans un conflit... le bombardement des navires... l'entrée du détroit menacée de fermeture... et finalement, la contagion à partir de cette plaie purulente, la contagion de la guerre.
- Israël et les pays arabes. Le malheur, la misère, et partout des peuples qui se déchirent. D'un côté un peuple à la -recherche de sa terre, d'une patrie, et de l'autre celui qui a conquis le droit de vivre, qui se sent lui-même menacé.
- Et là-bas, à l'autre bout du monde, l'apartheid, la ségrégation raciale, la domination des uns sur les autres, et les condamnés de Sharpeville qui attendent, sans savoir si le poteau d'exécution les recevra ce soir ou bien demain...
- Alors qu'il serait si nécessaire qu'à travers le monde civilisé se dégagent une volonté de refus en même temps qu'un appel au bon sens !
- Oui ! Le monde tourne pendant que nous nous réunissons dans ces vastes assemblées ! Oui, la guerre gagne du terrain ! Oui ! L'oppression fait des ravages ! Nous devons y penser et je voulais commencer cet exposé par cela, sans oublier, bien entendu, qu'il est des Français - encore des Français... - dans tel ou tel pays, qui servent d'otages à la barbarie et au terrorisme... Et ce n'est pas l'un des moindres enjeux de cette campagne présidentielle que de parvenir, après le 8 mai, à donner de la France un visage qui lui permette d'être entendue, d'être reçue, d'être comprise et de jouer sur le -plan international le rôle qui doit être le sien, que je vais maintenant tenter de définir.\
Que cherchons-nous ? De nouveaux équilibres. Quels équilibres ? De toutes sortes.
- Un nouvel équilibre institutionnel. J'ai vécu depuis sept ans deux parties fort inégales - la première a duré cinq ans et la deuxième deux - et j'ai pu percevoir les faiblesses ou les risques de nos institutions.
- On a débattu cent fois du rôle du Président de la République. Devrait-il - certains le disaient - retrouver ou conquérir la plénitude d'un pouvoir qui n'est pas écrit dans les textes, mais qui a été accordé dans les faits, un pouvoir souverain ? Oui, il faut que le Président de la République, dans les domaines qui sont les siens, là où la vie de la nation est en jeu, il faut que le Président de la République décide £ je pense à la politique extérieure - les grandes orientations -, je pense à la politique de défense - la sécurité de la France -. Mais, il ne faut pas faire d'un seul homme le décideur de tout, alors qu'il a pour vocation aussi d'arbitrer entre les tendances, de concilier les points de vue, de tenter d'harmoniser de telle sorte que les conflits ne surgissent pas à chaque pas qui nous mène vers le siècle prochain.
- Diriger, décider, arbitrer.
- Eh bien ! J'entends mettre en oeuvre la conception que j'ai de nos institutions, avec un gouvernement qui gouverne et un Parlement qui légifère et qui doit être respecté, comme doivent être respectées les institutions régionales et départementales £ car nous avons, grâce à la décentralisation, mis en place un équilibre institutionnel nécessaire à notre démocratie.\
Oui, je cherche avec vous de nouveaux équilibres entre l'individu et la société. Comment mettre en oeuvre ces principes simples : la liberté pour chacun et la solidarité pour tous ?
- Les équilibres économiques et sociaux : il n'y aura pas de modernisation économique de la France s'il n'y a pas de développement de la cohésion sociale, dialogue et partage, si les responsabilités sont confisquées par quelques-uns et si le profit est retenu par une minorité de privilégiés. De nouveaux équilibres entre les plus riches et ceux qui le sont moins, ou ceux qui sont tout à fait pauvres, qui n'ont rien, qui ne disposent de rien, qui ont perdu passé, présent et avenir. Equilibres sociaux grâce aux lois de discussion et de dialogue £ je pense aux lois Auroux des lendemains de 1981, comme je pense à la politique contractuelle qu'il nous faut aussi mettre en oeuvre pour que tout soit débattu entre les partenaires sociaux de ce qui touche à la vie des hommes, à la vie des femmes, de tout ce qui permet à chacun de se sentir à l'aise là où il travaille et là où il vit.
- De nouveaux équilibres aussi dans le monde. De nouveaux équilibres en Europe, par la Communauté européenne. De nouveaux équilibres dans le monde, par le désarmement et la sécurité entre l'Est et l'Ouest. De nouveaux équilibres dans le monde par un nouveau partage entre le Nord et le Sud.
- De tout cela, maintenant, chers amis, nous allons parler.
- J'ai développé dans d'autres lieux quelques thèmes simples. Je commençais par dire : moi, j'ai foi en la France. Cela peut paraître tout à fait inutile de le dire, mais je ne suis pas toujours sûr que chacun de ceux qui prétendent à gouverner la France ou à la présider ait une véritable foi dans la France, c'est-à-dire aussi confiance dans les Français. Et c'est pourquoi j'ai tenté de développer, à travers cette campagne présidentielle, cette dynamique de l'union qui, bien entendu, dans mon esprit, ne recouvre pas les confusions qu'on imagine.
- La dynamique de l'union : il s'agit tout simplement, autour de vastes objectifs, d'entraîner avec nous l'immense majorité de notre peuple, celle qui a besoin de se sentir appelée à un grand et nouveau destin et qui sait bien que nous n'y parviendrons que si nous sommes unis d'abord, mais unis autour de réalités nouvelles dont les premières sont la solidarité, la justice et le progrès social.\
Mais il faut à la France de nouveaux horizons. Et le premier de ceux qui se proposent, c'est l'horizon de l'Europe. Je crois à la dynamique européenne et je vous invite à me suivre, pour peu que nous équipions la France de telle sorte qu'elle trouve sa place dans ce monde qui se dessine : la France au centre de l'Europe.
- On s'est inquiété, surtout dans les régions comme celle-ci - j'en ai parlé à Montpellier dans le passé - de l'ouverture sur l'Espagne et le Portugal. Cela présentait et présente encore des risques, mais il n'y a pas de risques sans chances et, aujourd'hui, la France, et votre région particulièrement, se trouvent placées au centre de tous les futurs mouvements de l'Europe, des communications.
- Là-haut, du côté du tunnel sous la Manche - on a commencé de le creuser, nous nous sommes mis d'accord avec la Grande-Bretagne - il y aura désormais ce tunnel, ce passage auquel on rêvait depuis plusieurs siècles et qui n'a été rendu possible que par la volonté que nous avons eue dans les années 81 `1981`. Le tunnel sous la Manche, et puis les TGV, ces grandes voies de circulation qui, désormais, font rejoindre toutes les grandes capitales de l'Europe à partir de la nôtre £ qui permettront à la fois d'atteindre Londres, mais aussi Amsterdam, mais aussi Cologne, mais aussi plus tard, par l'est et à travers Strasbourg, les pays de la moyenne Europe £ et puis, vers le sud, la France, au centre de l'Europe en voie d'être construite.
- Et moi, je crois à cette Europe-là : bien entendu je crois surtout à l'Europe des hommes. C'est pourquoi il faut doter cette Europe-là d'institutions plus fermes. Elle doit être dirigée. Ceux qui la dirigent sont toujours changeants £ tous les six mois, c'est un pays, à tour de rôle - le rôle de l'alphabet - qui est appelé à diriger les travaux européens. Ce n'est pas sérieux. Il faudrait, en effet, une présidence plus durable. De même qu'il faudrait un Parlement - nous sommes entre pays démocratiques - qui ait des compétences réelles et pas simplement le droit de donner des avis.\
Et puis, il faut, à l'intérieur de cette Europe, développer une certaine agriculture. Le Traité de Rome, qui a fondé l'Europe en 1957, ne parlait pas de n'importe quelle agriculture £ il tentait de préserver une certaine forme de civilisation, un contenu humain.
- L'agriculture, si elle se transforme en société industrielle qui verra nourrir les vaches, allaiter les veaux et nourrir toute forme d'animaux sur la Place de la Concorde ou bien là où il n'y a pas de paysans, ce n'est pas l'agriculture que nous voulons. L'Europe a été construite de telle sorte que, demain, l'exploitation familiale agricole doit non seulement survivre mais s'ancrer dans notre sol. Notre civilisation est en jeu.
