15 avril 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle de 1988, dans Le Provençal et Var matin, sur la situation en Corse et la campagne électorale, Paris, vendredi 15 avril 1988.

QUESTION.- On a cru un instant, monsieur le Président, que vous ne viendriez pas à Marseille ?
- F. MITTERRAND.- Marseille est la seconde ville de France. J'ai toujours entretenu des relations étroites avec elle. La présence à la tête de cette ville de M. Gaston Defferre, les amitiés que j'y ai aujourd'hui, l'importance de la région, rendent tout à fait normale ma visite. J'ai limité volontairement, vous le savez, les grands rassemblements populaires. Je n'en fais que six et il fallait bien choisir. Pourquoi le choix s'est-il porté sur telle ville plutôt que sur telle autre ? Il n'y a pas de raisons particulières mais puisque Marseille n'avait pas été retenue je voulais au moins rencontrer sur place quelques-uns de mes proches et faire une visite qui ait une signification pour les Provençaux.
- QUESTION.- Le Front national exerce au Sud de la France une attraction qu'il n'a pas ailleurs. La présence de François Mitterrand dans des terres apparemment gagnées par l'extrémisme a peut-être aussi une signification particulière ?
- F. MITTERRAND.- C'est vrai, cette formation a enregistré des progrès, mais c'est une évidence qu'il y a aussi une large majorité de Marseillais et d'habitants de la Provence hostiles aux thèses du Front national. Ma présence n'est pas là comme une sorte de réplique. Je me sens partout chez moi en France. J'y compte partout des amis. Je mène une action politique et je suis candidat en Provence comme ailleurs.
- QUESTION.- Le Front national n'inquiète pas que la seule gauche socialiste.
- F. MITTERRAND.- Tant mieux. Se reconnaîtra dans mon action qui voudra. Ma démarche est claire en dépit de ce que j'entends dire ici ou là.
- QUESTION.- Vous faisiez référence à Gaston Defferre et Gaston Defferre c'est la décentralisation.
- F. MITTERRAND.- Oui, il a donné son nom à l'une des grandes lois de la République. Mais il faut la parachever en prenant de nouvelles habitudes. Les textes sont très clairs et la décentralisation est entrée dans les faits. Compétence et financements correspondants ont été rétrocédés, il reste maintenant à compléter l'oeuvre engagée, par l'affirmation des responsables.
- QUESTION.- Vous voudriez voir évoluer plus vite les mentalités ?
- F. MITTERRAND.- Elles devraient changer à Paris mais aussi en province.\
QUESTION.- Et la Corse, monsieur Mitterrand ? On a dit un jour que cette île ne serait jamais heureuse. Or, il se trouve qu'après cinq années de gouvernement de la gauche et deux de la droite, la Corse ne s'en sort pas et se trouve toujours dans la spirale de la violence. Que faut-il faire pour en sortir ?
- F. MITTERRAND.- Cela dépend d'abord des Corses eux-mêmes. C'est vrai que la précédente législature a connu en Corse des moments difficiles. Mais nous étions parvenus à un certain équilibre, une certaine paix des esprits. Quelques éléments franchement extrémistes se tenaient bien entendu toujours à l'écart, mais la grande majorité des Corses avait eu le sentiment qu'on sortait enfin du tunnel. La mise en place des institutions régionales, les responsabilités redistribuées, la région Corse maîtresse de ses choix dans de nombreux domaines, tout cela avait été bien ressenti par les Corses témoins des efforts entrepris. Est-ce que tout le monde a fait ce qu'il fallait, comme il fallait ?
- Je réserverai mon jugement mais c'est en tout cas dans cette direction qu'il faut poursuivre. Il faut que les Corses se sentent véritablement responsables de toutes les affaires qui relèvent de leurs compétences : le lieu où ils vivent, la place où ils habitent, les préoccupations qui les assaillent. C'est à la région Corse de gérer ses problèmes et de les régler. C'est pourquoi nous avions adopté des dispositions que beaucoup d'observateurs ont jugées très ouvertes, très larges.
- QUESTION.- Le statut particulier que vous évoquez donnait à la Corse des moyens qui lui font aujourd'hui défaut.
