23 mars 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. François Mitterrand, Président de la République, avec des étudiants, notamment sur les relations entre l'université et l'entreprise et la nécessité de l'apprentissage des langues étrangères, Paris, Grande Halle de la Villette, mercredi 23 mars 1988.

QUESTION. Monsieur le Président, vous venez de prendre connaissance de ces stands des soixante-six magistères français. Je crois que ce sont là des formations qui font tout à fait le lien entre l'université et l'entreprise et il était temps de le faire. Je crois qu'aujourd'hui, où l'on parle beaucoup, beaucoup trop certes, du gâchis des universités - certains parlent de sa faillite quoiqu'il en soit d'une certaine inadaptation, est-ce que vous ne pensez pas que ces magistères et ces types de formations sont un témoignage que l'université c'est aussi l'efficacité et parfois aussi l'excellence ?
- LE PRESIDENT.- La création des magistères m'avait été recommandée par le Collège de France auquel j'avais demandé un rapport sur l'enseignement de l'avenir. Et cette suggestion du Collège de France a été retenue par Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'éducation nationale. Cette idée-là, dont je viens de discuter avec plusieurs des étudiants qui appartiennent aux magistères paraît - on est au début de l'expérience - avoir été tout à fait positive. En effet, deux ans après le Bac, trois ans d'études complémentaires dirigent, en principe directement, vers des filières professionnelles et rétablissent le pont trop longtemps coupé entre les études universitaires et la vie professionnelle. Je suis très heureux de rencontrer des étudiants qui sont en train de vivre cette expérience et j'ai l'impression qu'il y a là - je n'ai pas fini, je commence tout juste de visiter ce Salon - l'une des perspectives et des réalisations les plus intéressantes de ces dernières années. On va continuer.
- QUESTION.- Le problème, c'est que nous arrivons à trouver des stages assez facilement grâce aux intervenants professionnels qui nous donnent des cours, mais lorsque nous allons dans des entreprises, de façon spontanée, nous ressentons une réticence du monde du travail vis-à-vis de l'université qui garde encore une mauvaise image. Pensez-vous que cela va changer ?
- LE PRESIDENT.- Cela changera grâce à vous. Cela changera par le bon enseignement de vos professeurs, leurs bonnes adaptations aux types d'orientation qu'on vous propose. Je crois qu'il y a une multitude de filières et cela dépendra de vous. Si après avoir fait ce cycle de cinq ans, vous arrivez dans une entreprise et vous démontrez que cela a servi à quelque chose, çà fera vraiment boule de neige, et un peu partout en France on demandera des étudiants de votre sorte. Alors voilà, écoutez, réussissez, tout ce que je vous demande c'est de réussir. Je ne peux pas faire le reste à la place de tout le monde.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je vous remercie, nous ferons tout ce qu'il est possible en tout cas pour faire connaître la mutation de l'université pour se rapprocher du monde des professionnels. J'aurai une question sur le rôle des stages. Une expérience de magistères c'est aussi des stages, c'est aussi un contact direct avec l'entreprise. Que pensez-vous que les stages en tant que contact avec le terrain doivent avoir comme place dans une formation professionnelle d'une manière générale ?
- LE PRESIDENT.- Votre question contient en elle-même sa réponse. D'une part, parce que la question est juste, je ne peux que l'approuver, mais répéter aussi ce que j'ai dit tout à l'heure, cela dépend de la réalité et la réalité elle est dure. Nous sommes dans une période où il y a beaucoup de chômeurs. Pour ceux qui arrivent aujourd'hui sur le marché du travail c'est plus difficile qu'il y a quelques années. Il faut donc absolument multiplier les filières de formation et démontrer la qualité de ces formations. Moi je ne peux pas vous dire autre chose. Les jeunes dès qu'ils commencent à travailler, ils sont déjà adultes et les problèmes qu'ils prennent en pleine figure ce sont des problèmes d'adultes, quel que soit leur âge. Vous êtes en train de franchir le pas entre des jeunes qui espèrent, qui travaillent, pour lesquels tout est possible et vous arrivez à l'âge d'adulte où vous êtes responsables et d'abord responsable de votre vie et de votre réussite. S'il faut, - et il faut bien entendu que l'ensemble de la Nation vous aide et l'Etat - on essaiera de vous aider.
