10 mars 1988 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de l'inauguration de l'avenue Michel Baroin, Ouroux-en-Morvan, jeudi 10 mars 1988.
Monsieur le maire,
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- Baroin, Morvan, dès les premiers pas que j'accomplis il y a quelques quarante ans, dans ce haut Morvan, j'ai rencontré un peu partout de Savault jusqu'à Gouloux, d'Alligny jusqu'à Chaumard, des Baroin. Ils avaient oublié en quoi ils étaient parents, comme tant de familles par ici. Ces noms que l'on retrouve partout et qui marquent la permanence d'un vieux pays fidèle.
- Aussi, lorsque pour la première fois j'ai rencontré Michel Baroin, à peine son nom fut-il prononcé, que je lui posais la question "mais vous êtes du Morvan ?". C'était vrai. Bien que je ne le connaissais, à vrai dire, que de loin, et au travers d'actions parisiennes ou nationales qui ne l'identifiaient pas à cette région de France. Mais on ne pouvait s'y tromper, après avoir entendu son nom ou après l'avoir vu, ou après, surtout, les évocations de sa propres enfance qui ressemblait tellement à ce que j'avais moi-même connu tout le long de ces chemins.
- Vous avez rappelé que notre premier entretien avec Michel Baroin s'est déroulé chez "L'Octave" et je suis tout à fait heureux de pouvoir saluer Mme Octave Renaud qui se trouve devant moi et qui se souviendra de ces longues heures passées chez elle, autour de la table, quelquefois d'un vittel-cassis ce qui irritait Octave Renaud - c'était moi qui le buvait - et avec sa pétulance, sa faconde, son esprit, sa grande qualité personnelle. C'était un homme dont le souvenir s'inscrit parmi les plus typiques et les plus forts de ce que j'ai pu connaître dans le Morvan. C'est là, en effet, que Michel Baroin, passant un jour par là, peut-être des vacances, et moi-même, déjà député, conseiller général de cet endroit, nos pas se sont croisés.
- Nous nous sommes retrouvés un peu plus tard à Paris. Il accomplissait de multiples obligations, moi aussi, ce n'étaient pas les mêmes. Mais l'intérêt qu'il portait au débat philosophique, au débat politique aussi, non pas qu'il fût partisan, mais le débat d'idées l'intéressait, le passionnait, nous conduisit à de multiples échanges de vues. Nous avons bâti une solide et amicale relation. Je me souviens même qu'il se désolait - au cours de quelque dîner avec un groupe d'amis - de n'avoir pu me convaincre d'épouser exactement, non pas ses choix philosophiques, mais ses appartenances. Car c'était un homme de foi, d'engagement et il l'a montré tout le long de sa vie.
- Or, ce tempérament, comme vous l'avez fort bien souligné, monsieur le maire, s'alliait avec celui d'un homme, d'un entrepreneur, d'ailleurs très audacieux qui est resté dans le domaine mutualiste, social, coopératif, mais qui a affirmé des qualités individuelles, personnelles, d'autorité, d'entregent, d'intelligence assez rare, au point que reconnu dans des cercles de plus en plus larges, il devint, ce que vous avez dit, c'est-à-dire une personnalité de premier -plan, là où il avait choisi d'être. Parallélement, mais c'était dans un autre département `Aube`, il avait aimé être élu par les siens, ce qui en avait fait un maire et un conseiller général. Il avait des vertus assez oecuméniques, je suppose qu'il a dû se trouver quelquefois dans l'embarras. Il n'aimait pas les divisions arbitraires, il cherchait plutôt la synthèse entre les familles d'esprit.\
Tout récemment, nous avons été conduits à travailler ensemble, puisque en ayant parlé avec M. le Premier ministre, et désireux de pouvoir choisir ensemble un homme capable - à la fois par ses attaches de pensée et aussi par ses capacités d'action - de promouvoir ce Bicentenaire de la Révolution de 1789. Ce choix s'est porté sur Michel Baroin assez naturellement et, sans qu'il y eût la moindre difficulté entre les responsables qui avaient à faire ou à choisir cette désignation. A partir de là, Michel Baroin est venu me voir assez souvent pour discuter avec moi de la façon de faire, de la méthode à prendre, du choix de ses collaborateurs ou de ses conseillers. Il y a mis beaucoup de coeur, de l'intelligence. C'est à ce moment-là que le sort l'a frappé.
