6 avril 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle de 1988, accordée à RTL le 6 avril 1988, sur les grandes orientations de son programme électoral.

PH. ALEXANDRE.- Bonsoir monsieur le Président, c'est la deuxième fois en moins de six mois que vous avez bien voulu accepter mon invitation. La dernière fois, c'était à l'Elysée et non pas ici au studio de RTL. Nous étions en pleine affaire Luchaire et il vous a fallu répondre longuement, vous vous rappelez, aux questions des Français sur les ventes d'armes à l'Iran. Ce triste épisode faisait suite au mauvais roman feuilleton du Carrefour du Développement £ l'affaire du Rainbow Warrior était encore dans toutes les mémoires. Bref, vous étiez vraiment dans le creux de la vague et, chaque fois que l'on vous parlait d'une nouvelle candidature en 1988, vous disiez dans un cri du coeur que vous n'en aviez personnellement aucune envie. Alors, quel changement miraculeux ! Aujourd'hui vous êtes candidat et une sorte de symphonie amoureuse monte vers vous £ vous êtes candidat et nul n'ose vous rappeler que vous vous étiez engagé en 1981 à ne pas solliciter un second mandat. Vous êtes candidat et les sondages vous promettent une élection de maréchal soviétique, bien que la gauche, votre camp, soit plutôt minoritaire dans le pays. Alors dans ces conditions je comprends que certains vous vénèrent un peu comme Dieu le père. Comment expliquez-vous ce miracle ?
- LE PRESIDENT.- D'abord, je tiens à préciser que je n'ai pas pris d'engagement à ne pas me présenter. Souvent des journalistes m'interrogeaient et ils ont commençé à partir de 1981 : c'étaient vraiment des journalistes qui avaient l'instinct prémonitoire, beaucoup plus que moi. Je n'y pensais pas, je n'y ai jamais pensé, je ne l'ai jamais souhaité. Et quand j'ai parlé de circonstances exceptionnelles, à un moment donné, parmi ces mille et une questions qui ont commandé mille réponses, je ne pensais pas que cette situation très précise finirait par se produire d'elle-même. Ainsi va l'histoire, qui me permettait sans que je l'eusse souhaité et parce que je pouvais représenter à certains un certain projet pour la France, de pouvoir l'exposer et de pouvoir obtenir l'assentiment des Français. Vraiment, parlons entre nous comme cela, franchement. Il semble que j'étais peut-être, je dis cela simplement avec modestie, croyez-le, le seul en mesure de le faire. C'était donc mon devoir d'aller au devant d'une nouvelle bataille politique.
- QUESTION.- Mais comment vous expliquez que la situation se soit tellement changée pour vous en si peu de temps ?
- LE PRESIDENT.- En si peu de temps, vous avez évoqué tout à l'heure notre dernière rencontre. C'est votre affaire, vous avez bien le droit, vous avez cité un certain nombre de débats, d'affaires plutôt scandaleuses, d'apparence scandaleuse, ce n'était quand même pas l'essentiel de mon travail.
- QUESTION.- Non, non, bien sûr.
- LE PRESIDENT.- J'étais pris dans toute une série de problèmes politiques de grande envergure et de temps à autre on venait me titiller comme cela.. Enfin je ne vais pas chercher les origines, avec des affaires qui ne m'ont jamais personnellement mêlé à tout cela.
- QUESTION.- Oui, je voulais simplement dire qu'a cette époque-là on ne pouvait pas imaginer que vous seriez...
- LE PRESIDENT.- Vous avez raison.
- QUESTION.- L'objet de ce culte actuel...
- LE PRESIDENT.- Ne parlons pas de culte.\
LE PRESIDENT.- Je pense que beaucoup de Français se sont rendu compte qu'on avait travaillé. Peut-être au début ont-ils été abusés par une puissante propagande qui tendait à démolir tout ce qui était entrepris par l'ancienne législature et les deux premiers gouvernements socialistes. Et puis il s'est produit un choc, on s'est aperçu que la nouvelle expérience n'apportait pas autant de satisfaction qu'on avait espéré. Et puis ils ont constaté, c'est très important je crois, et c'est peut-être ce qui explique cette évolution, que la France qui n'avait pas besoin d'une crise supplémentaire, d'un drame intérieur, qui se trouvait affrontée à des problèmes considérables, notamment son entrée dans l'Europe, cette fois-ci sans recours, sans retour, avec toutes les menaces qui pèsent ici et là, je pense que les Français m'ont reconnu une certaine volonté pour dominer ces contradictions et pour maintenir notre démocratie sur le chemin qu'elle ne devait pas quitter. Je crois que c'est çà l'explication.
- QUESTION.- En somme, si je comprends bien, au fond, les Français vont vous réélire dans l'espoir d'une seconde cohabitation ? Tout de même pas jusque là ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que cela soit dans les esprits. La cohabitation, les Français aiment assez, il faut le dire, dans la mesure ou il y a un côté consensuel. C'est un métier difficile que de cohabiter, parce que, une majorité et une autre successive et contraire, cela oblige constamment à débattre au fond de chaque problème et à trouver le point moyen qui sera utile à la France. Ce n'est pas commode...
- QUESTION.- Et puis, il y a une notion de contre-pouvoir, qui est importante.
- LE PRESIDENT.- Je le crois. Ce n'est pas une perspective souhaitable. Mon devoir à moi, c'était d'obéir aux volontés populaires et de ne pas créer l'instabilité. Ajouter l'instabilité présidentielle à toutes les autres, qui sont inhérentes à la nation française, cela m'a paru dangereux.\
QUESTION.- Alors, c'est donc votre quatrième candidature à la Présidence de la République. Les trois fois précédentes vous étiez le candidat d'une autre politique...
- LE PRESIDENT.- Pas exactement, non, non. Oui et non. Quand j'ai été candidat la première fois, alors pour le coup, je n'avais pas la moindre chance d'être élu. J'étais tout à fait surpris d'être présent au deuxième tour, en face du Général de Gaulle.
- La deuxième fois, cela s'est joué à 200000 voix, c'est-à-dire qu'il y a eu 400000 voix de différence...
- QUESTION.- Vous proposiez le changement quand même, c'était une autre politique...
- LE PRESIDENT.- C'était le changement, mais je propose encore beaucoup de changements.
- QUESTION.- On va en parler. Justement, parce que les autres fois, vous proposiez de changer de gouvernement...
- LE PRESIDENT.- Et beaucoup de choses ont été changées, entre 1981 et 1986...
- QUESTION.- Nous allons en parler. Vous proposiez le changement de politique, le changement de gouvernement, et quelquefois le changement de société, et de changer la vie aussi...
- LE PRESIDENT.- Oui, il faut toujours le vouloir, parce qu'autrement, si on ne veut pas la changer - bien entendu, on ne fait pas tout ce qu'il faudrait faire - on n'a jamais le résultat que l'on aurait souhaité. La vie est dure et difficile, mais c'est la volonté d'avancer qui permet de faire quelques pas, quand il faudrait faire des kilomètres, autrement on recule.
- QUESTION.- C'est vrai. Cette fois-ci votre programme, c'est plutôt faites-moi confiance...
- LE PRESIDENT.- Non, ce n'est pas vrai, mais pas du tout. J'espère bien que l'on me fera confiance. Vous avez raison de le dire. Il n'y a pas que cela.
- QUESTION.- Cela me rappelle un peu le slogan de Louis Napoléon Bonaparte à la veille du plébiscite qui disait que les bons se rassurent et que les méchants tremblent. Vous avez rappelé vous-même en 1980 cette phrase...
- LE PRESIDENT.- Il me semble qu'ils avaient dit cela, les historiens...
- QUESTION.- En 1849, à Dijon.
- LE PRESIDENT.- Moi, je ne dis pas cela, je ne dis pas que les bons se rassurent parce que je ne dis pas que les bons soient forcément les miens, bien que je les estime plutôt meilleurs que d'autres. Mais enfin, on ne va pas couper la France comme cela en bons et en méchants. Mais les méchants n'ont pas à trembler, ils ont simplement à savoir que la loi républicaine sera toujours pour moi la loi suprême.\
QUESTION.- Alors vos adversaires, les grands et les petits, vous reprochent de n'avoir ni programme, ni propositions.
- LE PRESIDENT.- Vous connaissez les autres, vous ?
- QUESTION.- Certains d'entre eux sont assez précis sur les promesses et même sur les promesses chiffrées, on a pu s'en rendre compte en entendant Raymond Barre, hier soir.
- LE PRESIDENT.- Sur la fiscalité, c'est vrai, c'est important la fiscalité. Cela ne remplit pas absolument toutes les cases dans une élection présidentielle, cela est quand même limité.
- QUESTION.- Enfin d'une façon générale on vous reproche beaucoup d'escamoter le débat. Dans le Monde d'aujourd'hui un article de Rollat vous reproche de "jeter la notion de programme aux orties" et ajoute que vous devez faire s'agiter dans sa tombe Jaurès. Est-ce que vous allez clouer le bec à tous les gens qui vous taxent de flou et d'escamotage, avec ce texte que vous allez rendre public dans quelques heures, dont vous m'avez donné d'ailleurs la primeur ce matin, cette Lettre à tous les Français qui est, grosso modo, le projet sur lequel vous allez vous présenter aux électeurs.