- QUESTION.- Il y a aussi, monsieur le Président, si je peux me permettre une façon de nous aider assez directe. Nous sommes en train de mettre sur pied par cette Fédération qui rassemble les associations, des directeurs, des grands universitaires et aussi des hommes d'entreprises, un pont entre l'université et l'entreprise. Et nous nous proposons de le mettre sous une forme d'une fondation qui aiderait les contacts très concrètement. Puis-je me permettre de vous demander si vous voudrez bien être membre d'honneur, premier membre d'honneur, de cette fondation ?
- LE PRESIDENT.- Vous me prenez tout à fait là par surprise. Je ne m'attendais pas à une demande qui, après tout, me fait plaisir. Alors vous me le dites, je le ferai et je me réjouis déjà que la vie soit revenue, le débat, la discussion, l'animation. On a vraiment envie de s'expliquer, c'est plus intéressant qu'avant, reconnaissez !
- Eh bien, merci monsieur le Président, nous continuons la visite.\
QUESTION.- Monsieur le Président vous êtes ici sur le stand de Paris I Panthéon - Sorbonne qui est une Université à multiples titres symbolique. Symbolique parce que c'est une de nos plus grandes universités françaises et des plus prestigieuses, symbolique aussi parce qu'elle a accueilli il y a quelques années un étudiant nommé François Mitterrand qui venait y faire ses études de droit. Symbolique aujourd'hui parce qu'elle vient de créer - elle a créé - une des premières formations réellement européennes puisque c'est une formation où l'on délivre une maîtrise de droit en France à la Sorbonne et en Angleterre et que les diplômes sont communs à la France et à l'Angleterre. Alors ne pensez-vous pas, monsieur le Président que l'Europe qui est un thème important aujourd'hui passe peut-être avant tout par l'école, parce que l'école c'est ensuite la recherche, c'est la façon de faire le mélange des cultures, le mélange des langues et au bout du compte en définitive le mélange des hommes ?
- LE PRESIDENT.- Je le pense tellement que j'ai pris l'initiative d'un certain nombre de mesures européennes qui sont déterminantes. C'est moi qui ai présenté en 1985 au nom de la France le projet de grand marché intérieur unique entre les douze pays de la Communauté. Et il a fallu insister pour réaliser des projets comme Erasmus. Je me souviens d'avoir reçu à l'époque des jeunes étudiants qui sont organisés dans une association d'étudiants européens. Ils souhaiteraient notamment que les études qui puissent se dérouler d'une année sur l'autre indifféremment dans les universités européennes que ce soit Paris, Montpellier, Salamanque, Cologne etc... Heidelberg, Oxford que chacun des étudiants se sentent admis chez lui, s'il veut en cours d'études compléter son information et sa culture en passant d'un pays à l'autre.
- Ce projet-là est un projet passionnant et j'ai vu les gouvernements hésiter à le financer comme si ce n'était pas l'avenir de l'Europe que nous sommes en train de construire. Cette initiative que je constate ici à Paris I je pense que - bien que vos moyens ne vous permettent pas d'embrasser toutes les disciplines et que votre discipline elle-même commande la direction dans laquelle vous vous êtes placés avec le King College, des études juridiques - on vient de me le préciser - qui reposent sur des notions de droit différentes - c'est un pas franchi. Il y a donc là un besoin d'assimilation, de connaissance qui exige un double travail mais, comme vous me l'indiquez, les étudiants qui passent par là, qui font leurs études dans les deux pays, qui sont entièrement formés par les deux cultures sont drôlement armés ensuite pour aborder la vie professionnelle, la vie intellectuelle, la vie de l'enseignement, la communication. Alors voilà, moi je ne peux qu'encourager ce que vous faites en indiquant qu'à travers les années prochaines, ou bien la jeunesse pourra d'un pays à l'autre s'initier à toutes les disciplines de l'esprit et à toutes les disciplines professionnelles, ou bien l'Europe échouera. Voilà l'enjeu et je vous remercie de l'avoir compris.\
QUESTION.- Monsieur le Président, j'ai eu la chance de faire ma double maîtrise de droit anglais et de droit français et d'avoir un accueil absolument formidable à King Collège à Londres et je me demande si l'Université française est actuellement prête à accueillir des étudiants étrangers qui viennent pour des études de haut niveau, en petit nombre, recevoir une formation tout aussi exceptionnelle que celle que nous avons eue à Londres ?