- Je tiendrai le même raisonnement pour une région comme celle-ci. Je pense aux drames et aux difficultés de la viticulture, mais je n'ignore rien des efforts remarquables accomplis dans un pays comme le vôtre pour rechercher la qualité. Oui, les viticulteurs d'ici ont fait le choix de la qualité et il leur a fallu du courage car on vivait depuis des décennies sur d'autres normes. Il a fallu décider une politique lors d'un Sommet européen à Dublin, maintenue et mise en place par des ministres de l'agriculture, je pense au rôle de Michel Rocard qui a tenté d'expliquer, et qui a réussi à dessiner les structures et surtout à imprimer une volonté, la volonté de la qualité par la volonté du courage : savoir mesurer exactement son effort, savoir en particulier s'inscrire dans le marché, tout en bénéficiant des justes protections que l'Europe doit à tous ses habitants, à tous ses producteurs.
- Eh bien, il faut que cette Europe-là, nous la développions et que ce ne soit pas seulement l'Europe des technocrates.\
De la même façon, cette Europe-là, à laquelle je pense, et parfois à laquelle je rêve, c'est une Europe qui sera capable de mettre dans la Communauté l'ensemble des technologies.
- Vous avez fait cet effort dans l'Hérault £ on aperçoit les miracles que l'on peut accomplir à partir de la maîtrise des secrets de la matière. Une science pure qui devient une science appliquée £ une technique qui devient une industrie, qui devient un commerce, qui devient des échanges, c'est cela, l'intelligence de l'homme.
- Eh bien, il faut que nous développions l'Europe que j'ai voulu construire. J'ai pris cette initiative en votre nom lorsque j'ai incité les puissances de l'Europe à s'entendre sur ce que l'on a appelé le projet Eurêka qui est l'association de 18 pays européens autour de leurs principales industries, lesquelles industries mettent en commun leurs chercheurs et leurs industriels pour rechercher partout le moyen de concurrencer victorieusement la technologie japonaise ou bien la technologie américaine. Cela est indispensable. Un seul pays ne peut le faire. Encore faut-il comprendre que l'Europe technologique et l'Europe agricole, de même que l'Europe économique qui tend à se développer de jour en jour, n'auront de durée que si elles se dotent d'une monnaie et si cette monnaie est elle-même gérée par une Banque centrale.
- Cela fait beaucoup de choses et je n'entends pas m'attarder ce soir sur la construction de l'Europe, mais je veux vous faire comprendre que la dimension française désormais, c'est la dimension de l'Europe : L'Europe ne se fera pas en exprimant simplement des voeux ou en rêvant £ il n'empêche qu'à partir de nos 55 millions d'habitants, cette projection dans une Europe où nos talents, notre génie, notre histoire, nos capacités accumulées à travers les siècles, trouveront un nouveau champ d'expansion, quand nous serons dans un monde où vivront 320 millions d'êtres humains - c'est l'Europe de la Communauté - liés dans un marché ouvert, sans aucune frontière entre ces pays-là. On peut se dire : mais est-ce que la France en sera capable ? N'ai-je pas pris un risque trop grand lorsqu'en 1985 j'ai incité les autres pays de la Communauté à s'engager dans cette voie ? N'est-il pas nécessaire dès 1988, au-delà de l'élection présidentielle, de disposer d'équipes qui à la fois on conçu l'Europe, qui y sont attachées en restant bien ancrées dans le sol de leur patrie, en étant assurées que leur patrie est la France, qu'elle est capable d'apporter à cette même Europe des vertus, des devoirs, des mérites qui sont incomparables. Mais quel risque, chers amis, quel risque si nous ne sommes pas liés, associés, entrainés dans un mouvement que je voudrais maintenant vous décrire.\
Oui, il n'y aura pas d'espace économique sans un espace monétaire, mais il n'y aura pas non plus d'espace monétaire sans espace social. Si on laisse, dans telle ou telle région de l'Europe, la misère s'installer, on accepte l'inégalité entre les régions, et que quelques régions privilégiées reçoivent toutes les bénédictions du ciel et des hommes. Oui, un espace social de même que ce que l'on appelle un espace régional. Une région comme celle-ci comprendra ce que je veux lui dire.
- J'ai vu un gouvernement français réticent pour que des crédits soient attribués aux régions en difficulté - qu'elles soient grecques, italiennes, portugaises, irlandaises, espagnoles ou françaises - alors que notre devoir est de faire évoluer économiquement les régions en difficulté. Et il n'y aura pas de société harmonieuse entre les hommes, il n'y aura pas d'Europe harmonieuse si là encore les régions riches deviennent plus riches, les régions pauvres plus pauvres, de même que dans les sociétés d'injustices, les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres.\
Enfin, il nous faudra bien examiner les conditions d'une sécurité commune car le monde n'est pas facile à vivre. Aujourd'hui, l'Europe est sous la dépendance de deux empires. Où est notre vieux continent, sa culture, son histoire ou sa géographie ? Depuis plus de quarante ans désormais les décisions se prennent ailleurs, sous l'influence de l'empire de l'Est ou de l'empire de l'Ouest. L'Europe n'a pas la maîtrise de son véritable destin. Cela ne peut durer. Sans doute doit-on avancer avec d'extrêmes précautions car nous n'allons pas ajouter aux tensions internationales une tension nouvelle, et l'on ne peut bousculer ou renverser l'ordre des choses établi au lendemain de la deuxième guerre mondiale sans danger, mais il faut choisir cette direction. L'Europe doit se faire elle-même £ il faut qu'un jour l'Europe soit libre de ses décisions et qu'elle assure elle-même les moyens de sa sécurité.
- Cela ne sera possible également que si l'Europe se dote d'une direction politique suffisamment ferme et cohérente. On ne va pas voir ici des négociants, là des techniciens, là des militaires, là des chefs d'entreprise ou bien des ouvriers évoluer au hasard des lignes de force, des rapports de force s'il n'y a, comme dans tout pays démocratique, une autorité politique représentant ces peuples et capable de s'exprimer en leur nom.
- Voilà, j'en ai fini sur ce point. Mais partout où je vais, j'insiste sur cette dimension hors de laquelle on ne placerait pas le destin de la France là où il faut le situer.\
Mais il n'y a pas que l'Europe, et l'Europe ne se fera pas simplement par la supplication ou bien par la prière. Il faut y ajouter toutes nos volontés associées, et moi j'invite la France, la France du mois de mai prochain, à choisir le parti de l'Europe sans hésiter, sans barguinier, mais en défendant bien entendu ses justes intérêts.
- Or, j'observe que nous sommes quelques-uns qui ont déjà vu beaucoup de temps passer, j'en suis, qui depuis déjà le lendemain de la dernière guerre mondiale, qu'ils ont vécue et qu'ils ont faite, ont aperçu les désastres de ces guerres civiles, ce sang, cette haine, cette incapacité de l'Europe à rassembler ses forces, et qui ont décidé alors de guérir de ce mal ce continent si déchiré. Cela devait commencer par la réconciliation entre la France et l'Allemagne et c'était difficile pour tous ceux, et nous étions nombreux, qui comptaient dans leur famille, parmi leurs proches, des morts, des déportés, des déchirés, des torturés.
- Oui, c'était difficile, et d'autres se contentaient de propositions démagogiques en célébrant la France seule, la France supérieure à tout autre pays, refusant de prendre part, de mettre la main à l'ouvrage pour la construction de l'Europe £ j'ai vu celles et ceux qui n'y sont allés qu'à reculons et qui tentent de s'y installer aujourd'hui comme si, l'Europe, ils avaient voulu la faire. Je l'ai souvent dit, on prononce les mêmes mots, l'Europe, l'Europe... mais ne faut-il pas faire de différence entre ceux qui l'ont faite et ceux qui n'ont jamais manqué une occasion de la défaire ?
- Eh bien moi, je voudrais ne compter dans cette immense salle que des Françaises et des Français décidés à la faire, et si possible à la faire, - puisque je suis celui que vous demande votre concours - avec tous mes amis. Je ne désigne pas un parti, même si nul n'ignore que j'approuve mes amis socialistes, mais je ne fais pas appel à un parti, je fais appel aux Françaises et aux Français, sur ce terrain, décidés à avancer vers la construction de l'Europe pour y défendre les justes droits sociaux, pour y défendre les droits politiques et pour affirmer notre volonté d'être capables d'assurer nous-mêmes les conditions de notre sécurité.