- F. MITTERRAND.- Ce qui est certain c'est que la situation Corse me paraît aujourd'hui plus grave qu'elle ne l'a jamais été. Sans doute les méthodes employées ne sont-elles pas les bonnes.\
QUESTION.- Il n'y a pas que le terrorisme corse qui agite aujourd'hui la Méditerranée. Qu'en est-il selon vous du lac tranquille, du lac de paix dont rêvait votre prédécesseur Georges Pompidou ?
- F. MITTERRAND.- La Méditerranée n'a jamais été un lac de paix. Les habitants des pays riverains ont beaucoup de personnalité et beaucoup de caractère. Ils sont souvent passionnés mais jamais tranquilles, comme vous dites. Il revient par conséquent aux responsables politiques d'exercer leurs responsabilités, en cherchant, en essayant de trouver des institutions susceptibles d'équilibrer les génies nationaux et les tempéraments. Je l'ai souvent dit et répété : la liberté n'existe pas à l'-état naturel. L'harmonie démocratique non plus. Il faut des institutions qui fassent contre-poids aux forces dominantes et aux exécutifs. C'est la notion même des contre-poids.
- J'en reviens à la Corse et à ses institutions régionales dont je crois qu'elles répondent en partie aux besoins qu'ont les Corses d'être eux-mêmes, sans pour autant se séparer de l'ensemble qui est le leur et notre patrie commune : la France. Là est la solution. Je n'en vois pas d'autres. Vous me direz qu'il reste le séparatisme avec des institutions propres à la Corse. Mais cela n'est pas viable et n'aurait pas de sens par -rapport à l'histoire que nous avons vécue ensemble.
- Plus généralement et toujours à propos des mouvements violents qui naissent un peu partout autour de la Méditerranée, je crois qu'il y a des collectivités, des peuples qui ne supportent pas d'être effacés de l'histoire, de voir leur langue, leur culture, leurs moeurs abolies. Cela crée des réflexes et des révoltes instinctives. On peut régler les différends quand on discute avec raison, avec sagesse et avec amitié. On ne peut pas le faire avec les fanatiques. Laissons donc les fanatismes de côté. Le temps fera la démonstration du reste.
- QUESTION.- Pour vous, il n'y a donc pas une Europe du Nord sage, pacifiée et une Europe turbulente et dont le centre de gravité serait au Sud ?
- F. MITTERRAND.- Pour l'instant, la turbulence est en effet tout autour de la Méditerranée, mais il y a eu des périodes où les conflits, les violences, étaient ailleurs. Ici, je vous le répète, les traditions sont fortes. Au Liban par exemple, j'ai observé récemment que l'histoire du Moyen-Age et des luttes religieuses du XIIème siècle, épousaient à peu près dans ce pays, la carte géographique des luttes d'aujourd'hui.\
QUESTION.- A Marseille, tout à l'heure, vous allez rencontrer des gens naturellement impressionnés par la puissance des bateaux de guerre américains qui relâchent dans le port. D'autres s'enhardiront peut-être assez pour vous demander : qu'est-ce qu'on attend pour frapper les preneurs d'otages ?
- F. MITTERRAND.- Frapper qui ? Atteindre des innocents pour frapper les coupables ? Ce serait aussi de la barbarie. On ne peut pas répondre à la barbarie par la barbarie. On doit refuser la notion de responsabilité collective. Bien entendu, s'il faut frapper, il faut frapper, mais il faut frapper juste.
- QUESTION.- Pourquoi ne pas prendre le gouvernement iranien au piège de la respectabilité ? Et pourquoi les compagnies aériennes occidentales continuent-elles de desservir par exemple, les aéroports iraniens ?
- F. MITTERRAND.- Pour l'instant, il y a rupture des relations diplomatiques entre nos deux pays. C'est malheureux, mais la logique des choses nous l'a imposé. Nous ne sommes pas les gendarmes de cette région du monde ni d'aucune autre. Ce n'est pas à nous qu'il appartient de décider pour le peuple iranien ce qui est bon ou mauvais pour lui. Il n'y a aucune raison de ne pas continuer d'avoir des relations avec ce pays, à condition que soient éclairées et nettoyées les zones d'ombre qui existent encore.
- QUESTION.- L'Elysée et Matignon continueront donc d'oeuvrer ensemble jusqu'à l'élection présidentielle ?
- F. MITTERRAND.- Si cela ne dépend que de moi, oui.
- QUESTION.- Si cela ne dépend que de vous ?
- F. MITTERRAND.- Bien entendu.
