20 février 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, dans "Le Dauphiné libéré" le 20 février 1988, sur le conflit Irak-Iran et les otages du Liban, le marché communautaire et le procès des militants d'Action directe.

QUESTION.- Voici plus de 1000 jours que notre confrère Michel Kauffmann est détenu en otage. Vous suivez personnellement ce difficile dossier. Envisagez-vous une issue heureuse à court terme et par quels moyens ?
- LE PRESIDENT.- A cette issue heureuse, les responsables de la France travaillent depuis le premier jour. C'est une affaire qui exige patience, ténacité, résolution. Comment ne pas avoir à l'esprit la longue souffrance de nos otages, l'espoir de leurs familles et de leurs amis ? Dans un domaine comme celui-là toute polémique doit être bannie. Je suis personnellement ce dossier en liaison étroite avec le gouvernement et les services compétents.
- QUESTION.- Dans quel -cadre se déroule selon vous ce drame ? Est-ce dans le conflit Irak-Iran qu'il faut en chercher les ressorts ?
- LE PRESIDENT.- Ce conflit entre l'Irak et l'Iran domine en effet les drames individuels et l'activité de cette région du monde. Le Liban, vous le savez, voit se répercuter chez lui tous les affrontements du Proche et du Moyen-Orient. Parvenir à la paix figure de ce fait parmi les premières obligations de la société internationale. C'est pourquoi je compte beaucoup sur la mission du Secrétaire général des Nations unies, M. Perez de Cuellar. Toute guerre a une origine et une cause. Dans le cas de la guerre du Golfe, il faut rechercher l'une et l'autre pour trouver les chemins de la paix. La démarche de M. Perez de Cuellar me paraît tout à fait appropriée pour cette tâche. Elle doit être encouragée et soutenue car elle permettra d'enquêter sur la responsabilité du conflit pour en faire rapport au Conseil de sécurité.\
QUESTION.- L'Europe de 1992 c'est demain. Cela peut être une chance pour la France, mais les Français eux-mêmes sont-ils suffisamment informés sur les bouleversements induits par cette échéance capitale ? La vallée du Rhône est une importante voie de communication. L'Europe est-elle une chance pour Rhône-Alpes ?
- LE PRESIDENT.- Oui, à l'évidence, en réponse à votre dernière question. L'adhésion de l'Espagne et du Portugal a replacé la France au centre de l'Europe. Tout doit, tout peut passer par elle. A condition qu'elle y pense, qu'elle s'organise, qu'elle le veuille. 4, 5 ans pour l'échéance du marché européen sans frontière, c'est peu. Nous en sommes capables £ il faut surtout que les Français s'en convainquent. Je ne cesserai pas de leur rappeler.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez débuté votre septennat par un voyage officiel dans la Drôme `Montélimar le 9 juin 1981`. Votre mandat s'achève. Faut-il voir valeur de symbole à cette nouvelle visite ? La province est-elle un moyen pour un chef d'Etat de se ressourcer à l'approche d'une importante décision "loin de Paris" ?
- LE PRESIDENT.- Le seul symbole que j'y vois est celui de l'amitié. Mais vous avez raison, ces visites en province sont pour moi une façon de rester fidèle à mes racines. Tant de force, tant de capacités y sont contenues. Comment comprendre la France et son évolution si l'on est coupé de son peuple ? J'aime le retrouver et je dois vous confier que j'en suis très heureux.\
QUESTION.- Le procès des terroristes d'Action directe est en cours à Paris dans des circonstances particulières. Ce procès est-il, selon vous, exemplaire ? La France est-elle à l'abri de toute nouvelle flambée terroriste ? N'est-ce pas une lutte "vigilante" qui doit s'exercer à chaque instant ?
- LE PRESIDENT.- On ne voit pas au nom de quoi les personnes qui se livrent au terrorisme échapperaient aux conséquences de leurs actes. Ma pitié va d'abord à leurs victimes. Je pense en revanche qu'il convient de veiller avec le plus grand scrupule au droit de la défense. Un accusé doit pouvoir se défendre. La grandeur de la démocratie et sa pérennité tiennent au respect de ces valeurs.
- Quant au terrorisme lui-même, il faut le combattre sans merci : c'est le devoir du gouvernement de la République. Je puis témoigner qu'il n'y a jamais manqué. J'observe à ce propos que 18 des 22 accusés du dernier procès d'Action directe avaient été arrêtés avant mars 1986. Ne sélectionnons pas les mérites au gré des passions politiques.\