- Je voulais ajouter - je ne m'y attarderai pas - que cette dynamique de l'union des Français autour de vastes objectifs, et qui commence par cette dynamique de l'Europe, c'est cela, le nouvel équilibre... un nouvel équilibre en Europe, cette communauté de douze pays déjà ouverte sur les autres.\
Je crois aussi à la dynamique de la paix. Et si je ne m'y attarde pas plus longtemps qu'il convient, je voudrais dire que la sécurité du monde tient à l'équilibre des forces entre les blocs militaires, qui malheureusement, plus de 40 ans après la dernière guerre mondiale, continuent de s'observer ou de se menacer face à face.
- Il faut, autant que possible, en finir avec ce partage des forces dans le monde mais en attendant, il faut équilibrer les forces à la fois du bloc de l'Est, et celles du bloc de l'Ouest. Pendant longtemps, l'équilibre n'a été possible qu'en surarmant. Dès lors que le moment est venu, et il est venu, où il devient possible de maintenir cet équilibre, et même de l'accroître en désarmant, oui, je vous invite, comme j'ai invité l'ensemble des Européens, je vous incite à prendre parti pour le désarmement, pour la sécurité par le désarmement.
- Alors il y a plusieurs étapes : celles qui ont conduit à l'accord de Washington entre Gorbatchev et Reagan, avec des noms bizarres : l'option zéro, et puis ensuite la deuxième option zéro qui consistait tout simplement à ôter du centre de l'Europe des armes nucléaires qui n'avaient rien à y faire et qui nous menaçaient. Et puis les discussions au sein de l'OTAN et puis... - je vous dis tout de suite, arrivé à ma conclusion sur ce chapitre-là, ce sera bref - ... il faut maintenant engager une négociation sérieuse avec l'Union soviétique, sur la réduction des armes classiques ou conventionnelles, sur les armées qui campent au centre de l'Europe, à la frontière des deux Allemagnes et de la Tchécoslovaquie. Il faut que l'Union soviétique consente, si elle veut qu'on la croie, à réduire un armement très supérieur à celui des forces de l'Ouest en Europe. Voilà ce que j'ai proposé. Et j'ai dit à nos partenaires que s'ils continuaient, est-ce qu'il convenait de poursuivre les négociations qui ont lieu actuellement à Vienne... Si on les poursuit, en même temps, il faut poser la question clairement et dire : "Voilà un délai de deux ans, de trois ans, pas davantage. Engagez la négociation sur la réduction, sur le désarmement, des armes conventionnelles ... les canons, les chars, les avions... négociez, vous Soviétiques, et nous Occidentaux". "Et si vous vous refusez, alors comment éviter le renforcement mutuel des forces en présence ?". Comment, pour avoir refusé le désarmement, n'irait-on pas fatalement vers le surarmement, la course aux armements, infernale, qui n'a pas cessé ? L'an dernier pour la première fois, on a vu des hommes d'Etat raisonnables, capables de considérer l'immense danger auquel est livré le monde, et d'amorcer la dynamique du désarmement...
- Mesdames, messieurs, mes chers amis, je vous incite - et c'est un des objectifs de cette campagne présidentielle, un de ses plus grands enjeux même si c'est celui dont on parle le moins sur les tribunes publiques - et je vous engage à fixer ces deux termes sur ce terrain-là : désarmement et sécurité, plus de désarmement pour avoir plus de sécurité. Ce sont deux termes qui ne sont pas séparables mais c'est la voie à prendre ou bien les menaces s'accumuleront sur les têtes de l'humanité tout entière.\
Si vous voulez bien, passons à un autre sujet. Regardons la France telle qu'elle est.
- Les résultats qui nous parviennent, les résultats économiques, sont parfois déplorables. Une grande victoire a été remportée : la bataille des prix. En 1981, nous avions recueilli une économie qui connaissait une inflation de près de 14 %. Et nous l'avons amenée en 5 ans à un rythme de croisière, à un peu moins de 3 %. Bel exemple de continuité, après quelques accidents de parcours en 1986, en 1987 on constate que l'inflation continue de poursuivre sa route vers une heureuse descente.
- Nous pouvons maintenant aborder le moment où nous retrouverons une certaine parité - dans la lutte contre la hausse des prix - avec notre puissant voisin, notre principal client et en même temps fournisseur : l'Allemagne de l'Ouest. Nous sommes déjà arrivés à l'équilibre en 1985 après la gestion de Mauroy et de Delors, sous celle de Fabius et de Bérégovoy. Nous y sommes déjà parvenus. Et puis l'écart a repris.
- De toute façon, je ne suis pas venu pour passer mon temps à critiquer les autres. Je dis : "il faut repartir du bon pied". Oui, je ne passe pas mon temps à critiquer les autres.\
Permettez-moi cet incidente. Pardonnez-moi si j'emploie un terme un peu commun mais "qu'est-ce que je prends" !
- Je ne sais pas si vous avez l'oreille fine mais sur toutes les tribunes, tous les orateurs de l'actuelle majorité transitoire, majorité parlementaire... oui, il n'y a plus aucune retenue de langage. J'ai l'impression que les principaux dirigeants de cette majorité parlementaire, que tel ou tel candidat, doivent croire que le peuple de France est vulgaire. Or, il ne l'est pas. Et il prend la chose politique au sérieux.
- J'ai représenté pendant de longues années, un département rural et je voyais, chaque fois qu'il y avait une élection municipale, cantonale, législative, présidentielle, mes compatriotes s'habiller, prendre le vêtement du dimanche. Ils accomplissaient un acte solennel, un acte civique. Ils n'étaient pas vulgaires. Et quelle opinion se font-ils de lui, ces hommes politiques qui parlent une langue vulgaire et d'insulte en croyant lui plaire, à ce peuple ?
- Eh bien, devrais-je en décevoir parmi vous ou ailleurs ? Je ne me placerai pas sur ce terrain-là. Je n'attaquerai pas les personnes. Je discuterai les idées, je parlerai politique, je dirai ce que j'en pense. Mes critiques pourront se faire vives mais jamais je ne pratiquerai l'insulte, jamais je ne m'engagerai là où il n'y a plus que bassesse d'âme ou bassesse de coeur.
- Remarquez qu'il faut l'admettre : il y a une différence ! Moi, je suis Président de la République et eux, ils voudraient l'être, de telle sorte que bien que je sois et que je demeure un combattant politique fidèle à mes amis et à mes choix, j'ai conscience que la France est plus vaste que moi sans aucun doute, mais plus vaste que vous aussi. La France, c'est quelque chose de très grand. Il y a des familles politiques. Il y a des traditions ancestrales et il y a des façons de penser, religieuses, spirituelles, politiques et économiques. Un Président de la République, même s'il poursuit son chemin, doit prendre en compte les intérêts contradictoires, même s'il veut que les privilèges cessent de faire la loi, pour que le plus grand nombre vive en France comme il doit vivre. Je suis responsable des Français, responsable de la France et, je le reconnais, j'ai un certain respect pour les Français y compris, et d'abord, pour ceux qui pensent autrement que moi, et qui voteront contre moi dans quelques jours. Ja vais vous faire une confidence. J'aime respecter mes adversaires. Et je dois vous en faire une deuxième : il y en a quelques-uns qui ne me le permettent guère.
- Bon, oublions la parenthèse et revenons à notre affaire.\
Si j'ai parlé d'une dynamique de l'union des Français, si j'ai parlé d'une dynamique de l'Europe, d'une dynamique du désarmement, je voudrais bien vous faire comprendre que l'essentiel de mon propos doit tourner ce soir autour d'une autre dynamique, ou plutôt d'une double dynamique : celle de la modernisation de notre économie d'une part, qui ne peut être séparée de la première, celle de la cohésion sociale de notre pays.
- Qu'est-ce que j'entends par modernisation économique ? Ca commence par des choses très simples et très humaines : quel appareil industriel avons-nous aujourd'hui ? Comment est-il capable de résister à la concurrence étrangère alors que nous allons nous trouver, avant cinq ans, en 1992, dans le grand marché européen livrés à toutes les concurrences ? Pourquoi notre industrie, ici et là, est-elle fléchissante ? Pourquoi le dernier rapport que je lisais sur les Comptes annuels de la nation, publié il y a trois jours, note-t-il que malgré l'excédent agro-alimentaire - oui, c'est vrai les agriculteurs travaillent bien - et la réduction du déficit énergétique - oui, c'est vrai nous avons besoin d'acheter moins de pétrole ou qu'il est moins cher - donc malgré cela, comment se fait-il demande ce rapport, officiel, que ces avantages ne compensent plus désormais la détérioration de nos échanges industriels ?