- QUESTION.- Des parenthèses donc dans la campagne ?
- F. MITTERRAND.- Je veillerai pour ma part jusqu'au 8 mai prochain à maintenir unie la voix de la France.
- QUESTION.- Oui ou non le Premier ministre continue-t-il de rendre compte normalement des questions diplomatiques ?
- F. MITTERRAND.- Je le suppose. J'ai moi-même les communications des télégrammes et des correspondances de nos ambassadeurs, qui sont mes représentants.
- QUESTION.- Autrement dit, s'il devait se passer quelque chose de grave au plan international, d'ici le 8 mai, le Président de la République assumerait ?
- F. MITTERRAND.- Sans le moindre doute.\
QUESTION.- Parlons de la campagne. Comment réagissez-vous quand on vous dit que vous êtes flou, vague et immobile ?
- F. MITTERRAND.- Ce sont des termes de campagne, qui se veulent offensants mais sans réalité. Vous savez bien qu'une large partie de la population que je représente et qui se comptera sur mon nom au premier et au second tour est la plus active, la plus créatrice et la plus dynamique. J'ai pour ambition de la représenter fidèlement. Toute ma pensée, toute mon action sont tournées vers le progrès de la France, et cela suppose une dynamique. Le reste est médiocre littérature, formules toutes faites, gratuites, inventées pour blesser ou pour diminuer. Procédé assez classique chez les petits joueurs.
- QUESTION.- N'êtes-vous pas plus difficile à combattre qu'autrefois, quand il y avait le programme commun ?
- F. MITTERRAND.- Je ne sais pas. Il me semble qu'on ne s'en prive pas. Mais je n'ai dissimulé mon identité à personne. On connaît mon nom, mon prénom et on sait que je suis socialiste.
- QUESTION.- On vous reproche de ne plus l'être assez.
- F. MITTERRAND.- Plus on est à droite, plus on me reproche de ne pas être assez socialiste. Ce paradoxe est amusant non ?
- QUESTION.- Et à gauche ?
- F. MITTERRAND.- Je ne le pense pas. Je suis fidèle et l'ami de mes amis. J'entends bien maintenir la ligne de progrès, de justice, de lutte contre les inégalités, de défense des acquis sociaux qui est au centre de mon action.
- QUESTION.- A Rennes, vendredi dernier, vous n'avez pas pu ne pas remarquer qu'on protestait quand vous affirmiez qu'il y avait des gens de qualité à droite et au gouvernement. En somme, ils étaient plus radicaux que vous.
- F. MITTERRAND.- Je me suis un peu amusé. Mais c'était un dialogue bon enfant, au cours duquel je n'ai eu aucune difficulté à me faire entendre. En effet, ceux qui protestaient, gentiment comme vous l'avez remarqué, savent parfaitement ce dont ils souffrent. Ils connaissent le -prix des injustices. Beaucoup sont victimes d'une politique que je désapprouve. Leur jugement est direct, franc mais je suis comme eux. Je condamne le système politique auquel aspirent ceux qui me combattent. Cependant, j'ai des jugements que je m'efforce de garder plus équilibrés sur les êtres. Ce n'est pas parce qu'on condamne un système que l'on doit condamner tous ceux qui y prennent part.
- QUESTION.- Faudrait-il gouverner au centre ?
- F. MITTERRAND.- Pour moi, ça n'a pas de sens. Gouverner au centre, je ne sais pas ce que cela veut dire. Quand on gouverne la France, on doit à la fois servir ses idées, ses projets et respecter les autres. Si c'est cela être au centre, alors j'y suis tout prêt. En revanche, si on veut donner à l'expression une signification politique vague, incertaine, et finalement ambigüe, non !
- QUESTION.- Mais vous semez pour l'après 8 mai. Dans les meetings, les gens disent leur présent difficile et vous leur parlez pour un petit peu plus tard ?
- F. MITTERRAND.- De toute manière, je serai présent dans la campagne entre le 24 avril et le 8 mai. Cela paraît probable ! Mais il y a aussi quelques chances pour que je sois là après. Ne m'en veuillez pas par conséquent de m'exprimer, comme je l'ai toujours fait en considérant la durée.
- QUESTION.- Que pensez-vous à ce propos, des dernières déclarations de M. Raymond Barre ?
- F. MITTERRAND.- Je ne donnerai aucune opinion sur les candidats.\
QUESTION.- Alors, parlons de l'unité des Français.