- LE PRESIDENT.- Ce n'est même pas grosso modo, c'est le projet.
- QUESTION.- Est-ce que vous pensez clouer le bec à tous vos détracteurs avec ce texte ?
- LE PRESIDENT.- Les détracteurs systématiques, les partisans avec lesquels on ne peut pas discuter, les gens intolérants ils ont déjà - ils n'ont pas lu - ils ont déjà décidé ce qu'ils diraient et ce sera forcément critique. Mais je suis sûr que ce projet, lu par les Français, établira entre nous une relation directe et, s'ils avaient besoin d'être rassurés, il rassurera car ils sauront qu'à partir du mois de mai, ils seront dirigés sur des voies et dans des directions précises, car c'est un projet précis.\
QUESTION.- Alors nous allons en `projet électoral` parler en abordant le premier souci des Français qui est le chômage. Le 27 mars 1981 vous disiez ceci de Valéry Giscard d'Estaing que vous appeliez alors le candidat sortant, je vous cite : "il rédige à l'heure où je vous parle un ouvrage où il explique comment vaincre le chômage, il aurait pu y penser plus tôt". Alors, est-ce que vous ne craignez pas qu'on vous retourne le compliment, d'autant qu'en 1981, vous vous êtes présenté aux Français comme le monsieur anti-chômage et que de ce point de vue le fiasco a été, il faut bien le dire, total £ de 1981 à 1988, on n'a cessé de perdre des emplois, de voir le chômage augmenter, tant en nombre des demandeurs d'emploi, qu'en durée moyenne du chômage, ce qui est très important ?
- LE PRESIDENT.- Vous pouvez généraliser votre critique, car depuis 1974, point de démarrage de la crise à partir du pétrole, crise compliquée par celle du dollar, la progression du chômage a été continue £ c'est ce qui me fait écrire dans ce projet qu'avant, pendant et après la législature socialiste, le chômage s'est constamment aggravé. Les chiffres : 400000 chômeurs, existaient déjà en 1974 £ ils ont doublé pendant la période du premier gouvernement de l'actuel Premier ministre `Jacques Chirac`, ils sont passés environ à 800000 £ ils ont redoublé pendant les cinq années de la gestion de M. Raymond Barre, ils sont donc passés à 1600000 - 1700000 £ ils sont passés encore, mais ils n'ont pas doublé cette fois - c'est peut-être impossible, à mesure que le temps passe bien entendu, je ne mérite rien dans tout cela - ils sont passés à 2 millions 400000 à peu près £ et depuis 1986, ils ont encore augmenté de 100000 à peu près. Aucun de nous n'est parvenu à dominer le chômage ni les pertes d'emplois, face il faut le répéter, à ce double choc du pétrole et du dollar.
- QUESTION.- Il y a deux domaines qui sont spécifiques à votre septennat me semble-t-il, c'est la création, la perte des emplois d'une part...
- LE PRESIDENT.- Non, ce n'est pas spécifique, ce n'est pas exact, ce n'est pas exact du tout. Il y a eu des pertes d'emplois, mais pendant un certain temps, dans les débuts, c'est-à-dire les deux premières années, exactement en sens contraire du développement des autres, les pertes d'emploi ont été moindres. Nous nous sommes trouvés dans la situation des autres pays de l'Europe. Les autres pays de l'Europe n'ont commencé à nous doubler - et il faut le dire à vive allure - pour la création d'emplois qu'à partir de 1985 - 86. Donc c'est un mouvement général, que l'on retrouve dans l'ensemble de l'Europe occidentale, en tout cas en Allemagne et en Grande-Bretagne. Il ne faut pas attribuer la responsabilité spécialement à la France et, en France spécialement à celui qui vous parle, ce serait injuste.\
QUESTION.- Ce qui est spécifique et préoccupant par -rapport aux autres pays européens, c'est la durée moyenne du chômage qui, cette fois-ci, est beaucoup plus importante que dans la plupart des autres pays d'Europe, et il est évident que d'être chômeur pendant un an et demi, ce n'est pas la même chose que d'être chômeur pendant trois mois.
- LE PRESIDENT.- C'est terrible, vous avez raison de le dire. Aussi faut-il maintenant - et je ne vaticine pas, je dis les choses telles qu'elles sont : de 74 à 88 `1974 à 1988` la France n'a pas pensé ou agi suffisamment pour s'équiper afin de lutter contre le chômage, contre les pertes d'emploi - s'équiper £ cela veut dire former des jeunes, et aussi des moins jeunes pour qu'ils soient capables d'exercer les métiers qui correspondent aux nouvelles technologies, celles qui permettent de disposer de marchandises comme on dit performantes, qui sont désirées par la clientèle, par les consommateurs, qui sont donc achetées £ cela nous vient d'ailleurs, toujours meilleures £ nous ne fabriquons pas nos machines nous-mêmes, il faut les acheter ailleurs, cela coûte très cher £ donc former des hommes et des femmes à ces nouveaux métiers, à ces nouvelles disciplines, à ces nouvelles technologies. Et puis, après avoir formé des hommes, il faut être capable de disposer aussi de la matière grise, donc il faut chercher et quand on cherche on trouve.
- Donc il faut considérablement aider l'éducation nationale, et tous les endroits où l'on cherche. Il existe de grands organismes de recherche, et puis il y a beaucoup de recherche privée £ tout cela réuni devrait permettre à la France de disposer d'un formidable instrument. Il est en train de se faire. Il était en train de se fabriquer, et malheureusement, en 1986, les crédits de la recherche ont été diminués, ce qui paraîtra incroyable. Il suffit que vous retrouviez d'ailleurs un passage assez sévère dans le livre de M. Devaquet, pour constater que je ne suis pas le seul à le dire. Je ne veux pas faire de discours devant vous, nous sommes en train de discuter, et je préfère vous entendre pour pouvoir vous répondre, pour qu'il y ait un vrai dialogue entre nous, donc je donnerai les autres éléments dans un moment. Il faut former et chercher, comme cela on pourra moderniser. Et si on modernise en investissant, nous diminuerons la pression du chômage.\
QUESTION.- Précisément, c'est ce passage qui m'a frappé dans votre lettre. En 1980, votre recette, c'était de travailler moins, vous disiez le 10 avril, un mois avant votre victoire, les 35 heures : oui, les 35 heures, non seulement comme un facteur déterminant de création d'emplois - 950000 en trois ans annonciez-vous - mais aussi comme une autre façon de maîtriser le temps libre. Vous avez décidé les 39 heures, cela n'a servi qu'à désorganiser les entreprises, surtout les petites £ alors aujourd'hui, pour combattre le chômage, vous proposez aux Français en effet, la technologie, l'investissement industriel et la formation, si je vous ai bien lu, c'est les trois, c'est le triptyque sur lequel vous proposez une politique anti-chômage, est-ce que vous ne craignez pas que ce soient des remèdes bien littéraires, pour soigner un mal qui ronge notre société ?
- LE PRESIDENT.- Mais, monsieur Alexandre, la réduction des heures de travail est étudiée et retenue par les experts et par les gens les plus sérieux du monde. C'est un sujet de réflexion, de débat et de dialogue à l'heure actuelle entre les partenaires sociaux. Il y a un certain nombre de grands patrons français, à la tête de grandes industries qui appliquent les 35 heures et qui s'en tirent fort bien. Cela leur a permis de maintenir beaucoup de personnels au travail tout en améliorant leur productivité. Ce n'est pas une idée en l'air. Mon mot d'ordre, ce n'était pas "travaillez moins", jamais de la vie ! Moi j'ai la religion de l'effort mais pour l'organisation du travail, et les conditions de travail et du temps de travail, pour répondre à cette lèpre du chômage, c'est un moyen, étudié avec tellement de sérieux que votre référence tout à l'heure à ma déclaration sur la création de 950000 n'est pas sortie de ma cervelle. C'était le résultat des travaux de la Commission de développement du Plan qui avait établi 27 scénarios - je n'ai pas été le seul à m'y reporter - et qui disait : si l'on réduit à 35 heures le travail hebdomadaire, dans la plupart des cas, on arrivera d'ici 1985 à créer 950000 emplois. Donc je ne vois pas pourquoi on s'adresse à moi qui me suis borné à faire connaître à l'opinion des travaux d'experts. Ce que je veux dire c'est que peut-être l'erreur que nous avons commise en édictant les 39 heures, à mon avis, - c'est l'expérience qui me l'a appris - c'est au fond une politique contractuelle. C'est les partenaires sociaux qui doivent discuter, et s'entendre sur la réduction du nombre d'heures hebdomadaires s'il doit y avoir réduction.
- QUESTION.- Je vous posais cette question parce que j'ai trouvé encore une fois, que, si vous voulez, ce triptyque sur lequel vous faites reposer la politique anti-chômage, cela m'a paru un petit peu littéraire.