- La dégradation de notre commerce extérieur en est la marque. Cette dégradation se poursuit et pour la première fois depuis 1969, pour la première fois nous comptons cette année un déficit chiffré à 11 milliards de francs, alors qu'en 1984 et 1985, nous battions le record absolu de notre histoire contemporaine avec un excédent industriel, d'environ 90 milliards de francs.\
Mais j'ai dit que ces considérations économiques passaient d'abord par des considérations humaines et nous ne moderniserons rien du tout si nous ne formons pas nos jeunes quitte à former aussi les moins jeunes, par la formation continue... si nous ne les formons pas aux métiers qu'ils feront, ce qui veut dire qu'il faut donner un sérieux coup de pouce à notre éducation nationale.
- Quelques experts sérieux ont estimé autour de 15 à 16 milliards les sommes supplémentaires à ajouter au budget de l'éducation nationale d'ici 1992. Mais pour quoi faire ? Pas simplement pour se satisfaire d'avoir décrété une priorité à l'éducation nationale, pour former celles et ceux qui deviendront l'instrument avec lequel la France gagnera l'affrontement économique et social.
- Il faut donc que les plus jeunes, à travers leurs classes, puissent déboucher sur des enseignements, ceux qui leur plaisent, soit qu'il s'agisse d'enseignement général, soit qu'il s'agisse d'enseignement professionnel, et que cet enseignement professionnel diversifié, selon les technologies nouvelles, permette à de jeunes Françaises et à de jeunes Français d'appréhender toute la science contemporaine, de la mettre en oeuvre et d'être capables de fabriquer des produits et de vendre des marchandises qui se vendront bien, parce qu'elles coûteront meilleur marché et qu'elles seront de meilleure qualité que ce qui nous vient d'Extrême-Orient ou ce qui nous vient des Etats-Unis d'Amérique. Nous en sommes capables £ encore faut-il que les filles et les garçons soient formés à ces disciplines et soient formés à ces métiers. Or, ils ne le sont pas. Et surtout, il faut le reconnaître, les jeunes filles et les jeunes femmes, qui sont généralement destinées à des métiers qu'elles ne font pas, ce qui permet ensuite de les sous-payer, de les sous-qualifier. Et, lorsqu'il y a du chômage, c'est d'abord à elles qu'on s'adresse.
- J'ai dit récemment à la télévision que les trois-quarts des smicards étaient des femmes £ que des chômeurs de longue durée, ce sont surtout des femmes. Et, comme ce sont des chômeurs de longue durée, ou des chômeuses, qui, avec des salaires médiocres, étaient sous-payées parce que sous-qualifiées, alors c'est elles qui reçoivent le moins d'allocations pour le chômage. C'est le cercle infernal, et cela finit avec le chômage de longue durée, avec le triste état des nouveaux pauvres, qui n'ont rien, qui ne sont rien, qui ne peuvent rien, à moins que, dans un grand élan, le peuple français donne à ses dirigeants le moyen de mettre fin à cette iniquité.\
Et puis, le nerf de la guerre économique, c'est la recherche.
- Pourquoi la recherche ? Eh bien, parce que, quand on cherche, on a quelques chances de trouver... On ne trouve pas toujours, mais il est plus difficile de trouver quand on ne cherche rien. C'est pourtant le calcul que semble avait fait l'actuel gouvernement, puisque après que nous ayons porté la recherche à un niveau important de crédits, le premier geste du nouveau gouvernement de 1986 a été de casser ces crédits... Nous avions créé ce qu'on appelle le crédit impôt-recherche, c'est-à-dire une incitation fort importante pour consacrer beaucoup d'efforts à la recherche. Tout cela a été mis à mal, la formation et la recherche.
- Encore faut-il que nous soyons capables de développer des investissements intelligents et productifs pour produire la croissance. Car, sans croissance, mesdames et messieurs et chers amis, eh bien, nous accumulerons tous les risques et nous verrons se multiplier le chômage. La croissance ne règlera pas le problème du chômage à elle seule, mais, déjà, elle assainira le sol sur lequel nous serons capables de construire notre nouvelle économie. C'est avec la formation des jeunes, c'est avec la recherche, c'est avec la modernisation de notre appareil industriel que nous ferons reculer le chômage. Ce n'est pas en sens inverse mais dans ce sens-là qu'il faut engager l'action politique.
- Nous avons tous, depuis quinze ans, connu cette difficulté sans réussir à la surmonter. Maintenant, il faut parler et dire les choses telles qu'elles sont, puisque l'expérience démontre que c'est ainsi qu'il faut montrer la direction. Mais, mesdames et messieurs, il est sûr qu'avec le commerce extérieur qui, dans le dernier mois, a perdu encore plus de 5 milliards de francs, il est certain qu'avec des conditions de travail qui se détériorent et surtout avec l'injustice sociale qui s'accroît et l'absence du dialogue social, il est certain que nous ne parviendrons pas à développer puissamment, comme il conviendrait, notre économie s'il manque cet autre pilier du progrès qui s'appelle la justice sociale.
- Bref, à la dynamique de la modernité, je veux ajouter la dynamique de la solidarité.\
Solidarité, voilà le point de départ de ce que nous appelons l'égalité des chances. Il faut que le plus jeune enfant, quelle que soit la famille dont il est issu, souvent démunie de tout environnement culturel, trouve à l'école, dès la maternelle, le moyen de disposer de l'égalité de ses chances, selon les moyens de son intelligence et de son caractère. Il faut que l'égalité des chances - c'est un devoir d'Etat, c'est un devoir de la société - mette à la disposition de chacune et de chacun le moyen de jouer sa chance jusqu'au jour où tout Français détiendra son métier.
- Alors, il se pose des problèmes de toute sorte. Les quelques milliards que je demande pour l'éducation nationale, que j'ai chiffrés, je vous l'ai dit tout à l'heure, à 15 ou 16 d'ici 1992 - 93, il faudra bien qu'ils servent à quelque chose, et cela devra servir à la fois au développement de la recherche, je l'ai dit, mais aussi à la diversification des enseignements. Il faut qu'on soit capable d'apprendre dans nos écoles et particulièrement dans nos écoles techniques, les technologies qui produisent les marchandises qu'on vend. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.
- Il faut donc que l'égalité des chances s'exerce là, en diversifiant les enseignements, si tant est qu'il sera nécessaire de revaloriser la condition enseignante. On se plaint de combien d'échecs ? Mais quel avenir propose-t-on à celles et ceux qui sont décidés ou qui sont désireux d'accomplir la noble tâche d'apprendre aux autres ? A quel avenir les destine-t-on ? Que leur promet-on dans notre société ? Souvent des situations difficiles. La profession des enseignants doit être considérée comme l'une de celles qui doivent être choyées par la nation. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Et pourtant, nous avons la chance de posséder un corps enseignant, comme on dit, dont chacun d'entre nous connaît la valeur et le dévouement, la capacité d'appréhender le monde nouveau.
- Je pense en particulier au changement des rythmes scolaires. Comme je voudrais enfin qu'on s'attaque à ce problème qui touche à la fois la vie des enfants et la vie des familles, les rythmes scolaires, comme il convient, sur le plan du travail, qu'on s'attaque à l'aménagement du travail et au temps de travail et à l'aménagement du travail dans la journée.\
L'égalité des chances professionnelles, l'égalité - je l'ai dit plusieurs fois à la télévision ces derniers jours, j'y reviens parce que je suis déçu, tant je sens la nécessité de mettre l'accent sur ce point - entre les femmes et les hommes. Qu'est-ce que vous voulez, lorsqu'on constate qu'à qualification égale, le salaire d'une femme est de 15 % inférieur au salaire et au traitement d'un homme, on ne comprend pas... Ou bien on comprend trop bien !