- F. MITTERRAND.- Pour moi, l'objectif majeur, c'est d'abord le service des intérêts majeurs de notre patrie commune. La sécurité des Français, leur rayonnement, leur présence dans le monde. C'est aussi un certain visage de la France dans la défense des droits de l'Homme, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, une grande tradition, presque continue depuis deux siècles. Sur tout cela, on peut quand même rassembler large.
- En revanche, sur les problèmes de politique intérieure, les choix économiques et sociaux, on ne peut pas demander à chaque groupe socio-professionnel, à chaque individu, en raison de la disparité des situations et de la comparaison entre un certain nombre de privilèges et d'avantages.. On ne peut pas demander à tout le monde de penser la même chose. Je propose à la fois aux Français un projet qui les rassemble et qui ne doit pas pour autant se perdre dans la confusion générale. Il faut réaliser un synthèse de la vie démocratique. C'est difficile car il y a des excès, verbaux le plus souvent et quelquefois d'une autre -nature. En même temps, ce n'est pas parce qu'on se querelle autour d'une élection que les Français doivent devenir ennemis ou adversaires. Il appartient à quelques responsables, et je suis l'un de ceux-là, au premier rang même, d'accepter les risques des débats démocratiques et d'en réussir la synthèse. Et tant pis si l'on m'égratigne au passage. L'essentiel c'est de continuer l'Histoire de France et de participer jusqu'au bout à la vie d'un peuple uni devant l'Histoire.\
QUESTION.- Arlette Laguiller affirmait l'autre jour que "Chirac, Barre, Mitterrand, c'était la même chose. Des gens qui ne connaissaient pas le poids des fins de mois, habitués qu'ils étaient à travailler sur dossiers sous des lambris dorés".
- F. MITTERRAND.- Dans ma famille, parmi mes amis, il en est qui connaissent, parce que c'est leur vie, les difficultés des Français éloignés des palais dorés. Moi-même, je ne vis sous des lambris que parce que le peuple français m'y a envoyé pour le représenter. Et depuis sept ans, sept ans sur soixante-et-onze, j'ai eu ma foi assez souvent l'occasion de voir autre chose. Bon, il se trouve aussi que la République loge le premier des siens dans des endroits historiques, dont le style n'est pas forcément celui qui aurait ma préférence. Mais cela ne change pas ma façon de penser.
- QUESTION.- Peut-être vous reproche-t-on, en fait, d'évoquer moins que par le passé la question du pouvoir d'achat ?
- F. MITTERRAND.- Je pense constamment aux problèmes difficiles de la vie quotidienne des Français. Je n'oublie ni les plus modestes, ni les plus pauvres.\
QUESTION.- Le Sud attend lui aussi beaucoup du rendez-vous européen de 1992. C'est une espérance après les difficultés de la décolonisation, les mutations, les entreprises, qui comme les Chantiers Navals, ont disparu. Mais n'est-ce pas un défi pour Marseille ?
- F. MITTERRAND.- Il faut que l'Europe s'engage plus encore qu'elle ne l'a fait dans ce que l'on appelle sa politique régionale, dite "des fonds structurels". C'est dire qu'elle doit peu à peu créer la cohésion sociale indispensable, pour qu'il n'y ait pas à l'intérieur des douze pays, des différences comparables à celles que l'on trouve dans le monde, entre les nations riches et les pauvres. Il faut donc beaucoup investir dans les pays économiquement moins bien dotés, afin d'établir peu à peu l'harmonie et l'équilibre dans nos capacités de productions. Lors du dernier Sommet de Bruxelles, qui a été déterminant pour l'Europe, Jacques Delors, qui préside la Commission, avait demandé que les fameux "fonds structurels" fussent doublés en cinq ans. Il y a eu quelques oppositions, en particulier celle du gouvernement français. Mais finalement, la proportion retenue approche 90 % et en 1993 le doublement réclamé par Jacques Delors sera réalisé. C'est un résultat positif par conséquent. On nous dira que la France considérée comme un pays plus riche que d'autres, est en dehors des mesures proposées mais des régions comme les vôtres doivent être partie prenante. J'y veillerai personnellement à l'avenir, afin d'éviter qu'elles soient exclues du bénéfice de ces mesures.\
QUESTION.- Pendant ce septennat, vous avez donné l'image d'un Président constructeur, amateur de grands travaux. Poursuivrez-vous ?