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? triptyque ? Non, ce n'est pas un triptyque, il y en a quatre. C'est littéraire de multiplier les moyens de l'éducation nationale ?
- QUESTION.- Par -rapport à l'angoisse des gens...
- LE PRESIDENT.- ... Cela n'a pas de réponse immédiate, mais vous trouverez cela - il faut le dire - dans les autres programmes, à la différence que, si tout le monde dit la même chose, il faut comparer les actes.\
LE PRESIDENT.- Je vous ai dit tout à l'heure à propos de la recherche, qu'il ne fallait pas réduire les crédits. A compter du moment où vous aurez le moyen d'inventer et de créer, de mettre en oeuvre les technologies qui font gagner, qui permettent de produire à meilleur marché des produits de meilleure qualité, si on ne fait pas cela, on ne pourra jamais en tenir face à des Japonais, des Américains, et des Allemands. Ce n'est pas littéraire du tout. Donc, former. Si vraiment on donne 15 milliards d'ici 1992 - c'est le chiffre que je cite - 15 à 16 milliards à l'éducation nationale pour la formation des enseignants, pour la modernisation des programmes, pour l'amélioration des équipements, en disciplinant bien et en dirigeant bien l'éducation nationale vers les formations professionnelles. Faire le lien entre l'université et le métier, entre l'industriel et l'universitaire...
- QUESTION.- Monsieur le Président, on va vous dire, pourquoi vous ne l'avez pas fait pendant les cinq années...
- LE PRESIDENT.- On a fait beaucoup, on n'a pas fait assez...
- QUESTION.- On n'a pas fait assez. La revalorisation des traitements et des conditions de vie ...
- LE PRESIDENT.- C'est sûr, il faudra le faire. Quand je dis former et chercher, çà, ce sont des choses pratiques. Vous ne trouverez pas un seul ouvrage sérieux qui ne le dise.\
LE PRESIDENT.- D'ailleurs, moi je prends mes idées dans mes lectures, dans mes conversations, et aussi dans mes réflexions personnelles, quand je continue en disant il faut investir. Pour investir, il faut donner des facilités pour que les entreprises aient envie d'investir. Ces facilités sont généralement d'ordre fiscal. Il ne faut pas les écraser de charges. On est allé dans ce sens. Depuis 1982, il y a une sorte de pacte de stabilité, et chaque fois qu'on a dû toucher aux charges sociales, on épargné les entreprises...
- QUESTION.- Vous avez proposé d'ailleurs dans votre texte, qu'il y ait une espèce de contrat entre les entreprises et l'Etat...
- LE PRESIDENT.- En fait, nous l'avons fait en 1982, et cette parole a été tenue, mais je pense qu'il faut ériger en règle cette stabilité - non pas éternellement - la vie bouge tout le temps, mais il faut que les entreprises puissent se dire : "Bon ! pendant 5 ans, voilà quelles sont mes charges, mes dépenses sociales, fiscales. Voilà à quoi je peux m'attendre. Voilà l'ordre des décisions nationales dans lequel je dois inscrire mon action". A ce moment-là, elles seraient tranquilles pour mieux travailler.
- Le dernier mot, le quatrième verbe, c'est moderniser. Moderniser, c'est cela, et il faut moderniser l'instrument capable de supporter la concurrence. Est-ce que vous trouvez que c'est littéraire cela ? Ecoutez, citez-moi un nom ou un mot, un verbe qui ne le soit pas ? Trouvez-moi dans le langage des différents prétendants à la Présidence de la République quelque chose d'autre ? Simplement, quand on dit "vous dites la même chose", la différence c'est que nous, on a augmenté les crédits qui permettaient d'améliorer notre situation. J'ai dit recherche, je pourrais dire culture - car cela compte aussi la culture dans ce domaine-là -. Je ne vais pas allonger la liste, vous avez vu que toutes les forces vives qui ne peuvent être financées que par un budget ont été mises sur le tapis faute d'argent. Il y a donc une politique qui ne peut pas se contenter de paroles.\
QUESTION.- Je vous posais cette question, parce que, finalement, je me disais, M. Mitterrand, il est socialiste, c'est un homme de gauche, par conséquent cela doit être au fond sa tragédie permanente de ne pas avoir pu réussir pendant ces cinq années...
- LE PRESIDENT.- Mais on a réussi beaucoup de choses. On ne les a pas toutes réussies, cela c'est la vie, c'est la difficulté, et puis on ne peut pas tout faire en cinq ans. Mais ce qui est vrai, c'est que nous avons fait beaucoup de choses. Un reproche comme cela, c'est un leimotiv, une sorte de refrain qui perd de sa force. En 1981 - 1982, cela a été catastrophique, mais qu'est-ce que cela veut dire ? A compter du moment où nous avions à relever une situation qui était vraiment très douloureuse pour de très nombreuses catégories sociales, les plus faibles, à partir du moment où l'on a revalorisé le pouvoir d'achat des allocations familiales de 50 % dans l'année 1981, on a fait la même chose pour les handicapés, 40 % pour le minimum vieillesse, et on m'a dit, il ne fallait pas faire cela, cela coûtait trop cher. Mais alors, il fallait les laisser comme cela, traîner, souffrir, hors d'état de supporter la vie qu'ils avaient, lorsque l'on vieillit, ou lorsqu'on est handicapé. Alors, cela, on dit que ce sont des dépenses qu'il ne fallait pas faire. Qu'est-ce que cela veut dire ? Je dis moi qu'il fallait les faire et la sagesse politique consistait, sachant que cela devait provoquer des dépenses lourdes, qui ont quand même été moins lourdes que celles qui avaient été faites dans un autre plan de relance quelques années plus tôt, mais avaient cette fois-ci servi à quelque chose, c'est d'être sévère ensuite, pour que cette avancée sociale, dans une période économique difficile ne se transforme pas en difficultés supplémentaires. C'est ce que nous avons fait dans les années 83-84-85, et le résultat - permettez-moi de vous le dire - n'a pas été si fâcheux. La preuve, c'est qu'ajourd'hui, je peux dire aux Français ce que je suis en train de faire avec vous, que vraiment on peut continuer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la gauche a longtemps présenté la réforme fiscale comme le principal moyen de lutter contre les inégalités et pour la justice. Votre ancien Premier ministre, Laurent Fabius, a même écrit un livre sur ce sujet. Or, cette fois, dans votre "Lettre à tous les Français", vous préconisez la pause. Il n'y a pas le mot bien sûr, mais enfin c'est ce que j'ai cru lire, en particulier la pause pour l'impôt sur le revenu. Vous prévoyez seulement le retour de l'impôt sur les grandes fortunes, sans dire d'ailleurs s'il comportera les mêmes exemptions en matière d'oeuvres d'art et de propriétés rurales. Est-ce que vous ne craignez pas de désespérer le peuple de gauche et de lui laisser croire avec de telle signes que la marche vers le socialisme, en France, est bel et bien interrompue ?
- LE PRESIDENT.- Vous pouvez le penser. Cela va exactement contre mon sentiment. Je ne crois pas que la gauche se soit désespérée et je ne crois pas que le socialisme - puisque vous me parlez du socialisme - tienne strictement aux démarches fiscales. Ces démarches ne lui sont pas indifférentes. Lorsque vous parlez de l'impôt sur le revenu, il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, il a plus de dix millions de foyers fiscaux qui sont exemptés de l'impôt sur le revenu. Le gouvernement actuel, qui a reçu en héritage neuf millions de foyers fiscaux et un peu plus exemptés, en a même ajouté. Il y a aujourd'hui plus de dix millions de foyers fiscaux qui sont exemptés. C'est difficile d'aller plus loin, il faut le reconnaître. J'ai vu dans d'autres programmes qu'il était question d'abaisser encore les tranches supérieures, pour les ramener à 50 % (c'est je crois environ à 56 %). Vraiment, honnêtement, qu'on en reste là. Il n'y a pas de raison de transférer des plus riches aux plus pauvres, ou aux moyens, la charge fiscale. Cela commence vraiment à être excessif.
- Voilà ce que je peux vous dire. La taxe professionnelle était un très mauvais impôt - mais il a été adopté par la majorité de droite en 1976 - très mauvais impôt, qui nous embarrasse beaucoup aujourd'hui. Mais nous avons pu faire que 25 % de ces charges soient prises par l'Etat, pour alléger les entreprises. C'est quand même un effort important. L'impôt sur les sociétés, moi, je prévois - parce que cela me paraît juste - un certain nombre de crédits d'impôt ou d'exemptions fiscales, pour que les sociétés, les entreprises, payent moins d'impôt afin de réinvestir leurs bénéfices. C'est une politique qu'un socialiste peut parfaitement accepter. D'ailleurs, si j'avais le sentiment vraiment d'aller contre l'intérêt du plus grand nombre des Français, je ne le ferai pas.