- Lorsqu'on constate, toujours à qualification égale, que les femmes n'auront pas les mêmes promotions que les hommes. Je n'entre pas en guerre contre mes congénères les hommes, je ne les menace pas d'un péril nouveau, mais je leur dis : les femmes sont là £ est-ce qu'elles n'ont pas les mêmes droits que vous ? Et est-ce qu'elles n'ont pas aussi des charges plus lourdes que les vôtres ? Une femme qui travaille à l'extérieur et qui travaille à la maison - toujours les statistiques officielles - ça lui fait quelque soixante heures par semaine.\
`Suite sur la politique sociale`
- Et c'est pour ça que je pense qu'on a bien fait, en 1981, en dépit des attaques que nous subissons sur ce -plan. Le premier acte du gouvernement que j'ai constitué à l'époque, celui de Pierre Mauroy, a été d'augmenter les allocations familiales, d'augmenter le SMIC, de 50 % dans l'année l'un et l'autre £ d'augmenter le minimum vieillesse, d'augmenter les allocations pour les handicapés de 40 % dans l'année. De telle sorte que, dans les cinq ans qui ont suivi, on a vu les familles de deux enfants avoir une augmentation de leur pouvoir d'achat de 46 %, et la moyenne des familles d'environ 20 %.
- Et, depuis lors, ou bien c'est resté en l'-état depuis 1986, ou bien çà a baissé, comme pour le minimum vieillesse. Voyons... Que de critiques avons-nous entendues ! Nous avions mal géré. On avait dépensé de l'argent... Mais on avait dépensé de l'argent parce que, à travers les décennies précédentes, des gouvernements conservateurs avaient refusé de donner des moyens de vivre supplémentaires aux gens qui en avaient besoin. Et le premier devoir d'un gouvernement de cette sorte, parvenu aux responsabilités avec la confiance du peuple, c'était de remplir cette obligation-là, une obligation de justice, quitte à faire - et nous l'avons fait par la suite - ce qu'il convenait d'accomplir pour rétablir l'équilibre de nos finances publiques.
- Eh bien, moi, je n'arrive pas, chers amis, je n'arrive pas à m'excuser. Lorsqu'on me dit "mais qu'est-ce que vous avez fait en 1981 ?" je dis : on a augmenté les allocations familiales, on a augmenté le minimum vieillesse, le SMIC et les allocations pour les handicapés. Eh bien, je n'ai pas de remords, je n'ai pas de regrets. On a bien fait !.\
Mais devant tout cela, puisque j'en appelle à la dynamique de la solidarité, je dois dire mes inquiétudes sur l'un des joyaux de la société moderne, joyau fabriqué à travers le temps passé par une classe ouvrière, par des syndicats, par des mutualistes, qui ont reçu la Sécurité sociale et qui l'ont conçue sur un principe simple - voilà la solidarité pleine et entière - chacun doit donner selon ses moyens et recevoir selon ses besoins.
- Ce principe affirmé est entré dans nos lois en 1945. Il a subi quelques entailles depuis lors, mais il reste quand même le principe de la République et, lorsque je vois s'accumuler les menaces, tandis que tournent autour d'une série d'assurances privées £ oui, je suis pour la retraite complémentaire, d'ailleurs c'est la loi et c'est une bonne chose, mais quand je vois peu à peu se préciser des formes de démantèlement de la Sécurité sociale, une Sécurité sociale allant vers deux vitesses, la Sécurité sociale à deux vitesses, qu'est-ce que c'est que deux vitesses sinon la vitesse pour les riches et la vitesse pour les pauvres ?
- Je ne nie pas qu'il se pose des problèmes à la Sécurité sociale. C'est vrai que les experts, qui ont réponse à tout, ont estimé qu'en l'an 2005 la pyramide des âges ferait qu'on ne serait pas en mesure d'équilibrer, sans dispositions nouvelles, le régime de la vieillesse, la retraite vieillesse. Et c'est vrai que l'an 2005, c'est quand même dans 17 ans. Il faut donc y penser dès aujourd'hui.\
`Suite sur la Sécurité sociale`
- Mais plutôt que de se précipiter - comme on me le demande - d'augmentations en augmentations des cotisations, peut-être faut-il faire le tour des choses, examiner le bilan de ce qui nous sera laissé en héritage à partir du mois de mai prochain, savoir comment se retourner, étudier le rapport des Sages ? Il y a toujours des rapports des Sages, surtout sous ces derniers gouvernements, comme si ces gouvernements-là pensaient qu'ils n'étaient pas assez sages pour pouvoir se dispenser de l'avis des Sages. On trouve toujours plus sage que soi, c'est sûr ! Mais il faut penser que la responsabilité finale, elle, appartient aux élus du peuple et aux gouvernements. Donc à partir du rapport des Sages, à partir des études très sérieuses du Conseil économique et social, eh bien j'espère - je ne peux que dire j'espère - que le gouvernement du deuxième semestre de 1988 sera en mesure d'assurer la sauvegarde de la Sécurité sociale vieillesse en prenant les dispositions qui conviendront.
- Je me souviens qu'en 1983 Pierre Bérégovoy a équilibré la Sécurité sociale, que ses successeurs hommes ou femmes, en ont fait autant, notamment Georgina Dufoix £ qu'il y avait 11 milliards d'excédent en 1983, 16 milliards d'excédent en 1984, 13 milliards d'excédent en 1985, et que ce gouvernement, à cette époque, a laissé à son successeur en 1986 une trésorerie avec quelque 20 milliards d'avance. D'où ma surprise lorsque j'ai appris un an plus tard qu'il y avait déjà 19 milliards de déficit !
- Je dis tout de suite que j'inciterai le gouvernement à prendre les mesures qu'il faudra, y compris si elles sont difficiles et courageuses. S'il s'agit de sauvegarder la Sécurité sociale, il ne faudra pas accepter de démission devant la responsabilité. Mais avant d'engager une responsabilité - disons, de coercition - il faut mettre tout à plat, savoir quel est le terrain sur lequel ou s'engage, la direction que l'on entend prendre.
- Bref, le mot d'ordre, mesdames et messieurs, chers amis, c'est : sauvons la Sécu ! Sauvons la Sécurité sociale ! On ne le fera pas par de petits moyens. C'est quand même un peu surprenant de voir qu'un certain nombre de catégories, de professions libérales tout à fait respectables, ont bénéficié de mesures plus libérales encore tandis que la première agression a été faite contre les personnes âgées victimes de maladies graves, auxquelles on a retiré ce qu'on appelle les médicaments de confort. Equilibrer la Sécurité sociale en commençant par là ! Je pense qu'il faut faire une étude de fond, avoir du courage, mais ne pas indifféremment frapper les plus modestes sans savoir ce que l'on entend faire. Et puis, en tout cas, cela ne pourrait être que le résultat d'un effort national et pas seulement de quelques-uns.\
La solidarité, c'est aussi la politique contractuelle. La solidarité, ce sont les lois Auroux, c'est la possibilité de discuter au sein de l'entreprise de tout ce qui touche à l'aménagement du travail, de tout ce qui permet aux hommes et aux femmes qui sont dans une entreprise d'obtenir la formation économique dont ils ont besoin, notamment au sein du Comité d'entreprise, de discuter avec le chef d'entreprise, avec les partenaires, de discuter de tout. Oui, nous avons des difficultés, nous, travailleurs, que l'on soit cadre, ouvrier à la base, peu importe. Nous avons besoin de discuter, de connaître le bilan de l'entreprise. On veut le comprendre. Sur la stratégie de l'entreprise, on veut être consulté. Nous voulons la réussite de l'entreprise, c'est notre entreprise. Mais nous voulons pouvoir dire notre mot.
- Or, j'ai constaté, après avoir consulté la liste des cent plus importantes entreprises mondiales, que les plus importantes étaient celles qui d'une façon quasi générale - sur 100, j'en ai relevé près de 80 - avaient en même temps réalisé les plus grandes avancées sociales en leur sein.
- Ceci justifie bien le propos de tout à l'heure, il n'y aura pas de modernisation ni de progrès économique sans cohésion, sans avancées sociales, sans dynamique de la solidarité.\
J'irai un peu plus loin. La Sécurité sociale ne recouvre pas tous les cas, car l'un des thèmes essentiels que j'ai engagés devant vous, et devant la France, c'est le refus des exclusions. Que de catégories ont été exclues à travers les temps qui courent, les temps qui nous ont précédés et ceux que nous vivons !
- Prenez le cas, par exemple, de ces Français qui sont arrivés d'Algérie. Pendant combien d'années ont-ils pu mesurer qu'ils étaient exclus de la solidarité nationale ? Il reste encore beaucoup à faire.