- LE PRESIDENT.- Il y en a, il ne faut pas non plus penser que notre Université soit à ce point fermée à l'avenir. Il n'y en a pas assez. Et d'autre part il faut davantage aider par des systèmes de bourse des étudiants étrangers qui n'ont pas toujours les moyens £ je pense en particulier à nos amis africains qui sont déjà francophones, mais il en est qui sont anglophones d'autres qui sont lusophones, d'autres qui sont hispanophones : Espagne, Portugal, Angleterre, France d'autres encore. Il faut aller dans cette direction-là. Mais j'ai eu un peu peur en voyant votre air décidé que vous ne me parliez en anglais ce qui prouve que d'une génération à l'autre les progrès sont réels et je regrette pour ma part de ne pas être passé par une filière de ce genre. Mais voilà vous, vous êtes maintenant à pied d'oeuvre dans une Europe qui s'ouvre. Votre jeunesse, elle n'est pas consacrée à la guerre entre les peuples d'Europe - cela a été le cas de la nôtre - elle doit être consacrée à des oeuvres de paix. Et je pense que l'Université, l'étude, la réflexion, la connaissance des autres cultures, c'est l'instrument majeur pour que les hommes et femmes de tous pays se comprennent. Je vous approuve, je pense que c'est encore un peu timide, non pas ce que vous faites mais ce que l'on fait en France, on va essayer de pousser dans ce sens.\
QUESTION.- Monsieur le Président un des soucis majeurs des étudiants actuellement, c'est de trouver un travail et pensez-vous que l'on pourrait inciter les entreprises à prendre plus d'étudiants en stage de façon à ce qu'ils soient plus facilement intégrés à la vie du travail, et en plus augmenter leur capacité d'apprendre des langues vivantes notamment en ayant des enseignements obligatoires de langues vivantes à l'Université, étant donné que les jeunes étudiants ne pourront pas faire l'Europe s'ils n'arrivent pas à parler les langues des autres Européens ?
- LE PRESIDENT.- Bien sûr. Tout repose sur la formation et en particulier sur la formation aux langues étrangères. Un jeune homme ou une jeune femme déjà maintenant et un peu plus tard ne pourront rien faire s'ils ne possèdent pas la connaissance d'au moins deux langues en plus de la leur. Ils ne le pourront pas ! C'est donc une sorte d'obligation vitale. Il est très important que l'Etat, que les grandes administrations, que l'éducation nationale le comprennent. L'université c'est quelque chose de très divers. C'est-à-dire que les initiatives sont multiformes. Il y en a de bonnes, il y en a d'autres qui sont moins bonnes. Mais au total, j'ai le sentiment que l'on avance parce qu'à la fois les enseignants et à la fois les élèves - qui arrivent eux-mêmes à un certain âge de responsabilité, lorsque l'on en est là, aux études supérieures - ont déjà compris avant bien d'autres que si on ne le fait pas, ils seront devant une porte fermée, celle du métier. Tout doit être fait pour la formation de base diversifiée et évidemment pour la recherche qui permettra de développer nos industries, la modernisation technologique sans laquelle nous ne serons pas compétitifs. Cela commence à l'Université, à l'école, aussi à l'entreprise et ce que vous me demandiez tout à l'heure c'est-à-dire la jonction entre l'entreprise et l'université, j'ai pu observer en passant dans d'autres stands qu'un certain nombre de responsables, d'écoles particulières, s'occupent énormément de cela. J'ai vu aussi de quelle manière nous avions pu mettre en place des magistères qui ont précisément pour objet deux ans après le Bac puis trois ans d'université sur une filière déterminée de permettre de déboucher directement sur un métier. C'est encore insuffisant alors aidez les responsables vous aussi, faites-vous entendre, faites-vous comprendre et j'ai l'impression aujourd'hui d'avoir beaucoup entendu, j'en suis ravi.\
LE PRESIDENT.- Nous allons clore la visite du salon par ce stand. J'en ai vu beaucoup d'autres, ceux qui étaient prévus, ceux qui ne l'étaient pas. Et j'ai quand même pu apercevoir un formidable mouvement d'intérêt et de travail pour une plus haute formation des jeunes, afin qu'ils trouvent aussi plus aisément un métier, qu'ils y réussissent, et qu'ils supportent la concurrence internationale. Et mon attention avait été attirée sur ce que vous faites vous-mêmes, sur votre institut. Car je crois avoir compris, par les exemples qui m'ont été fournis - cela me paraît évident - que vous, vous allez très loin dans la connaissance, dans le savoir, notamment dans le savoir économique avec tout de même comme perspective, le fait que l'économie et le développement de votre région et du pays profitent de votre enseignement.