- F. MITTERRAND.- Je l'espère. Une politique de grands projets ne peut aboutir que si la majorité parlementaire les soutient. L'ensemble des grands travaux, dont j'ai reçu la moitié de la main de mes prédécesseurs, je les ai plus que parachevés. Je les ai vraiment mis en oeuvre. Je pense au Musée d'Orsay, à la Villette, sans compter ceux que j'ai ajoutés, comme le Grand Louvre, l'Opéra Bastille, ou l'Arche de la Défense. Cela représentait quinze milliards sur huit, neuf, dix ans. Ce n'était pas excessif. Les chiffres donnés par les politiques partisans sont fabriqués, inexacts. Cela est facilement vérifiable. Il est vrai que les sommes engagées sont importantes mais elles ont permis de faire travailler des milliers et des milliers de personnes, dans des métiers qui risquaient d'être abandonnés. Je pense à certains métiers d'art et d'artisanat, spécialisés : ébénisterie, travail de la pierre, etc.. Chaque fois qu'on a ouvert des chantiers dans les grandes périodes de l'histoire, cela a été bénéfique. Si je dispose d'une majorité compréhensive il faudra continuer, pas forcément sur le même rythme car il faut achever, digérer, ce qui a été fait. Mais nous devons garder l'esprit inventif et encourager les créateurs.\
QUESTION.- La solitude du coureur de fond c'était un beau film. N'êtes-vous pas coureur de fond et solitaire ? Vous apparaissez seul à la tribune des meetings. Vous avez écrit seul le projet que vous proposez aux Français. C'est sans précédent dans l'histoire de la République. Est-ce que cela signifie que vous désespérez de ceux qui auraient pu faire campagne avec vous, comme par le passé ?
- F. MITTERRAND.- Non, non, je suis très bien entouré, largement entouré. Mais je ne suis plus le premier responsable du parti socialiste. Ma campagne engage d'abord le Président de la République que je suis. Celui qui demande aux Français le renouvellement de son mandat. C'est donc un cas un peu singulier. Si j'ai rédigé moi-même, en effet, le projet pour la République et pour la France que j'ai soumis à l'attention de tous, par lettre, c'est après avoir beaucoup étudié l'ensemble des documents, des programmes, qui ont été émis par d'autres, parmi lesquels celui du parti socialiste lui-même. C'est une synthèse en symbiose, avec un mouvement de pensée qui vient de la France en marche.
- QUESTION.- Est-ce que ces idées sont majoritaires en France aujourd'hui ?
- F. MITTERRAND.- Je le suppose. Je ne le sais pas. On verra bien. J'ai l'impression qu'il y a progrès. Les Français admettent beaucoup mieux en 88 les propositions qui ont été faites au cours de ces dernières années. Car je reste fidèle à moi-même.\
QUESTION.- Une discussion s'est ouverte sur le vote des immigrés aux élections municipales. Qu'avez-vous dit exactement ?
- F. MITTERRAND.- Vous trouverez ma réponse dans ma "lettre à tous les Français" que je cite exactement : "La Grande-Bretagne, la Hollande, les Pays Scandinaves sont même allés jusqu'à reconnaître à leurs immigrés un droit de regard - par le vote - sur les décisions politiques locales ou nationales. Même si je sais que vous êtes, dans votre grande majorité, hostile à une mesure de ce genre, je déplore personnellement que l'état de nos moeurs ne nous le permette pas". Je n'ai donc pas fait de proposition dans ce sens. Elle ne figure pas dans mon projet. Mais je souhaite que les Français y réfléchissent.
- QUESTION.- On dit que vous êtes plus réaliste et moins idéaliste.
- F. MITTERRAND.- Mon approche est peut-être plus réaliste. Mais en conscience, je poursuis le même objectif de progrès pour le plus grand nombre, les plus défavorisés, les jeunes, les familles, les personnes âgées, et je pratique la tolérance pour qu'on puisse habiter ici, sans se sentir en contradiction perpétuelle avec son plus proche voisin.
- QUESTION.- Le refus complet, le refus total de François Mitterrand, ce serait un refus de quoi ?
- F. MITTERRAND.- Je n'accepterai jamais rien qui puisse disloquer le pays. Je refuserai toujours le fanatisme ou les excès de pouvoir.\