- Et combien d'autres exclus ? J'ai parlé, à l'autre bout du monde, de nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie. Moi je n'accepte pas, et vous ne l'accepterez pas plus que moi, qu'un petit peuple dépendant de la République française puisse être soumis à la loi ou à la domination d'une minorité tout à côté, quelque mérite qu'ait cette minorité, quelque droit qu'elle ait aussi à notre solidarité, car elle a le droit de vivre. Le droit n'est pas conféré d'opprimer pour pouvoir vivre soi-même. Lorsque j'ai vu les Canaques démunis de leurs terres... un ministre `Paul Dijoud`, qui était un ministre modéré, bien avant 1981, puis un deuxième `Raymond Barre`, ont voulu créer un Office foncier pour rétablir un peu de justice et procéder à une nouvelle redistribution du terrain et du sol. Ils sont partis, et puis l'Office foncier est parti lui aussi. Et pourtant nous-mêmes, nous avions développé ses compétences. Il n'en reste plus rien aujourd'hui. Lorsque j'ai vu ce petit peuple qui tient farouchement à défendre sa culture - lequel d'entre vous renoncerait à sa culture, renoncerait à ce qui a fait toute la source de son intelligence, de sa formation ? On comprendra qu'un pays comme celui-là a été formé à d'autres langages, à défendre un héritage, mais a l'amour du français, l'amour de la France. On sert la France ici aussi bien qu'ailleurs. Il suffit de lire la liste des morts de toutes catégories sociales, on y trouve aussi des ouvriers, des paysans. Je pense aux morts des deux guerres mondiales, vos pères, vos frères, ceux qui figurent sur le martyrologue, je pense, lors de la dernière guerre, aux résistants, aux déportés... Quand on voit tout cela, on se dit que la solidarité nationale en France a des racines lointaines. Est-ce que cela peut nous permettre, là où nous sommes les plus forts, d'oublier les leçons de la décolonisation, là où nous n'avons pas été les plus forts ?
- Quelle que soit la faiblesse de ces peuples minoritaires, notre devoir est le même, celui de la solidarité.\
Solidarité encore à l'égard de ceux qui souffrent plus que les autres de la misère. J'ai dit un mot tout à l'heure des "nouveaux pauvres", on les appelle comme cela. Ces nouveaux pauvres se sont développés dans les années 70, et puis il y a eu une recrudescence avec le chômage, lui-même développé à partir de l'augmentation brutale du prix du pétrole et des chutes aussi brutales du dollar. Mais ces "nouveaux pauvres", comment les aider ? Comment les sortir du néant ? Ce n'est pas un problème de travail, et cependant ce n'est pas négligeable, ou de revenu, et c'est loin d'être négligeable : c'est leur vie. C'est un problème de dignité. Que peuvent penser de la société alentour et que peuvent penser d'eux-mêmes celles et ceux qui, dans la plus extrême misère, sont sortis de toute société, n'adhèrent plus à rien, ne sont reconnus par personne et n'ont plus pour chance de vie que la perspective de trainer jusqu'à la mort avec les tracas, les maladies ? Rejetés, abandonnés par une société d'injustice ?
- Alors nous avons proposé, nous, la création d'un revenu minimum garanti, que nous appelons aussi le revenu minimum d'insertion, ce qui veut dire que nous lions la notion de réinsertion sociale à la notion de revenu. Comme toujours, on nous arrache cette idée : "mais nous aussi, nous aussi " La différence, c'est que nous, nous considérons que c'est un droit. La solidarité nationale, la dynamique de la solidarité qui donnera à notre peuple la force de dominer toutes les entraves et d'aller librement vers son avenir, cette solidarité-là, doit s'exercer à l'égard des plus pauvres sous la forme d'un droit. Ce sont les droits qui sauvent les hommes et les femmes, car on ne les laisse plus à l'abandon des rapports de force où ils sont toujours perdants. Un droit. Les autres ne proposent pas le droit, ils proposent des aides facultatives. Les autres ne proposent pas de financement pour payer ces revenus ou ces allocations. Nous, nous en proposons un à partir du retour de l'impôt sur les grandes fortunes, qui frappera à peu près le même nombre de foyers fiscaux, même si ce ne sont pas toujours les mêmes - il y a des évolutions de fortunes - qui frappera 100 à 110000 foyers fiscaux sur 23 millions. Et on entend gémir ! On entend une plaine qui se répand partout, comme si les plus riches, les 110000 contribuables les plus riches ne pouvaient pas contribuer d'une manière particulière à sauver la vie et la dignité des 400000 ou 500000 plus pauvres !.\
Il y a d'autres exclus dont il devient difficile de prononcer le nom : il s'agit des immigrés, et dans une région comme celle-ci, on sait de quoi on parle.
- D'abord il y a des immigrés de toutes sortes - je ne parle pas de leur origine raciale - quant à leur statut par -rapport à la société française. Je tiens à faire observer, pour commencer, qu'il n'y a pas plus d'immigrés en proportion en 1988 qu'il n'y en avait en 1930, c'est-à-dire qu'il y a 7 % d'immigrés en France. Ce ne sont pas les mêmes. En 1930, c'étaient des Espagnols, des Italiens, des Belges ou des Polonais. En 1988 et les années précédentes, ce sont beaucoup de Portugais, mais surtout beaucoup de Maghrébins ou des travailleurs venus d'Afrique noire. Et ceci explique cela... Mais j'essaie de faire ici un tour d'horizon honnête d'une question difficile.
- Il y a quatre catégories différentes d'immigrés, ou plutôt, on essaie de faire croire qu'il y a quatre catégories différentes d'immigrés, parce que la première, dont je vais vous parler, ce sont les enfants d'immigrés nés sur notre sol. Eh bien ! Ceux-là, mesdames et messieurs, ils sont Français ! Ce ne sont plus des immigrés ! C'est un droit qui leur est reconnu - cela s'appelle le droit du sol - depuis notre ancienne monarchie - vous imaginez ! et que toutes les Républiques - on en est à la Vème... - ont respecté, sauf à un moment où il n'y avait plus de République, pendant l'occupation allemande. Et l'on ose aujourd'hui s'attaquer, au travers du code de la nationalité, à ce droit acquis : quand on naît en France, ont dit les anciens Rois, ont dit les Présidents, ont dit les législateurs, les Assemblées parlementaires - tous l'ont dit - quand on naît en France, on est Français ! Libre à ces jeunes gens, ou plutôt à ces enfants devenus grands, quand ils ont 18 ans, de rejoindre les origines familiales s'ils ne veulent plus être Français. Alors, il faut qu'ils le déclarent. Ils ont une formalité à remplir. Mais, s'ils veulent rester Français, ils n'ont rien à dire, ils n'ont rien à faire, ils étaient Français, ils le restent. Donc, vous voyez que, dans les anathèmes généralisés et incompréhensibles, riches de confusion, lancés contre les immigrés, ceux-là n'en sont pas, ce ne sont pas des immigrés, ce sont des Français.\
Deuxième catégorie : ce sont les immigrés qui veulent devenir Français. Alors, ceux-là, ils demandent leur naturalisation. A qui la demandent-ils ? A une administration, et une administration très vétilleuse, très attentive, quelquefois même un peu tracassière... Pour celles et ceux qui, étrangers, sont venus chez nous, soit pour y travailler, soit pour y trouver refuge, pour assurer leur liberté, devenir Français, je vous prie de croire, c'est un drôle de "parcours du combattant" ! Il faut quelquefois des années, de longues attentes devant des bureaux plus poussiéreux que modernes, avec des accueils qui ne sont pas toujours très aimables... Bref, disons les choses entre nous : c'est plutôt une corvée que de devenir Français dans ce cas-là ! On pourrait demander, si on veut modifier quelque chose, qu'au moins pour celui qui veut devenir Français, on contrôle tout, on surveille tout ! On a raison, il faut être très sévère pour cela. Mais enfin ! Si on est décidé à le faire, cela devrait être une fête, on devrait être content de les accueillir ! Ils ont voulu être Français. On a dit "oui", nous Français, pourquoi est-ce qu'on jetterait dans un coin pour oublier aussitôt le geste qui vient d'être accompli au lieu de les accueillir avec joie ? Mais enfin, ils ne sont pas très nombreux, ce ne sont pas ceux-là qui font pencher la balance.\
Alors, il reste les immigrés en général. Et les immigrés en général - troisième et quatrième catégories - ce sont ceux qui sont là, sur notre sol.