- Vous allez avoir un problème qui sera posé par la diminution certaine de la TVA, à cause de l'harmonisation nécessaire au sein du grand marché européen, et si cette harmonisation se fait comme je le pense, nos taux étant plus élevés, ils baisseront et cela posera un problème. Je pourrais donc discuter, aménager, trouver des étapes, mais je ne veux pas m'attarder là-dessus.\
`Suite sur le projet fiscal`
- LE PRESIDENT.- Alors, l'impôt sur les grandes fortunes, vraiment ce n'est que justice. D'autant plus que nous souhaitons - je souhaite, mais je ne suis pas le seul -, créer vraiment un revenu minimum d'insertion, comme d'autres disent un revenu minimum garanti, pour ce que l'on appelle "les nouveaux pauvres" dont on ne connaît même pas le nombre, qui sont de 700000 à 2000000. Il faut que cette étude soit approfondie. Cet impôt sur les grandes fortunes devrait permettre l'arrivée d'un certain nombre de milliards qui seraient affectés au paiement, au financement de cette nouvelle allocation minimum, socialement justifiée. Vous m'avez posé une question sur les grandes fortunes. Ce n'est pas à moi d'aller faire comme si j'étais le gouvernement, le Parlement, le ministre des finances, la Commission des finances, d'ailleurs on discutera de cela de toute manière £ mais j'ai donné des directions. Je pense qu'il ne serait pas sage d'élargir le nombre des gens frappés : cela fait environ 100000. Ce sont les contribuables les plus aisés, pour ne pas dire les plus riches.
- QUESTION.- Il y a des gens qui ont de gros patrimoines en oeuvres d'art, en propriétés...
- LE PRESIDENT.- Ils n'ont pas été frappés, c'est moi qui l'ai demandé au gouvernement de M. Mauroy. Pour une raison simple, je ne voyais vraiment pas les agents du fisc aller soupeser les cuillères et les fourchettes dans les tiroirs, aller regarder les tableaux et s'enquérir de savoir s'il s'agissait de faux ou au contraire d'oeuvres authentiques de grands peintres. Enfin, véritablement, il y aurait eu là des grands peintres. Enfin, véritablement, il y aurait eu là des mesures qui auraient pu avoir un côté policier qui est contre tout ce que je crois de notre société. Je n'aime pas beaucoup ces sortes d'enquêtes personnelles, cette entrée dans la vie des gens. Donc, je l'avais demandé - ai-je eu tort, ai-je eu raison - il est certain que cela représentait une certaine évasion fiscale - une grande évasion fiscale -, mais les gens qui ont beaucoup d'argent et qui veulent frauder ont beaucoup d'autres moyens. D'ailleurs, j'ai remarqué que ces moyens-là, ils les employaient assez souvent. Quand on les amnistie régulièrement, on leur fait une faveur nouvelle. Non, vraiment une politique qui va toujours pour soutenir les plus riches au détriment des plus pauvres, qui transfère en réalité la charge fiscale des plus riches aux plus pauvres, cela me choque. Et c'est pourtant ce qui se passe aujourd'hui, et cela s'est passé souvent, sauf pendant la période de l'autre législature. Voilà ce que je peux vous dire sur les impôts. Mais posez-moi toutes les questions que vous voudrez, avec le maximum de précision.\
QUESTION.- J'ai eu une petite surprise en lisant votre "Lettre à tous les Français", : "coucou, revoilà le plan". Vous dites qu'on lui restituera l'esprit et les moyens que le plan avait du temps de Gaulle et de Jean Monnet. Mais qui donc avait mis au placard le plan et son ministre Michel Rocard, votre permier gouvernement...
- LE PRESIDENT.- Non, non, je me contenterai de vous dire que ce n'est pas exact.
- QUESTION.- J'ai l'impression que c'est un peu un remords de rétablir le plan.
- LE PRESIDENT.- Pas du tout. Le Plan n'a été aucunement diminué sous les gouvernements de la législature 1981-1986, absolument pas. Mais c'est vrai la façon dont on gérait le plan depuis un certain nombre d'années, peut-être depuis quinze ans, avait provoqué un certain affadissement. Le Plan, en vérité, est fait pour qu'au niveau national avec l'Etat mais en consultation permanente avec toutes les forces créatrices et actives du pays, on puisse dessiner ensemble les lignes d'action. On va essayer d'aller là, on va essayer de faire l'effort là-dessus. Un jour ce sera l'agriculture, une autre fois ce sera l'industrie et puis quelle industrie ? Est-ce que ce sera l'électronique ou est-ce que ce seront des industries lourdes ? On va développer telle forme de culture : il faut tout de même que des gens pensent, qu'ils conçoivent, qu'ils dessinent et, ensuite, que le gouvernement prenne la responsabilité d'affecter les crédits de l'Etat là où cela est important. Est-ce que ce n'est pas la moindre des choses ? Je pense que cela a été trop oublié. Vous avez tort de nous en attribuer la responsabilité mais je ne veux pas, moi, me quereller sur un bilan quelconque. Je dis : il faut revenir au plan, le remettre à la mode, non pas pour en faire le dictateur des activités économiques et sociales, ce serait une erreur - moi je n'aime pas un pays que l'on met en carte - mais pour faire marcher les intelligences et les compétences et pour qu'ensemble, elles nous disent ce que devrait être la France et comment le faire dans les années qui viennent.
- QUESTION.- Et que ce sera comme disait de Gaulle une ardente obligation ?
- LE PRESIDENT.- C'est l'expression du Général de Gaulle et il faut dire qu'elle n'était pas mauvaise et qu'elle a été un peu oubliée.\
QUESTION.- Alors l'Europe. On n'étonnera personne ici en disant que l'Europe avec le marché unique et l'échéance du 31 décembre 1992 est bien entendu au coeur de votre projet. Vous écrivez qu'il ne s'agit pas seulement d'un marché mais que des politiques nouvelles s'ajouteront à celles qui existent déjà notamment pour la monnaie, pour la fiscalité, pour l'éducation. Est-ce que la condition politique de cette réalisation n'est pas justement que les membres de la Communauté européenne avancent tous à peu près dans la même direction ? On s'est rendu compte au fond en 1981 - 82 que la France ne pouvait pas se livrer seule à une expérience socialiste quand ses partenaires marchaient au contraire vers le libéralisme et la désinflation. Est-ce que pour 1992 il ne faudra pas essayer de s'accorder à la politique libérale de nos partenaires en tout premier lieu ?
- LE PRESIDENT.- Vous dites libéral, c'est vite dit, mais il y a des interventions de l'Etat dans la plupart de ces pays et qui sont souvent très efficaces. Nous parlions de la recherche tout à l'heure, mais savez-vous que les Etats dans les pays de l'OCDE qui sont les plus grandes puissances industrielles du monde, parmi lesquelles beaucoup de pays européens financent en moyenne pour 37 % les recherches dans les entreprises privées ? Savez-vous qu'en réalité l'imbrication entre l'Etat et les entreprises est la seule façon de faire dans une économie mixte ? C'est aussi celle de la plupart des pays de l'Europe. Cette imbrication permet de faire une bonne addition des moyens plutôt que de faire des soustractions. Il ne faut pas trop simplifier, il ne faut pas dire libéraux là, et là. Il y a des gens de la majorité actuelle qui ne se reconnaissent pas dans la définition libérale que certains, à l'esprit un peu exalté, veulent mettre en oeuvre.
- QUESTION.- Est-ce que, quand même, la leçon...\
LE PRESIDENT.- Mais revenons à l'Europe si vous le voulez bien.
- QUESTION.- La leçon de ce marché unique ce n'est pas quand même une grande harmonisation ?
- LE PRESIDENT.- Il faudra bien. Si on veut l'Europe, il faut considérer que désormais le nouvel ensemble politique économique et culturel, géographique dans lequel nous exercerons nos activités, c'est cette Europe-là. Pour l'instant, c'est l'Europe des Douze £ cela représente 320 millions d'habitants.
- QUESTION.- Vous dites quelque part d'ailleurs qu'elle pourrait bien s'agrandir encore, s'élargir encore.
- LE PRESIDENT.- Non, je dis cela un peu d'une autre manière. Je veux dire par là que cette Communauté, laissons-lui le temps de digérer. Elle n'est pas encore harmonisée, mais je veux dire qu'il faudrait que la Communauté des Douze développe au maximum les contrats, les accords avec un certain nombre de pays qui se trouvent ailleurs. Déjà, c'est le cas avec le Maroc ou avec la Tunisie, avec Israël, c'est vrai aussi avec la Hongrie £ plusieurs pays de l'Europe dite de l'Est ne demandent qu'à traiter avec la Communauté des Douze. Revenons sur le point exact de votre question. Ce que je veux dire, c'est que le grand marché européen, je l'ai voulu. Je ne vais pas m'en plaindre maintenant. Il ne me fait pas peur. Je dis simplement qu'il faudra que l'ensemble des Français ait un formidable courage, qu'ils mettent vraiment dans le même panier toutes leurs capacités. C'est pourquoi sur le -plan politique, il faut rechercher à les rassembler - sans nier la valeur du débat démocratique comme celui qui a lieu aujourd'hui - mais d'une façon générale, dans le mouvement, il faut que les Français s'entendent. Mais je l'ai voulu, Kohl, Delors et moi-même avons réussi à arracher à grand peine le consentement de nos partenaires et particulièrement des Britanniques et des Danois.
