17 février 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, dans le "Journal du Centre" le 17 février 1988, sur l'accord de désarmement des FNI et le prochain sommet des pays de l'Alliance atlantique.

QUESTION.- Monsieur le Président, la détention de Jean-Paul Kauffmann, le journaliste d'Antenne 2, est arrivée à son millième jour. De nombreuses personnalités françaises de tous les horizons se sont manifestées de façon parfois discordantes. On sent que le cas Kauffmann alimente la campagne électorale ?
- LE PRESIDENT.- Je pense que ce serait une erreur. Il y a mieux à faire en ce millième jour d'attente. Il s'agit de la vie et de la liberté d'un homme, d'un journaliste qui faisait son devoir. Cette prise d'otage bafoue les principes les plus élémentaires du droit des gens. Tout homme de coeur doit faire le nécessaire pour obtenir sa libération. Il n'y a pas de place pour la polémique. Depuis le premier jour, les responsables ont multiplié leurs efforts, mais aussi dramatique que cela soit, les preneurs d'otages ne peuvent attendre de la France qu'elle soumette à leurs sommations ses choix de politique internationale.
- Le chemin est étroit qui mène à la libération de MM. Kauffmann, Fontaine et Carton, à la vérité sur le sort de Michel Seurat. S'unir autour des familles qui vivent dans l'angoisse et ne jamais renoncer demeurent les plus sûrs moyens d'aboutir.
- QUESTION.- Derrière ce cas douloureux apparaît le conflit Irak - Iran, ne pensez-vous pas que dans l'absence d'une issue rapide la paix mondiale peut être menacée ?
- LE PRESIDENT.- La société internationale doit tout faire pour tenter d'apaiser cette guerre dont les développements, en effet, peuvent menacer la paix du monde. Il suffit de regarder une carte de géographie pour s'en convaincre. La France, qui a des amitiés historiques au Moyen Orient et qui n'y a pas d'ennemis, fait confiance au secrétaire général des Nations unies, M. Perez de Cuellar, pour mener à bien les démarches entreprises. Ses votes au Conseil de sécurité en font foi.\
QUESTION.- Le rôle de la France dans l'Alliance atlantique. La force de frappe française inquiète-t-elle encore nos adversaires éventuels et préoccupe-t-elle toujours nos alliés ?
- LE PRESIDENT.- Je me suis déjà exprimé sur cette question mais, pour vous, je vais préciser ma position. J'ai approuvé sans réserve la première option zéro présentée par M. Gorbatchev à M. Reagan, qui consistait à éliminer les missiles nucléaires de portée intermédiaire entre 1000 et 5000 kilomètres. J'ai approuvé de la même manière la seconde option zéro visant les armes nucléaires intermédiaires d'une portée de 500 kilomètres et plus.
- L'accord de Washington est un bon accord. Il engage les deux plus grandes puissances militaires du monde, l'Union soviétique et les Etats-Unis d'Amérique, et n'engage qu'eux. Pour cette raison simple à comprendre : l'une et l'autre de ces puissances possèdent chacune de onze à treize mille charges nucléaires et toute réduction de ces énormes arsenaux est souhaitable. Mais cela ne représente que 5 à 10 % de leur armement atomique. Il faut donc que les deux partenaires poussent plus loin leur négociation. Puisque vous m'en faites l'observation, je noterai que cet accord n'affecte en rien la stratégie de dissuasion nucléaire autonome française, qui repose essentiellement sur des armes stratégiques à longue portée, à grande majorité sous-marines. Et cet armement n'est pas visé par les accords.
- Après nous être plaints de la course aux armements, nous n'allons quand même pas regretter le premier accord de désarmement véritable depuis la dernière guerre mondiale. Je suis à fond pour le désarmement, car c'est travailler pour la paix.
- Il serait sage maintenant de s'attaquer aux armes classiques ou conventionnelles pour rétablir l'équilibre des forces en Europe. L'URSS montrerait, en s'engageant sur ce terrain, qu'elle est logique avec elle-même, que les propositions de M. Gorbatchev constituent une avancée durable vers la réduction des tensions.\
QUESTION.- La rencontre de l'OTAN, des 2 et 3 mars prochains à Bruxelles, ne va-t-elle pas à l'encontre de la stratégie de défense autonome de la France ?
- LE PRESIDENT.- La France a sa place à la réunion des 2 et 3 mars à Bruxelles, qui rassemblera les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Alliance atlantique. Ce sera une réunion au plus haut niveau où l'on examinera le point actuel et le devenir des négociations sur le désarmement. La France a beaucoup à dire. Contrairement à ce qui a été dit, ici et là, ce n'est pas la première fois qu'un Président de la République ou qu'un chef du gouvernement participera à une telle instance.
- J'étais à la réunion de l'OTAN à Bonn en 1982 et je crois que M. Chirac, déjà Premier ministre en 1974, a également participé à une réunion du même type. Je le rappelle à ceux qui l'ont oublié. La France n'a pas quitté l'Alliance atlantique dont elle continue d'être membre à part entière, mais le commandement militaire intégré des forces de l'OTAN. Ce qui est tout autre chose. Bref, nous sommes membres de l'Alliance mais notre stratégie militaire de dissuasion est et reste autonome. Nous n'aurions pas à siéger s'il s'agissait d'une réunion du commandement militaire de l'OTAN. Nous avons à donner notre avis quand il s'agit d'un conseil politique au sommet de l'Alliance. Et nous tenons à le donner.\