- Première catégorie, ce sont ceux qui y sont sans droit, parce qu'ils sont venus clandestinement. Je suis obligé de dire qu'en raison des conditions difficiles de travail en France et des équilibres nécessaires, il faut que les clandestins rentrent chez eux. Tout ce que l'on demande, c'est qu'ils soient traités humainement et que le retour chez eux se déroule dans des conditions dignes de la France. Lorsqu'il s'agit des libertés individuelles, n'oublions pas que c'est à la justice de se prononcer. Donc, quand il y a des cas d'urgence, il y a des cas d'urgence... c'est vrai qu'il faut savoir lutter contre les violences. Mais pourquoi dire que les violences viennent automatiquement de ces milieux-là ? J'entends bien que les clandestins ne peuvent pas être acceptés de cette façon. Il faut qu'ils rentrent chez eux.
- Mais tous les autres, ceux qui ont une carte de séjour, ceux qui ont un contrat de travail ? Ils sont quand même en droit d'espérer obtenir les mêmes garanties dans leur travail que leurs camarades français ! Ils ne sont pas Français parce qu'ils ne le veulent pas, ils veulent rester fidèles à leur pays d'origine - c'est bien leur droit - et ils veulent travailler en France. Puisqu'on les a acceptés - mais cela suppose la condition initiale : on les a acceptés, on leur a donné un contrat de travail, on leur a accordé une carte de séjour - à partir de là, finies les tracasseries. Considérons qu'il s'agit d'hommes et de femmes dignes d'être respectés et considérons que la France n'a pas à s'offrir une sorte de "Lumpen-prolétariat", une sorte de prolétariat de bas étage qui servirait à faire tous les bas travaux, mais que tout homme et toute femme vivant sur notre sol a droit à sa dignité.
- Voilà. J'ai fait le tour des choses. Quand on décortique ce problème, on perçoit qu'il n'a pas tout à fait l'ampleur qu'on imaginait.\
Mais là-dessus, une discussion s'est greffée : le droit de vote.
- Eh bien ! Mesdames et messieurs, chers amis, je l'avais proposé, au nom de la formation politique que je dirigeais à l'époque - la formation socialiste - en 1981. Et nous nous sommes rendu compte, à l'épreuve, que la société française, pas dans son unanimité, mais dans ses 3/4 pour le moins, n'était pas prête à une réforme de cette envergure, n'était pas prête comme l'ont été les Anglais, qui l'ont faite, les Hollandais, qui l'ont faite, les pays scandinaves, qui l'ont faite. Non, la société française - l'état de nos moeurs - ne l'a pas permis.
- Cette fois-ci, en 1988, j'ai jugé nécessaire d'évoquer ce problème sous sa forme pédagogique pour que les Françaises et les Français, pour que vous vous interrogiez, pour que vous réfléchissiez. Je ne l'ai pas proposé, de telle sorte que c'est un mensonge supplémentaire que de situer la discussion sur ce terrain-là. Je ne l'ai pas proposé, mais je dis : il est temps que notre société réfléchisse aux problèmes qui se posent à elle et qui se poseront à elle à travers les décennies prochaines. Voilà l'état, franchement exprimé, d'une discussion difficile.\
Eh bien ! Si nous ne voulons pas d'exclus, nous ne voulons pas non plus de privilégiés et nous constatons qu'il y a privilège lorsqu'on nous parle, par exemple, de la baisse des prélèvements obligatoires, impôts et charges sociales. Ce n'est pas normal qu'on baisse les impôts de 25 milliards de francs alors que seul 1 % des contribuables - toujours les mêmes, les 110000 ! - reçoivent toute la part de cette réduction d'impôts, tandis que tous les autres - les 23 millions - comme ils voient arriver dans le même moment une augmentation des charges sociales, finalement paient plus cher ! Pour dire les choses, nous n'avons connu qu'une seule année ou les charges - impôts - ont diminué, et de bien peu, c'est en 1985. J'ai pris la décision, en 1984, de contraindre notre administration à renverser sa tendance qui, tout bonnement, depuis 1974, avait conduit tous les gouvernements à augmenter les charges de 1 %, ou presque 1 %, chaque année. La seule année où cela n'a pas été le cas, cela a été en 1985. Et depuis lors, cela a recommencé. Nous venons - triste nouvelle, bien que nous soyons amateurs de records... - de battre le record absolu des charges, des prélèvements obligatoires des Français par -rapport au produit intérieur brut de la France, en atteignant en 1987 - là, maintenant... on vient d'apprendre les chiffres - 44,8 % du produit intérieur brut !
- Eh bien ! Evidemment, cela ne peut pas continuer comme cela. C'est vrai qu'il faudra que ces charges diminuent. Promettre, comme certains l'ont fait, que les prélèvements obligatoires diminueront - ils ont augmenté, mais ils promettent de les diminuer... bien entendu, c'est toujours comme cela pendant les campagnes présidentielles ou électorales... il faut ce qu'il faut... - de 1 % par an pendant dix ans. Si je voulais reprendre un langage commun qui, lui, ne serait pas injurieux, je dirais : "on peut courir " Nos finances publiques ne seront pas en état de supporter de telles décisions. Mais, de toutes manières, il faut réduire cette charge et les gouvernements qui seront constitués, d'abord le premier dont je prendrai la responsabilité après mon élection, si les Français le veulent...
- Bon... j'ai compris... j'ai compris... Vous le voulez, vous ?... Je ne me trompe pas ? Vous le voulez ?... (l'assemblée) Oui ! Bon. Alors maintenant, il faut décider les autres ! Et ne perdez pas de temps ! Dès ce soir, quand on va se séparer - dans un petit moment maintenant... - demain matin... je ne vous demande pas de passer la nuit... et pourquoi pas ? Même la nuit, il y a des moyens d'influence... Donc, n'hésitez pas, mobilisez vous. Il reste quatre jours maintenant avant le fameux 24 avril, il en restera ensuite quinze. Ce n'est pas trop tard, mais allez-y ! Je n'en doute pas.\
Je veux simplement vous inviter, mes chers amis, à comprendre que nous avons aussi à ajouter à notre action cette ultime, nécessaire dynamique qui est celle de la liberté.
- Nous sommes vraiment - j'emploierai le mot parti dans son sens le moins étroit, je ne mets aucun visage derrière ce mot de parti cette fois-ci, je ne dis pas que ce sont mes amis les plus directs qui se reconnaîtront - nous sommes du parti de la liberté. Nous voulons élargir le champ de la liberté. Nous voulons conquérir des espaces de liberté.
- La liberté, que de fois l'ai-je dit, n'existe pas à l'-état naturel. Une société doit s'organiser pour défendre la liberté des siens. Les institutions sont nécessaires. Il faut des pouvoirs certes. Mais il faut aussi des contre-pouvoirs. Nulle part ne doit se trouver un pouvoir souverain sans qu'il soit équilibré quelque part. C'est le peuple, c'est au peuple qu'il revient de décider lorsqu'il y a doute sur l'application des libertés. Et je ne manquerai pas de faire appel à vous chaque fois que je sentirai qu'il y aura menace pour nos libertés. Je vous demanderai à vous, peuple de France, de décider... et je pense particulièrement à la liberté de choix.
- Les jeunes n'ont pas la liberté de choix puisqu'on les destine, pour une grande part, au chômage. Ils n'ont pas la liberté de choix. Il faut qu'ils aient la formation pour cela. Je ne me répète pas, j'arrive à ma conclusion. Il faut qu'ils aient une liberté de choix. Il faut qu'ils aient une formation suffisamment diverse pour qu'ils puissent aller là où ils sentent que leur tempérament, leur goût les poussent.
- Je disais l'autre jour à Lyon : "moi, si à 18 ans, on m'avait demandé ce que je voulais faire, je n'aurais pas dit Président de la République, même si certains critiques le prétendent". Non, je ne suis pas né avec ça et j'aurais été incapable de dire ce que j'avais vraiment envie de faire. J'avais besoin encore de plus d'expérience £ j'avais besoin de compléter ma propre éducation, d'améliorer ma propre culture pour savoir où je me destinerai à partir de mes vingt ans. On s'est chargé pour moi de trancher ce problème, j'ai su ce que j'allais faire : c'était la guerre.