- J'avais vécu déjà douloureusement avec lui, avec vous madame, et vous aussi François, l'affreux drame qui devait précéder l'autre et qui a si cruellement meurtri une famille unie ou l'on s'aimait. Et qui a soudain provoqué une déchirure dont je ne parlerai pas davantage, car elle est gravée, inscrite en vous-même. Et je n'ajouterai rien en ranimant cette blessure qui se suffit à elle-même. Mais enfin, devant vos amis, vos concitoyens, monsieur le maire, je crois qu'on ne peut pas oublier ce moment-là, car il a beaucoup compté dans l'évolution finale de Michel Baroin, puisque la mort de sa fille a précédé de peu la sienne. Et qu'à partir de là, je me souviens d'un déjeuner où nous étions ensemble et où j'ai bien senti qu'à la fois il avait besoin de s'évader vers l'action une fois de plus, tandis que vous-même entreteniez discrètement et en vous-même la flamme d'un amour que la mort ne pouvait ni taire, ni arrêter. Nous avions passé un déjeuner à la fois mélancolique et cependant plein de force et d'enthousiasme, puisqu'il s'agissait de mener à bien l'action confiée par le Président de la République et par le gouvernement à Michel Baroin.\
J'avais à peine reçu ces premières propositions, le dessin des idées générales, des thèmes principaux à traiter quand j'ai appris l'accident du Cameroun. Je pense qu'il venait du Congo et avec l'équipage et le petit groupe d'hommes qui était venu pour élargir le domaine coopératif dans lequel il exerçait son activité, la mort, l'accident. Comme tout accident on s'interroge, on interroge le destin, on ne veut pas y croire. Et à côté de cela, après cela, la vie continue et on se retrouve devant soi-même.
- Voilà que nous célébrons maintenant la mémoire de Michel Baroin. Nous avons célébré sa mémoire, au lieu d'être comme naguère, ou comme autrefois tout simplement à Ouroux pour parler du Morvan et de tous les rêves qui passaient par la tête.
- Vous aves eu une bonne idée, une bonne initiative, monsieur le maire, en désignant le nom de Michel Baroin et en donnant son nom à l'une de vos rues, près d'un quartier que vous tentez de développer qui conduit à cette salle que je ne connaissais pas, que vous avez - je crois - mise en oeuvre au cours de ces dernières années, cette année même. Nous avons quand même une forme de joie dans la célébration d'un malheur, c'est de nous retrouver et de vouloir reconstituer l'un de ces cercles où, au-delà de toutes les séparations, de toutes les divisions, les vivants aiment se retrouver puisqu'ils sont liés par le temps de leur vie passée. Le temps que l'on vit ensemble est quand même celui qui nous attache les uns aux autres quoi que nous ayons fait de ce temps. Même s'il nous est arrivé, c'est vrai du Morvan comme d'ailleurs, de connaître de grandes querelles, au total quand cela s'achève, on sait bien que cette vie vécue en famille ou comme les citoyens d'un même petit pays, représente une attache si forte qu'elle domine tout le reste.
- C'est dans cet esprit, j'en suis sûr, que celles et ceux qui ont bien voulu se rendre dans cette salle se retrouvent autour du souvenir de Michel Baroin et s'associent à moi pour dire à Mme Baroin, sa mère, sa femme, son fils, ici présents, ce que nous ressentons au seul souvenir d'un homme qui avait su franchir les étapes en s'affirmant à mesure et en se montrant digne de cette élévation dans toutes les formes de l'esprit et de la responsabilité civique.