- QUESTION.- Quand vous entendez Chirac dire : "l'Europe, l'Europe 1992", vous avez l'impression d'être victime d'une captation d'héritage ?
- LE PRESIDENT.- Non, non. Plus il y aura de gens qui se mettront à l'ouvrage pour construire l'Europe, mieux ce sera. Et je crois que ce n'est pas la peine de citer l'Evangile - qu'est ce que j'entendrais si je le citais une fois de plus - pour rappeler qu'après tout, les ouvriers de la dernière heure sont les bienvenus. Non, je ne fais pas ce genre de raisonnement. Je dis simplement que lorsque j'ai engagé la France, j'ai pris cette responsabilité immense, en 1985, en engageant l'Acte de Luxembourg, fin 1985, pour dire : eh bien, voilà ce que nous allons faire dans cinq ans. Toutes les frontières vont s'abattre, ce qui veut dire qu'il faudra être les meilleurs parce que les étrangers membres de la Communauté, les Allemands ou les Italiens enfin tous les autres, ils pourront venir en France comme ils voudront. Et bien entendu, renversons le raisonnement : si nous sommes les meilleurs, nos marchandises, nos capitaux, nos personnes, nos étudiants, nos professeurs iront à l'extérieur sans entrave. C'est véritablement une compétition d'une ampleur qui nécessite que les Français en prennent conscience £ c'est ce que je leur dis chaque fois, c'est ce que je répète devant vous : en cinq ans, nous avons à jouer une immense partie qui fixera les rapports de force pour le siècle à venir.\
QUESTION.- Je vous conjure d'éloigner de nous l'égarement raciste, dites-vous dans votre lettre à tous les Français. C'est une belle exhortation. Je me demandais quand même si finalement les gouvernements, vos gouvernements de 1981 à 1986 n'avaient pas une certaine responsabilité dans cette tendance à l'égarement, d'abord au début on a un peu fermé les yeux sur l'immigration clandestine ce qui a provoqué une vive réaction de l'opinion publique et nous en avons des témoignages ici...
- LE PRESIDENT.- Non, non. Nous avons été humains avec les clandestins déjà en France. C'est-à-dire que nous avons, pour les renvoyer ou pour les admettre, adopté une démarche qui a tenu compte de l'aspect humain, de cela, mais nous n'avons pas accepté l'immigration clandestine. Nous avons négocié avec l'Algérie, avec le Maroc, avec d'autres pays pour que cela n'ait pas lieu. Et nous avons renvoyé bien des clandestins.
- QUESTION.- L'opinion commune l'a reçu un peu comme cela.
- LE PRESIDENT.- Parce que l'opposition de l'époque a une voix puissante et elle a une propagande bien faite.\
QUESTION.- Ensuite, il y a eu le scrutin proportionnel qui a offert une merveilleuse tribune.
- LE PRESIDENT.- Le Front national existait déjà. Ce n'est pas la proportionnelle qui l'a inventé. Qu'est-ce que c'est que cette histoire. La loi proportionnelle est aussi démocratique que la loi du scrutin majoritaire £ la quasi-totalité des pays démocratiques d'Europe occidentale pratique la proportionnelle. Il n'y a que la Grande-Bretagne, je crois, qui pratique le système majoritaire et encore un système majoritaire extrêmement dur. Donc, il ne faut quand même pas mélanger les affaires.
- Le Front national est représenté à l'Assemblée nationale. Qu'est-ce qui se serait passé avec un scrutin majoritaire ? Vous croyez qu'il n'y aurait pas eu d'arrangements multiples entre le Front national et certaines formations de la Droite, qui se dit modérée, pour pouvoir passer au deuxième tour ? Il y aurait eu pression du Front national dans soixante - soixante-dix circonscriptions. Et qu'est ce qui va se passer entre le 24 avril et le 8 mai ? Vous croyez qu'il n'y aura pas des arrangements souterrains ? Parce que les voix du Front national, que je n'ai pas fabriquées, elles existent. Certains partis sont prêts à composer et d'autres ne le sont pas, et des hommes sont prêts à composer et d'autres pas, ce qui est mon cas.
- QUESTION.- Cela veut dire que si, en espérant un retour à la proportionnelle, Jean-Marie Le Pen entre les deux tours, appelle ses électeurs à voter pour vous au second tour comment est-ce que vous accueillerez ces brebis égarées ?
- LE PRESIDENT.- Permettez-moi de vous dire que c'est quand même peu probable, qu'il y a quand même des éventualités un peu plus sérieuses que de voir Jean-Marie Le Pen se précipiter pour offrir ses voix au candidat que je suis. Nous ne vivons pas dans la politique-fiction. En plus, je ne le souhaite pas et je n'ai pas du tout à me prononcer, sur rien dans cette affaire. La politique que je préconise est aux antipodes de la politique du Front national, et je n'ai rien à dire là-dessus. C'est quand même extraordinaire que l'on me pose la question alors que vous avez un certain nombre de candidats dont on sait bien qu'ils ont des clientèles extrêmement proches de celles du Front national. Et puis après tout quand un parti existe et qu'il est soutenu par des millions de gens, s'il est au Parlement ce n'est pas forcément la mauvaise méthode. Moi, j'aime mieux le débat parlementaire que la violence dans la rue.\
QUESTION.- Mais alors qu'est-ce que vous préconisez justement pour empêcher ce que vous appelez l'égarement raciste ?
- LE PRESIDENT.- Ce que je pourrais faire ? Vous savez, c'est une question de persuasion, de conviction. D'abord il ne faut pas adopter des textes, adopter des lois qui puissent justifier le racisme. Il ne faut pas développer d'idéologie dans les discussions électorales par exemple, qui puisse exciter encore davantage les Français à considérer les immigrés en particulier comme des gens qui n'ont rien à faire dans notre pays. Ce n'est pas sérieux de dire cela. Il y a combien ? 7 % d'immigrés sur l'ensemble de la population. Ce n'est même pas plus qu'en 1930. Bien entendu, cela recouvre une réalité ethnique différente. En 1930, c'étaient les Italiens, les Espagnols, les Belges, les Polonais, aujourd'hui c'est surtout l'immigration africaine. Mais en valeur humaine, en valeur absolue, en valeur de travail, nous n'avons pas à faire de distinction. Simplement il est évident que les moeurs, la religion, beaucoup d'éléments font que les affinités naturelles sont moindres et qu'il faudra plus de temps sans doute pour que les assimilations se fassent. Mais ce sont des gens qui travaillent. L'ensemble des immigrés, qui ont une carte de séjour, un contrat de travail, nous n'avons pas le droit de les montrer du doigt comme s'ils étaient des criminels en puissance. Et les enfants d'immigrés qui naissent en France, ce sont des Français, nous devons les recevoir et les aimer comme tels, nous devons avoir pour eux de la considération. Tout cela ressort des propos que l'on tient, des attitudes que l'on prend, le cas échéant des lois que l'on vote et de ce point de vue, vous pouvez compter sur moi pour tout ce qui pourra être fait pour lutter contre le racisme en le sapant à la base, par l'adhésion des Français à une politique culturelle, pluti-culturelle, que nous avons toujours pratiquée à travers toute notre histoire. Il ne faut pas mentir à l'histoire. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il ne faille pas défendre le marché du travail en interdisant l'immigration clandestine.\
QUESTION.- Vous avez l'air de regretter un peu dans votre lettre aux Français que la situation ne soit pas mûre pour le droit de vote des immigrés.
- LE PRESIDENT.- Vous savez que la Grande-Bretagne permet à ses immigrés installés depuis un certain temps - je ne vais pas rentrer dans le détail de ces lois - de voter à toutes les élections y compris aux élections législatives. Vous savez que les pays scandinaves, la Hollande, permettent de voter dans des élections primaires, dans les élections locales, etc.. Moi, ma position personnelle est que la France dans sa grande tradition, lorsqu'il s'agit pour des gens qui sont là depuis longtemps, de dispositions qui sont prises dans une municipalité qui sont des dispositions qui concernent leur vie de tous les jours, la route ou la rue qui va jusque devant le pas de leur porte, l'électricité, l'eau, les enfants à l'école : ce sont des gens qui ont leur mot à dire. Alors moi, comme cela, instinctivement, je suis partisan au niveau municipal, après un certain nombre d'années de présence, que les choses se fassent !... Alors je vais vous dire, je ne suis pas suivi du tout.