- Mais pour vous-mêmes, heureusement, l'horizon est plus souriant. Vous devez avoir, vous jeunes filles, jeunes femmes, la liberté de votre choix : travailler à l'extérieur, vous devez pouvoir travailler, et, au bout d'un certain temps, si vous élevez une famille, si vous avez plusieurs enfants, vous devez avoir la possibilité de les élever chez vous £ vous devez avoir la possibilité de travailler à l'extérieur et d'être aidées par la société pour garder vos enfants, les élever, les éduquer. Les parents doivent disposer d'un congé parental au moment de la naissance d'un enfant, le père ou la mère, on s'arrange. Les libertés dans tous les domaines.\
Mais ce qui est très difficile, voyez-vous, dans le rôle que j'exerce actuellement, c'est que tous les mots que j'emploie, généralement, viennent du dictionnaire, mais ils sont à la portée de tout le monde, ce qui est excellent... il n'y a pas de meilleure démocratie que celle du dictionnaire, à condition naturellement, de pouvoir bénéficier d'une société ouverte à tous... les mots que j'emploie : liberté, solidarité, Europe, modernisation, peut-être même désarmement, engagement à l'égard du tiers monde, tout le monde les emploie £ c'est à ne pas s'y reconnaître. Et on me jette cela à la figure, on me dit : "Bof, c'est intéressant ce que vous dites, peut-être, mais tous les candidats disent la même chose". Alors, je suis obligé de vous demander de faire un effort. C'est vrai que quand je dis : liberté, et que d'autres disent : liberté, comment choisir ? Vous n'avez qu'à regarder. Vous verrez ceux qui mettent facilement les autres à l'ombre de la liberté, qui les en privent ou ceux qui servent les libertés. Lorsque je dis : éducation, formation, recherche, vous n'avez qu'à voir ceux qui donnent les crédits à la recherche et ceux qui les suppriment ! Lorsque nous disons tous : jeunesse - tout le monde aime la jeunesse bien entendu, surtout quand elle vote ! - lorsqu'on dit : musique - ah, qui n'aime pas la musique ? ce n'est pas à Jack Lang que je l'apprendrai avec sa fête de la musique le 21 juin de chaque année - les autres disent : jeunesse, musique. Oui, mais il y a une petite différence : c'est que nous, nous avons créé la chaîne musicale et eux l'ont supprimée ! J'arrête là cette litanie £ d'autres publics dans d'autres villes l'ont entendue beaucoup plus longue, mais je ne veux pas répéter la même chose partout. C'est comme ça.
- Je voudrais simplement dire une note touchant à l'aide du tiers monde. Lorsque nous disons : il faut réduire les fossés entre les pays riches et les pays pauvres, nous, nous l'avons fait en augmentant peu à peu la participation de la France à l'aide internationale, aide qui, depuis 1986, était restée au point où elle était. Donc, nous employons les mêmes mots mais ne ne faisons pas la même chose.\
Alors, avant de vous quitter, je voudrais vous livrer d'ultimes réflexions.
- Depuis quelques jours, j'entends des sommations. On me dit : "Acceptez-vous un débat au deuxième tour de scrutin ?" Je ne réponds pas aussitôt, pour les raisons que je vais vous dire. Et la deuxième sommation arrive comme des salves : "Ah ? Vous hésitez ? Alors vous ne voulez pas ?" Et la troisième sommation arrive et fait le titre des journaux contrôlés par une certaine fraction de l'opinion publique et on dit : "François Mitterrand ne veut pas".
- Alors moi, je suis d'abord surpris. Je me dis : mais qui me propose cela ? Qui me propose cela ? Est-ce que c'est le candidat conservateur, ultra conservateur", sélectionné par les forces conservatrices pour le deuxième tour de scrutin ? Mais moi, je ne le connais pas encore. De quel droit est-ce que celui-ci plutôt que celui-là propose de discuter avec moi ? Ce n'est pas à moi qu'il fait une mauvaise manière, c'est au camarade d'à côté... Il ne me fait pas de mauvaise manière en me proposant un débat mais il le propose au nom de quoi, au nom de qui ? Qu'est-ce qui l'y autorise ? Il n'est pas encore sorti du magma des candidats de la vieille droite ! Le candidat de l'état RPR n'a pas reçu de prédestination céleste qui lui permette de m'inviter à un débat pour un deuxième tour de scrutin auquel il n'a pas encore accès et, s'il me le propose à moi, c'est parce qu'il sait bien que, moi, j'y serai.
- Alors, renversons la proposition et je dirai : seul assuré, grâce aux Français bien entendu, de prendre part à cette campagne présidentielle au-delà du 24 avril, je n'ai pas à accepter de propositions qui ne comportent aucune responsabilité, qui n'ont reçu aucune délégation populaire. C'est moi qui propose, et je dis : je propose un débat public devant tous les Français qui le voudront à la télévision, avec "l'autre" que le suffrage universel aura désigné le 24 avril au soir. Je souhaite seulement que, s'il s'agit d'un ancien Premier ministre ou d'un actuel Premier ministre, l'un et l'autre - et je sais à qui je pense à cet instant - aient la dignité de leur fonction et sachent qu'un débat entre le Président de la République en exercice et un actuel ou un ancien Premier ministre de la République française oblige à sortir des forges de la vulgarité où l'on essaie aujourd'hui d'entraîner notre opinion publique ! Quand on entend ce qu'on entend chaque soir, ne peut-on penser au spectacle que celui ou ceux qui sont capables de s'exprimer de cette manière pourraient donner, en se comportant de la même façon, à la face du monde, alors qu'aujourd'hui encore c'est nous qui représentons la France devant l'ensemble des pays étrangers, et au sein de l'Europe, bref, je demande ce qui paraît être le plus difficile à obtenir dans ce cas-là : je demande un peu de tenue. Et si je ne l'ai pas - moi, je n'y peux rien - je m'en passerai et je prendrai les choses comme elles viendr ont, mais les Français en seront juges.\
Mesdames, messieurs, chers amis, j'arrive au terme. J'ai été vraiment plus heureux que vous ne le croyez de vous rencontrer comme cela à Montpellier. Ce n'est pas la première fois que je viens dans des grands rassemblements de cette sorte, mais il me semble que l'heure est plus solennelle que toute autre.
- Croyez-moi, sans exagérer l'ampleur des circonstances, c'est tout de même en 1988, que par un ensemble d'événements, de grands choix déterminants vont se proposer au Français, face à la montée des intolérances, des sectarismes et du racisme, la complaisance de formations politiques honorables, ou officiellement honorables, la complaisance pour les pires projets de destruction de la société française, de la France et des valeurs sur lesquelles nous avons fondé notre société. Le grand choix, le grand rendez-vous européen, les grands rendez-vous mondiaux : la paix, la guerre, les travaux de la paix, les risques de la guerre... ils ne sont pas là pour demain matin. Mais vous voyez bien qu'une partie du monde est aujourd'hui en folie et qu'il faut faire entendre la voix de la raison, de la sagesse et de l'expérience française. C'est la vôtre que j'entends exprimer à partir du mois de mai 1988.
- Voilà, rendez-vous est pris. Maintenant, à vous de décider. Oui, à vous de décider. Je continuerai mon travail ambulant qui consiste à me rendre un peu partout en France et je dois vous dire que cela me plaît. Pouvoir vous rencontrer, vous entendre... retourner aux sources de l'enthousiasme, sentir vraiment battre l'espérance, la sentir vivre à travers, comment dirais-je, la gorge des plus jeunes, l'espèce de cri d'espérance et d'allégresse "oui, çà va changer " Pas tout, naturellement. Mais assez pour qu'on vive mieux et autrement, au cours des années qui viendront dans votre siècle à vous, celui qui vient, celui que vous bâtirez sur des fondations solides. Mais ces fondations, c'est maintenant qu'il faut les édifier. Aidez-moi et je vous aiderai de mon mieux.
- Soyez surs que lorsque je vous dis, comme je le fais, dans ces grandes circonstances, lorsque je vous dis en commençant par votre ville : "Vive Montpellier", lorsque je vous dis : "Vive l'Hérault", parce que vous êtes de ce département, "Vive votre région", je veux dire au-delà de tout, "Vive la République, Vive la France". Si je vous le dis, c'est que j'y crois. Merci.\