- Voilà, monsieur le maire, quelques instants passés à Ouroux. Il y a de cela quelques temps que je n'avais eu l'occasion de repasser par votre commune. Je vais continuer mon chemin, revoir d'autres communes du même canton que j'ai si longtemps - 32 ans ! - représentées. Je garderai moi-même de cette cérémonie, un très vif souvenir. Il est bon de connaître des moments de cette qualité.\
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- Baroin, Morvan, dès les premiers pas que j'accomplis il y a quelques quarante ans, dans ce haut Morvan, j'ai rencontré un peu partout de Savault jusqu'à Gouloux, d'Alligny jusqu'à Chaumard, des Baroin. Ils avaient oublié en quoi ils étaient parents, comme tant de familles par ici. Ces noms que l'on retrouve partout et qui marquent la permanence d'un vieux pays fidèle.
- Aussi, lorsque pour la première fois j'ai rencontré Michel Baroin, à peine son nom fut-il prononcé, que je lui posais la question "mais vous êtes du Morvan ?". C'était vrai. Bien que je ne le connaissais, à vrai dire, que de loin, et au travers d'actions parisiennes ou nationales qui ne l'identifiaient pas à cette région de France. Mais on ne pouvait s'y tromper, après avoir entendu son nom ou après l'avoir vu, ou après, surtout, les évocations de sa propres enfance qui ressemblait tellement à ce que j'avais moi-même connu tout le long de ces chemins.
- Vous avez rappelé que notre premier entretien avec Michel Baroin s'est déroulé chez "L'Octave" et je suis tout à fait heureux de pouvoir saluer Mme Octave Renaud qui se trouve devant moi et qui se souviendra de ces longues heures passées chez elle, autour de la table, quelquefois d'un vittel-cassis ce qui irritait Octave Renaud - c'était moi qui le buvait - et avec sa pétulance, sa faconde, son esprit, sa grande qualité personnelle. C'était un homme dont le souvenir s'inscrit parmi les plus typiques et les plus forts de ce que j'ai pu connaître dans le Morvan. C'est là, en effet, que Michel Baroin, passant un jour par là, peut-être des vacances, et moi-même, déjà député, conseiller général de cet endroit, nos pas se sont croisés.
- Nous nous sommes retrouvés un peu plus tard à Paris. Il accomplissait de multiples obligations, moi aussi, ce n'étaient pas les mêmes. Mais l'intérêt qu'il portait au débat philosophique, au débat politique aussi, non pas qu'il fût partisan, mais le débat d'idées l'intéressait, le passionnait, nous conduisit à de multiples échanges de vues. Nous avons bâti une solide et amicale relation. Je me souviens même qu'il se désolait - au cours de quelque dîner avec un groupe d'amis - de n'avoir pu me convaincre d'épouser exactement, non pas ses choix philosophiques, mais ses appartenances. Car c'était un homme de foi, d'engagement et il l'a montré tout le long de sa vie.
- Or, ce tempérament, comme vous l'avez fort bien souligné, monsieur le maire, s'alliait avec celui d'un homme, d'un entrepreneur, d'ailleurs très audacieux qui est resté dans le domaine mutualiste, social, coopératif, mais qui a affirmé des qualités individuelles, personnelles, d'autorité, d'entregent, d'intelligence assez rare, au point que reconnu dans des cercles de plus en plus larges, il devint, ce que vous avez dit, c'est-à-dire une personnalité de premier -plan, là où il avait choisi d'être. Parallélement, mais c'était dans un autre département `Aube`, il avait aimé être élu par les siens, ce qui en avait fait un maire et un conseiller général. Il avait des vertus assez oecuméniques, je suppose qu'il a dû se trouver quelquefois dans l'embarras. Il n'aimait pas les divisions arbitraires, il cherchait plutôt la synthèse entre les familles d'esprit.\
Tout récemment, nous avons été conduits à travailler ensemble, puisque en ayant parlé avec M. le Premier ministre, et désireux de pouvoir choisir ensemble un homme capable - à la fois par ses attaches de pensée et aussi par ses capacités d'action - de promouvoir ce Bicentenaire de la Révolution de 1789. Ce choix s'est porté sur Michel Baroin assez naturellement et, sans qu'il y eût la moindre difficulté entre les responsables qui avaient à faire ou à choisir cette désignation. A partir de là, Michel Baroin est venu me voir assez souvent pour discuter avec moi de la façon de faire, de la méthode à prendre, du choix de ses collaborateurs ou de ses conseillers. Il y a mis beaucoup de coeur, de l'intelligence. C'est à ce moment-là que le sort l'a frappé.