- QUESTION.- Mais si vous êtes élu, est-ce que vous n'essayerez pas de retourner l'opinion ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas suivi du tout. Mais je dis quand même ma conviction. Et peu à peu, peut-être fera-t-elle des progrès ? Après tout, les Français ont montré dans l'Histoire qu'ils étaient capables d'être aussi amis du progrès et des droits de l'homme et de la Révolution française. Nous avons été les premiers, avec certains Etats américains, à lancer la déclaration célèbre comme un message au monde. On aurait peut-être pu faire comme les pays que j'ai cités. Mais c'est une conviction qui m'est personnelle et je le répète, ce n'est pas une proposition politique. Elle n'est suivie par aucune formation politique à l'heure actuelle en France. Mais moi je dis ce que je pense. Je prends des risques parce que je sais fort bien que c'est très impopulaire. Je ne suis pas en mesure de le faire, mais je donne ma pensée.
- QUESTION.- Et dans 7 ans non plus ? Enfin dans les sept années qui nous séparent d'aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Ecoutez, vous demandez de prévoir ! Disons simplement, c'est peu probable.\
QUESTION.- Alors dans votre lettre aux Français, monsieur le Président, vous préconisez l'introduction dans la Constitution d'un organisme pour assurer le pluralisme, la transparence et la cohésion de notre système audiovisuel. Je vous cite là. Mais j'ai envie de dire que c'est vraiment une maladie chronique. A chaque alternance politique £ 1974, 1981, 1986, boum, on change le statut et on fait valser les têtes de l'audiovisuel. Quand est-ce que dans ce pays nous serons adultes et nous aurons une élection sans que la majorité et l'opposition jouent un match de coupe avec l'audiovisuel ?
- LE PRESIDENT.- C'est en raison de ce que vous venez de dire que je fais ma proposition pour que la valse cesse. Jusqu'à la création de la Haute Autorité, dont Michèle Cotta a assuré la présidence, il n'y avait pas de règle, c'était un monopole d'Etat et l'Etat faisait ce qu'il voulait. Il en usait et il en abusait. J'ai donc voulu à partir des années 1981 - 1982 créer une institution qui échappe aux pressions politiques. La Haute Autorité en a subi. Mais, au total, je crois qu'elle s'en est tirée, elle s'en est sortie honorablement et avec l'estime générale. Voilà qu'en 1986, au lieu de continuer à valoriser cette institution, on l'a supprimée. La nouvelle majorité a voulu créer une autre commission, une autre Haute Autorité, c'est ce que l'on appelle la CNCL et elle n'a pas réussi.
- QUESTION.-.... dont vous avez parlé.
- LE PRESIDENT.- Alors, je pense simplement que j'ai donné le bon exemple en créant la Haute Autorité. Et maintenant c'est devenu une évidence. Il faut qu'il y ait des gens, des magistrats - je ne dis pas des magistrats de profession, parce que je préconise plutôt de mettre dans ce Conseil supérieur de l'Audiovisuel des professionnels - c'est cela le grand changement.
- QUESTION.- Mais comment les choisira-t-on ?
- LE PRESIDENT.- C'est un grand problème. Il faudra que vous en discutiez entre vous. Il faudra des professionnels, des gens qui connaissent leur métier, qui se respectent entre eux, qui se connaissent £ bien entendu de toutes les disciplines de l'audiovisuel. Cela va naturellement depuis le caméraman jusqu'au journaliste-éditorialiste. L'ensemble de l'audiovisuel doit être là et dire voilà nous allons affirmer notre indépendance, nous allons garantir le pluralisme par nos propres moyens, c'est l'honneur de notre métier. Voilà ce que je propose. Et pour que cela soit sûr, eh bien mettons donc cela dans la Constitution. Du coup, votre critique ne pourra plus s'exercer. Plus personne n'y pourra rien.\
QUESTION.- On a essayé de vous mettre en contradiction avec le parti socialiste qui avait demandé un retour de TF1 au service public alors j'ai cherché et je n'ai rien trouvé dans la lettre aux Français là-dessus.
- LE PRESIDENT.- J'ai approuvé les nationalisations et j'en reste solidaire. Les nationalisations industrielles ont été une réussite. Au moment des privatisations certaines d'entre elles ont été vendues deux ou trois fois plus cher que cela n'avait été acheté en 1982-1983 £ une grande réussite. On a sauvé comme cela de grands pans de notre économie mais comme plusieurs ont été privatisées, que c'est un grand débat entre les forces de progrès et les forces conservatrices, au moment où nous avons besoin de rassembler tous nos moyens pour le grand marché européen, je préfère que pendant ces cinq ans là, on fasse au moins une sorte de trève psychologique et politique. Voilà ce que je souhaite.
- QUESTION.- Y compris pour TF1 ?
- LE PRESIDENT.- Faire une exception pour l'une d'entre elle, cela ne me paraîtra pas logique. Ce qui me paraît plus grave pour TF1 comme d'ailleurs pour d'autres, c'est la nécessité de respecter le cahier des charges, la production française, l'invention française, la création française. Tous nos créateurs qui ont prouvé, en particulier au cinéma, qu'ils étaient capables de faire de grandes choses et puis dans la littérature aussi. Ces créateurs-là n'ont plus de marché aujourd'hui. On ne leur commande pas de production. De grands talents sont en sommeil ! C'est une sorte de désespoir. J'allais dire : c'est absurde, c'est criminel, c'est là qu'il faut porter l'accent.
- QUESTION.- Vous trouvez qu'il faut dire...
- LE PRESIDENT.- Il faut dire "Respectez". Si vous ne respectez pas alors cela va "chauffer". Et de ce point de vue-là, je pense qu'il doit y avoir des sanctions.
- QUESTION.- Vous trouvez que les programmes sont moins bons ?
- LE PRESIDENT.- Je ne porte pas d'appréciation là-dessus. La télévision, c'est souvent une affaire d'habitude. Dès que cela change, on a tendance à se plaindre du nouveau. Mais d'une façon générale sur le -plan de la création et de la qualité culturelle, je pense que c'est moins bon.\
QUESTION.- Alors vous recommandez l'élimination des mauvaises moeurs de la chasse aux sorcières, heureuse formule, vous dites que le gouvernement ne doit pas installer ses partisans dans les rouages de notre société : information, justice, police, éducation, grandes entreprises.
- LE PRESIDENT.- Là où ils n'ont rien à faire.
- QUESTION.- On vous rétorquera monsieur le Président que cette chasse s'est déroulée de 1981 à 1986 puis de 1986 à 1988 et que dans les deux cas, la nomination des militants de gauche d'abord, de droite ensuite, s'est faite avec votre bénédiction et même, si je ne m'abuse, quelquefois avec votre signature ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur Alexandre, j'ai l'impression que vous êtes un petit peu trop sensible à tout ce qui se dit par-ci par-là. Mais, comme je vous connais être un journaliste très intransigeant, je n'en fais pas du tout un soupçon. Je dis simplement : Faites attention à vous, la propagande adverse est une propagande intelligente, systématique et bien faite. On n'hésite pas à dire n'importe quoi et n'importe quel mensonge. La chasse aux sorcières, c'est un système et d'ailleurs il faut reconnaître que c'est un système qu'on pratique pas mal aux Etats-Unis d'Amérique. On appelle çà le "spoil system". Bon. On ne le pratiquait pas en France et les socialistes ne l'ont pas pratiqué. Qu'il y ait eu des abus, des changements inutiles, certainement, mais ce n'était pas un système.
- QUESTION.- Dans votre lettre, vous avez l'air d'incriminer.
- LE PRESIDENT.- Le reproche que je fais au gouvernement depuis deux ans - je dois le faire puisque nous sommes là au moment du grand débat devant l'opinion publique - c'est que c'est devenu un système.
- Alors deuxième indication, maligne un peu de votre part, c'est dire : mais vous êtes un peu complice puisque cela passe en conseil des ministres ? Eh bien ! non, monsieur Alexandre, il passe au conseil des ministres un certain nombre de nominations pour des grands postes, qui sont limitativement désignés par nos textes, et il s'agit de présidents directeurs généraux, de directeurs généraux de ministères, de généraux dans l'Armée, de ceci et de cela mais c'est un nombre très limité. Là où se fait plus véritablement l'administration, là où par exemple les "noyaux durs", comme on dit, à l'intérieur des entreprises privatisées - qui ont été un don souverain de l'actuel gouvernement à quelques groupes financiers tout-puissants qui se sont emparés des rouages financiers de notre économie - je dis : çà c'est un système et la plupart de ces nominations échappent complètent au Président de la République. Ce sont ceux qui font véritablement "marcher" la France. Ils sont juste en-dessous des grands patrons. Quant aux fonctionnaires d'autorité : les préfets, par exemple, je considère que je devais laisser au gouvernement la possibilité de disposer de l'appareil d'Etat dont il avait besoin. J'ai laissé le gouvernement gouverner. Mais de là à dire que j'ai souscrit à la chasse aux sorcières qui s'est répandue jusqu'à des échelons extrêmement modestes dans l'ensemble de notre administration, cela non, vous allez me faire rire !
- QUESTION.- Et comment faire pour l'éviter ?
