15 avril 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle de 1988, sur la nécessité de l'aide du militantisme dans la campagne électorale, Grans, vendredi 15 avril 1988.

Mesdames,
- Messieurs,
- Chers amis,
- Je remercierai d'abord Michel Pezet de son accueil, j'allais dire de son discours d'accueil, mais il y avait autre chose qu'un discours, il y avait le témoignage d'un homme qui sentait profondément ce qu'il disait, ce qui n'est pas toujours le propre des discours.
- Je n'ai guère d'autre mot d'ordre à vous donner que celui-ci : regarder devant soi. Nous pouvons débattre, certes, bilan contre bilan. Nous n'y perdrons rien. Mais, plutôt que de vivre du souvenir, de ce qui a été accompli, cherchons surtout à imaginer ce qui devrait être créé demain. D'abord pour parachever ce qui a été entrepris, et de ce point de vue, nous avons beaucoup à faire, car ce qui a été entrepris a quand même été interrompu. Il faut donc reprendre le fil, sans prétendre regretter l'histoire, sans jamais nier l'effort collectif et l'effort national qui, lui, ne connaît pas de rupture politique, car la vie est quotidienne, et cette vie de la Nation, elle se fait comme cela, au jour le jour, mais ordonnée par les grandes perspectives.
- Regarder devant soi, vous l'avez dit à l'instant, c'est savoir que, désormais, la dimension dans laquelle nous exercerons nos activités, le -cadre, c'est celui de l'Europe. Nous avons peu de temps pour nous y préparer, moins de cinq ans. Et nous avons, en même temps, on l'oublie trop souvent, à nous mettre dans les dispositions d'esprit qui nous permettront de jouer notre partie dans la concurrence internationale, bien au-delà de l'Europe, qui sera de plus en plus ouverte et de plus en plus ambitieuse. Ceux qui auront la meilleure organisation, le plus d'esprit d'initiative, qui auront le mieux modernisé leurs entreprises industrielles ou agricoles, ceux qui auront réussi à donner à leurs éléments culturels l'approche du siècle qui vient, et même du millénaire, ceux-là seront les mieux armés. Et cela ne sera possible qui si l'on fait appel à toutes les ressources de la Nation, c'est-à-dire à quiconque, enfant naissant sur notre sol, ou venu à nos côtés, entend prendre part à la réussite de la France. Il faut donc que chacun d'entre eux dispose de l'égalité des chances, autant que possible de l'égalité des moyens et qu'ils aient devant la loi l'égalité dans les grandes circonstances de leur vie, à chaque acte décisif et dans les moments les plus rudes, notamment devant l'accident, la maladie ou la vieillesse. Notre démarche sera d'autant plus assurée qu'elle reposera sur la justice sociale, sur la solidarité nationale. N'acceptons rien qui puisse venir casser les instruments construits depuis maintenant plus de quarante ans, et qui donne, notamment de notre sécurité sociale, le modèle de ce qui pourrait être fait dans les sociétés d'Occident, en attendant que les autres nous rejoignent.\
Bref, j'en appelle, pour demain comme pour aujourd'hui à une démarche solidaire. Lorsque je prononce les mots d'union ou de France unie, je n'en appelle pas à la France de la confusion. Bien entendu, il y a toujours ceux qui entendent musarder ou ceux qui sont réfractaires à tout élan ou à tout mouvement national, qui n'acceptent un mouvement national que s'ils le dominent. Mais les Français comprennent bien ce que je veux dire, réunir ou rassembler l'essentiel de nos forces pour les tâches de l'avenir. Elles sont simples à définir, elles ne sont pas mythiques, ces chances de l'avenir. J'ai parlé de l'Europe, ces temps derniers, et j'ai vu avec surprise que j'étais un des rares à en parler, peut-être le seul.
- Les chances de la paix : tant que l'on sentira peser une menace sur le monde, il en est deux, deux majeures, d'une part l'affrontement nucléaire toujours possible, et d'autre part, le désordre généralisé dû au décalage qui s'accroît entre les pays riches et les pays pauvres - il faudra apaiser cette anxiété-là qui pèse lourd sur la capacité de l'homme à penser à l'avenir, y compris sur le -plan de notre démographie, des naissances. Notre pays, en Europe, est un de ceux qui ont pris beaucoup de retard par -rapport au reste du monde, mais enfin, il a su, au cours de ces dernières décennies, comprendre que la famille et que l'enfance, c'était quand même la richesse et qu'il fallait la préserver. Mais, cependant, nous sommes encore en reste, et l'Europe plus que nous encore ! Mais comment voulez-vous bâtir, particulièrement bâtir une famille, si vous n'avez pas l'espoir, si votre conscience est embarrassée par des peurs. Ces peurs, j'ai dit qu'elles étaient venues de l'extérieur. Mais il en est d'autres venues de l'intérieur, le chômage, la nouvelle misère, les inégalités, l'écart qui va grandissant aussi entre le privilège et le sort commun.