- Alors, ce couplage que j'ai déjà observé, est mené d'une façon conçue par vous méthodiquement dans une puissante ville, conduite par des enseignants extrêmement qualifiés et j'espère des étudiants très ambitieux. Cela me paraissait tellement important que c'est là que j'achève cette visite animée, intéressante et instructive pour moi.
- UNE ETUDIANTE.- Je suis de l'IGC, l'Institut du Génie Chimique de Toulouse.
- LE PRESIDENT.- Vous vous destinez à quoi ?
- UNE ETUDIANTE.- Eh bien, je me destine à faire du génie chimique, parce qu'il y a tellement de débouchés dans ce secteur, que j'ai été intéressée.
- QUESTION.- Monsieur le Président, je tiens à vous demander de signer notre livre d'or, et à vous offrir un de nos produits technologiques, pas des technologies avancées aéronautiques, mais une rose, in vitro.\
QUESTION.- Monsieur le Président, juste une chose, vous aviez dit, lorsque je mettrai mon écharpe et mon chapeau, vous comprendrez que je pars en campagne, vous avez déjà l'écharpe autour du cou, je crois qu'il ne vous manque plus que le chapeau.
- LE PRESIDENT.- J'ai changé ce matin par nécessité, grâce à vous, la couleur de l'écharpe, mais j'essaye aussi des qualités nouvelles. Je ne vous promets pas de la garder toute la matinée jusqu'au soir. Je n'ai pas spécialement pris mon chapeau, je le prends quand il fait froid. Je n'ai pas spécialement pris mon écharpe, je la prends quand j'en ai besoin.
- QUESTION.- Elle est offerte au Président de la République française.
- LE PRESIDENT.- J'en suis ravi. C'est un acte que je prends comme il vient, c'est-à-dire de déférence à l'égard d'une fonction à laquelle je me suis autant qu'il m'a été possible, consacré, et qui arrive comme vous le voyez à son terme. Un septennat, çà se termine au bout de sept ans. Quant à la suite, on verra bien !
- QUESTION.- En ce qui concerne la suite, la visite va se terminer, mais je crois que vous avez souhaité déjeuner avec des enseignants maintenant, et nous y allons...
- LE PRESIDENT.- Des enseignants ou des étudiants, je n'ai pas choisi.
- QUESTION.- Il y a je crois des enseignants aujourd'hui. L'année dernière, c'étaient des étudiants, cette année je crois que ce sont des enseignants parce que c'est important.
- LE PRESIDENT.- Bon, je ne dis pas non. Mais enfin, j'aime bien quand il y a des étudiants. Quand on visite une caserne et que l'on ne rencontre que les officiers, on dit toujours que la soupe est bonne.
- QUESTION.- Je ne sais pas si elle sera bonne ici, on va voir.
- LE PRESIDENT.- Je ne parle pas de cette soupe-là.
- QUESTION.- Dans l'établissement où vous êtes, monsieur le Président, la technologie est belle.
- LE PRESIDENT.- J'en ai la conviction, et il y a de plus en plus d'hommes et de femmes qui arrivent à un point de savoir, de connaissances extrêmement avancés. Et vraiment, c'est une grande joie que de voir la France aujourd'hui, fabriquer des équipes parfaitement capables de supporter toutes les comparaisons, et même dans de nombreux secteurs, de gagner.
- QUESTION.- Toulouse est une ville technlogique de pointe et je me voudrais de mentionner aussi l'ensemble des autres partenaires. Il y a sur Toulouse quatorze grandes écoles d'ingénieurs, il y a trois universités, c'est la deuxième ville universitaire française, et le pays entier sait que c'est l'avenir technologique d'un départ européen.
- LE PRESIDENT.- Toulouse est une grande réussite de l'histoire sans doute, qui par son adaptation au milieu scientifique, s'est assurée un gage sur l'avenir, et un sérieux gage. Et j'ai beaucoup de plaisir quand je vais à Toulouse, et j'irai bientôt.\