- LE PRESIDENT.- Comment faire pour l'éviter ? Eh bien ! il suffit de trouver un républicain conséquent. La France et la République n'appartiennent pas à une fraction - je dis fraction avec un "R" pour éviter les discussions £ enfin, de toutes manières elles ont lieu, je ne me fais pas de souci pour çà. Je dis qu'il faut avoir le sens de la République, et que tous les citoyens, quelle que soit leur opinion politique, doivent être respectés. Ils ne doivent pas être chassés de la fonction qu'ils ont préparée, à laquelle ils ont consacré leur vie. Je le répète, il y a un certain lot de fonctionnaires d'autorité qui appliquent consciencieusement la politique du gouvernement du moment, çà c'est normal, cela aussi c'est républicain et c'est ce que que j'ai laissé faire.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous parlez de la nécessaire réduction du mandat présidentiel. On en a beaucoup parlé, on dira que, malheureusement, c'est un constat qui vient un petit peu tard, vous le dites vous-même d'ailleurs. En 1980, vous déclariez ceci : "7 ans, 14 ans, 21 ans et pourquoi pas la suite, tout dépend de la complaisance du peuple, de l'habileté du pouvoir et, le cas échéant, des méthodes employées pour corrompre la démocratie" fin de citation. Alors permettez-moi de vous poser la question : si vous êtes réélu, est-ce que vous êtes sûr de ne pas succomber dans sept ans à la tentation d'une nouvelle candidature, avec tous les risques que cela comporte pour la démocratie ?
- LE PRESIDENT.- Dites-moi, vous m'ouvrez un de ces horizons.. D'abord je n'ai pas écrit dans ce projet la nécessaire réduction du mandat.
- QUESTION.- C'est le mot "nécessaire" qui m'a frappé.
- LE PRESIDENT.- Non. La réduction du mandat a été adoptée à la suite de la proposition de M. Pompidou, je crois que c'était en 1973, elle a été adoptée et ensuite la procédure s'est arrêtée là et n'est donc pas entrée dans nos lois. Il s'agissait de la réduction de sept ans à cinq ans. D'autres propositions, d'ailleurs j'en ai fait dans ce sens, disaient on va faire sept ans non renouvelables. De toutes manières, l'idée de limiter, dans le temps, un mandat présidentiel était là.
- QUESTION.- Et là vous proposez 5 ans.
- LE PRESIDENT.- Je me suis dit, puisque la loi est adoptée.
- QUESTION.- Cinq ans avec une seule...
- LE PRESIDENT.- Cinq ans une seule fois renouvelable, ce qui fait que, en cas de réélection, on ne peut pas dépasser 10 ans. Je trouve que ce serait raisonnable. Mais j'ajoute que, comme je ne veux pas y mêler de considérations personnelles, - vous savez les gens qui disent : son âge... tout ce que j'entends tous les jours ...-
- QUESTION.- Oui, mais on risque de se retrouver à la fin du mandat avec le problème devant nous.
- LE PRESIDENT.- Non, non, non ! Ce sont tout de même beaucoup de forces politiques qui y songent £ beaucoup de grands leaders politiques - je pense à M. Giscard d'Estaing, je pense à M. Chirac et à quelques autres - m'ont dit qu'ils étaient "pour". Donc, si une majorité sérieuse se dégage, je dis, c'est le verbe que j'emploie dans mon texte, j'y souscrirai.
- QUESTION.- Et vous le ferez tout de suite ?
- LE PRESIDENT.- Le plus tôt possible, oui.
- QUESTION.- Vous y souscrirez.
- LE PRESIDENT.- Je ne mettrai aucun bâton dans les roues, je pense que j'aiderai mais je ne prendrai pas moi-même l'initiative.
- QUESTION.- Et vous vous appliquerez la nouvelle règle à vous-même ?
- LE PRESIDENT.- Sur le -plan légal, je n'y serai pas tenu car ce serait rétroactif, comme on dit, et vous savez que la rétroactivité n'existe pas dans notre droit mais, bien entendu, je crois être un homme raisonnable.\
QUESTION.- Alors vous écrivez : "L'intérêt de la France est que le Président de la République soit à la fois responsable et arbitre". J'étais un petit peu étonné par ces deux mots car je me suis demandé comment est-ce qu'on peut être à la fois responsable et arbitre, dans la mêlée et au-dessus de la mêlée, comment est-ce que vous vous battez pour un camp contre un autre camp, comment dans ces conditions.
- LE PRESIDENT.- Non, non, non ! Je ne me bats pas pour un camp contre un autre camp, je défends des idées et un projet qui rencontrent l'assentiment, le concours, parfois enthousiaste, d'un certain nombre de Français qui, en effet, se recrutent dans une certaine partie de la population. Mais je ne suis pas du tout à la tête d'un camp contre un autre camp.
- QUESTION.- Je dis camp parce que c'est vous qui avez employé le mot camp.
- LE PRESIDENT.- D'accord, on ne va pas faire dériver notre émission, j'ai dit ce que je voulais dire. Cela dépend des compétences, monsieur Alexandre. Il va y avoir autorité du Président de la République pour dessiner les grandes orientations dans les domaines qui lui sont reconnus. Je pense, en particulier, à la politique étrangère et à la défense nationale. Là, le Président de la République, qui a autorité pour décider l'emploi de l'arme nucléaire - vous imaginez cette formidable responsabilité - écrasante pour certains caractères, écrasante responsabilité. C'est un élément qu'on ne cite pas dans la discussion aujourd'hui, et pour cette bataille présidentielle, mais c'est un élément déterminant auquel il faut que les Français songent ! L'homme qui sera là pourra user de ce moyen - bien entendu il ne le fera pas - je ne soupçonne personne de le faire avec légèreté, mais cela pèse quand même sur les consciences humaines. Il est normal que l'homme qui a ce pouvoir-là puisse déterminer les grandes orientations qui permettront de préserver la paix, d'assurer la sécurité de la France puisqu'il le faut absolument : c'est la politique de dissuasion, non pas gagner une guerre - quelle illusion ! - il faut l'empêcher. Voilà. Là-dessus : autorité.
- Pour le reste, c'est l'arbitrage car nous sommes dans un régime parlementaire. C'est le Parlement qui vote la loi, dans une relation avec le gouvernement, pas avec le Président de la République, le Président, lui, se contente de promulguer, c'est-à-dire de signer au bout de quinze jours, parce que cela c'est la loi républicaine et puisqu'il y a une République. Alors là, il a une vertu de conseil £ côté du conflit, il peut arbitrer, il donne des avis, ce n'est pas inutile. Cela a produit souvent des effets, même depuis deux ans, figurez-vous. Bon. Alors tantôt le Président de la République selon la compétence examinée, doit exercer une autorité, une responsabilité directe, bien entendu il doit en traiter avec le chef du gouvernement, qui ne peut pas être laissé à l'écart, c'est un grand rôle que d'être Premier ministre, mais c'est le Président de la République qui a le pas : c'est lui qui garde l'Etat, c'est lui le gardien des institutions, c'est lui qui assure le fonctionnement régulier de la République, des pouvoirs publics, alors c'est clair, cela vous a peut-être troublé mais j'ai dit : autorité là, et dans l'ensemble des autres secteurs, arbitrage.
- QUESTION.- J'ai trouvé que les deux mots étaient un petit peu contradictoires...
- LE PRESIDENT.- Eh bien, non ! Ils ne sont pas contradictoire si on les additionne...\
QUESTION.- Mais ce qu'il faudra dire, pour nos auditeurs qui n'ont pas encore lu la "Lettre aux Français" que vous avez écrite, c'est qu'il y a un passage très important sur la politique étrangère et sur la politique de défense et vous écrivez, je résume, qu'au fond, au départ, en 1986, le gouvernement et cette nouvelle majorité n'étaient pas tout à fait d'accord avec vos idées et que, finalement, sur la plupart des points, ils se sont ralliés à vos vues...
- LE PRESIDENT.- La synthèse s'est faite. Je cite trois points capitaux. Je cite le désir de l'opposition devenue majorité d'adhérer à ce qu'on appelle la guerre des étoiles, l'initiative stratégique de défense. Moi, j'ai dit non. J'avais dit non avant, j'ai maintenu non. Sur la guerre du Tchad, on voulait faire intervenir l'armée française en tant que telle au nord du Tchad alors que j'estimais qu'elle devait faire barrage aux ambitions de Kadhafi à partir d'un certain point qui était le 16ème parallèle. Mais elle ne devait pas être une armée combattante. Elle devait permettre au Président Hissène Habré d'édifier son état, de refaire son armée, et de l'équiper de telle sorte qu'il puisse lui, gagner la guerre, appuyé bien entendu sur la logistique française. C'est ce qui s'est produit. Bon alors, on s'est expliqué au point de départ et ce point de vue a été reconnu.\
LE PRESIDENT.- `Suite sur la politique de défense` Puis un troisième point, c'est sur la définition de notre stratégie. L'emploi des armes nucléaires, dites tactiques, c'est-à-dire à très courte portée, celles qui ne peuvent à l'heure actuelle atteindre que l'Allemagne fédérale, notre amie. Eh bien, certains disaient ces armes-là dites tactiques, on pourrait s'en servir comme une sorte d'artillerie supplémentaire, pour renverser le rapport des forces. Moi j'ai dit non. L'arme tactique fait partie du bloc atomique nucléaire, et si on se sert d'une bombe atomique, aussi faible qu'elle soit, faible c'est presqu'inquiétant de dire cela, c'est une épouvantable catastrophe, il faut savoir qu'on s'engage dans une guerre dont les conséquences seraient sans limites. Et donc toute la stratégie de la France consiste à faire que nous n'entrions pas dans cette guerre parce que l'agresseur craindrait, faute de pouvoir se défendre contre nos propres moyens, les conséquences pour lui d'une guerre. Voilà, c'est tout, alors ce débat est un débat de fond.