- J'avais vécu déjà douloureusement avec lui, avec vous madame, et vous aussi François, l'affreux drame qui devait précéder l'autre et qui a si cruellement meurtri une famille unie ou l'on s'aimait. Et qui a soudain provoqué une déchirure dont je ne parlerai pas davantage, car elle est gravée, inscrite en vous-même. Et je n'ajouterai rien en ranimant cette blessure qui se suffit à elle-même. Mais enfin, devant vos amis, vos concitoyens, monsieur le maire, je crois qu'on ne peut pas oublier ce moment-là, car il a beaucoup compté dans l'évolution finale de Michel Baroin, puisque la mort de sa fille a précédé de peu la sienne. Et qu'à partir de là, je me souviens d'un déjeuner où nous étions ensemble et où j'ai bien senti qu'à la fois il avait besoin de s'évader vers l'action une fois de plus, tandis que vous-même entreteniez discrètement et en vous-même la flamme d'un amour que la mort ne pouvait ni taire, ni arrêter. Nous avions passé un déjeuner à la fois mélancolique et cependant plein de force et d'enthousiasme, puisqu'il s'agissait de mener à bien l'action confiée par le Président de la République et par le gouvernement à Michel Baroin.\
J'avais à peine reçu ces premières propositions, le dessin des idées générales, des thèmes principaux à traiter quand j'ai appris l'accident du Cameroun. Je pense qu'il venait du Congo et avec l'équipage et le petit groupe d'hommes qui était venu pour élargir le domaine coopératif dans lequel il exerçait son activité, la mort, l'accident. Comme tout accident on s'interroge, on interroge le destin, on ne veut pas y croire. Et à côté de cela, après cela, la vie continue et on se retrouve devant soi-même.
- Voilà que nous célébrons maintenant la mémoire de Michel Baroin. Nous avons célébré sa mémoire, au lieu d'être comme naguère, ou comme autrefois tout simplement à Ouroux pour parler du Morvan et de tous les rêves qui passaient par la tête.
- Vous aves eu une bonne idée, une bonne initiative, monsieur le maire, en désignant le nom de Michel Baroin et en donnant son nom à l'une de vos rues, près d'un quartier que vous tentez de développer qui conduit à cette salle que je ne connaissais pas, que vous avez - je crois - mise en oeuvre au cours de ces dernières années, cette année même. Nous avons quand même une forme de joie dans la célébration d'un malheur, c'est de nous retrouver et de vouloir reconstituer l'un de ces cercles où, au-delà de toutes les séparations, de toutes les divisions, les vivants aiment se retrouver puisqu'ils sont liés par le temps de leur vie passée. Le temps que l'on vit ensemble est quand même celui qui nous attache les uns aux autres quoi que nous ayons fait de ce temps. Même s'il nous est arrivé, c'est vrai du Morvan comme d'ailleurs, de connaître de grandes querelles, au total quand cela s'achève, on sait bien que cette vie vécue en famille ou comme les citoyens d'un même petit pays, représente une attache si forte qu'elle domine tout le reste.
- C'est dans cet esprit, j'en suis sûr, que celles et ceux qui ont bien voulu se rendre dans cette salle se retrouvent autour du souvenir de Michel Baroin et s'associent à moi pour dire à Mme Baroin, sa mère, sa femme, son fils, ici présents, ce que nous ressentons au seul souvenir d'un homme qui avait su franchir les étapes en s'affirmant à mesure et en se montrant digne de cette élévation dans toutes les formes de l'esprit et de la responsabilité civique.
- Voilà, monsieur le maire, quelques instants passés à Ouroux. Il y a de cela quelques temps que je n'avais eu l'occasion de repasser par votre commune. Je vais continuer mon chemin, revoir d'autres communes du même canton que j'ai si longtemps - 32 ans ! - représentées. Je garderai moi-même de cette cérémonie, un très vif souvenir. Il est bon de connaître des moments de cette qualité.\