- Si l'on n'arrive pas à guérir, autant qu'il est possible, pour le temps qui nous est donné, cette tare d'une société, due à un conservatisme effréné, quand ce n'est pas simplement le goût de revenir très en arrière - comme pour abolir l'évolution du peuple français depuis déjà bien longtemps - si l'on ne réunit pas ces conditions-là, où habitera l'espérance ? Elle était au fond de la boîte de Pandore, je ne sais pas si ce n'était pas une toute petite boîte, la mythologie ne nous l'apprend pas. Il ne faut pas beaucoup de place à l'espérance. Elle a des vertus révolutionnaires. Encore faut-il qu'elle puisse s'échapper, vivre, enserrer le monde. Et la France, il me semble qu'elle est destinée à apprendre l'espérance aux autres. Je n'attribue pas à notre pays toutes les vertus, nous avons nos défauts. Mais je suis fidèle, comme vous l'êtes, à la grande tradition évoquée il y a un moment par Michel Pezet qui a voulu que depuis plus de deux siècles nous incarnions sur la surface de la planète une certaine disposition à regarder devant soi, par la conquête des libertés, par la conquête des égalités nécessaires, et par une certaine idée de l'homme dans le monde, du citoyen par -rapport à l'Etat, de la personne par -rapport à la société, un juste équilibre - j'aurai l'occasion d'en parler d'autres fois -.\
J'esquisse à peine ces quelques lignes-là, que j'ai davantage explorées dans un document que j'ai écrit à l'intention des Français `Lettre à tous les Français`. Je dois dire que beaucoup d'entre vous l'ont sans doute attendu, comme des millions de gens, dans leur boîte aux lettres. Mais voilà, l'envoyer à tous les Français cela représenterait quelque 60 millions de francs, ou quelque 6 milliards de centimes et, moi, je ne les ai pas. De telle sorte que je dois compter sur les journaux, sur le militantisme, sur le dévouement, sur votre capacité à diffuser, à distribuer, à expliquer. J'ai besoin d'une infinité de relais et je vous demande vraiment, je vous fais confiance, à vous vraiment, d'expliquer, de commenter et de montrer à quel point nous, j'allais dire nous seuls, ce ne serait peut-être pas très juste, mais nous surtout apportons les réponses aux questions qui se posent et dessinons des axes sur lesquels devrait normalement se fixer l'avenir que nous entendons construire pour la France.
- Voilà, je vous remercie, nous allons maintenant prendre notre repas en commun. Je sais que j'ai devant moi le plus grand nombre des membres du Comité départemental de soutien, plus quelques-uns de ses invités, les quelques voyageurs venus des départements voisins, plus loin. Mais laissez-moi vous dire que je suis très sensible au fait que vous ayez accompli ce geste, faire partie de ce Comité, être présents. J'espère que vous plongez loin parmi les familles politiques françaises qui se reconnaissent dans notre message, bien entendu, je ne dis pas se confondent, mais qui se reconnaissent dans votre message, et qui sont décidés à regarder devant elles. Vous tous, regardez devant vous, ne vous laissez pas arrêter au détour d'un chemin, ne vous embarrassez pas de polémiques inutiles, n'ayez pas non plus de complexes, comme je le disais tout à l'heure à la mairie. D'autres crient plus fort, mais ils disent si peu. Criant si fort qu'ils ont l'impression de dire quelque chose, ils se répètent douloureusement, tragiquement de jour en jour. Je reconnais qu'ils ne donnent pas le sentiment de s'en apercevoir.
- Mais il nous reste encore assez de temps pour distinguer et pour savoir de qui et de quoi il s'agit, ce à quoi je m'y efforcerai, au travers les jours qui m'attendent, c'est-à-dire une huitaine de jours avant le premier tour de scrutin, et puis, je le pense, quinze jours ensuite. Et voilà, je ferai consciencieusement ce que j'ai à faire. Mon devoir est un devoir d'explication, et je m'y exposerai autant qu'il le faudra. Je serai d'autant plus fort dans ma conscience profonde que j'aurai le sentiment d'exprimer non pas ma volonté, mais la vôtre.\