- QUESTION.- Finalement à vous lire on a l'impression que le gouvernement et la majorité se sont rendus assez facilement, assez volontiers.
- LE PRESIDENT.- Sur ces trois points-là, facilement ou pas, cela s'est fait. Pour revenir aux deux premiers points : très vite. Pour le troisième, il a fallu attendre six ou sept mois, puis finalement cela s'est mis en ordre.
- Et puis ensuite pour les problèmes nouveaux qui se posaient ou ceux qui n'attiraient pas de particulière polémique, eh bien on en a débattu honnêtement, je crois, et on est arrivé à faire que la France n'ait qu'une seule voix dans les conférences internationales.\
LE PRESIDENT.- Mais pour que nos auditeurs nous comprennent bien, il faut savoir que le projet que je leur écris se présente sous la forme d'une lettre aux Français, que je leur adresse moi-même...
- QUESTION.- Une lettre avec un ton un peu familial.
- LE PRESIDENT.- Je viens d'occuper pas mal d'heures du soir et de la nuit pour leur écrire comme j'aurais écrit à des amis. Ce sont les Français, je suis leur Président, je peux être demain de nouveau leur Président £ une relation directe, une relation, comment dirais-je, de raison, de sentiment, d'intérêt nourri £ il faut que je leur parle, il faut qu'on se comprenne.
- Il faut quand même savoir avant que nous ne terminions, que ce projet comporte un certain nombre de grandes orientations £ et que la première, c'est précisément qu'il faut équilibrer les institutions - vous venez de m'en parler - mais la deuxième c'est qu'il faut construire l'Europe dans le -cadre de la politique extérieure en général. Construire, ça c'est la primauté, l'Europe est notre avenir.\
LE PRESIDENT.- Le troisième point, c'est qu'il faut, sur le -plan de la paix, encourager le désarmement. Je dis : Reagan et Gorbatchev ont raison - j'ai entendu un tas de gens essayer de chipoter - ils ont raison. Mais bien entendu, l'autre aspect lié au désarmement, c'est la sécurité. On ne va pas désarmer pour devenir un ventre mou qui pourrait subir naturellement toutes les agressions extérieures. Les deux à la fois, désarmement et sécurité.
- QUESTION.- Vous avez plutôt tendance à jouer le pari de la confiance ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne me pose jamais ce problème. J'ai déjà eu l'occasion de le dire ailleurs. Pour moi, ce n'est pas un problème de confiance. Tout doit se passer comme si on avait eu raison de faire confiance. Je n'entre pas dans l'arrière-cerveau des gens. Alors confiance ! Après tout, j'ai plutôt tendance à faire confiance, j'aime mieux faire confiance, mais je prends mes précautions. C'est pourquoi les conditions de la sécurité seront maintenues. Mais je suis pour le désarmement, c'est une condition vitale. Il faut sauver la paix, elle peut être à tout moment menacée.\
Le quatrième point, quatrième grande orientation, c'est celle qui consiste à lancer un plan. Nous le demandons à chaque Sommet des grands pays industriels, nous le demandons à l'Organisation des Nations unies. Quand je dis nous, nous tous, quelle que soit la tendance, bien entendu avec plus ou moins de force, selon les convictions que l'on a, mais nous le demandons tous. Il faut un plan mondial pour le développement du tiers monde. Savez-vous qu'à l'heure actuelle, les pays riches prennent plus d'argent aux pays pauvres qu'ils ne leur en donnent ? C'était de l'ordre de 35 milliards de dollars, l'année dernière. Vous imaginez !... Cela surprend, personne n'en revient, mais c'est pourtant comme cela que cela se passe.\
LE PRESIDENT.- Le cinquième point, puisqu'il faut quand même qu'on le sache, c'est tout ce qui touche à l'économie, tout ce qui est autour de l'économie : la formation des hommes, nous en avons parlé, la recherche, l'intelligence, la matière grise mise à la disposition de l'industrie, du commerce, disons de la richesse à créer, et puis bien entendu, aussi des partages de cette richesse.
- L'investissement, la modernisation, conduit, tout naturellement, au sixième point qui est la grande orientation : la cohésion sociale. Sauver la sécurité sociale, donner aux lois Auroux - celles de la discussion à l'intérieur de chaque entreprise - le maximum d'éclat, développer la politique contractuelle, et puis lutter contre les inégalités sociales et les exclusions qui s'aggravent aujourd'hui. Et la distance s'accroît entre le plus riche et le plus pauvre, entre le plus fort et le plus faible. Cela, bien entendu, va exactement contre la politique que j'entends mener au travers des années prochaines. Je veux que les Français se rapprochent. Je dis ceci à ceux qui m'entendent pour l'instant : il n'y aura pas de cohésion nationale pour gagner les grands enjeux, en particulier l'enjeu européen, mais aussi l'enjeu de la paix, la place de la France dans le monde, il n'y aura pas de cohésion nationale, de rassemblement, de France unie, sans cohésion sociale. Il n'y aura pas non plus de réussite industrielle, il n'y aura pas de progrès économique, il n'y aura pas de succès pour les plus riches, s'ils n'ont pas réussi à faire comprendre par l'esprit de justice et par le partage juste du profit national, à l'ensemble des travailleurs qu'ils ont bien le droit de prendre part au développement et - comment dirais-je - au bien-être. Alors, cela c'est le sixième point.\
Le septième, j'en ai fini, c'est qu'il faut multiplier les espaces de culture. Ce que je vois, finalement, dans toutes nos discussions, au fond de tout cela, c'est la culture. C'est la façon dont nous sommes faits, c'est la façon dont nous raisonnons, c'est la façon dont nous écrivons, c'est la façon dont nous communiquons, c'est l'amour que nous pouvons avoir pour les arts, pour l'expression littéraire. C'est aussi tout un aspect qui touche à l'environnement de la nature. C'est même la pratique du sport, puisque le sport nous invite toujours à aller plus loin. C'est ce fonds culturel qui nous habite, et qui, en fin de compte, explique tout le reste. Alors, il faut le respecter, il faut le développer.
- Malheureusement, le premier geste des actuelles équipes, je ne veux pas du tout les accabler, mais je suis obligé de dire ce qui est, c'est que tout ce qui était recherche, tout ce qui était culture, cela a été aussitôt réduit. Il y a eu des hommes de talent qui s'en sont occupés, qui ont parfois amélioré les choses, mais la disposition d'esprit générale n'allait pas dans ce sens, je l'ai regretté.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous me permettez une petite question, une dernière question en dehors de votre projet. Il y a paraît-il actuellement des tractations, voire des négociations pour la libération des otages. Ces opérations seraient menées avec des hommes de confiance de MM. Chirac et Pasqua. Est-ce que vous êtes informé, consulté, ou bien est-ce que la campagne électorale a mis fin aux règles de la bonne cohabitation ?
- LE PRESIDENT.- Depuis le mois de mars 1986, date à laquelle j'ai nommé M. Jacques Chirac, Premier ministre, tous les mercredis, mais aussi d'autres jours, nous nous rencontrons avant le conseil des ministres. Et la première question que je lui pose, c'est celle-ci : et nos otages ? Et je dois dire aussi, la première affaire qu'il traite parce qu'il est dans les mêmes sentiments, c'est : et nos otages ? Et nous en discutons. Suis-je informé de tout ? Je suis informé de beaucoup de choses. J'espère que je suis informé de l'essentiel. Mais l'exécution des décisions, dans ce domaine, comme dans quelques autres, appartient au gouvernement.
- QUESTION.- Et là, dans le cas présent ?
- LE PRESIDENT.- Dans le cas présent, je crois être informé des discussions, disons des voies et moyens à employer pour obtenir enfin la libération des otages. Le seul point sur lequel j'ai toujours montré une détermination absolue, c'est que cela ne peut pas se faire en traitant avec le terrorisme, cela ne peut pas se faire en conduisant la France à abandonner quelqu'aspects que ce soient de sa politique extérieure et particulièrement dans le Proche et dans le Moyen Orient. Mais il faut aussi penser que la libération d'hommes qui souffrent, leurs familles, leurs amis, c'est aussi un grand enjeu. De ce point là, vraiment, nous avons marché au coude à coude.
- QUESTION.- Et vous avez bon espoir ?
- LE PRESIDENT.- Je ne dis jamais rien sur ces choses.\